Droit pénal et de la presse
le 13/06/2024
Marine ALLALI
Maxellende BOULET

Comment reprendre les investigations après une ordonnance de non-lieu ?

Autrement appelée une « mise hors de cour » sous l’Ancien Régime, l’ordonnance de non-lieu désigne la décision rendue par le juge d’instruction à l’issue de l’information judiciaire par laquelle il déclare qu’il n’y a pas lieu de poursuivre les investigations. Elle a pour conséquence de mettre fin à l’instruction sans qu’aucun mis en cause ne soit renvoyé devant une juridiction de jugement.

Elle peut intervenir dans des cas bien différents : les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction, l’auteur des faits bénéficie d’une irresponsabilité pénale, l’auteur des faits est décédé ou encore l’auteur des faits n’a pas été identifié et le juge estime que toutes les investigations possibles ont été réalisées. Dans ces derniers cas, les victimes et leurs familles le ressentent souvent comme une injustice et l’expression « ordonnance de non-lieu » elle-même est mal comprise voire profondément blessante.

Il y a là une nécessité absolue de procéder au changement de ce terme, et de le remplacer, par exemple, par celui d’« ordonnance de classement » ou d’« ordonnance de fin d’instruction », terme plus intelligible. Confirmée en appel devant la Chambre de l’instruction, cette « ordonnance de non-lieu » devient « un arrêt de non-lieu ».

Deux sortes de décisions de non-lieu témoignent ainsi d’un échec judiciaire en matière criminelle (I), auquel le législateur a tenté d’apporter une solution à travers la procédure de réouverture sur charges nouvelles (II), procédure en pratique compliquée à mettre en œuvre et mal définie (III).

I. L’échec judiciaire en cas de non-lieu prononcé en matière criminelle

Dans le cas où un crime a été commis de manière certaine, constatation médico-légale sur une corps retrouvé meurtri ou encore enfant en bas-âge disparu, l’ordonnance de non-lieu intervient alors que l’auteur des faits n’est pas inquiété. C’est donc là précisément une situation, une décision relative à l’administration de la justice, qui n’est pas conforme au réel et à la vérité.

La victime et sa famille peuvent bien entendu recevoir l’ordonnance de non-lieu comme une erreur judiciaire mais il est important de souligner qu’il s’agit également d’une erreur pour l’institution judiciaire qui est mise en échec dans la protection des personnes et de la vie. Cela est d’autant plus vrai que cette défaillance du système judiciaire peut entraîner, dans les cas de violeurs et tueurs en série, la répétition des infractions par l’auteur qui n’a pas été appréhendé, le laissant dans une impunité renforcée.

Afin de remédier à cet échec, le Code de procédure pénale ouvre une seule voie à la reprise des investigations grâce à la procédure « de réouverture sur charges nouvelles » (Article 188 du Code de procédure pénale).

II. La réouverture de l’instruction sur charges nouvelles

L’article 188 du Code de procédure pénale énonce que :

« la personne mise en examen à l’égard de laquelle le juge d’instruction a dit n’y avoir lieu à suivre ne peut plus être recherchée à l’occasion du même fait, à moins qu’il ne survienne de nouvelles charges ».

L’article 189 poursuit :

« Sont considérées comme charges nouvelles les déclarations des témoins, pièces et procès-verbaux qui, n’ayant pu être soumis à l’examen du juge d’instruction, sont cependant de nature soit à fortifier les charges qui auraient été trouvées trop faibles, soit à donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité ».

Cette notion de charge nouvelle doit être entendue dans son sens le plus large, renvoyant à tous les indices de nature soit à renforcer les charges à l’encontre d’un individu, soit à donner aux faits instruits une nouvelle orientation utile à la manifestation de la vérité.

Cependant, la loi ne prévoit pas de liste exhaustive ou de définition plus précise ce qui laisse à la jurisprudence le soin d’en définir les contours au cas par cas, créant une instabilité juridique.

Constituent ainsi par exemple des charges nouvelles des photographies et relevés topographiques (Cass. Crim., 9 novembre 1965, n° 65-90.418), des constatations et témoignages au cours d’une poursuite sur une nouvelle infraction commise par le prévenu (Cass. Crim., 17 janvier 1867). À l’inverse, ne constituent pas des charges nouvelles la simple arrestation de la personne poursuivie (Cass. Crim., 10 décembre 1943) ou la confirmation, par de nouveaux témoins, de faits déjà connus (Cass .Crim., 17 janvier 1962, n° 61-93.715).

La jurisprudence précise qu’il doit s’agir de faits qui n’ont pas été soumis à l’examen de la juridiction d’instruction avant la décision de non-lieu, peu important qu’ils aient été connus des parties civiles avant la clôture de l’information (Cass. Crim., 16 novembre 1999, n° 99-85.848).

Enfin, les articles 190 et 196 du Code de procédure pénale spécifient qu’il « appartient au ministère public seul de décider s’il y a lieu de requérir la réouverture de l’information sur charges nouvelles », c’est-à-dire soit au procureur de la République après une ordonnance de non-lieu de la part d’un juge d’instruction, soit au procureur général après un arrêt de non-lieu de la part d’une chambre de l’instruction.

III. Des difficultés freinant la réouverture d’instructions sur charges nouvelles

Cette reprise des investigations après une décision de non-lieu fait face à deux principales difficultés, outre la subjectivité de la notion de charge nouvelle qui reste soumise à l’appréciation du ministère public et du juge d’instruction ; elle fait face à :

  • l’autorité de chose jugée de la décision de non-lieu (A) ;
  • l’absence de fondement légal approprié pour la reprise des investigations d’autre part (B).

