Loi « contraintes », loi « simplification » : détricotage des garanties environnementales

Dossier législatif, Projet de loi de simplification de la vie économique

Plusieurs textes en cours d’examen devant les instances parlementaires entendent revenir sur les « contraintes » qui seraient posées par le droit de l’environnement et procéder à des mesures de « simplification ». Critiquées, certaines de ces mesures reviennent ainsi sur la protection de l’environnement et les garanties posées par le droit actuel.

Il s’agit notamment de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, portée par le sénateur Laurent Duplomb (LR). Cette proposition a été adoptée en commission mixte paritaire le 30 juin 2025 et devrait donc, en principe, être adoptée en l’état après le vote des deux assemblées les 2 et 8 juillet 2025 (I).

Est également en cours d’examen le projet de loi de simplification de la vie économique, qui devrait prochainement être examiné en commission mixte paritaire (II).

I. Proposition de loi « contraintes »

Ce texte sera présenté dans sa version adoptée le 30 juin 2025 par la commission mixte paritaire. Il ne sera toutefois pas revenu sur l’ensemble des dispositions de la proposition de loi, et notamment sur celles qui intéressent les seules exploitations agricoles en elles-mêmes (assurances, conseil sur les produits phytopharmaceutiques, etc.).

1°) Celui-ci comporte plusieurs dispositions sur la règlementation des produits phytopharmaceutiques :

  • L’article 2 crée un nouvel article L. 253-1 A au sein du Code rural et de la pêche maritime (CRPM), indiquant que l’Etat doit accompagner les professionnels et se fixer un objectif de leur indemnisation pour les pertes d’exploitation significatives qu’ils pourraient subir en raison de l’interdiction d’un produit phytopharmaceutique et tant que les alternatives disponibles à l’utilisation de ces produits sont inexistantes ou manifestement insuffisantes ;
  • Il est également prévu qu’un décret peut, à titre exceptionnel et sous certaines conditions, pour faire face à une menace grave compromettant la production agricole, déroger à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes, ainsi qu’à l’interdiction de l’utilisation des semences traitées avec ces produits.

2°) Des assouplissements sont également instaurés pour l’obtention d’une autorisation environnementale pour les activités d’élevage. Ainsi, lors de la procédure de consultation du public, une réunion publique ne sera plus nécessairement organisée et sera alors remplacée par une permanence du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête.

Il est également prévu d’ouvrir la possibilité pour les activités d’élevage d’être soumises à la procédure d’enregistrement des installations classées pour la protection de l’environnement, et non plus à la procédure d’autorisation. En effet, la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions des installations industrielles ne permettait pas de soumettre les projets d’élevage au régime de l’enregistrement, mais celle-ci a été révisée en avril 2024 et la proposition de loi modifie donc le régime légal applicable en France.

Le texte énonce par ailleurs, pour toutes les procédures d’autorisation environnementale et non seules celles relatives à l’élevage, que les réponses du pétitionnaire aux avis mis en ligne, sauf l’avis de l’autorité environnementale, ainsi qu’aux observations et aux propositions du public seront facultatives.

3°) D’autres mesures concernent ensuite la ressource en eau :

  • Un nouveau paragraphe serait inséré au sein de l’article L. 211-1 du Code de l’environnement, imposant la prise en compte de la protection, de la valorisation et du développement de l’agriculture et de la pêche lors de la réalisation des études relatives à la gestion quantitative de l’eau. Ces études devront intégrer une analyse des impacts socio-économiques, portant notamment sur les conséquences pour l’emploi, l’alimentation, l’attractivité rurale et les revenus agricoles, des recommandations sur les volumes prélevables ;
  • Est également instaurée une présomption d’intérêt général majeur des ouvrages de stockage d’eau à finalité principalement agricole, lorsque certaines conditions sont remplies et notamment la réalisation d’une démarche territoriale concertée. Ces ouvrages sont ainsi présumés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeure au sens de la règlementation sur les dérogations espèces protégées ;
  • Il est toutefois à noter que la proposition de loi ne revient pas, contrairement à son ambition initiale, sur la définition des zones humides.

4°) Des dispositions s’attachent également aux prérogatives de contrôle de la police de l’environnement, en introduisant un nouvel article L. 174-3 du Code de l’environnement permettant dans certaines conditions l’utilisation de caméras. Il est également précisé à l’article L. 131-9 du même Code que l’Office français de la biodiversité intervient « sous la direction du procureur de la République ».

Plusieurs députés et sénateurs auraient déjà indiqué que, en cas d’adoption de cette proposition de loi, ils saisiraient le Conseil constitutionnel.

II. Projet de loi « simplification »

Ce texte sera présenté dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale.

1°) L’article 15ter du projet de loi acte, en l’état, la suppression des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-M). L’article L. 2213-4-1 du Code général des collectivités territoriales (ci après, CGCT), qui habilite le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale à créer de telles zones, est ainsi entièrement supprimé, comme toutes références dans les textes aux ZFE-M.

2°) La mise en œuvre de l’objectif zéro artificialisation nette est également considérablement assouplie par le texte dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale :

  • Il est à ce stade prévu d’exclure qu’un espace naturel ou agricole occupé par une implantation industrielle ou par un projet d’intérêt national, régional ou communal majeur, soit comptabilisé dans la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers ;
  • L’Assemblée nationale a voté la modification de l’article 194 de la loi climat et résilience afin de permettre de dépasser, sans justification, jusqu’à 30 % l’objectif local de consommation maximale d’espaces alloué dans le document d’urbanisme. Il est également possible d’excéder un dépassement de 30 % avec l’accord du préfet ;
  • L’article 15 bis AB du projet de loi prévoit également de modifier l’article 194 de la loi climat et résilience en créant une enveloppe de 10.000 hectares qui ne sera pas comptabilisée pour le ZAN pour les projets industriels ainsi que les aménagements, équipements et logements directement liés à leur réalisation (pendant une durée de cinq ans, et dans la limite de 15 % du projet, la consommation d’espaces est décomptée dans cette enveloppe nationale).

3°) L’article 18 du projet de loi modifie à ce stade les conditions de mise en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. En effet, s’il est aujourd’hui prévu par l’article L. 163-1 du Code de l’environnement que les mesures de compensation doivent être effectives pendant toute la durée des atteintes, le projet de loi de simplification de la vie économique permet de décaler leur mise en œuvre dans le temps pour qu’elles soient effectives dans un « délai raisonnable ».

4°) L’article 19 du projet de loi comporte également plusieurs mesures de simplification du Code minier relatives aux procédures de délivrance des permis exclusifs de recherche, de réutilisation d’ouvrages miniers et d’autorisation unique d’occupation du domaine et d’exploitation minière.

Notamment, ces modifications :

  • visent l’accélération de la procédure d’attribution et de refus des permis exclusifs de recherche. La procédure de participation du public (enquête publique ou participation du public par voie électronique) est précisée selon si le projet est soumis à analyse environnementale ou non. Il ressort des motifs de l’amendement ayant introduit cette disposition que l’objectif est de prendre en compte la décision du Conseil d’Etat en date du 12 juillet 2024, Guyane Nature Environnement et autre, n° 468529 selon laquelle un titre minier peut faire l’objet d’une évaluation environnementale ;
  • permettent la prolongation en cas de circonstance exceptionnelle de la validité d’un permis exclusif de recherches au-delà de la durée maximale de quinze ans,
  • simplifient la procédure de règlement des litiges en cas de superposition des titres miniers en supprimant la saisine pour avis du conseil général de l’économie de l’industrie et des technologies ;
  • clarifient les prérogatives de la police des mines, et notamment les conditions lui permettant d’accéder aux locaux à usage d’habitation.

L’article 19 bis intègre également à la procédure d’autorisation environnementale la déclaration préalable à l’exécution de sondage, ouvrage et fouille dont la profondeur dépasse dix mètres au-dessous de la surface du sol (article L. 411-1 du Code minier). Les déclarations des ouvrages de prélèvement des eaux souterraines pour l’alimentation privée en eau potable, prévues à l’article L. 2224-9 du CGCT, seront également réalisées dans le cadre de cette déclaration du Code minier.

5°) Un décret devra préciser les conditions dans lesquelles la raison impérative d’intérêt public majeur peut être reconnue pour les projets qualifiés « d’intérêt national majeur » en application de l’article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme. Un amendement adopté par l’Assemblée nationale précise qu’il doit être tenu compte des enjeux liés à la résilience du stockage des données stratégiques, les projets de centres de données pouvant être concernés.

Concernant les centres de données, il est également prévu à ce stade par le projet de loi que l’administration pourra refuser l’octroi du permis de construire d’un centre de données implanté sur un territoire connaissant des tensions structurelles sur la ressource en eau.

6°) La facilitation de la passation des marchés publics portant sur des produits d’occasion et sur des fournitures issues du réemploi ou de la réutilisation est par ailleurs actée (article 4 bis AD).

7°) Il est encore prévu une modification de la procédure de la déclaration de projet (article L. 126-1 du Code de l’environnement) lorsque celle-ci est prononcée par l’Etat et que le projet en cause est susceptible de nécessiter une dérogation espèces protégées, afin que l’Etat statue sur l’existence ou non d’une raison impérative d’intérêt public majeur dès ce stade. La RIIPM ne pourrait alors être remise en cause que dans le cadre d’un recours dirigé contre la déclaration de projet et non contre l’arrêté octroyant une dérogation espèces protégées. Une telle reconnaissance anticipée de la RIIPM serait également possible pour les projets ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ou d’une déclaration de projet avant l’entrée en vigueur de la loi de simplification de la vie économique.

Recouvrement de créances en matière locative : sur la procédure d’injonction de payer

Par un arrêt rendu le 27 mars 2025, la Cour de cassation est venue préciser les conditions de la procédure d’injonction de payer pour le recouvrement d’une créance au titre de réparations locatives dont le montant n’était pas déterminé par le contrat de bail.

Dans cette affaire, les propriétaires bailleurs ont souscrit une assurance garantissant les obligations locatives de leurs locataires auprès d’une compagnie d’assurance.

Après la remise du bien par les locataires, les bailleurs ont obtenu de leur compagnie une indemnisation pour les dégradations du bien loué.

La compagnie d’assurance, subrogée dans les droits des bailleurs, a saisi le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Bordeaux afin de recouvrer sa créance par le biais d’une procédure en injonction de payer.

Pour rappel, la procédure en injonction de payer prévue par l’article 1405 du Code de procédure civile suppose que la créance ait « une cause contractuelle ou résulte d’une obligation de caractère statutaire et s’élève à un montant déterminé ; en matière contractuelle, la détermination est faite en vertu des stipulations du contrat (…) ».

Les juges du fond, statuant en dernier ressort, ont fait droit à la demande de la compagnie d’assurance en retenant que la créance réclamée au titre des dégradations avait une cause contractuelle, celle-ci étant née du contrat de bail, et que son montant était déterminé.

Les locataires ont formé un pourvoi en cassation contre le jugement rendu par le juge du contentieux de la protection.

La Cour de cassation, en faisant une stricte application de l’article 1405 du Code de procédure civile, casse et annule le jugement rendu en première instance.

La Haute juridiction considère, en rappelant à la lettre les dispositions de l’article précité que le recouvrement d’une créance contractuelle ne peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer que si son montant est déterminé en vertu des stipulations du contrat.

En l’espèce, la créance réclamée au titre des dégradations locatives dont se prévalait la compagnie d’assurance n’était pas déterminée en vertu des seules stipulations du contrat de bail.

Cette solution semble logique dans la mesure où l’évaluation des dégradations d’un bien loué ne peut se faire en amont de la conclusion du contrat de bail.

Ainsi, une compagnie d’assurance subrogée dans les droits du bailleur ne peut obtenir le recouvrement de sa créance de réparation locataire sur le fondement de la procédure en injonction de payer.

Syndic d’intérêt collectif : le décret d’application a été publié

Le décret objet de la présente brève a pour objet de définir les conditions d’obtention de l’agrément de syndic d’intérêt collectif, ainsi que la procédure de contrôle et de retrait dudit agrément, prévues par les dispositions de l’article 18-3 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 lequel a été introduit par l’article 20 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.

Pour mémoire, l’article 20 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 a introduit un nouvel article 18-3 à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 en vue :

  • De créer un agrément « syndic d’intérêt collectif » attestant de la compétence dudit syndic à intervenir dans le cadre de copropriétés dégradées faisant l’objet des procédures prévues aux articles 29-1 A (mandataire ad hoc) et 29-1 (administrateur provisoire) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
  • De permettre au syndic agréé d’intervenir sur des copropriétés pour lesquelles un mandataire ad hoc a été désigné, ainsi que, s’il en fait la demande, dans le cas où un administrateur provisoire a été nommé ;
  • De prévoir que l’agrément est délivré par le représentant de l’État dans le département, pour une durée de cinq ans ; et
  • De prévoir que les organismes d’habitation à loyer modéré mentionnés aux deuxième et quatrième alinéas de l’article L.411-2 du Code de la construction et de l’habitation, ainsi que les sociétés d’économie mixte mentionnées à l’article L.481-1 du même Code, peuvent se voir reconnaître de droit la qualité de syndic d’intérêt collectif sans se soumettre à la procédure d’agrément, s’ils en font la demande.

Le décret n° 2025-508 du 10 mai 2015 publié au Journal officiel le 11 juin 2025 dispose que la procédure d’agrément nécessite du syndic professionnel la transmission au représentant de l’État dans le département, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie électronique, sa demande d’agrément accompagnée des éléments suivants (article 1) :

  • Un dossier technique attestant que le syndic professionnel se conforme aux dispositions du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 réglementant les conditions d’exercice de syndic et qu’il dispose des compétences recherchées :
  • Capacité à savoir accompagner les copropriétés en difficulté et pour lesquelles un mandataire ad hoc ou un administrateur provisoire a été désigné et, le cas échéant, fait l’objet d’un dispositif opérationnel contractualisé de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ;
  • Capacité à conduire des diligences complexes pour résoudre de nombreuses situations d’impayés ;
  • Capacité à rétablir une gestion défaillante et assurer un fonctionnement efficace des instances de gestion ;
  • Capacité à reconstituer une comptabilité pour des ensembles immobiliers complexes, n’ayant pas approuvés leurs comptes ou qui présentent d’importantes lacunes ou irrégularités voire en carence depuis plusieurs années ;
  • Capacité à conduire des programmes de travaux traitant de l’habilité d’immeuble soumis au statut de la copropriété
  • Un acte d’engagement du syndic professionnel qui, au regard de la démonstration de sa capacité à exercer ses compétences dans le cadre de copropriétés en difficulté, expose les mesures qu’il s’engage à respecter pour l’accompagnement des copropriétés faisant l’objet des procédures prévues aux articles 29-1 A et 29-1 précités et, le cas échéant, faisant l’objet d’un dispositif opérationnel contractualisé de l’ANAH.

Le représentant de l’État dans le département peut, dans le cadre de l’examen de la demande d’agrément, solliciter l’avis d’un représentant du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires spécialisé dans la gestion des copropriétés en difficulté, des collectivités territoriales intéressées, d’un organisme sous convention avec l’État, de l’ANAH ainsi que des établissements publics du ministère en charge de l’urbanisme.

L’agrément est accordé dans un délai de deux mois à compter de la date de dépôt du dossier technique et de l’acte d’engagement complet.

Il est valable pour une durée de 5 ans.

Tout au long de la durée de l’agrément, le syndic agréé peut faire l’objet de contrôles par le représentant de l’État dans le département. Le syndic est ainsi tenu de transmettre l’ensemble des éléments sollicités permettant de s’assurer du respect des conditions ayant justifié la délivrance de son agrément.

En cas de non-respect ou de difficulté dans l’exercice de sa mission de syndic d’intérêt collectif signalée par l’administrateur provisoire ou par le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires ou par le conseil syndical, et après mise en demeure adressée par le représentant de l’État dans le département non suivie d’effet passé quinze jours au moins et un mois au plus, ce dernier peut, après avoir invité le syndic à faire valoir ses observations, lui retirer son agrément ou, dans les cas dérogatoires précités où l’agrément n’est pas nécessaire, faire perdre la qualité de syndic d’intérêt collectif.

Un bilan doit être adressé lors de la troisième année d’exercice de cette qualité et doit intégrer la réalisation des engagements de formation du syndic et, le cas échéant, l’actualisation de l’acte d’engagement en cas de changement dans la liste des personnes intervenant pour la mise en œuvre des missions dévolues au syndic en matière de gestion, comptabilité et recouvrement.

Le renouvellement de l’agrément sera apprécié aux éléments transmis dans le bilan et à la signature d’un nouvel acte d’engagement pour les syndics professionnels.

En cas de non-renouvellement de l’agrément, le Préfet du département invite le syndic d’intérêt collectif à faire valoir ses observations.

L’agrément peut également être retiré si le syndic ne respecte plus les dispositions du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 précité.

Enfin, l’agrément ne vaut que dans les limites du département dans lequel il a été délivré.

Servitude de passage et location : le locataire peut agir devant le juge des référés si la desserte complète du bien loué est empêchée par un voisin

Par un arrêt rendu le 23 janvier 2025 et publié au Bulletin, la troisième chambre de la Cour de cassation s’est prononcée sur la possibilité pour un locataire d’agir directement contre un voisin ayant condamné le seul chemin carrossable permettant d’accéder au bien loué malgré l’existence d’une servitude de passage.

Par principe, et comme le rappelle la Cour de cassation, le locataire n’a pas qualité pour agir au fond en reconnaissance de l’existence d’une servitude de passage au profit du bien qu’il loue, cette action étant strictement réservée au propriétaire dudit bien et donc au bailleur.

Cependant, ainsi que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence l’avait souligné, le référé introduit par le locataire ne tendait pas à la reconnaissance d’une telle servitude, mais à mettre fin à un trouble manifestement illicite sur le fondement de l’article 835, premier alinéa, du Code de procédure civile.

En effet, la condamnation du seul chemin carrossable du bien loué privait le locataire d’une desserte complète dudit bien et donc de sa pleine jouissance.

Suivant l’argumentation du locataire, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et la troisième chambre de la Cour de cassation ont jugé elles aussi que la condamnation du chemin par le voisin du locataire constituait un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.

La Cour de cassation offre ainsi une voie de droit directe contre le tiers à l’origine du trouble de jouissance subi par le locataire.

Licenciement pour inaptitude : l’employeur n’est pas tenu de notifier au salarié les motifs s’opposant à son reclassement

Par un arrêt du 11 juin 2025, la Cour de cassation a considéré que lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte à son poste en précisant que tout maintien de celui-ci dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi :

  • L’employeur n’est pas tenu de notifier par écrit à la salariée, préalablement à la mise en œuvre de la procédure de licenciement, les motifs s’opposant au reclassement,
  • Il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir recherché un poste de reclassement dans les autres établissements de l’entreprise.

Dans cette affaire, une salariée avait été déclarée inapte par le médecin du travail. Sur l’avis d’inaptitude, ce dernier précisait expressément que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à son état de santé et que celui-ci fait obstacle à tout reclassement.

En contestation de son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, la salariée saisissait la juridiction prud’homale afin que cette mesure soit jugée sans cause réelle et sérieuse.

Au soutien de sa demande, elle arguait que son employeur aurait dû lui faire connaître par écrit les motifs s’opposant à son reclassement préalablement à la mise en place de la procédure de licenciement mais également chercher à la reclasser dans les autres établissements de l’entreprise.

La salariée se verra déboutée de ses demandes par les juges d’appel dont la position sera confirmée par la Cour de cassation !

La position de la Haute juridiction est claire et repose sur l’article L. 1226-2-1 du Code du travail : si le médecin du travail précise sur l’avis d’inaptitude que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, l’employeur peut notifier le licencier pour inaptitude sans avoir préalablement à chercher à le reclasser et sans lui notifier les motifs s’opposant au reclassement.

Par conséquent, nul reproche pourrait être effectué à un employeur n’ayant pas effectué ces démarches.

Cet arrêt apporte un éclaircissement appréciable pour les employeurs dans le cadre d’une procédure de licenciement pour inaptitude leur permettant de tirer bénéfice des déclarations du médecin du travail sans avoir à les consolider dans la lettre de licenciement.

Réforme du droit des dessins et modèles : le nouveau « Paquet européen Dessins et Modèles » permet la protection des innovations numériques et du patrimoine culturel national

Règlement (UE) 2024/2822 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 modifiant le règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires et abrogeant le règlement (CE) n° 2246/2002 de la Commission

Comme tout titre de propriété intellectuelle, le dessin ou modèle confère un droit exclusif à son titulaire, lui permettant d’interdire toute exploitation non autorisée.

Ce levier juridique est particulièrement utile pour les personnes publiques, qui s’en saisissent pour protéger leur patrimoine mobilier : la ville de Paris a déposé les dessins et modèles de ses candélabres, tandis que la ville La Rochelle protège ses bancs et chaises publiques. La protection peut s’étendre à une large gamme d’objets, tels qu’une carte de transport ou une mascotte, comme c’est le cas pour le Département de La Réunion.

Les dessins et modèles, au sens de l’article L. 511-1 du Code de la propriété intellectuelle, protègent l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit définie par ses lignes, contours, couleurs, formes, textures ou matériaux. Ce régime, compatible avec d’autres protections de la propriété intellectuelle, comme le droit des marques, est également intéressant car il permet de pallier l’absence d’applicabilité du droit d’auteur lorsque l’objet ne présente pas un degré de créativité suffisant.

Le droit des dessins et modèles a pour source le droit européen dont les textes[1] ont récemment été réformés par le « Paquet Dessins et Modèles » adopté le 23 octobre 2024, comprenant la Directive (UE) 2024/2823, à transposer d’ici décembre 2027, et le Règlement (UE) 2024/2822, applicable dans les Etats membres depuis le 1er mai 2025.

Traditionnellement, la protection des dessins et modèles repose sur deux critères cumulatifs : la nouveauté et le caractère propre. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau lorsqu’aucun modèle identique n’a été divulgué à la date de dépôt[2] – tenant compte du délai de grâce de 12 mois pendant lequel une divulgation par le créateur ne fait pas obstacle à la nouveauté.

Par ailleurs, le caractère propre (ou individuel selon les textes européens) suppose que l’impression visuelle d’ensemble suscitée chez l’observateur averti diffère de celle d’un dessin ou modèle antérieur[3].

  • La réforme européenne de 2024 maintient ces fondements tout en les adaptant aux enjeux contemporains, notamment numériques. Le champ de protection est ainsi élargi aux dessins numériques et immatériels (incluant notamment les interfaces graphiques, objets virtuels, éléments animés ou dynamiques – tels que les effets « pop-up » sur les sites web par exemple).
  • Le texte consacre également une règle jurisprudentielle majeure selon laquelle seules les caractéristiques visibles d’un dessin ou modèle sont protégées.
  • La procédure de dépôt est également simplifiée. Il est désormais possible de déposer plus de 50 dessins en une seule demande, y compris issus de différentes classes de Locarno, sans contrainte de classification homogène (ce qui n’était pas le cas auparavant, où seuls des dessins ou modèles d’une même classe pouvaient être déposés). Les délais sont également harmonisés, avec une publication différée pouvant aller jusqu’à 30 mois, et une procédure d’opposition possible jusqu’à 3 mois avant l’expiration de ce délai.
  • Point particulièrement intéressant pour les personnes publiques : l’article 13 de la directive prévoit, pour les États membres, la faculté d’instaurer des motifs de refus supplémentaires, au visa desquels il pourra être opposé un refus à un dépôt lorsqu’il reproduit des éléments du patrimoine culturel national (monuments, costumes, par exemple) ou utilise abusivement des emblèmes nationaux (armoiries, drapeaux, etc.).
  • Par ailleurs, on la réforme instaure une procédure administrative en nullité, calquée sur celle applicable à la procédure en matière de droit des marques.

L’enjeu principal réside désormais dans la transposition de la directive en droit français, afin d’apprécier les adaptations à venir du Code de la propriété intellectuelle (d’ici décembre 2027). D’ici là, le règlement est pour sa part directement applicable dans tous les États membres de l’Union européenne (UE) et s’impose aux acteurs, tant publics que privés, depuis le 1er mai dernier.

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[1] Directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 et le règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001, intégrés au titre V du Code de la propriété intellectuelle

[2] Article L.511-3 du Code de la propriété intellectuelle : « Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».

[3] Article L.511-4 du Code de la propriété intellectuelle : « Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée. Pour l’appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle ».

SEM et EPIC, le décret n° 2025-318 du 4 avril 2025 formalise la réduction des cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas salaires

Le décret n° 2025-318 du 4 avril 2025, relatif aux modalités d’application de divers dispositifs de réduction de cotisations patronales, a été publié le 6 avril 2025 (JORF)[1].  

Ce décret précise les modalités d’un volet relatif aux règles applicables pour un certain nombre d’allégements, dont la réduction générale des cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas salaires, dite « zéro cotisations Urssaf » ou anciennement « réduction Fillon ».

Ces réductions de cotisation s’appliquent notamment aux entreprises contrôlées majoritairement par l’Etat, des Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC) des collectivités territoriales et des Sociétés d’Economie Mixte (SEM) dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire, à conditions d’avoir opté de façon irrévocable à l’assurance-chômage. 

En effet dans le secteur public, par renvoi effectué aux articles L241-13 du Code de la sécurité sociale (CSS) et L 5424-1 du Code du travail (C. trav) sont ainsi visés « les salariés des entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l’Etat, les salariés relevant soit des établissements publics à caractère industriel et commercial des collectivités territoriales, soit des sociétés d’économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire » (article L 5424-1 du C. trav).

La Cour de cassation impose que ces employeurs soient soumis, de façon irrévocable, à l’obligation d’adhésion au régime d’assurance-chômage prévu à l’article L. 5422-13 du Code du travail (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 26 septembre 2024, 22-19.437, Publié au bulletin). Cette règle est désormais également reprise dans le BOSS (BOSS-All. gén.-30, 40).

Le BOSS précise également que sont exclus du bénéfice de la réduction générale, quel que soit le statut de leurs agents ou salariés, l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics administratifs, à l’exception de ceux inscrits au répertoire des entreprises contrôlées majoritairement par l’État, ainsi que les groupements d’intérêt public et les chambres consulaires (BOSS-All. gén.-50).

Dans son contenu, le décret n° 2025-318 du 4 avril 2025 précise les modalités d’application, en 2025, de la réduction générale des cotisations.

Les modalités applicables à la réduction générale des cotisations patronales

  • Fixation du plafond de la rémunération éligible
    Le plafond de la rémunération éligible prévu par le décrit du 4 avril 2025 correspond au plafond de rémunération à 1.6 SMIC applicable au 1er janvier 2025, soit 34 595,28 € pour un salarié à temps plein sur l’année civile.
  • Diminution de la valeur de T depuis le 1ermai 2025
    Concernant le coefficient de réduction identifié comme la valeur T, composante à prendre en compte pour le calcul de la réduction Fillon, elle est modifiée à compter du 1er mai 2025.
    Le taux maximum de cotisation AT/MP qui augmente de 0.46 % à 0.50 % ;
  • Le montant des cotisations chômage qui diminue de 4.05 % à 4 %.
    Par conséquent, les valeurs T changent telles qu’il suit :
Valeur de T Pour 2025
Pour les entités de moins de 50 salariés 0.3193
Pour les entités d’au moins de 50 salariés 0.3233

 

Sur le taux de cotisation AT/MP depuis le 1er mai 2025

Le décret prévoit que les taux de cotisations AT/MP 2025 s’appliqueront à compter du 1er mai 2025sans effet rétroactif.

Les cotisations et contributions patronales sur lesquelles la réduction s’applique sont celles d’assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, décès, vieillesse) ; d’allocations familiales ; d’accidents du travail et maladies professionnelles dites AT/MP.

Pour le calcul de la réduction générale :

  • Le taux de la cotisation accidents AT/MP est limité, en 2025 à 0,46 % pour la période allant de janvier à avril et 0,50 % pour la période allant de mai à décembre ;
  • Le taux de la contribution patronale à l’assurance chômage évolue aussi. Il est de : 4,05 % pour la période allant de janvier à avril et 4,00 % pour la période allant de mai à décembre

Le décret n° 2025-318 du 4 avril 2025 apporte également des précisions sur le mode de calcul applicable en 2025 notamment sur la prime de partage de la valeur (PPV) qui est désormais prise en compte dans le calcul de la réduction générale afin de vérifier que la rémunération annuelle, PPV incluse, est inférieure à 1,6 Smic, pour déterminer le coefficient de la réduction et en calculer le montant.  Par exception, le BOSS indique toutefois que cette prise en compte ne s’applique pas aux salariés dont le contrat de travail a pris fin avant le 1er mars 2025 (BOSS-All. gén.-580).

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[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051430146

Œuvres dans l’espace public : le difficile équilibre entre les intérêts de son propriétaire et le droit moral de l’auteur et ses ayants droit

La règle du « 1 % artistique » qui impose aujourd’hui aux personnes publiques de consacrer 1 % du coût de leurs constructions à la commande ou à l’acquisition d’une œuvre, a permis l’exposition de nombreuses œuvres dans l’espace public.

En qualité de gestionnaires de ces espaces publics au sein desquels sont exposées ces œuvres (artistiques ou architecturales) dont elles sont propriétaires ou dont elles doivent assurer l’entretien, les personnes publiques sont régulièrement confrontées aux exigences de respect de l’intégrité de l’œuvre découlant du droit moral, que l’auteur conserve en toute circonstances du fait de son inaliénabilité.

Elles y sont notamment confrontées lorsqu’il est envisagé le déplacement ou le retrait d’une œuvre, dans le cadre de travaux de rénovation, de sécurisation ou de réhabilitation sur leur territoire, ou encore lorsque le coût d’entretien devient totalement exorbitant et décorrélé de ses ressources (humaines, financières).

En effet, lorsqu’il cède la propriété matérielle de son œuvre (œuvres artistiques, plans architecturaux…), l’auteur peut aussi céder ses droits patrimoniaux d’auteur afin d’en assurer l’exploitation. Toutefois, il conserve son droit moral qui lui permet de jouir notamment du droit au respect de son œuvre. Ce droit est perpétuel et se transmet à ses ayants droit. A l’appui de ce droit, l’auteur ou ses ayants droit peuvent demander réparation lorsqu’il y a été porté atteinte (I) au visa de critères d’évaluation du préjudice retenus par le juge (II). Enfin, il est intéressant d’observer les compétences exclusives croisés des juges judiciaires et administratifs en la matière (III).

 

I. Le droit moral de l’auteur de l’œuvre face aux droits et obligations des propriétaires

Si le droit à l’intégrité de l’œuvre peut a priori permettre à l’auteur ou ses ayants droit de s’opposer aux modifications, au déplacement ou au retrait envisagés par son propriétaire, ce droit doit toutefois être mis en balance avec le droit de propriété matérielle que ce dernier détient sur l’œuvre et avec lequel il doit se concilier pour parvenir à un juste équilibre.

Les modifications d’une œuvre présente sur l’espace public ne constituent ainsi pas toujours une atteinte au droit moral et n’ouvrent pas automatiquement droit à une indemnisation. Pour retenir une atteinte, la modification doit être susceptible de dénaturer l’œuvre et l’harmonie voulue par l’auteur lors de sa création.

En ce sens, si la modification de la structure visible d’un bâtiment peut être susceptible de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre, des modifications n’entraînant pas une modification structurelle du bâtiment, ni son harmonie globale ne dénaturent pas l’œuvre et peuvent être effectuées sans ouvrir droit à une indemnisation[1].

Pour préserver cet équilibre entre les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire de l’œuvre au sens matériel du terme, les juges recherchent si les modifications apportées sont nécessaires à l’adaptation de l’œuvre à des besoins nouveaux et si elles sont proportionnées au but poursuivi.

Pour ce faire, il sera tenu compte des raisons à l’origine de ces interventions (impératifs esthétiques, techniques, de sécurité publique, ou encore liés à l’adaptation de l’ouvrage à des besoins nouveaux, à des problématiques environnementales ou écologiques), afin d’en déterminer le caractère nécessaire et proportionné. Dans certains cas, la vocation utilitaire d’un bâtiment et les finalités de la mission de service public et d’accueil du public dudit bâtiment peuvent justifier les modifications entreprises.

Le caractère passif du propriétaire, qui s’abstiendrait de restaurer ou de réparer une œuvre dégradée, est également susceptible de constituer une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.

En gardant toutefois à l’esprit que la jurisprudence reconnaît que l’obligation d’entretien constitue une obligation de moyen et non de résultat. Si son propriétaire doit pouvoir justifier de démarches accomplies pour l’entretien de l’œuvre et/ou pour faire cesser les dégradations de l’œuvre[2], il est de jurisprudence constante que cette obligation ne peut peser de manière démesurée sur son propriétaire.

Ainsi, s’agissant de propriétaires personnes publiques, les juges tiennent compte, en cas de reproche d’inaction face à des dégradations, de ses moyens financiers et aussi du fait qu’en tant que personnes publiques, ils sont soumis au principe du bon usage des deniers publics dont ils ne peuvent disposer librement.

En pratique, pour éviter tout débat, il est donc recommandé de définir en amont soit au sein du contrat de commande ou d’acquisition de l’œuvre, soit par contrat distinct, les obligations de chaque partie.

La charge de la preuve incombe à l’auteur, lorsqu’il avance une atteinte à son droit moral.

 

II. Les critères d’évaluation du préjudice par le juge

 En cas d’atteinte retenue par le juge, ce dernier fixe le montant de l’indemnisation du préjudice subi, en fonction de diverses circonstances au cas par cas.

La difficile évaluation du préjudice pour atteinte au droit moral de l’auteur rend l’analyse des critères d’évaluation importante afin d’appréhender les montants octroyés. Ces derniers peuvent porter sur l’intention du propriétaire matériel de l’œuvre (1), sur le type d’atteinte (2), ou encore sur la valeur de l’œuvre et la cote du créateur (3).

 

1. L’intention du propriétaire matériel vis-à-vis de l’œuvre

Selon les cas, le juge pourra prendre en compte l’intention et le comportement du propriétaire matériel dans son évaluation du préjudice.

Participation du propriétaire matériel à la valorisation de l’œuvre (dans la mesure du possible) – Le juge peut être sensible à la volonté du propriétaire matériel de participer à la valorisation de l’œuvre à travers des communications, ou encore par des démarches d’inscription de l’œuvre comme site classé par exemple.

Information de l’auteur – Le propriétaire matériel de l’œuvre n’a en principe pas d’obligation d’informer préalablement l’auteur des travaux envisagés (lorsqu’il estime qu’il n’y a pas atteinte à son droit moral), ni de les lui confier ou encore de réaliser les modifications sous son contrôle.

Cette position retenue par les juges s’explique, en partie, par la nécessité ou l’urgence de certains travaux ou modifications notamment pour des motifs de sécurité, qui ne sauraient être entravés par une obligation d’information ou d’autorisation préalable[3].

Toutefois, en pratique, et dès lors que cela est possible, il est conseillé au propriétaire matériel de l’œuvre de se rapprocher de son auteur ou de ses ayants droit lorsqu’il envisage des travaux modificatifs ou de rénovation afin d’anticiper les risques de contentieux. Le juge pourra prendre en compte l’intention et le comportement des parties dans son évaluation du préjudice, et rechercher si le propriétaire a informé l’auteur avant les travaux envisagés ou prévus.

Une personne publique propriétaire d’une œuvre qui n’a pas avisé son auteur du déplacement de l’œuvre en question, et qui ne l’avait pas prévenu, après coup, de sa destruction, s’est ainsi vue condamnée à verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts[4].

 

2. Le type d’atteinte

Le type d’atteinte est évidemment pris en compte dans l’appréciation du préjudice.

A titre d’illustration, dans une affaire impliquant la destruction accidentelle d’une œuvre, il a été considéré que « l’atteinte [était] manifeste et complète s’agissant d’une destruction qui a entraîné la disparition de l’œuvre, avec pour conséquence, la perte pour l’auteur, d’une opportunité d’assurer la visibilité dans des conditions optimales, de sa production artistique »[5]. Dans ces conditions, le juge a considéré qu’il n’y avait pas lieu de rechercher d’autres éléments (tels que la cote de l’artiste) pour déterminer l’ampleur de l’atteinte portée à son droit moral, et a évalué le préjudice moral à 60.000 euros.

A l’inverse, dans les affaires afférentes à la modification ou au déplacement d’une œuvre, les juges ont fait droit à des indemnisations plus réduites.

 

3. La valeur de l’œuvre et la cote de l’artiste

La cote de l’artiste et la valeur de l’œuvre sont, dans certains cas, prises en compte par le juge dans son évaluation.

A l’inverse, en l’absence d’éléments suffisants pour permettre d’évaluer la valeur revendiquée d’une œuvre, le juge peut octroyer des dommages et intérêts d’un montant particulièrement faibles.

A titre d’exemple, et en l’absence d’éléments justificatifs sur la valeur de l’œuvre, le juge a évalué à 3.000 euros le préjudice d’un artiste ayant réalisé une fresque à l’aéroport de Beauvais en raison de sa destruction dans le cadre de travaux d’agrandissement de l’aéroport[6].

En pratique, aucune définition de méthode de calcul ne semble possible et l’évaluation reste étroitement liée aux faits. Il est dès lors très difficile d’évaluer le montant d’une indemnité pour atteinte au droit moral. L’on peut tout de même constater que le montant pour un tel préjudice est souvent (très) réduit par rapport aux demandes des auteurs et à leurs ayants droit.

 

III. Les compétences croisées du juge judiciaire et du juge administratif

Tandis que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur l’existence de l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle (et notamment du droit moral) et des préjudice allégués[7], le juge administratif bénéficie quant à lui d’une compétence exclusive s’agissant d’ordonner l’exécution de travaux sur un ouvrage public.

C’est ce qu’a d’abord confirmé le Tribunal des conflits dans le cadre de travaux d’aménagement d’un cimetière[8]. Le Tribunal judiciaire doit se déclarer incompétent pour ordonner l’exécution de travaux sur un ouvrage public, et de son côté, le Tribunal administratif ne peut statuer qu’après la décision du Tribunal judiciaire[9].

Ce raisonnement a été récemment suivi dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris du 9 avril 2025[10]. Dans cette affaire, la demande visant à rétablir l’état initial de l’œuvre impliquait une modification de l’ouvrage public de sorte que cette demande relevait de la compétence exclusive du juge administratif.

Si le principe semble clair, ce raisonnement effectué en deux temps à savoir (i) la qualification de l’atteinte par le juge judiciaire puis (ii) la modification d’un ouvrage public par le juge administratif, n’empêche pas un juge administratif d’enjoindre la sécurisation d’une œuvre même en l’absence de toute caractérisation d’atteinte au droit moral.

 

Les intérêts des personnes publiques propriétaires ou assurant la gestion d’œuvres placées dans l’espace public peuvent parfois entrer en contradiction avec celle des auteurs. Si les intérêts sont légitimes des deux côtés, il apparait nécessaire de souligner que les personnes publiques sont appelées à de plus en plus de transparence dans leur gestion des deniers publics, et qu’elles font face à des contraintes nouvelles (besoins nouveaux des usagers, évolution de la législation, contraintes d’espace, de végétalisation, ou encore d’ordre budgétaire, environnementale, écologique etc.) qui s’imposent dans l’élaboration des politiques publiques.

