le 11/04/2019

Concessions de distribution de gaz naturel : validation par la CJUE de la réglementation nationale italienne sur l’indemnisation des concessionnaires sortants

CJUE - Affaire C-702/17 : Demande de décision préjudicielle présentée par le Consiglio di Stato (Italie) le 14 décembre 2017 — Unareti SpA / Ministero

La CJUE avait été saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’Etat Italien (Consiglio di Stato) portant sur l’interprétation du droit de l’Union en matière de concessions de service public et du principe de sécurité juridique.

Cette question intervenait dabs le cadre d’un litige opposant la société Unareti SpA qui assure la service public de distribution de gaz naturel dans 213 communes d’Italie et plusieurs autorités publiques italiennes dont notamment le Ministère de développement économique, la « Commission de régulation de l’énergie » italienne (l’Autorità Garante per l’Energia Elettrica il Gas e il Sistema Idrico – autorité de l’électricité, du gaz et du réseau hydrique) au sujet d’un recours en annulation formé par cette société à l’encontre de deux décrets datant de 2014[1] et 2015[2]. L’un deux portant approbation d’un document fixant des « Lignes directrices sur les critères et modalités d’application pour l’évaluation de la valeur du remboursement des installations de distribution du gaz naturel ».

Depuis mai 2000, à la suite de la transposition en Italie de la directive 98/30/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, l’activité de distribution de gaz naturel est en principe une activité de service public concédée par les communes à des concessionnaires choisis exclusivement au moyen d’appels d’offres, pour une durée qui ne peut excéder douze ans. La directive 2009/73/CE ne prévoyait toutefois pas de remise en cause des concessions de distribution du gaz existantes.

Dans ce contexte, le droit italien prévoyait que les concessions en cours qui ne prévoient pas d’échéance, ou dont l’échéance doit intervenir après la période transitoire prévue, sont maintenues jusqu’à la fin de cette période transitoire. Dans ce dernier cas, les titulaires des concessions en cours se voient reconnaître le bénéfice d’un remboursement, pris en charge par le nouveau gestionnaire, calculé conformément aux modalités stipulées dans les conventions ou contrats et, dans la mesure où ces modalités ne peuvent pas être déduites de la volonté des parties, à des critères fixés dans un décret qui datait de 1925[3]. Toutefois, il était prévu que des lignes directrices sur ces critères et sur les modalités d’application pour l’évaluation de la valeur du remboursement pouvaient être fixées par le Gouvernement italien.

C’est ainsi que les décrets attaqués ont fixé des normes de référence pour le calcul du remboursement prévu par le droit national italien, au profit du titulaire d’une concession en cours attribuée sans mise en concurrence préalable et résiliée de façon anticipée en vue de sa réattribution au terme d’une procédure d’appel d’offres en vertu du droit national.

La société Unareti avait, notamment, soutenu que les décrets attaqués étaient contraires au principe de sécurité juridique en ce qu’elle pourrait se trouver rétroactivement privée de la possibilité de se référer, pour le calcul du remboursement auquel elle a droit en tant que concessionnaire sortant, aux clauses contractuelles ou au décret royal du 15 octobre 1925 précité, et serait contrainte de se référer aux « lignes directrices sur les critères et modalités d’application pour l’évaluation de la valeur du remboursement des installations de distribution du gaz naturel » approuvées par le décret attaqué ce qui lui serait défavorable.

C’est dans ces conditions que le Conseil d’Etat italien avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Ces principes et normes [sécurité juridique notamment] font-ils obstacle à une réglementation nationale […] qui prévoit une application rétroactive des critères de détermination du montant des remboursements dus aux concessionnaires sortants, ce qui a une incidence sur les rapports commerciaux existants, ou une telle application est-elle justifiée, y compris au regard du principe de proportionnalité, par l’exigence de protéger d’autres intérêts publics d’importance européenne relatifs à la nécessité de mieux protéger la structure concurrentielle du marché concerné tout en assurant davantage de protection aux utilisateurs du service, qui sont susceptibles de subir, indirectement, les effets d’une éventuelle majoration des montants dus aux concessionnaires sortants ? ».

LA CJUE a rappelé qu’ « en matière de concessions de service public, le droit dérivé de l’Union applicable au principal, à savoir l’article 24 de la directive 2009/73, se borne à prévoir que les États membres désignent un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution pour une certaine durée qu’ils déterminent en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique ». Elle a également rappelé que le droit primaire de l’Union impose que les autorités publiques sont tenues, lorsqu’elles envisagent d’attribuer une concession de service public n’entrant pas dans le champ d’application des directives, de respecter les règles fondamentales du traité TFUE.

Puis la CJUE a estimé en l’espèce que la remise en cause des concessions existantes, dont les conséquences sont pour partie déterminées par les décrets attaqués au principal, ne découle pas du droit de l’Union en matière de concessions de service public de distribution de gaz.

De plus, si le principe de sécurité juridique s’impose, en vertu du droit de l’Union, à toute autorité nationale, ce n’est qu’en tant que celle-ci est chargée d’appliquer le droit de l’Union.

Or, les autorités italiennes n’ont pas, en mettant fin de façon anticipée aux concessions existantes et en adoptant les décrets attaqués au principal, agi au titre de leur obligation d’application du droit de l’Union.

En définitive, la CJUE a considéré que « le droit de l’Union en matière de concessions de service public, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui modifie les normes de référence pour le calcul du remboursement auquel ont droit les titulaires de concessions de distribution de gaz naturel attribuées sans mise en concurrence du fait de la cessation anticipée desdites concessions en vue de les réattribuer après mise en concurrence ».

Il s’ensuit que la réglementation adoptée par le Gouvernement italien qui vise à limiter dans certaines hypothèses la possibilité pour un concessionnaire sortant, bénéficiaire du remboursement des installations de distribution de gaz naturel, de se référer aux clauses du contrat de concession, n’est pas contraire au principe de sécurité juridique. On observera qu’une telle réglementation a pour effet de faciliter le déroulement des appels d’offres pour l’attribution des concessions de distribution de gaz naturel entrées dans le champ concurrentiel en Italie.

[1] Le décret ministériel n°  74951, du 22 mai 2014

[2] Le décret interministériel n° 106 du 20 mai 2015

[3] Décret royal n° 2578 du 15 octobre 1925