A. L’autorité de chose jugée de la décision de non-lieu

Il est déduit de la lecture de l’article 188 du Code de procédure pénale que l’autorité de chose jugée de la décision de non-lieu ne bénéficie qu’à la personne mise en examen lors de l’instruction initiale, et que des charges nouvelles ne sont dès lors requises que pour rouvrir l’instruction à son égard. Pourtant, la Cour de cassation a pu étendre le bénéfice de l’autorité de chose jugée aux personnes entendues pendant l’instruction initiale comme témoin assisté, nommément visées dans une plainte avec constitution de partie civile ou dans un réquisitoire (Cass. Crim., 12 novembre 2008, n° 07-88.222), c’est-à-dire plus largement à toutes les personnes qui ont été mises en cause au cours de l’instruction.

Pour toutes ces personnes, il faudra donc apporter des éléments nouveaux pour obtenir la réouverture d’une information judiciaire à leur égard.

La réouverture sur charges nouvelles a donc pour conséquence de replacer le mis en cause sous le statut qu’il avait auparavant dans la procédure d’instruction. Le mis en examen sera à la réouverture de nouveau mis en examen et il bénéficiera ainsi de l’intégralité des droits qui lui sont attribués par la Code de procédure pénale. Il en va de même pour le témoin assisté qui sera de nouveau placé sous ce statut. Cela conduit les magistrats à une plus grande frilosité à rouvrir un dossier lorsqu’une personne était initialement mise en cause que lorsqu’aucun individu n’avait été identifié.

Doit-on y voir une tendance générale de la justice à ne pas vouloir remettre en cause ses décisions, qui témoignent pourtant d’impuissances judiciaires ?

B. L’absence de fondement légal approprié pour la reprise des investigations

Il découle de la lecture des textes que pour la reprise des investigations à l’encontre de la personne mise en cause dans l’instruction initiale, il faut impérativement passer par la procédure de réouverture sur charges nouvelles prévues aux articles 188 et suivants du Code de procédure pénale, et c’est alors bien la même instruction qui est rouverte.

En pratique, plusieurs articles viennent se cumuler sans qu’il ne soit possible d’appréhender clairement la procédure à utiliser dans un certain nombre de cas. En effet, il est également possible d’envisager que le parquet prenne un nouveau réquisitoire introductif d’instance sur le fondement de l’article 80 du Code de procédure pénale, et ouvrir ainsi une nouvelle instruction, distincte de la première. Pourtant, si la Cour de cassation suit parfois cette distinction (Cass. Crim., 26 février 2008, n° 07-87.865), elle a également déjà admis que la procédure de l’article 188 du Code de procédure pénale puisse être enclenchée sur réquisitoire pris contre X et aboutir au renvoi d’une personne n’ayant pas été mise en cause dans la procédure initiale (Cass. Crim., 25 mars 1992, n° 91-87.069).

Et à l’inverse, elle a pu approuver l’annulation par une chambre de l’instruction d’un réquisitoire introductif d’instance pris contre X ayant abouti à la mise en accusation d’une personne qui avait été mise en examen à la suite de la première instruction, au motif que les règles concernant la réouverture sur charges nouvelles avaient été méconnues (Cass. Crim., 11 mai 2010, n° 09-84.697).

Il est donc bien difficile de déterminer sur quel fondement légal s’appuyer pour relancer une instruction, sans risquer l’annulation de la procédure qui pourra suivre.

Cette difficulté a pris une nouvelle importance avec la création du Pôle national dédié au traitement des crimes sériels ou non élucidés de Nanterre (PCSNE) le 1er mars 2022 puisque ces magistrats qui ont vocation à rouvrir des dossiers anciens non-élucidés se retrouvent souvent bloqués voire interrogatifs quant à la légalité des procédures à suivre.

Plus récemment, la Cour de cassation a déclaré que les dispositions de l’article 196 du Code de procédure pénale – c’est-à-dire la réouverture sur charges nouvelles sur réquisitions du procureur général – s’appliquaient « que l’arrêt de non-lieu ait clôturé une information suivie contre personne dénommée ou non dénommée » (Cass. Crim., 21 juin 2023, n° 22-82.701).

 Eu égard à une jurisprudence fluctuante de la Cour de cassation, il est possible de s’interroger aujourd’hui sur la pérennité de cette solution. Quoiqu’il en soit, au vu du manque de clarté de ces textes et de leurs articulations, des propositions législatives, entièrement soutenues par Seban Avocats, ont émergé et visant à permettre :

  • directement au procureur de la République du PCSNE de requérir la réouverture sur charges nouvelles d’informations judiciaires clôturées par un non-lieu, et ce nonobstant les règles de compétences édictées par l’article 196 du Code de procédure pénale et la localisation des faits ;
  • le PCSNE de rouvrir des procédures clôturées sur le fondement des progrès de la science et de leur spécialisation en matière de dossier ancien non-élucidé, peu importe qu’il y avait ou non un mis en cause dans l’ancienne procédure clôturée.

Si de telles modifications sont adoptées, il est alors possible d’espérer une meilleure reprise des instructions après une décision de non-lieu facilitée par un cadre juridique plus sécurisant, et par conséquent l’élucidation de davantage de crimes afin de revenir enfin sur les erreurs judiciaires du passé.

 

Marine Allali et Maxellende Joulia