WeTransfer et l’ambiguïté contractuelle à l’ère de l’intelligence artificielle : une mise en garde nécessaire

Le 15 juillet 2025, la société néerlandaise WeTransfer, connue pour son service de transfert de fichiers volumineux, a suscité une vive controverse à la suite d’une modification substantielle – et opérée discrètement – de ses conditions générales d’utilisation (CGU). Cette évolution contractuelle, censée entrer en vigueur le 8 août 2025, conférait à l’entreprise une licence particulièrement étendue sur les fichiers hébergés par ses utilisateurs.

Une clause aux implications juridiques lourdes et ambigües

La première modification de la clause 6.3 des CGU visait à accorder à WeTransfer une licence particulièrement étendue, permettant l’exploitation des fichiers hébergés – y compris leur reproduction, modification et transformation en œuvres dérivées – à des fins de développement et d’amélioration de ses services. Plus encore, elle mentionnait expressément la possibilité d’utiliser les fichiers hébergés des utilisateurs dans le cadre de l’entraînement de modèles d’intelligence artificielle.

Face au tollé provoqué sur les réseaux sociaux – appelant parfois au boycott du service – la société WeTransfer a rapidement publié un communiqué dans lequel elle affirmait que les contenus des utilisateurs ne faisaient actuellement l’objet d’aucun entraînement de modèles d’intelligence artificielle. L’entreprise a reconnu que la modification initiale des CGU prêtait à confusion et a procédé à la révision de la clause litigieuse.

Une nouvelle version de la clause a ainsi été publiée, expurgée de toute référence à l’intelligence artificielle ou à des usages dépassant les stricts besoins techniques liés au fonctionnement et à l’amélioration du service, dans les limites définies par la politique de confidentialité de la plateforme.

 

Vigilance requise face à l’opacité des mécanismes d’entraînement de l’intelligence artificielle

Cette affaire met en lumière les tensions croissantes entre le développement accéléré des technologies d’intelligence artificielle et la nécessaire protection des droits fondamentaux des utilisateurs, notamment en matière de données personnelles et de propriété intellectuelle.

Aujourd’hui, même les usagers les plus avertis peinent à obtenir une vision claire et exhaustive des conditions réelles d’utilisation de leurs données une fois celles-ci hébergées sur des plateformes numériques. L’opacité contractuelle, conjuguée à la complexité technique des systèmes d’apprentissage automatique (« machine learning »), renforce ce déséquilibre d’information.

A l’aune de ces considérations, il est fortement recommandé aux professionnels de privilégier des solutions de stockage et de partage de fichiers dont les conditions générales sont plus restrictives en matière de droits d’exploitation. Des services tels que Google Drive, qui s’abstiennent de revendiquer des licences aussi étendues, peuvent ainsi constituer des alternatives plus sûres.

Exemple d’appréciation de la réalité d’un projet antérieur à une décision de préemption

Dans cette affaire, un requérant, acquéreur évincé, a demandé au Juge des référés du Tribunal administratif de Bordeaux de suspendre l’exécution de l’arrêté municipal exerçant le droit de préemption sur des parcelles dont il s’était porté acquéreur. Par ordonnance, le juge des référés de première instance a rejeté sa requête.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat, statuant en référé, a annulé l’ordonnance du premier juge des référés.

Le Conseil d’Etat considère ici que le moyen tiré de ce que la Commune préemptrice n’établissait pas la réalité d’un projet à la date de sa décision de préemption était propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption.

En particulier, le Conseil d’Etat relève que si la décision de préemption en litige mentionnait « l’impératif de  » résoudre les problèmes de l’habitat insalubre « , de  » densifier les parcelles disponibles « , de  » faire varier l’habitat vers une plus grande mixité sociale  » ou de  » faciliter la recherche de logements aux militaires de la sécurité civile  » mutés sur le territoire de la commune ou l’accueil des nouveaux gendarmes », ces références ne renvoyaient toutefois à aucun projet concret ni ne reposaient sur aucune délibération du conseil municipal décidant d’engager la Commune dans ces voies d’action antérieurement à la décision attaquée.

Le Juge des référés du Conseil d’Etat a donc annulé l’ordonnance, statué au fond, et retenu que la réalité du projet faisait défaut aux motifs, d’une part, que les parcelles préemptées n’étaient visées par aucune opération devant accueillir des logements, y compris en faveur des militaires et, d’autre part, que les engagements à l’égard des militaires pris par la commune ne portent pas sur leur logement. Enfin, la seule référence au PLH est insuffisante :

« 8. Les motivations de l’ordonnance attaquée liées à la lutte contre l’insalubrité, la densification des parcelles concernées et la variation de l’habitat vers une plus grande mixité sociale ne s’appuient sur ni ne renvoient à aucune délibération définissant la nature, le contenu et les modalités de mise en œuvre d’un tel projet. Si la commune soutient envisager le réaménagement de l’immeuble préempté en vue de créer un logement locatif afin de faciliter la recherche de logements par les militaires de la sécurité civile mutés sur le territoire à la suite de la création à Libourne de la 4ème unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile ou de faciliter, conformément aux orientations du contrat de sécurité intégrée 2021-2026 conclu avec l’Etat, l’accueil des gendarmes affectés à la nouvelle brigade d’Izon-Vayres dans l’attente de la construction de ses locaux, il apparaît, d’une part, que les parcelles préemptées ne sont nullement visées par l’opération de logement des militaires de la sécurité civile et ne se trouvent dans aucun des secteurs fonciers devant accueillir ces logements et, d’autre part, que les engagements pris par la commune pour l’accueil des militaires de la gendarmerie ne portent pas sur leur logement, dont les besoins sont satisfaits par ailleurs. Enfin, si la commune soutient que l’opération qu’elle projette trouve place dans les objectifs 4 et 5 du programme local de l’habitat adopté par la communauté d’agglomération de Libourne dont elle est membre, cette circonstance ne suffit pas à elle seule à établir que cette opération serait menée pour la mise en œuvre de ce programme. Ainsi, en l’état de l’instruction, la décision attaquée n’est justifiée par aucun projet d’action ou opération d’aménagement répondant aux exigences des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme. »

