le 19/01/2018

Clause Molière : le tribunal administratif de Lyon invalide le dispositif de « lutte contre le travail détaché » de la Région Auvergne-Rhône-Alpes

TA Lyon, 13 décembre 2017, n° 1707697

Par un jugement en date du 13 décembre 2017, le tribunal administratif (TA) de Lyon a annulé la délibération du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes approuvant le dispositif régional de lutte contre le travail détaché.

Par délibération en date du 9 février 2017, le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes a approuvé un dispositif régional de « lutte contre le travail détaché ».

Cette délibération comportait en annexe des modifications aux cahiers des clauses administratives particulières (CCAP) des marchés de travaux de la Région. Ces modifications prévoyaient :

• d’une part, l’introduction d’une clause précisant qu’il est « demandé aux entreprises attributaires » de fournir une attestation sur l’honneur de non-recours au travail détaché ;
• d’autre part, l’introduction d’une « clause de langue française », selon laquelle « le titulaire du marché s’engage à ce que tous les personnels, quel que soit leur niveau de responsabilité et quelle que soit la durée de leur présence sur le site, maîtrisent la langue française » et « la mise à disposition alternative d’un traducteur » ;
• par ailleurs, l’instauration de contrôles par les agents de la Région ayant pour objectif de donner à cette dernière les moyens d’assurer le respect par ses co-contractant de leur obligations contractuelles et de répondre aux nouvelles obligations de vigilance ;
• enfin, la mise en place de pénalités de 5 % du montant du marché en cas de méconnaissance de la « clause de langue française » et de 10 000 euros en cas de présence d’un travailleur détaché non valablement déclaré à la Région.

Par un déféré enregistré le 26 juin 2017, le Préfet de Région a demandé au TA d’annuler cette délibération aux motifs, notamment, que la Région était incompétente pour instaurer un dispositif réglementaire de sanctions administratives pécuniaires et que la délibération était entachée d’un détournement de pouvoir en ce qu’elle méconnaissait les principes de liberté d’accès à la commande publique, de liberté de traitement des candidats et de non-discrimination.

Par ce jugement du 13 décembre 2017, le TA de Lyon annule la délibération du conseil régional.

Après avoir écarté la fin de non-recevoir opposée par la Région, le TA commence par viser l’ordonnance du 23 juillet 2015 n° 2015-899 du 23 juillet 2018 relative aux marchés publics. Il rappelle ainsi qu’au terme des articles 1er et 38 de cette ordonnance, les marchés publics doivent respecter « les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » et qu’un pouvoir adjudicateur peut prendre en « des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché public. (…) ».

Le TA vise également l’article L. 1262-1 du code de travail autorisant un employeur établi hors de France à « détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu’il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. (…) ».

Dans le cadre des dispositions précitées, le TA opère une appréciation des motivations de la Région en analysant les termes employés dans la délibération litigieuse et son annexe.

Il constate ainsi que le conseil régional a approuvé ces mesures pour « combattre » le recours au travail détaché sur les chantiers de la région et « afficher la volonté de la région de n’avoir aucun travailleur détaché sur ses chantiers ».

De plus, selon le TA, la Région « n’apporte aucun élément de nature à établir que ces mesures, qui sont généralisées à l’ensemble des marchés de travaux de la Région et concernent tous les salariés, contribueraient à l’amélioration de la sécurité des salariés ou même de la lutte contre le travail détaché illégal ».

Le TA en conclut que la délibération litigieuse est « entachée d’un détournement de pouvoir » et doit être annulée car elle « a été adoptée, non pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés, mais pour exclure les travailleurs détachés des marché publics régionaux et favoriser les entreprises régionales ».

Ce jugement a été rendu quelques jours après la décision par laquelle le Conseil d’Etat a reconnu la légalité des « clauses d’interprétariat » prévues dans un marché de travaux passé par la Région Pays de la Loire et s’inscrivant dans des clauses d’exécution relatives à l’information sur les droits sociaux, la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (CE, 4 décembre 2017, Ministre de l’Intérieur c/ Région Pays de la Loire, req. n° 413366).

Le jour-même de la lecture du jugement, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé son intention de « faire appel ».