 

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[1] Tribunal judiciaire de Bordeaux, 31 octobre 2023, RG n°22/00027

[2] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Ch.1, 10 mars 2020, n°18/08248

[3] Cour d’appel de Paris, 2 août 2011, n° 2001/11331

[4] Cour d’appel de Limoges, 30 mars 2011, n°10/00172

[5] Tribunal de grande instance de Marseille, 1re ch. ca., 12 juin 2015, n° 11/15413, CA Aix-en-Provence, 17 mai 2018, n° 15/14561

[6] Tribunal administratif d’Amiens, 16 février 2010, n°0801776

[7] Articles R. 211-4, II et D. 211-6-1 du Code de l’organisation judicaire

[8] Conseil d’Etat, 12 décembre 1986, Cts Ferry c/ Commune de Grezsu-Loing, n° 47627

[9] Tribunal des conflits, 5 septembre 2016, C4069

[10] CA Paris, pôle 5 – ch. 1, 9 avr. 2025, n° 24/18170

E-santé : publication d’un kit d’exercice de crise cyber en établissement sanitaire et médico-social (programme CaRE)

L’Agence du Numérique en Santé (ANS) a publié le 17 avril 2025 une version 2 du kit d’exercice de crise cyber à destination des établissements sanitaires et médico-sociaux (ESMS).

Ce kit vise à aider les structures à se préparer concrètement à une cyberattaque, en simulant une situation de crise réaliste. Il contient un scénario de cyberattaque, un guide méthodologique, des supports de communication, ainsi qu’un canevas de débriefing.

À la différence de la version 1, centrée sur les établissements de santé (hôpitaux, cliniques), cette nouvelle version est adaptée aux spécificités des ESMS, notamment en termes de ressources humaines limitées ou d’organisation en réseau.

Le kit est conçu pour être utilisé même sans expert en cybersécurité interne, rendant l’outil opérationnel, accessible et pédagogique. Il s’inscrit dans la mise en œuvre du programme CaRE (Cybersécurité, accélération et Résilience des Établissements), qui vise à améliorer la cybersécurité dans les établissements de santé[1].

Lancé en décembre 2023, le programme CaRE est une initiative nationale pilotée par la Délégation au numérique en santé (DNS), l’ANS, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et les agences régionales de santé (ARS). Ce programme a vu le jour dans un contexte où la santé connaît un véritable essor des usages numériques, amenant à une augmentation des risques de cyber malveillance. Selon l’ANSSI, le secteur de la santé est le troisième secteur le plus touché par les cyberattaques, après les collectivités territoriales et les TPE/PME. Ces attaques ont des conséquences directes sur l’organisation des services et la prise en charge des patients, et le retour à la normale peut prendre plusieurs mois et nécessite souvent des investissements importants, humains et financiers, pour les établissements victimes.[2]

Le programme CaRe vise à éviter que les attaques aboutissent, et permettre aux établissements de s’en relever le plus rapidement possible. Doté de 250 M € sur la période 2023–2025, dans un financement global de 750 M € d’ici 2027, CaRE est articulé autour de quatre axes principaux : gouvernance et résilience, ressources et mutualisation, sensibilisation, et sécurité opérationnelle.

Chaque axe porte des mesures concrètes : désigner un référent SSI, doter les établissements de ressources humaines et financières, lancer des campagnes de sensibilisation comme « Tous cyber‑vigilants », et publier un catalogue d’offres pour sécuriser postes, réseaux et accès.

Pour bénéficier des financements et de l’accompagnement proposés dans le cadre du programme CaRE, les établissements doivent candidater aux différents appels à projets ou guichets spécifiques ouverts par l’ANS et relayés par les ARS.[3]

La cybersécurité est donc un enjeu crucial dans un contexte d’essor des outils numériques dans le domaine de la santé, d’autant plus que l’ANS et la DNS ont lancé une nouvelle édition de l’appel à projets « Structures 3.0 », visant à financer l’évaluation de solutions numériques innovantes au sein ESMS.

Cette initiative, alignée avec les priorités de santé publique des Grands Défis France 2030, met l’accent sur deux enjeux majeurs : le bien vieillir et la santé mentale. Les structures intéressées ont jusqu’au 30 septembre pour candidater.[4]

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[1] Kit V2 | esante.gouv

[2] Présentation du programme CaRE | Agence du Numérique en Santé

[3] Programme CaRE

[4] Structures 3.0 – Appel à projets 2025 : un partenariat ESSMS / ENS au service de l’innovation

Un échange verbal entre collègues, même vif, ne constitue pas, en principe, un événement soudain et violent caractérisant un accident de service

Par une décision en date du 9 janvier 2025, le Tribunal administratif de Clermont a considéré qu’un échange verbal, même vif, ne constitue pas en principe un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service au sens des dispositions de l’article L. 822-18 du Code général de la fonction publique.

En l’espèce, une assistante médico-administrative a eu une altercation avec l’une de ses collègues concernant son souhait d’avoir la porte de leur bureau partiellement ouverte et le jour même, elle a adressé une déclaration d’accident de service faisant état d’une « altercation verbale » entre elle et une collègue « provoquant un sentiment d’agressivité itératif avec cette même collègue », qui a toutefois fait l’objet d’un rejet par le directeur adjoint du centre hospitalier l’employant.

Saisi d’un recours en annulation contre la décision lui refusant le bénéfice d’un congé d’invalidité temporaire imputable au service, le Tribunal administratif de Dijon a d’abord précisé qu’« un échange verbal entre collègues, même un peu vif, ne constitue pas, en principe, un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient par ailleurs les effets qu’il a pu produire sur l’agent, sauf si les circonstances de l’espèce, notamment la nature particulièrement injurieuse, agressive ou violente des propos que les protagonistes ont pu alors tenir, révèlent que cet échange s’est déroulé dans des conditions excédant le cadre d’une relation normale de travail ».

Puis, il a considéré qu’en l’espèce, l’échange entre les deux agents n’avait pas excédé le cadre d’une relation normale de travail en l’absence de tout autre élément de nature à caractériser la teneur précise des propos échangés, confirmant alors la légalité de la décision de refus d’octroi d’un congé d’invalidité temporaire imputable au service.

Le juge administratif précise que les effets de l’échange sur l’agent n’ont pas d’influence sur cette analyse, la qualification d’accident de service devant découler des caractères propres de l’événement qui en est cause.

La décision rendue qui se réfère au critère de l’anormalité de la relation de travail permettant de retenir la qualification d’accident de service s’inscrit ici dans la lignée de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 27 septembre 2021 dans laquelle il avait jugé qu’un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent, sauf comportement ou propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique[1].

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[1] CE 27 septembre 2021, n° 440983.

Cumul d’activités : l’absence de transmission des documents sollicités justifie le refus d’autorisation

Par un jugement du 13 mai 2025, le Tribunal administratif de Paris est venu préciser les modalités de la procédure d’autorisation de cumul d’activités dans la fonction publique.

Pour rappel, les fonctionnaires et agents publics peuvent être autorisés à exercer une activité à titre accessoire, lucrative ou non, auprès d’une personne publique ou privée si cette activité est, notamment, compatible avec les fonctions qu’ils exercent à titre principal[1].

En l’espèce, un fonctionnaire affecté depuis 2017 auprès de l’Institut national des études territoriales de Strasbourg (INET) avait sollicité une autorisation de cumul d’activité aux fins d’exercer, à titre accessoire, l’activité de chargé de cours et de recherche à la Sorbonne Université, ainsi que celle de membre du jury du concours d’ingénieur territorial pour la période d’octobre 2022 à octobre 2023.

Sa demande a été rejetée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) au motif que l’agent n’avait pas produit les éléments sollicités permettant d’apprécier la compatibilité de l’activité accessoire projetée avec ses fonctions principales au sein de l’INET.

Et pour cause, dans sa demande, ainsi que l’impose l’article R. 123-9 du Code général de la fonction publique[2], le fonctionnaire indiquait que cette activité accessoire représenterait au moins 150 heures annuelles. Or, l’exercice d’une activité accessoire ne doit pas « porter atteinte au fonctionnement normal, à l’indépendance ou à la neutralité du service »[3].

Pour s’assurer de la compatibilité de cette activité accessoire avec l’activité principale, l’article R. 123-7 du même code permet à l’autorité compétente, lorsqu’elle estime ne pas disposer des informations suffisantes pour statuer, d’inviter l’intéressé à compléter sa demande.

Dans ce cadre, au cours d’un entretien relatif à sa demande, le directeur adjoint du CNFPT avait demandé à l’agent de préciser les modalités des activités envisagées, notamment le volume horaire exact, un planning prévisionnel, ainsi que les noms et coordonnées des employeurs concernés. Une semaine plus tard, le CNFPT a réitéré cette demande par courriel.

Toutefois, malgré ces sollicitations l’agent n’a jamais produit les éléments demandés. Le CNFPT a alors rejeté sa demande en l’absence des précisions suffisantes pour apprécier la compatibilité du cumul envisagé faute pour l’agent d’avoir produit les éléments sollicités.

L’agent a alors contesté cette décision considérant, notamment, que le CNFPT l’avait soumis à une exigence irrégulière en lui demandant de produire de tels éléments.

Le tribunal a rejeté ce moyen en jugeant qu’en l’absence de production des éléments complémentaires, l’administration est fondée à rejeter la demande de cumul si tant est que les précisions sollicitées sont utiles à l’instruction du dossier et qu’elles ne figurent pas déjà dans les pièces fournies.

Ce faisant, le tribunal confère un caractère impératif au dernier alinéa de l’article R. 123-9 du Code général de la fonction publique, issu du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique. Il en déduit que l’abstention de l’agent de produire les éléments sollicités par l’administration justifie le rejet de la demande d’autorisation, alors même que le texte ne prévoit pas expressément les conséquences d’une telle carence.

Il avait déjà été jugé que l’administration qui s’estimait insuffisamment informée pour statuer sur la demande avait l’obligation d’inviter l’agent à la compléter et qu’elle ne pouvait y donner un avis défavorable en l’absence d’invitation en ce sens[4].

La portée de ce dernier alinéa reste encore à confirmer.

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[1] Article L. 123-7 du Code général de la fonction publique.

[2] Anciennement article 12 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.

[3] Article R. 123-7 du Code général de la fonction publique.

[4] TA de Martinique, 2 mars 2023, n° 2200152.

Rappel des conditions d’une radiation des cadres pour abandon de poste d’un agent en congé de maladie

Dans cette affaire, la Cour était saisie de la situation d’un agent placé en congé d’invalidité temporaire imputable au service depuis près de deux ans à la suite de la reconnaissance de l’imputabilité au service de son accident, qui refusait de se soumettre aux contrôles médicaux diligentés par son employeur.

Rappelons que, dans une telle situation, une visite de contrôle peut être diligentée par l’employeur en application des dispositions de l’article 37-10 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 relatif à l’organisation des comités médicaux, aux conditions d’aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux. En 2015, le Conseil d’Etat, tout en rappelant qu’un agent en congé de maladie ne peut faire l’objet d’une mise en demeure pendant ses congés de maladie, avait admis que, dans l’hypothèse particulière où un agent se soustrait aux visites médicales statutaires, l’administration pouvait considérer que l’agent ne pouvait alors plus être régulièrement placé en congé de maladie. Son absence devenant de ce fait irrégulière, l’employeur peut mettre en demeure l’agent de reprendre ses fonctions, en l’informant du fait que son absence n’est plus régulière, et qu’à défaut de manifester une intention de renouer les liens avec le service, la radiation des cadres pourra être prononcée (CE, 11 décembre 2015, n° 375736).

En l’occurrence, l’agent avait été convoqué à plusieurs visites médicales au cours des deux ans, auxquelles il ne s’était pour la plupart pas rendu, contestant les compétences des différents médecins agréés désignés. Lors des deux expertises médicales où il s’est finalement rendu, le médecin n’a pas pu procéder à son examen en raison du refus de l’agent puis de l’oubli de son dossier médical.

La collectivité a, conformément à la jurisprudence précitée, adressé une mise en demeure à l’agent lui demandant de justifier de son absence à la dernière contre-visite médicale organisée et à défaut, de reprendre son poste le 3 septembre suivant, sous peine de faire l’objet d’une radiation des cadres pour abandon de poste.

L’agent n’a pas fourni de justificatif concernant son absence à la contre-visite médicale et s’est présenté le 3 septembre à son ancien service, mais sans reprendre effectivement ses anciennes fonctions ni se rendre à sa nouvelle affectation.

La Cour a donc considéré qu’en se soustrayant aux contre-visites médicales sans justifier de son absence, et en adoptant un comportement faisant obstacle à leur bon déroulement, ainsi qu’en se présentant sur son ancien lieu d’affectation sans avoir exercé aucune des fonctions, nouvelles comme anciennes, la collectivité pouvait considérer que l’agent n’avait exprimé aucune intention de reprendre son service, et donc que le lien avec le service avait été rompu du fait de l’intéressé, justifiant ainsi le bienfondé d’une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste.

L’arrêt montre donc la complexe analyse du comportement de l’agent nécessaire aux procédures d’abandon de poste. L’employeur ne peut se contenter d’une mise en demeure pendant un arrêt de maladie régulier ; elle doit d’abord constater l’irrégularité de la situation d’absence de l’agent du fait de son refus des contrôles médicaux, puis de mettre en demeure l’agent de reprendre ses fonctions, en l’informant de l’irrégularité de son absence, et du risque de radiation des cadres auquel il s’expose.

Il rappelle aussi implicitement qu’un agent qui refuse sa nouvelle affectation, tout en continuant d’exercer ses fonctions antérieures, ne peut être regardé comme abandonnant le lien avec le service (CAA Paris, 18 mai 2004, n° 03PA02709) : c’est seulement parce qu’en l’espèce, l’agent n’a repris aucune des fonctions, que la radiation pour abandon de poste a pu être prononcée régulièrement.

Il invite donc à une grande prudence dans la mise en œuvre de la procédure d’abandon de poste.

Le principe de réparation intégrale face aux situations atypiques : l’indemnisation des préjudices exceptionnels

Une victime d’infraction pénale ou l’un de ses proches peut, sous certaines conditions, saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions pénales (CIVI) afin d’obtenir la réparation des préjudices engendrés par le fait dommageable subi[1][2].

Ces préjudices peuvent être soit patrimoniaux, c’est-à-dire purement économiques (perte de revenus, frais engagés…), soit extra-patrimoniaux, c’est-à-dire moraux, physiques ou affectifs (souffrances endurées, préjudice d’affection, préjudice esthétique…).

Ils peuvent être également soit temporaires soit, s’ils persistent après la stabilisation de l’état de santé physique et psychique de la victime, permanents.

En 2005, un groupe de travail dirigé par Monsieur Jean-Pierre DINTILHAC, alors Président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, a élaboré une nomenclature des différents préjudices, constituant une base sur laquelle s’appuient les médecins-experts et les juges[3].

Toutefois, le principe de réparation intégrale du préjudice, fondement central de l’indemnisation rappelé par l’article 706-3 du Code de procédure pénale et selon lequel une victime doit être indemnisée de manière à retrouver la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s’était pas produit, implique une prise en compte de tous les préjudices afin de réparer le dommage dans toutes ses dimensions.

C’est pourquoi la nomenclature Dintilhac avait pu préciser :

« Il était nécessaire de ne pas retenir une nomenclature trop rigide de la liste des postes de préjudice corporel.

Ainsi, il existe des préjudices atypiques qui sont directement liés aux handicaps permanents, dont reste atteint la victime après sa consolidation et dont elle peut légitimement souhaiter obtenir une réparation.

À cette fin, dans un souci de pragmatisme (…), il semble important de prévoir un poste « préjudices permanents exceptionnels » qui permettra, le cas échéant, d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extra-patrimonial permanent particulier non indemnisable par un autre biais ».

C’est ainsi que la jurisprudence admet dans certains cas l’indemnisation de tels préjudices atypiques ou exceptionnels, toujours à condition qu’ils soient directement liés à l’infraction subie et suffisamment établis.

La spécificité de ces préjudices peut avoir trait à la nature de la victime, ou bien aux circonstances de l’infraction à l’origine du dommage.

On peut citer le cas des attentats de Charlie Hebdo (2015), du Bataclan (2015) et de Nice (2016), les victimes ont pu être indemnisées pour des préjudices atypiques et notamment le « préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme ».

De même, la jurisprudence a reconnu, pour les travailleurs exposés à des substances dangereuses telles que l’amiante, un préjudice spécifique d’anxiété lié à l’exposition à un risque futur de maladie[4].

Dans une autre affaire, un patient avait été victime d’une erreur médicale lors d’une intervention chirurgicale, entraînant des séquelles irréversibles aux genoux, ce qui l’empêchait définitivement de prier à genoux et ainsi de pratiquer pleinement sa religion. Les juges ont indemnisé ce préjudice personnel spécifique consistant en l’atteinte à son mode de vie et à ses convictions religieuses[5].

Il peut s’agir également du préjudice résidant dans l’impossibilité pour une victime de pouvoir communiquer en langue des signes avec son fils sourd et muet, étant donné les séquelles entraînées par le fait dommageable[6].

Ces situations ne sont que des illustrations de ce en quoi peuvent consister des préjudices exceptionnels. De manière générale, dès lors qu’une victime subit une atteinte atypique et spécifique à sa situation, il est nécessaire d’en solliciter la réparation, afin que la victime puisse être entièrement indemnisée des répercussions dont elle fait l’objet.

Sans cette demande, les juges risqueront en effet de se maintenir aux préjudices les plus classiques, empêchant alors le principe de réparation intégrale.

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[1] Articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale

[2] Brève LAJ du 12/03/2025

[3] Nomenclature Dintilhac

[4] Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull. n° 106

[5] Cour d’appel de Montpellier, 29 janv. 2014, n° 11/04191

[6] Cour d’appel de Bordeaux,19 nov. 2008, n° 07/04847

Illustration de la nécessaire prolongation du délai de remise des offres en cas de modification importante des documents de consultation ayant des effets sur la remise d’échantillons

Par un arrêt daté du 24 mars 2025, le Conseil d’Etat retient une solution favorable aux candidats à un marché public, en reconnaissant la prolongation du délai de remise des offres en cas de modification importante des documents de consultation ayant des effets sur les échantillons à remettre dans le cadre de l’offre.

Dans cette affaire, le Préfet de police de Paris a lancé une procédure d’appel d’offres pour la conclusion d’un marché public, divisé en 17 lots, portant sur la fourniture d’effets d’accessoires d’habillement, d’articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Une société a présenté une offre pour le lot portant sur la « fourniture de tenues de service et d’intervention » mais, par une décision en date du 10 octobre 2024, le préfet de police a rejeté comme irrégulière l’offre de cette société.

La société, candidat évincé, a saisi la Juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Paris, afin notamment d’annuler la décision de rejet et l’offre et la procédure de passation relative au lot n° 15. Par une ordonnance du 12 novembre 2024, la juge des référés prononce l’annulation de la décision de rejet de l’offre de la société et de la procédure de passation au stade de remise des offres, et enjoint au Préfet de police de Paris, en cas de poursuite de la procédure de passation, de reprendre la procédure au stade de la remise des offres en laissant aux candidats un délai suffisant pour s’adapter à la modification des documents de consultation.

Saisi par le préfet de police, le Conseil d’Etat a, dans son arrêt du 24 mars 2025, été amené à connaître de plusieurs moyens dont certains méritent attention.

D’une part, faisant application de l’article R. 2152-4 du Code de la commande publique, lequel impose que le délai de réception des offres soit prolongé notamment lorsque des modifications importantes sont apportées aux documents de la consultation (la durée de la prolongation devant alors être proportionnée à l’importance des modifications apportées), le Conseil d’Etat a considéré que le juge du référé avait légitimement pu considérer qu’en ne reportant pas le délai de remise des offres après une modification importante portant sur le CCTP et le RC, le préfet de police n’avait pas laissé aux soumissionnaires un délai suffisant pour leur permettre d’adapter ou de reprendre leurs échantillons de pantalons (modification le 3 avril pour une remise des offres fixée eu 23 avril). Compte tenu, en effet, de la nature et de la portée de ces modifications, qui portaient sur les poches des tenues des pantalons d’intervention et qui impliquaient pour les candidats de reprendre et de contrôler les échantillons dans des délais trop courts, ces modifications étaient donc importantes et devaient nécessairement conduire à un report du délai de remise des offres.

D’autre part, le Conseil d’Etat était saisi d’un moyen reprochant au juge du référé de ne pas avoir recherché si le manquement invoqué avait été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats (d’après une logique selon laquelle seul le candidat le plus gravement lésé par un manquement serait en droit de s’en prévaloir).

Pour rappel, et comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans l’arrêt SMIRGEOMES du 3 octobre 2008 (n° 305420, Publié au Recueil Lebon), seules les entreprises susceptibles d’être directement lésées ou risquant de l’être, même indirectement, peuvent invoquer les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence dans le cadre d’une procédure de passation. Le juge du référé précontractuel, alors saisi, doit vérifier si ces manquements affectent effectivement les chances des candidats d’obtenir le marché public.

En l’espèce, le Conseil d’Etat demeure dans le cadre de cette jurisprudence fondamentale et refuse de prendre en considération le degré relatif de lésion d’un soumissionnaire pour déterminer la recevabilité de son référé précontractuel. Il retient, s’agissant du juge du référé précontractuel, qu’« ne lui appartient pas de rechercher […] si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats ».

Ainsi, le Conseil d’Etat rejette l’essentiel pour pourvoi formé par le Préfet de police de Paris contre l’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Paris.

L’appréciation d’échantillons constitue-t-elle un sous-critère devant être connu des candidats ?

Par une ordonnance datée du 26 mars 2025, le Juge du référé contractuel du Tribunal administratif de Bordeaux fait une application intéressante des règles relatives à la distinction entre la méthode d’évaluation et le sous-critère.

Dans cette affaire, un accord-cadre a été conclu entre le Syndicat médocain de collecte et de traitement des ordures ménagères (SMICOTOM) et une société, pour la fourniture de matériel de collecte des déchets (bas roulants et récipients plastiques).

Un candidat évincé a saisi le juge du référé contractuel dès lors qu’il n’avait pas été informé du rejet de son offre préalablement à la signature de l’accord-cadre. Le juge considère, à ce titre, que le candidat évincé est recevable à demander l’annulation du contrat.

Par ailleurs, le juge du référé a également été conduit à connaître d’un autre moyen soulevé par la société requérante et tant à ce que cette dernière n’aurait pas été informée d’un sous-critère du critère technique non prévu au sein du règlement de consultation : l’évaluation des échantillons demandés par le SMICOTOM aux différents candidats. Cette évaluation, qui correspondait à 20 points (50 % du critère valeur technique), aurait, selon elle, une importance telle qu’elle aurait dû être portée à la connaissance des candidats.

Pour rappel, et comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans un arrêt Commune d’Ajaccio du 23 mai 2011, les pouvoirs adjudicateurs doivent informer les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation et si, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, il est fait usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, la pondération ou la hiérarchisation de ceux-ci doit également être portée à la connaissance des candidats dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ces sous-critères sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. En revanche, les pouvoirs adjudicateurs ne sont pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres qui permettent d’apprécier les critères et sous-critères. A ce titre, l’appréciation des échantillons n’est pas automatiquement constitutive d’un critère ou sous-critère.

En l’espèce, le juge du référé contractuel, en application de cette jurisprudence, affirme que l’absence de communication d’éléments pris en compte pour l’évaluation technique des échantillons (stabilité, solidité et facilité de démontage des roues et couvercles… dont l’existence et l’importance – 20 points – n’ont été évoquées par l’acheteur que dans la lettre de rejet de l’offre de la société), les documents techniques du contrat n’évoquant pas ces éléments d’appréciation des échantillons alors même qu’ils étaient susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par leurs importance, a constitué un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence de l’acheteur puisque ces éléments auraient dû à tout le moins être communiqués aux candidats en tant que sous-critères de sélection des offres.

Ainsi, l’appréciation d’échantillons peut ne pas être considérée comme un sous-critère si elle consiste en la mise en œuvre d’éléments techniques évoqués dans les documents contractuels (CCTP). Dans le cas inverse, elle est susceptible d’être qualifiée de critère ou de sous-critère d’appréciation des offres, surtout si une pondération conséquente lui est associée : il conviendrait ainsi de communiquer ce critère ou sous-critère aux candidats (dans le RC).

Les applications de la notion de victimisation secondaire : de la Cour européenne des droits de l’Homme au procès Depardieu

Notion récente quoiqu’étayée, la victimisation secondaire désigne, selon le sens commun, la situation dans laquelle les victimes d’infractions pénales subissent une première blessure par le crime et une seconde par les acteurs du système de justice pénale[1]. En d’autres termes, la procédure judiciaire elle-même pourrait constituer une nouvelle forme de victimisation pour la victime d’infraction.

Cette notion est aujourd’hui consacrée tant par les textes que par la jurisprudence.

1. La victimisation secondaire dans les textes

À ce jour, la loi française n’en fait pas mention bien qu’elle protège généralement les droits et la personne des victimes.

Elle est néanmoins mentionnée dans plusieurs textes internationaux signés et ratifiés par la France. Ainsi de l’article 15 de la Convention d’Istanbul ratifiée le 4 juillet 2014 qui contraint les États parties à dispenser ou renforcer « la formation adéquate des professionnels pertinents ayant affaire aux victimes ou aux auteurs de tous les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention, sur la prévention et la détection de cette violence, l’égalité entre les femmes et les hommes, les besoins et les droits des victimes, ainsi que sur la manière de prévenir la victimisation secondaire »[2].

Ainsi encore de la directive européenne de lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée le 14 mai 2024 selon laquelle « la présentation d’éléments de preuve concernant le comportement sexuel passé, les préférences sexuelles et la tenue vestimentaire de la victime pour mettre en cause la crédibilité et l’absence de consentement des victimes dans les cas de violences sexuelles, en particulier les cas de viol, peut renforcer la perpétuation de stéréotypes préjudiciables quant aux victimes et entraîner une victimisation répétée ou secondaire [3]».

Néanmoins, plusieurs députés français ont déposé, le 19 novembre 2024, une proposition de loi visant à « mettre fin à la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires pour violences sexuelles », signe que le législateur pourrait bientôt se saisir de la notion.

2. La victimisation secondaire dans la jurisprudence

Ce fut ensuite le tour de la Cour Européenne des Droits de l’Homme d’adopter le concept et de condamner la France dans un arrêt L. et autres c. France du 24 avril 2025. En l’espèce, une des requérantes estimait que les lacunes de l’enquête et de l’instruction l’avaient soumise à une victimisation secondaire, certaines des questions posées par les policiers et l’expert psychiatre étant indignes, humiliantes, dégradantes, voire misogynes.

Ainsi, la Cour a considéré qu’il incombait à l’État, au titre de ses obligations positives, d’éviter « de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes à une victimisation secondaire en utilisant des propos culpabilisants et moralisants propres à décourager la confiance des victimes dans la justice »[4]. Elle reprend ici un énoncé de principe qu’elle avait adopté le 27 mai 2021 dans la décision J.L. c. Italie.

La justice française a récemment emprunté le pas. À l’occasion de la condamnation de Gérard Depardieu reconnu coupable d’agressions sexuelles, ils ont considéré que « les propos (…) de la défense par leur nature et leur répétition ont généré chez les parties civiles un préjudice distinct de celui né de la commission de l’infraction. Ce dénigrement objectivable, constitutif d’une victimisation secondaire ouvrant droit à réparation, renforce leur préjudice initial et doit en conséquence faire l’objet d’une indemnisation spécifique »[5].

Selon Audrey Darsonville, Professeure de droit pénal à l’Université Paris Nanterre, une telle position est inédite et osée puisque la victimisation secondaire a été retenue en raison du comportement de l’avocat de la défense et du type de stratégie qu’il a adopté.

En outre, les nombreuses et vives critiques de ce jugement soutiennent que la défense est libre et que les atteintes à la déontologie relèvent du pouvoir disciplinaire de l’ordre de avocats ou de la police de l’audience. Autrement dit, un justiciable ne pouvant pas être tenu responsable pour les fautes commises par son conseil.

Les applications jurisprudentielles de la notion de victimisation secondaire sont à suivre de près.

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[1] https://umontreal.scholaris.ca/items/35f7e274-57de-4ae7-ae87-90e02762edfd

[2] https://rm.coe.int/1680462533

[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32024L1385

[4] https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-242789%22]}

[5] https://www.leclubdesjuristes.com/societe/proces-de-gerard-depardieu-la-victimisation-secondaire-retenue-a-lencontre-de-lacteur-10635/

 

Expropriation des immeubles indignes : précisions sur les conditions de mise en œuvre de la procédure

L’article 9 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement (commenté dans une précédente Lettre d’actualité Juridique disponible ici) avait instauré une nouvelle procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique des immeubles indignes à titre remédiable.

Cette procédure, codifiée aux articles L. 512-1 et suivants du Code de l’expropriation, permet à l’autorité administrative d’engager une procédure d’expropriation visant à réaliser des travaux de rénovation de bâtiments en amont de leur dégradation définitive, afin d’éviter la démolition.

Le présent décret vient préciser les conditions de mise en œuvre de cette nouvelle procédure.

L’objet du présent décret est d’harmoniser les modalités de cette nouvelle procédure avec la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique à titre irrémédiable, prévue aux articles L. 511-1 et suivants du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

A ce titre, la terminologie du Code de l’expropriation a donc été alignée sur cette procédure, les immeubles n’étant plus qualifiés d’« insalubres ou menaçant ruine » mais désormais d’« indignes ».

 

I. Le premier article de ce décret ajoute un chapitre concernant les aspects procéduraux de cette nouvelle procédure.

1/ La déclaration d’utilité publique et de cessibilité est prononcée par un arrêté du préfet du lieu où sont situés les immeubles à exproprier (nouvel article R. 512-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).