Il s’évince de cette ordonnance que la référence à des objectifs inscrits au sein d’un plan local de l’habitat (PLH) ne suffit pas. A lire cette ordonnance, la solution rendue aurait pu être différente si, par exemple, la création de logements pour gendarmes ressortait des orientations du contrat de sécurité intégrée conclu entre la Commune et l’Etat, ainsi que par la preuve d’engagements de la municipalité à l’égard des gendarmes portant précisément sur leur logement.

Par conséquent, le Juge des référés du Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance de référé du premier juge et prononcé la suspension de la décision de préemption en litige.

Absence de clause de révision des prix dans un marché et modulation juridictionnelle des pénalités contractuelles : Précisions du Conseil d’État

Conclusions du rapporteur public, M. Nicolas LABRUNE, 15 juillet 2025, n° 494073

 

L’absence de clause de révision des prix dans un marché de fourniture en matière première n’entache pas d’illicéité le contenu du contrat et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité justifiant que le contrat soit écarté, mais, dans ce cas, le refus de l’acheteur public de procéder à la révision du prix peut entraîner une réduction juridictionnelle du montant des pénalités appliquées par l’acheteur public envers son cocontractant pour défaut d’exécution de ses obligations contractuelles.

Ces précisions sont apportées par le Conseil d’État à l’occasion d’un recours au fond formé par la société Nouvelle Laiterie de la Montagne contre les quatre titres exécutoires émis à son encontre par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer au titre de pénalités pour la non-exécution de ses obligations contractuelles de livraison de denrées alimentaires.

En effet, le pouvoir adjudicateur avait conclu avec la société deux marchés publics de fourniture de thon, destinés à des associations caritatives ne prévoyant aucune clause de révision des prix.

Or, l’augmentation exceptionnelle du cours mondial du thon a rendu l’exécution particulièrement difficile, conduisant la société à solliciter soit une hausse de prix, soit un report de livraison, demandes refusées par le pouvoir adjudicateur.

Constatant l’absence de livraison du thon dans le délai prévu, la société s’est vu appliquer par le pouvoir adjudicateur des pénalités pour inexécution contractuelle d’un montant total de 200.120,93 euros, matérialisées par des titres exécutoires émis en novembre 2018.

Après le rejet de son recours par le Tribunal administratif de Montreuil par un jugement du 28 octobre 2021, puis par la Cour administrative d’appel de Paris par une décision en date du 5 mars 2024, la société a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Deux problématiques juridiques principales, soulevées par la requérante, devaient être résolues par le Conseil d’État dans ce litige :

  1. L’absence de clause de révision du prix constitue-t-elle un vice d’une particulière gravité ou démontre-t-elle le caractère illicite du contenu du contrat, ce qui contraindrait le juge à écarter le contrat et à régler le litige en dehors du terrain contractuel ?
  2. Cette absence de clause de révision du prix ainsi que le refus, par l’acheteur public, de réviser le prix à la suite d’une fluctuation importante du cours du marché est-il de nature à atténuer la gravité de l’inexécution du cocontractant et donc réduire le montant des pénalités pouvant lui être imposées ?

Concernant la première problématique, le Conseil d’État rappelle que l’article R. 2112-14 du Code de la commande publique prévoit qu’une clause de révision du prix est obligatoire dans les marchés « d’une durée d’exécution supérieure à trois mois qui nécessitent, pour leur réalisation, le recours à une part importante de fournitures notamment de matières premières dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux ».

Toutefois, si le juge administratif constate que le marché conclu aurait dû contenir une clause de révision du prix, il estime que « cette illégalité ne constitue pas un vice d’une particulière gravité ni n’entache d’illicéité le contenu de ces contrats ».

Le rapporteur public, M. Nicolas Labrune, dans ses conclusions sous cet arrêt expose qu’ « Avec le contrat en litige, la loi n’est pas violée du simple fait de l’exécution du contrat : certes la révision du prix n’est pas prévue, mais le titulaire du contrat peut bel et bien être rémunéré du prix stipulé dans les délais qui s’imposent à l’acheteur public et le paiement n’est pas, par lui-même, contraire à une norme supérieure. D’ailleurs, en réalité, les effets du vice tenant à l’absence de clause de révision du prix ne sont qu’éventuels ».

L’absence de clause de révision du prix, quand bien même cette dernière était obligatoire, ne constitue donc ni un vice d’une particulière gravité, ni une illicéité du contenu du contrat et ne suffit donc pas pour que les dispositions du contrat soient écartées lors du règlement des litiges nés de son exécution.

Concernant la seconde problématique, le Conseil d’État commence par rejeter l’application de la force majeure puisqu’il considère que, si l’augmentation de 1.000 à 1.800 euros du prix de la tonne de thon entre la date de dépôt de l’offre et celle de livraison a bien eu pour effet de bouleverser l’économie du marché, cette situation n’était pas irrésistible pour la société.

Ensuite, le Conseil d’État constate que la Cour administrative d’appel de Paris n’a pas répondu au moyen soulevé par la société à l’appui de ses conclusions tendant à la modération des pénalités mises à sa charge, et tenant à ce que l’inexécution de ses obligations contractuelles qui lui était reprochée résultait des fautes commises par le pouvoir adjudicateur qui, en s’abstenant d’insérer une clause de révision du prix dans les marchés en litige et en refusant les solutions qu’elle avait proposées pour résoudre la difficulté résultant de l’augmentation des cours mondiaux du thon, avait contribué à la placer en situation de ne pas pouvoir respecter ses obligations de livraison.

Le Conseil d’État annule l’arrêt en estimant qu’en « s’abstenant de répondre à ce moyen et ainsi de rechercher, en vue d’apprécier s’il y avait lieu de faire droit aux conclusions de cette société tendant à la modération des pénalités mises à sa charge, si ces circonstances étaient de nature à atténuer la gravité de l’inexécution de ses obligations contractuelles, la Cour administrative d’appel de Paris a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit ».

Puis, le Conseil d’État estime que, dès lors que cette hausse du cours du thon avait bouleversé l’économie du marché, l’absence de clause de révision du prix et le refus du pouvoir adjudicateur d’envisager quelque modification du marché que ce soit ont contribué à placer la société en situation de ne pas pouvoir respecter ses obligations de livraison.

Le Conseil d’État considère donc que cette situation justifie une réduction de moitié du montant des pénalités mis à la charge de la société.

Au total, l’absence de clause de révision du prix et le refus d’adapter le marché, dans l’hypothèse d’un marché de fourniture de matières premières impacté par une hausse des cours mondiaux de nature à bouleverser l’économie du marché, peut justifier une réduction des pénalités pour inexécution pouvant être appliquées au fournisseur.

Présomption d’imputabilité et état antérieur

Par une décision en date du 18 juillet 2025, le Conseil d’Etat a précisé l’incidence d’un état de santé antérieur sur la reconnaissance de l’imputabilité d’un accident survenu dans le temps et le lieu du service.

Une adjointe-gestionnaire au sein d’un lycée avait été victime d’un infarctus du myocarde alors qu’elle se trouvait à son bureau. L’agente a sollicité la reconnaissance de l’imputabilité au service de cet accident cardiaque mais la Directrice académique des services départementaux de l’Education nationale de l’Essonne avait refusé de faire droit à sa demande, arguant de l’absence de lien direct avec son activité professionnelle.

Par un jugement rendu le 30 septembre 2021, le Tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision et a enjoint à la Directrice de réexaminer la demande de cette agente. Saisie par le ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, la Cour administrative d’appel de Versailles a, quant à elle, appliqué une jurisprudence classique selon laquelle : « s’agissant d’un infarctus du myocarde survenu pendant l’exercice des fonctions, l’accident de service ne doit être reconnu qu’en cas de relation directe, certaine et déterminante entre un tel accident et l’exécution du service. Il appartient au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce ». Fort de ces éléments, la Cour a jugé le 31 mai 2023 qu’aucune erreur manifeste d’appréciation n’avait été commise par la Directrice académique, eu égard à la présence de facteurs de risque chez l’intéressée et à l’absence d’effort physique violent et inhabituel au moment de l’évènement. Elle infirmait ainsi le jugement du tribunal administratif.

C’est dans ce cadre que l’intéressée s’est pourvue en cassation.

Le Conseil d’Etat a rappelé la définition de l’accident de service, c’est-à-dire « tout évènement, quelle qu’en soit la nature, survenu à une date certaine, dont il est résulté une lésion quelle que soit la date d’apparition de celle-ci », ainsi que l’existence d’une présomption d’imputabilité : un accident est présumé imputable lorsqu’il est « survenu dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice, par le fonctionnaire, de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de toute faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ».

Ajoutant à cette jurisprudence classique, la Haute Juridiction a poursuit en indiquant : « Il en va en particulier ainsi pour un accident cardio-neurovasculaire, l’état de santé antérieur du fonctionnaire n’étant alors de nature à constituer une circonstance particulière que s’il est la cause exclusive de l’accident ». C’est donc sur ce fondement qu’il a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel.

Dit autrement, la Cour n’a pas correctement examiné la question de l’imputabilité au regard de la présomption. L’état antérieur ou, dans le cadre d’un accident cardio-vasculaire, les facteurs de risque présents chez l’agent, ne sont de nature à faire obstacle à la présomption d’imputabilité qu’à la condition d’être la cause exclusive de l’accident. Il faudra donc apporter cette preuve contraire, sur le plan médical, plutôt que se contenter de constater l’absence de lien direct.

Précisions sur l’identification d’un accident de trajet des agents résidant dans un immeuble collectif d’habitation

Dans cette affaire, un agent avait sollicité la reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident dont il avait été victime, caractérisé par le fait qu’il avait été heurté par la porte automatique du garage collectif de l’immeuble dans lequel il stationnait sa moto et s’était fracturé le pied droit, alors qu’il se rendait sur son lieu de travail.

La question était de savoir si cet incident, survenu alors que l’agent avait quitté son domicile mais qu’il se trouvait toutefois toujours dans les espaces communs de son immeuble d’habitation collectif, pouvait revêtir la qualification d’un accident de trajet tel que défini par l’article L. 822-19 du Code général de la fonction publique[1].

Comme le relevait le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, M. de MONTGOLFIER, la position de la jurisprudence administrative n’était pas uniforme concernant le point de départ du trajet d’un agent lorsque celui-ci habite dans un immeuble collectif d’habitation.

En l’occurrence, et en première instance, la requête de l’agent tendant à l’annulation du refus d’imputabilité au service de son accident avait été rejetée au motif que l’agent se situait toujours dans une propriété privée, et non sur la voie publique.

Néanmoins, la Cour administrative d’appel de Marseille avait censuré ce raisonnement en relevant que l’agent avait déjà quitté son domicile, défini comme le lieu dont il avait la jouissance privative, et qu’il devait ainsi être regardé comme ayant commencé le trajet le conduisant vers son lieu de travail, quand bien même il se trouvait toujours à l’intérieur d’un garage collectif au moment de l’accident (CAA de Marseille, 4 mars 2024, n° 22MA00435).

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi par lequel il a confirmé qu’en statuant ainsi, la Cour administrative d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit et avait justement analysé la situation. Ce faisant, le Conseil d’Etat précise que le trajet de l’agent qui réside dans un immeuble collectif d’habitation vers son lieu de travail commence dès lors qu’il quitte son logement, c’est-à-dire le lieu dont il a la jouissance exclusive, et termine lors de son retour à celui-ci.

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[1] Dont les termes reprennent ceux du III de l’article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Rappels sur la compétence de la juridiction administrative en cas de destruction erronée de monuments funéraires par les services communaux

La responsabilité qui peut incomber aux services communaux en raison des dommages qu’ils auraient causés par erreur à un monument funéraire dans un cimetière relève en principe des juridictions administratives

C’est ce que vient de rappeler le Tribunal des conflits dans un récent jugement du 5 mai 2025.

En première lecture, cela semble évident.

Mais il convient de préciser que la jurisprudence reconnait au titulaire d’une concession funéraire des droits réels immobiliers[1], et notamment la propriété des monuments et signes funéraires érigés sur la concession (CE, ass., 9 févr. 1940, Monier, n° 58877).

Ainsi, la destruction des dalles et monuments funéraires réalisées par erreur par les services municipaux des cimetières porte atteinte au droit des propriété des titulaires de concession (ou leur ayant droits) sur les constructions érigées sur les sépultures et peut – si elle s’accompagne d’autres décisions – aller jusqu’à l’extinction des droits réels immobiliers sur la concession.

Or, on rappellera que la reconnaissance d’une voie de fait – c’est-à-dire d’une atteinte particulièrement grave portée par l’administration au droit de propriété aboutissant à son extinction – entraîne en principe la compétence du juge judiciaire.

C’est ainsi que certains requérants ont pu se méprendre en considérant que le litige qui les opposait aux services communaux de cimetières relevait des juridictions judiciaires.

Tel est le cas de Mme B dans cette affaire qui, après avoir constaté que les monuments funéraires et les dalles de deux tombes familiales avaient été supprimés, a assigné à la Commune gestionnaire du cimetière devant le Tribunal judiciaire de Lyon afin qu’elle soit condamnée à l’indemniser des préjudices financier et moral résultant de son comportement fautif.

Celui-ci s’est déclaré incompétent pour connaître du litige.

La requérante a alors saisi le Tribunal administratif de Lyon de son recours indemnitaire.

Mais ce dernier, estimant à son tour que le litige ne relevait pas de sa compétence, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider de la juridiction compétente dans cette affaire.

Ce dernier apporte donc une clarification bienvenue dans son jugement du 5 mai 2025, reprenant les règles de compétence de droit commun en la matière ci-avant évoquées :

  • En l’absence d’extinction pure et simple du droit réel immobilier tiré de la concession funéraire par la décision des services communaux, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, le sera également pour connaître des conclusions tendant à la réparation du préjudice causé par cette décision ;
  • Dans le cas inverse, c’est-à-dire en situation de «voie de fait », le juge judiciaire sera compétent pour connaître des conclusions tendant à la réparation des dommages causés à la sépulture.

Dans cette affaire, le Tribunal des conflits considère que « la destruction des dalles et monuments funéraires à laquelle il a été procédé par erreur pour le compte de la commune, sans réattribution des emplacements correspondants à de nouveaux concessionnaires, si elle a porté atteinte à la propriété des constructions érigées sur ces sépultures, n’a pas eu pour conséquence l’extinction du droit réel immobilier » des titulaires de la concession. Il conclut donc à la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande de réparation en cause.

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[1] Conclusion du rapporteur public Laurent Cytermann sur CE, 18 mars 2020, M. B, n° 436693 : « Il est donc cohérent que le droit du titulaire de la concession sur le terrain concédé ait été qualifié de « droit réel immobilier », […] dans une décision J… c/ commune de Maixe (TC, 6 juillet 1981, n° 02193, Rec.). « Quant aux monuments et signes funéraires élevés sur la concession, la jurisprudence civile reconnaît le droit de propriété du concessionnaire (T. civ. Seine, 21 juin 1938, Veuve Jacquelin c/ ville de Neuilly, DH 1938.589) et vous refusez vous-mêmes de les qualifier d’ouvrage public (CE, 23 juin 1976, T…, n° 94115, Tab. sur un autre point) ».

