Plus de vingt après la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner », il n’était sans doute pas inutile que le Conseil d’Etat rappelle le caractère impératif des délais, fixés par la loi, en matière de communication du dossier médical du patient. Nombre d’établissements avaient, semble-t-il, pris quelques facilités avec ces procédures pourtant protectrices des droits des malades et de leurs ayants droit. Ce rappel salutaire est intervenu à l’occasion d’un arrêt rendu par les 5ème et 6ème chambres réunies le 13 février 2024.
Dans cette affaire, une patiente atteinte d’une démence profonde a été hospitalisée au centre hospitalier de Caen, à compter du 29 septembre 2016, pour y recevoir une assistance alimentaire, du fait de la forte dégradation de son état de santé. Le 3 octobre 2016, après plusieurs épisodes importants de régurgitation, elle va subir un examen radiologique à la suite duquel elle sera retrouvée décédée dans sa chambre.
Par jugement du 30 juin 2020, le Tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions de l’époux et des enfants de la défunte tendant à la réparation des fautes commises dans la prise en charge de la patiente. Le 5 novembre 2021 la Cour administrative d’appel de Caen rejettera pareillement l’appel formé par les requérants. C’est dans ces conditions que l’affaire s’est présentée devant le Conseil d’Etat, les demandeurs ayant notamment formé une demande d’indemnisation en raison du préjudice subi par eux du fait de la communication tardive, par le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Caen, du dossier médical de leur épouse et mère. La Haute Juridiction va, sur ce point, rappeler les dispositions de l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique qui prévoit que :
« Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé […]. En cas de décès du malade, l’accès des ayants droit, du concubin, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité à son dossier médical s’effectue dans les conditions prévues au dernier alinéa du V de l’article L. 1110-4 ».
Ledit alinéa étant ainsi rédigé :
« le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ».
Afin, sans doute, de donner plus de solennité à son rappel des règles de droit applicables en la matière, le Conseil d’Etat va rappeler, qu’aux termes des travaux parlementaires préparatoires à la loi Kouchner, le législateur a entendu autoriser la communication aux ayants droit d’une personne décédée des seules informations nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi par ces ayants droit. Il en tire la conclusion que « l’absence de communication aux ayants droit des informations nécessaires pour éclairer les causes du décès comme le retard à les communiquer dans un délai raisonnable constituent des fautes et sont présumés entraîner, par leur nature, un préjudice moral, sauf circonstances particulières en démontrant l’absence ».
Dans le cas d’espèce, les ayants droit avaient formé une demande de communication de la feuille de dispensation des médications et de la radiographie effectuée juste avant le décès. Ces demandes ont été formalisées les 10 et 31 octobre 2016 et le CHU de Caen n’y aura fait droit que le 25 mai 2018 pour ce qui concerne la radiographie et le 13 septembre 2018 pour la feuille de dispensation.
Le Conseil d’Etat en tire la conséquence que le CHU de Caen a commis, en l’absence de circonstances particulières, une faute de nature à causer aux demandeurs un préjudice moral. Il va donc infirmer l’arrêt de la Cour administrative d’appel sur ce point, qui avait considéré que les requérants n’établissaient pas que le retard dans la communication des pièces médicales sollicitées leur avait occasionné un préjudice.
Le CHU sera ainsi condamné à verser une somme de 2 000 € à l’époux et chacun des deux enfants de la patiente décédée.
Ce faisant, le Conseil d’Etat a réaffirmé sans ambages ni ambiguïté le principe de transparence des informations médicales dont sont détenteurs les professionnels et établissements de santé, considérant qu’il s’agit de données qui appartiennent d’abord aux patients et à leurs ayants droit. A l’heure du développement exponentiel du numérique en santé, ces principes prennent un relief plus grand encore.