2/ Cet arrêté doit mentionner les offres de relogement faites aux occupants en application de l’article L. 512-2 et selon les modalités prévues aux articles L. 314-2 à L. 314-9 du Code de l’urbanisme concernant la protection des occupants dans le cadre des opérations d’aménagement (nouvel article R. 512-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).

Ce nouvel article précise par ailleurs les modalités de publication, d’affichage et de notification dudit arrêté.

Il est publié au recueil des actes administratifs du département et affiché à la mairie du lieu où sont situés les biens.

Il est notifié aux propriétaires, aux titulaires de droits réels immobiliers sur les locaux, aux détenteurs de parts donnant droit à l’attribution ou à la jouissance en propriété des locaux, aux occupants et, lorsqu’il s’agit d’un immeuble d’hébergement, à l’exploitant.

En cas de difficulté concernant l’identification de ces personnes et/ou de leurs adresses, la notification est effectuée par affichage à la mairie de la commune ou de l’arrondissement où est situé l’immeuble ainsi que par affichage sur la façade de l’immeuble.

3/ L’évaluation permettant de fixer le montant de l’indemnité provisionnelle (prévue au troisième alinéa de l’article L. 512-2) est effectuée par le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques (nouvel article R. 512-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).

 

II. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure d’expropriation des immeubles indignes à titre irrémédiables, l’article R. 511-2 du Code de l’expropriation précise désormais que dans l’hypothèse d’une difficulté concernant l’identification de ces personnes et/ou de leurs adresses, la notification est effectuée par affichage à la mairie de la commune ou de l’arrondissement où est situé l’immeuble ainsi que par affichage sur la façade de l’immeuble.

Décret n° 2025-461 du 26 mai 2025 : Prolongation exceptionnelle de la durée de validité des autorisations d’urbanisme

Afin de « répondre aux difficultés que connaissent les secteurs du logement et de la construction », le décret prolonge et proroge la durée des autorisations d’urbanisme délivrées entre le 1er janvier 2021 et le 28 mai 2024.

Cette mesure est au nombre de celles annoncées par la ministre chargée du Logement, Valérie Létard, lors du salon international des professionnels de l’immobilier (MIPIM) en mars 2025.

1. L’article 1er du décret porte à 5 ans le délai de validité des permis de construire, d’aménager ou de démolir et des décisions de non-opposition à une déclaration préalable intervenus entre le 28 mai 2022 et le 28 mai 2024, au lieu du délai de 3 ans prévu par l’article R*424-17 du Code de l’urbanisme.

En revanche, ce même article écarte la possibilité de proroger ces autorisations de deux fois un an, comme prévu par les articles R*424-21 à R*424-23 du Code de l’urbanisme.

La durée des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale délivrés dans le même intervalle est également prolongée de deux ans.

2. L’article 2 du décret proroge d’un an le délai de validité des permis de construire, d’aménager ou de démolir et des décisions de non-opposition à une déclaration préalable intervenus entre le 1er janvier 2021 et le 27 mai 2022, dérogeant ainsi aux dispositions des articles R*424-21 à R*424-23 précités qui prévoient les modalités de prorogation

Il prolonge également d’un an la durée des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale délivrés dans le même intervalle.

Précisions concernant la résiliation d’une convention de délégation de service public pour motif financier

Par deux jugements rendus le même jour, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a précisé les cas dans lesquels un motif financier pouvait constituer un motif d’intérêt général justifiant la résiliation anticipée d’un contrat administratif.

Le Syndicat mixte des transports urbains (SMTU) du Grand Nouméa avait unilatéralement résilié les contrats de délégation de service public pour l’exploitation des réseaux de transport du Grand Nouméa qui avait été confiée à deux sociétés.

Il s’appuyait à cette fin sur l’extrême détérioration des conditions financières d’exécution des conventions de délégation de service public, lesquelles avaient, en outre, empiré du fait des conséquences économiques des émeutes survenues à compter du mois de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie.

Les deux sociétés délégataires ont alors saisi le tribunal administratif, estimant que les motifs financiers invoqués ne pouvaient constituer un motif d’intérêt général au sens de l’article L 6, 5° du Code de la commande publique.

Il appartenait donc au juge administratif d’apprécier la légalité des décisions de résiliation contestées, ce qui revenait en substance à définir les situations dans lesquelles un motif financier peut être reconnu comme relevant de l’intérêt général.

Au préalable, la juridiction rappelle qu’une personne publique peut toujours résilier unilatéralement un contrat administratif pour motif d’intérêt général[1], lequel peut d’ailleurs être financier[2].

En l’état, le tribunal considère qu’il n’appartient pas juge administratif d’apprécier la pertinence des choix opérés par l’autorité administrative, au risque d’excéder sa compétence, mais plutôt d’apprécier si le motif invoqué se vérifiait au regard des éléments apportés au stade de l’instruction.

Autrement dit, le juge devait déterminer si la situation financière du contrat faisait obstacle à sa poursuite.

C’est à cette conclusion qu’il parvient dans les deux affaires en question. Pour ce faire, il s’est fondé sur différents éléments recueillis au cours de l’instruction, notamment les échanges entre les parties contractantes mentionnant la dégradation des conditions financières, la menace pesant sur leur trésorerie, le risque de redressement judiciaire, ainsi que la volonté exprimée par l’autorité délégante de renégocier ses engagements contractuels[3].

En définitive, il ressort que l’augmentation des charges corrélée à la diminution des recettes d’exploitation compromettait de manière excessive l’équilibre économique initialement établi entre les parties, au point de rendre sa pérennité impossible. C’est précisément en raison du caractère « irréversible » de cette évolution économique et de l’« incapacité de l’administration à supporter le coût du contrat de délégation, même en procédant à des réductions significatives dans d’autres postes budgétaires » [4], que la résiliation anticipée a été jugée justifiée.

Il en découle qu’un motif financier peut être reconnu comme un motif d’intérêt général justifiant la résiliation d’un contrat lorsque la situation économique est irrémédiablement compromise et ne peut raisonnablement s’améliorer. Par ailleurs, l’intérêt général tenant à la continuité du service public de transport ne saurait, à lui seul, imposer la reprise des relations contractuelles.

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[1] Cons. n° 2 dans les jugements n° 2400598 et n° 2400606.

[2] Cons. n° 3 dans les jugements n° 2400598 et n° 2400606.

[3] Cons. n° 17 dans le jugement n° 2400598 et cons. n°8 dans le jugement n° 2400606.

[4] Cons. n° 19 dans le jugement n° 2400598 et cons. n° 10 dans le jugement n° 2400606.

Pas de cession automatique des droits voisins des artistes interprètes d’un orchestre national au profit de l’Etat

L’artiste interprète dispose de droits exclusifs sur son interprétation au titre du droit voisin, qui lui permet de s’opposer ou d’autoriser la représentation et la reproduction de son interprétation d’une œuvre, moyennant rémunération. En ce sens, le droit de l’Union européenne pose le principe de consentement préalable à toute exploitation de l’interprétation d’un artiste interprète.

Ce principe était strictement respecté par l’Orchestre National de Belgique (ONB) : l’exploitation des droits voisins des musiciens de l’ONB était négociée au cas par cas au sein d’un comité de concertation pour parvenir à une rémunération équitable, à l’issue de discussions entre les délégations syndicales des musiciens et l’ONB. Ces négociations n’ayant pas abouti en 2021, l’Etat belge a pris un arrêté royal[1] imposant la cession de l’ensemble des droits des musiciens de l’orchestre pour les prestations qu’ils réaliseraient dans le cadre de leur mission.

Plus précisément, l’arrêté précise que l’artiste interprète cède à l’ONB, en contrepartie d’allocations compensatoires, les droits voisins portant sur ses prestations réalisées dans le cadre de sa mission au service de cet orchestre, ce qui comprend le droit de communication au public ainsi que les droits de reproduction et de distribution dont les musiciens de l’ONB sont titulaires, pour toute la durée des droits voisins et pour le monde entier.

En désaccord avec cet arrêté, certains musiciens ont saisi le Conseil d’Etat belge d’un recours en annulation qui a, à son tour, saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de questions préjudicielles visant à déterminer si la cession au profit de l’employeur, par la voie réglementaire, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous un statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable, était compatible avec le droit de l’Union.

En l’occurrence, les questions préjudicielles portaient sur l’interprétation des dispositions de la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (dite « DAMUN »)[2], et visent en particulier à déterminer si ces textes s’opposent à la cession, par la voie réglementaire, au profit de l’employeur, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable.

La Cour relève, tout d’abord, que le statut de droit administratif des musiciens de l’ONB n’a pas d’incidence sur leur qualification juridique d’« artistes-interprètes ou exécutants ». La protection qui leur est conférée est de nature préventive en ce sens que l’utilisation de leurs interprétations requiert leur consentement préalable. Ainsi, la Cour conclut que les dispositions du droit de l’UE précitées s’opposent, en l’absence de consentement préalable des titulaires des droits, à la cession, par la voie réglementaire, des droits exclusifs qui y sont visés, à moins qu’une telle cession ne relève de l’une des exceptions ou limitations prévues par ces directives, ce qui n’est pas le cas en l’espèce[3]. Ainsi, pas de cession automatique sans consentement, même en présence d’une personne publique.

Si cette décision apparait cohérente face à la protection des auteurs et des artistes-interprètes, l’on peut d’interroger quelle aurait été la position des juridictions françaises dans une situation similaire du fait du régime dérogatoire au droit d’auteur posé par l’article L. 131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle français qui permet une cession légale et automatique des droits d’auteur des agents publics pour les œuvres créées dans le cadre de leur mission, sans y avoir consenti préalablement.

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[1] Arrêté royal relatif aux droits voisins du personnel artistiques de l’Orchestre national de Belgique du 1er juin 2021, entré en vigueur le 4 juin 2021

[2] Directive (UE) 2019/790 du parlement européen et du conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, complétant notamment la directive 2001/29/CE du parlement européen et du conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information et la directive 2006/115/CE du 12 décembre 2006 relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle

[3] Articles 5 de la directive 2001/29 et article 10 de la directive 2006/115.