Le droit de délaissement en déclaration d’utilité publique (DUP) et en zone d’aménagement concerté (ZAC)

Le droit de délaissement est défini comme le « droit pour le propriétaire d’un terrain (bâti ou non) […] d’exiger de la personne publique (collectivité publique, service public) au bénéfice de laquelle le terrain est réservé d’acquérir celui-ci »[1].

Pour certains, il s’agit, au fond, d’une « expropriation anticipée, dont le propriétaire prend l’initiative »[2]. En vérité, dès lors que ce droit ne s’impose pas au propriétaire, il est plus juste de parler d’une « réquisition d’achat à l’initiative des propriétaires »[3].

Le présent article a pour objet de présenter le droit de délaissement d’un bien inscrit dans le périmètre d’une déclaration d’utilité publique (DUP) (I) et celui d’un bien inscrit dans le périmètre d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) (II), d’abord sous la forme d’un tableau comparatif didactique, puis sous la forme d’une synthèse.

 

Tableau comparatif entre le délaissement en DUP et celui en ZAC
Droit de délaissement né de la DUP

Droit de délaissement né de la ZAC

Champs d’application Les « biens » (article L. 241-1 du Code de l’expropriation) Les « terrains » (article L. 311-2 du Code de l’urbanisme)
Mise en œuvre 1 an à compter de la publication de la DUP Immédiatement à compter de la publication de l’acte portant création de la ZAC
Initiative Le propriétaire du bien compris dans le périmètre de la DUP Le propriétaire du bien compris dans le périmètre de la ZAC
Destinataire L’expropriant bénéficiaire de la DUP La collectivité publique ou l’établissement public qui a pris l’initiative de la création de la ZAC
Lieu d’envoi de la MDA L’adresse de l’expropriant bénéficiaire de la DUP La mairie de la commune où se situe le bien
Délai d’acquisition 2 ans à compter de la réception de la demande d’acquisition prorogeable une fois pour une durée d’1 an (sauf cas de décision de sursis à statuer opposée antérieurement à l’intéressé au visa de l’article L. 424-1 C. Urb)

6 mois avant l’expiration du délai de 2 ans, l’expropriant fait connaître au propriétaire s’il entend proroger le délai et en informe simultanément le préfet

1 an à compter de la réception en mairie de la demande
Forme et contenu de la demande Mise en demeure d’acquérir adressée par LRAR, avec copie au préfet Mise en demeure d’acquérir (MDA) par LRAR

La MDA mentionne les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits
d’emphytéose, d’habitation ou d’usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes

Acquisition L’acquisition peut se faire à l’amiable

Ou

De façon forcée
A défaut d’accord amiable dans le délai de 2 ans, le juge de l’expropriation saisi par le propriétaire prononce le transfert de propriété et fixe le prix

En cas d’accord amiable, le prix doit être payé au plus tard 2 ans après la réception en mairie de la demande

Ou

A défaut d’accord amiable, à l’expiration du délai d’1 an, le juge de l’expropriation saisi soit par le propriétaire, soit par la personne à l’initiative de la ZAC prononce le transfert de propriété et fixe le prix

Modalité de fixation Le prix est fixé comme en matière d’expropriation Le prix est fixé et payé comme en matière d’expropriation, sans qu’il soit tenu compte des dispositions justifiant le droit de délaissement
Effet de l’acquisition L’acte d’acquisition amiable ou la décision judiciaire emportant transfert de propriété éteint par lui-même et à sa date tous droits réels et personnels existants sur l’immeuble cédé

Les droits des créanciers inscrits sont reportés sur le prix

L’acte d’acquisition amiable ou la décision judiciaire emportant transfert de propriété éteint par lui-même et à sa date tous droits réels et personnels existants sur l’immeuble cédé

Les droits des créanciers inscrits sont reportés sur le prix

Mise en échec du droit de délaissement  Le propriétaire n’a pas de droit irrévocable pour exiger l’acquisition de son bien et le bénéficiaire de la DUP peut jusqu’au transfert de propriété renoncer à son projet

(3ème Civ., 3 décembre 2008, SCI les Trois Figuiers, n° 07-18.632 )

La modification du périmètre de ZAC fait obstacle au droit de délaissement et il suffit que les formalités de publicité de cette modification soient intervenues avant la date du jugement pour l’exclusion du bien périmètre de la ZAC du bien objet du droit de délaissement soit opposable au propriétaire l’ayant exercé (3ème Civ., 21 décembre 2017, n° 16-26.564)
Quid du droit de préemption urbain ? L’immeuble qui fait l’objet d’une MDA n’est pas soumis au droit de préemption urbain[4] L’immeuble qui fait l’objet d’une MDA n’est pas soumis au droit de préemption urbain[5]
Quid d’un droit de rétrocession ? Le droit de rétrocession s’applique aux immeubles expropriés[6], aux immeubles acquis à l’amiable postérieurement à la DUP[7], aux immeubles acquis avant la DUP s’il en a été donné acte par le juge de l’expropriation[8].

