le 15/10/2020

Concession : l’acheteur doit donner aux candidats frappés d’exclusion en raison d’une condamnation pénale la possibilité de prouver leur fiabilité

CE, 12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 419146

Aux termes de l’article L. 3123-1 du Code de la commande publique (CCP), doivent être exclues de plein droit de la procédure de passation des contrats de concession les personnes physiques qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour des infractions pénales en lien avec le trafic de stupéfiants, l’escroquerie, l’abus de confiance, le blanchiment d’argent, le terrorisme, la concussion, la corruption et le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, l’entrave à l’exercice de la justice, le faux, la participation à une association de malfaiteurs, des défauts de régularité au regard des obligations sociales ou fiscales, ainsi que la traite des êtres humains. Cette exclusion s’applique également aux personnes morales dont le représentant ou l’un des membres de son organe de gestion, d’administration, de direction ou de surveillance a fait l’objet d’une telle condamnation et ce tant que la ou les personnes condamnées exercent leurs fonctions. Cette exclusion s’applique pour une durée de cinq ans à compter du prononcé de la condamnation.

Les candidats doivent donc, lorsqu’ils postulent à l’attribution d’un contrat de concession, produire à l’appui de leur candidature une déclaration sur l’honneur attestant notamment qu’ils ne font pas l’objet de l’exclusion prévue à l’article L. 3123-1 précité, faute de quoi leur candidature doit être rejetée comme irrecevable (cf. article R. 3123-16 à R. 3121-21 du CCP, auparavant article 19 et 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016).

Saisi par la Société VERT MARINE d’un recours tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait rejeté sa demande d’abrogation des dispositions réglementaires précitées, le Conseil d’Etat a dans un premier temps, sursis à statuer et saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de deux questions préjudicielles afin de l’interroger sur l’interprétation de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.

Par un arrêt C-472/19 du 11 juin 2020, la CJUE a répondu que la directive s’oppose à une réglementation nationale qui n’accorde pas à un opérateur économique condamné de manière définitive pour l’une des infractions susmentionnées la possibilité d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité. En outre, la CJUE précise que la directive ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale confie aux autorités judiciaires l’examen du caractère approprié des mesures correctrices prises par un opérateur économique, à condition que le régime national mis en place à cet effet soit compatible avec les délais imposés par la procédure de passation des contrats de concession. Dans la même logique, la directive ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale permette aux autorités judiciaires de relever une personne d’une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession à la suite d’une condamnation pénale et d’effacer une telle interdiction ou d’exclure toute mention de la condamnation dans le casier judiciaire, à condition que de telles procédures judiciaires permettent à l’opérateur économique souhaitant participer à une procédure de passation de contrats de concession, de lever, en temps utile, l’interdiction le frappant, au regard du seul caractère approprié des mesures correctrices invoquées par cet opérateur et évaluées par l’autorité judiciaire compétente.

Par sa décision du 12 octobre 2020, le Conseil d’Etat juge qu’il résulte de l’interprétation ainsi donnée par la CJUE que, pour ne pas méconnaître les objectifs de la directive du 26 février 2014, le droit français doit prévoir la possibilité pour un opérateur économique, lorsqu’il est condamné par un jugement définitif prononcé par une juridiction judiciaire pour une des infractions pénales énumérées à l’article L. 3123-1 du CCP, d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité, étant précisé néanmoins que la faculté de faire preuve de sa fiabilité ne saurait être ouverte lorsque l’opérateur a été expressément exclu par un jugement définitif de la participation à des procédures de passation de marché ou d’attribution de concession, pendant la période fixée par ce jugement.

Or, il constate qu’en l’état actuel, le droit national ne respecte pas ces exigences. Il en conclut que la Société requérante est fondée à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait refusé d’abroger les dispositions des articles 19 et 23 du décret du 1er février 2016, aujourd’hui repris aux articles R. 3123-16 à R. 3123-21 du CCP.

Le législateur et le pouvoir réglementaire vont donc devoir modifier prochainement le CCP afin de tirer les conséquences de cette décision et mettre le droit national en conformité avec les exigences découlant du droit de l’Union européenne.

Dans l’attente de ces modifications, les acheteurs devront faire application du principe dégagé par le Conseil d’Etat, qui est formulé en ces termes : « l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l’article L. 3123-1 du CCP n’est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l’autorité concédante, qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement ».