le 14/01/2020

Compétence du juge judiciaire pour connaître d’un litige relatif à une convention de concession d’une centrale hydroélectrique requalifiée en contrat de droit privé

CAA Bordeaux, 30 décembre 2019, société IGIC, req.n° 17BX04004 et 18BX04275

Dans un arrêt du 30 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a qualifié un contrat conclu entre une commune et une société portant sur la construction, la gestion, et l’exploitation d’une centrale de production d’énergie hydroélectrique de contrat de droit privé, et renvoyé les parties devant le juge judiciaire pour connaître d’un litige ayant trait à l’exécution de ladite convention.

Plus précisément, les faits étaient les suivants : la commune d’Aulus-les-Bains, alors titulaire d’une autorisation préfectorale de disposer de l’énergie des rivières de l’Ars et du Garrett, avait conclu avec la société IGIC en 1989 une convention ayant pour objet de confier à cette dernière pour une durée de 29 ans, reconductible pour une durée de 15 ans, et moyennant le versement d’une redevance annuelle à la commune par la société, la mission de construire, gérer et exploiter une centrale de production d’énergie hydroélectrique. L’énergie produite devant être vendue à EDF.

Puis, par un arrêté du 27 août 2002, le Préfet avait transféré à la société IGIC l’autorisation de disposer de l’énergie des deux rivières initialement accordée à la commune. Estimant la convention de 1989 désormais privée d’objet, les parties avaient conclu une convention au mois de septembre 2002 annulant et remplaçant la convention initiale. Cette nouvelle convention prévoyait un nouveau mode de calcul de la redevance annuelle versée à la commune et avait pour unique objet la mise à disposition de terrains et chemins communaux au bénéfice de la société.

A la suite de différends concernant les redevances dues par la société IGIC à la commune, cette dernière a émis plusieurs titres de recettes, contestés devant le Tribunal administratif de Toulouse dans le cadre de deux instances. Ses demandes n’ayant été que partiellement accueillies par la juridiction, la société IGIC a interjeté appel des deux jugements devant la Cour administratif de Bordeaux.

De manière relativement surprenante, la société IGIC soutenait dans son argumentaire devant la Cour que le litige avait trait à l’exécution d’un contrat de droit privé et ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative. Dans sa décision du 30 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a accueilli ce moyen et jugé effectivement que les deux contrats successivement conclus entre la commune et la société IGIC ne constituaient pas des contrats administratifs mais des contrats de droit privé relevant du juge judiciaire.

Pour ce faire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux commence par relever que dès lors que la puissance de l’installation hydraulique est inférieure à 4500 kilowatts, ladite installation ne relevait pas du régime de la concession mais de celui de l’autorisation conformément à l’article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, en vigueur à la date de conclusion de la convention de 1989. Ceci étant, ainsi qu’il ressort des énonciations de l’arrêt, c’est bien une autorisation et non une concession qui a été accordée par le Préfet à la commune, puis transférée à la société.

Ensuite, examinant l’objet de chacune des deux conventions successivement conclues en 1989 et 2002 entre la commune et la société IGIC, la Cour administrative d’appel de Bordeaux estime que :

  • la production d’électricité en vue de sa cession à EDF n’est pas une activité relevant de l’intérêt public communal,
  • la société IGIC ne s’est vu confier aucune obligation de service public,
  • le pouvoir de contrôle conféré par la convention à la commune est limité à la transmission d’un bilan d’exploitation de l’exercice et à un droit de visite des installations.

Dès lors, après avoir relevé l’absence de clause exorbitante du droit commun dans les deux conventions (autre critère permettant d’identifier un contrat administratif conformément à la jurisprudence traditionnelle CE, 31 juillet 1912, société des granits porphyroïdes des Vosges, n° 30701), la Cour en conclut que les deux conventions ne constituent pas des délégations de service public.

Ensuite, la Cour écarte l’application du critère de la participation à une opération de travaux public en considérant que la commune n’a pas joué le rôle de maître d’ouvrage de l’opération, et n’en deviendra propriétaire qu’à son terme. Néanmoins, un contrat est administratif car portant sur des travaux publics lorsque (i) le travail est exécuté pour le compte d’une personne publique et (ii) dans un but d’intérêt général (par exemple CE, 3 décembre 2015, sté Fosmax, n° 388806). Or, dans la mesure où la Cour relève que la commune a vocation à devenir propriétaire de l’ouvrage au terme du contrat, on peut considérer que le premier critère est rempli et que c’est en considérant qu’il n’existait pas de but d’intérêt général que la Cour a pu considérer que les critères du travail public n’étaient pas remplis.

Enfin, la Cour considère que les deux contrats conclus par la commune d’Alus-les-Bain ne peuvent être qualifiés de contrats administratifs par détermination de la loi. Elle rappelle en effet que l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et le Code de la commande publique qualifient de contrat administratif, notamment, les concessions de travaux. Toutefois, la Cour relève que même si la convention en cause pouvait être qualifiée de concession de travaux (ce que la Cour n’examine pas), en tout état de cause la qualification légale découlant de l’ordonnance du 29 janvier 2016 et du Code de la commande publique ne s’applique qu’aux seuls contrats dont la procédure de passation a été engagée à compter du 1er avril 2019 (1er avril 2016 pour l’ordonnance). La Cour écarte donc ce fondement

Enfin, la Cour écarte encore la compétence du juge administratif en rappelant que si les conventions successivement conclues par les parties emportent mise à disposition de terrains communaux, lesdits terrains relèvent du domaine privé communal.

La Cour en conclut que la convention du 16 décembre 1989 tout comme celle du 5 septembre 2002 sont des conventions de droit privé, dont les contentieux relatifs à l’exécution doivent être portés devant le juge judiciaire.