La question se pose de savoir si un bien acquis à la suite de l’exercice du droit de délaissement peut faire l’objet du droit de rétrocession visé à l’article L. 421-1 C. Expro s’il n’a pas été affecté à l’objet de la DUP.

Dès lors que le bien acquis par exercice du droit de délaissement est une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire, il ne nous semble pas qu’il puisse faire l’objet d’un droit de rétrocession (voir, à propos d’un droit de délaissement dans le cadre d’un emplacement réservé : 3ème Civ, 26 mars 2014, 13-13.670, Publié au bulletin).

Le transfert de propriété résultant de l’exercice de ce droit n’entre pas dans le champ d’application de l’article 17 de la Déclaration de 1789 (à propos d’un emplacement réservé : Décision

Décision n° 2013-325 QPC du 21 juin 2013)

Pour autant, si la rétrocession n’est pas admise, une demande de paiement de dommages-intérêts n’est pas à exclure en cas de revente illégitime d’un bien acquis à la suite de la mise en œuvre du droit de délaissement (3ème Civ., 18 avril 2019, n° 18-11.414, Mme Birgit Düppe c/ Commune de Saint-Tropez)

Le Code de l’urbanisme ne prévoit pas de dispositions spécifiques relatives à un droit de rétrocession lorsqu’un bien est inscrit dans le périmètre d’une ZAC, en dehors de toute procédure d’expropriation.

La jurisprudence ne s’est pas prononcée sur la ZAC, mais elle s’est prononcée à l’égard d’un terrain réservé en écartant toute possibilité de solliciter un droit de rétrocession s’agissant d’un terrain réservé pour une voie, un ouvrage public, une installation d’intérêt général ou un espace vert en relevant que le droit de rétrocession est une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire (3ème Civ, 26 mars 2014, 13-13.670, Publié au bulletin).

Pour autant, si la rétrocession n’est pas admise, une demande de paiement de dommages-intérêts n’est pas à exclure en cas de revente illégitime d’un bien acquis à la suite de la mise en œuvre du droit de délaissement (3ème Civ., 18 avril 2019, n° 18-11.414, Mme Birgit Düppe c/ Commune de Saint-Tropez)

 

 

I. Le droit de délaissement d’un bien situé dans le périmètre d’une DUP

Le droit de délaissement d’un bien situé dans le périmètre d’une DUP et prévu au Code de l’expropriation a pour but d’empêcher que l’administration qui contraint un propriétaire à se séparer de son bien ne prolonge trop longuement l’état d’incertitude d’une propriété comprise dans ce périmètre. Il est la contrepartie des pouvoirs exorbitants de la puissance publique.

 

A. Sur le champ d’application du droit de délaissement

Jusqu’à l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, ledit code empruntait la notion de « terrains à acquérir » pour qualifier ce qui pouvait ouvrir droit à une demande de délaissement.

Depuis cette ordonnance, cette notion a été remplacée par celle de « biens à acquérir »[9].

Lorsque le droit de délaissement était ouvert aux seuls « terrains à acquérir », la question s’est posée de savoir si un « terrain » pouvait comprendre non seulement les terrains nus mais aussi les terrains bâtis. La 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé, à propos du droit de délaissement en ZAC que le renvoi à la notion de terrain ne pouvait signifier l’exclusion des terrains bâtis du champ d’application du texte (3ème Civ., 7 mai 1996, n° 95-70.031).

La notion de « biens à acquérir » est plus large et permettra certainement à la jurisprudence d’envisager des cas d’ouvertures plus nombreuses du droit de délaissement.

Il peut être remarqué, d’ailleurs, que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation prend le soin de faire référence à la notion de « biens » et non à celle de « terrains », y compris lorsqu’elle évoque la fixation du prix. En effet, alors que l’article L. 242-2 du Code de l’expropriation évoque la notion de « fixation du prix du terrain », la Cour de cassation utilise la notion de « fixation du prix des biens délaissés » (Civ. 3ème, 11 janvier 2023, n° 21-24.275).

 

B. Sur les délais pour exercer le droit de délaissement

Le droit de délaissement peut être actionné lorsqu’un délai d’un an s’est écoulé à compter de la publication de l’acte portant déclaration d’utilité publique, par le biais d’une mise en demeure d’acquérir.

L’expropriant doit se prononcer dans un délai de deux ans à compter du jour de la demande.

Ce délai peut être prorogé une fois pour une durée d’un an sauf dans l’hypothèse où ledit propriétaire a déjà fait l’objet d’une décision de sursis à statuer en application de l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme.

En cas de volonté de prorogation du délai pour répondre à la demande de délaissement, l’expropriant doit six mois avant l’expiration du délai de deux ans faire connaître au propriétaire qu’il entend proroger. Il en informe simultanément le préfet[10].

A défaut d’accord amiable à l’expiration du délai de réponse laissé à l’expropriant, le juge de l’expropriation est saisi par le propriétaire, prononce le transfert de propriété et fixe le prix du terrain comme en matière d’expropriation.

L’absence de réponse dans le délai de deux ans à la mise en demeure d’acquérir n’est pas sanctionnée par la juridiction de l’expropriation. En effet, la mise en demeure d’acquérir le bien n’est pas un acte créateur de droit et l’expropriant a la possibilité de renoncer à l’expropriation antérieurement à la fixation du prix et au transfert de propriété jusqu’à la date où le premier juge doit statuer. Il est admis que l’expropriant renonce à l’expropriation dans ses conclusions devant le juge de l’expropriation en première instance à l’expropriation, au-delà du délai de deux qu’il a pour se prononcer sur la mise en demeure d’acquérir (Civ. 3ème, 13 février 2008, SCI les Trois Figuiers, n° 06-21.202).

 

C. Sur les modalités d’exercice du droit de délaissement

En vertu des dispositions de l’article R. 241-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le propriétaire qui souhaite exercer son droit de délaissement adresse une mise en demeure d’acquérir leur bien par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à l’expropriant, avec copie au préfet.

Le délai de réponse de l’expropriant court à compter de la date d’avis de réception.

En outre, la mise en demeure d’acquérir doit être formulé par le propriétaire sans quoi elle ne peut être regardée comme étant régulière (CAA Lyon, 4ème chambre, 24 novembre 2011, n° 10LY02065).

D. Sur les règles applicables devant la juridiction de l’expropriation

Lorsqu’aucun accord amiable n’a pu être trouvé, il appartient au propriétaire du bien de saisir la juridiction de l’expropriation.

Celle-ci a deux rôles :

  • 1°) Prononcer le transfert de propriété ;
  • 2°) Fixer le prix du bien délaissé.

La prononciation du transfert de propriété est une obligation pour le juge, s’il est saisi en application des articles L. 241-1 et L. 242-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, y compris, si le propriétaire omet de le solliciter expressément (Civ. 3ème, 11 janvier 2023, n° 21-24.275).

En outre, le prix du bien est fixé « comme en matière d’expropriation ». Cela signifie que la juridiction de l’expropriation doit préciser sur quelle méthode d’évaluation elle se fonde et se référer, le cas échéant, aux termes de comparaison cités par les parties (Civ. 3ème, 16 novembre 2017, n° 14-29.695).

E. Sur la mise en échec du droit de délaissement

Le propriétaire n’a pas de droit irrévocable pour exiger l’acquisition de son bien et le bénéficiaire de la DUP peut jusqu’au transfert de propriété renoncer à son projet (Civ. 3ème, 3 décembre 2008, SCI les Trois Figuiers, n° 07-18.632).

 

II. Sur le droit de délaissement d’un bien situé dans le périmètre d’une ZAC

A. Sur le champ d’application du droit de délaissement

L’article L. 311-2, 1° du Code de l’urbanisme fait référence à la notion de « terrain ». Ainsi, la mise en œuvre du droit de délaissement en ZAC est réservée aux propriétaires de terrains bâtis ou non (Civ. 3ème, 7 mai 1996, 95-70.100, Inédit).

Par contre, ce droit ne peut être entrepris sur un lot en volume au motif que le propriétaire d’un volume ne peut être considéré comme le propriétaire d’un terrain car la division en volume déroge à la règle posée par l’article 552 du Code civil selon laquelle le propriétaire du sol (d’un terrain) emporte la propriété du dessus et du dessous (avis de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 20/03/2025, n° 25-70.001).

B. Sur les délais pour exercer le droit de délaissement

L’article L. 230-3 du même code précise les délais dans lesquels se déroule la procédure.

A compter de la publication de l’acte créant la ZAC, le propriétaire des terrains compris dans cette zone peuvent mettre en demeure la collectivité publique ou l’établissement public qui a pris l’initiative de la création de la zone de procéder à l’acquisition de leur terrain, dans les conditions et délais prévus à l’article L. 230-1.

La collectivité publique doit se prononcer dans le délai d’un an à compter de la réception en mairie de la demande du propriétaire.

En cas d’accord amiable, le prix d’acquisition doit être payé au plus tard deux ans à compter de la réception en mairie de cette demande.

A défaut d’accord amiable, le propriétaire ou la collectivité publique mise en demeure d’acquérir saisit le juge de l’expropriation, afin qu’il prononce le transfert de propriété et fixe le prix du bien.

C. Sur les modalités d’exercice du droit de délaissement

La mise en demeure de procéder à l’acquisition d’un terrain bâti ou non est adressée par le propriétaire à la mairie de la commune où se situe le bien.

Elle mentionne les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d’emphytéose, d’habitation ou d’usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes.

Les autres intéressés sont mis en demeure de faire valoir leurs droits par publicité collective à l’initiative de la collectivité ou du service public qui fait l’objet de la mise en demeure. Ils sont tenus de se faire connaître à ces derniers, dans le délai de deux mois, à défaut de quoi ils perdent tout droit à indemnité.

 

D. Sur les règles applicables devant la juridiction de l’expropriation

Le prix du terrain objet du délaissement, y compris l’indemnité de réemploi, est fixé et payé comme en matière d’expropriation, sans qu’il soit tenu compte des dispositions qui ont justifié le droit de délaissement.

 

E. Sur la mise en échec du droit de délaissement

La modification du périmètre de ZAC fait obstacle au droit de délaissement et il suffit que les formalités de publicité de cette modification soient intervenues avant la date du jugement pour l’exclusion du bien périmètre de la ZAC du bien objet du droit de délaissement soit opposable au propriétaire l’ayant exercé (Civ. 3ème, 21 décembre 2017, n° 16-26.564).

_____

[1] Vocabulaire juridique, Gérard CORNU, 12ème édition, Quadrige, p.316

[2] Une garantie méconnue du droit de propriété : le droit de délaissement en matière d’urbanisme et d’expropriation, JCP 1979, doct., n° 2925, F. Bouyssou

[3] Décision n° 89-267 DC en date du 22 janvier 1990 prise sur la loi complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son environnement économique et social et Décision n° 2013-325 QPC en date du 21 juin 2013 – droit de délaissement inscrit en emplacement réservé

[4] L. 241-1 al. 3 C. Urb et L. 213-1, e) C. Urb

[5] L. 213-1, e) C. Urb

[6] Article L. 421-1 C. Expro

[7] 3ème Civ., 15 avril 1992, n° 90-17.704

[8] 3ème Civ., 24 septembre 2008, n° 07-13.972

[9] Article L. 241-1, al. 1 du Code de l’expropriation « les propriétaires des biens à acquérir compris dans cette opération peuvent mettre en demeure l’expropriant au bénéfice duquel la déclaration d’utilité publique est intervenue de procéder à l’acquisition de leur bien »

[10] Article R. 241-1, al. 2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’inconstitutionnalité de l’absence de prise en compte des périodes accomplies dans les emplois occupés pour faire face à une vacance temporaire d’emploi au titre du délai de 6 ans donnant droit au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée (CDI)

CC, 30 juillet 2025, Décision QPC n° 2025-1152

Par une décision en date du 30 juillet 2025, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une QPC dirigée à l’encontre des dispositions de l’article L. 332-4 du Code général de la fonction publique, a jugé que les périodes de travail accomplies par un agent recruté pour faire face à la vacance temporaire d’un emploi devait désormais être décompté dans les six années nécessaire pour ouvrir droit à la conclusion d’un CDI, en jugeant inconstitutionnelles les dispositions qui les excluaient jusqu’alors.

En effet, pour rappel l’article L. 332-4 du code prévoit que : « (…). Tout contrat conclu ou renouvelé en application des mêmes dispositions avec un agent contractuel de l’Etat qui justifie d’une durée de services publics de six ans dans des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu, par une décision expresse, pour une durée indéterminée. La durée de six ans mentionnée à l’alinéa précédent est comptabilisée au titre de l’ensemble des services accomplis dans des emplois occupés en application du 1° de l’article L. 332-1 et des articles L. 332-2, L. 332-3 et L. 332-6. Elle doit avoir été accomplie dans sa totalité auprès du même département ministériel, de la même autorité publique ou du même établissement public. Pour l’appréciation de cette durée, les services accomplis à temps incomplet et à temps partiel sont assimilés à des services accomplis à temps complet. (…). ».

La requérante soutenait qu’en excluant ce type de recrutement, l’article L. 332-4 instituait une différence de traitement injustifiée et méconnaissait ainsi le principe d’égalité entre les agents contractuels pouvant obtenir un CDI et les autres agents ayant occupé des emplois visant à remplacer un fonctionnaire.

Pour se prononcer, le juge constitutionnel s’est référé aux travaux préparatoires de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, à l’origine des dispositions de l’article L. 332-4 du code et a considéré que le législateur en instaurant ce dispositif avait entendu prévenir les situations de renouvellements abusifs de CDD, sans opérer aucune distinction entre les différents CDD conclus pour répondre à des besoins temporaires au titre du calcul de la durée de six ans de service.

Dès lors, le Conseil constitutionnel a reconnu, comme le soutenait la requérante, que la différence de traitement ainsi instituée par les dispositions de l’article L. 332-4 du code était sans rapport avec l’objet de la loi et que ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi.

Les dispositions contestées ont donc été déclarées contraires à la Constitution. Toutefois, le Conseil constitutionnel a reporté l’effet de sa décision, qui emporte l’abrogation de ces dispositions au 1er octobre 2026, tout en précisant que les services accomplis dans les emplois occupés en application de l’article L. 332-7 du code devaient désormais être pris en compte dans le calcul de la durée de service de six ans.

En outre, si seules les dispositions relatives à la fonction publique de l’Etat sont concernées, il est très probable que la même décision sera bientôt rendue concernant les fonctions publiques territoriales et hospitalières.

Il conviendra donc d’être vigilants désormais sur la comptabilisation de ces périodes pour tout agent accumulant six années de service en tant que contractuel.

Méli-mélo des prérogatives des maires et des présidents d’EPCI en matière de stationnement

Lorsque la compétence voirie est transférée à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, son président peut sous certaines conditions disposer d’un pouvoir de police spéciale en matière de stationnement de sorte qu’il convient d’identifier selon les hypothèses :

  • Qui détermine les zones de stationnement ?
  • Qui détermine la redevance ?
  • Qui fixe les amendes de circulation ?

1. Pour répondre à la première question (qui détermine les zones de stationnement), on rappellera que l’autorité investie du pouvoir de police du stationnement peut déterminer les lieux, les jours et les heures où le stationnement est réglementé. À cet effet, il peut être décidé de réglementer des zones à stationnement limité dans le temps (et donc gratuite pendant le temp imparti), communément appelées « zones bleues », ou de mettre en place des zones de stationnement payant (Rép. min. QE n° 0112S, publiée dans le JO Sénat du 6 décembre 2017, p. 7185).

A ce stade, on indiquera que :

« La décision d’instituer un stationnement payant est un choix de la collectivité, qui peut toujours s’en tenir à la création d’une zone bleue » (Magazine Maires de France, cahier n° 334, « La réforme du stationnement payant », avril 2016).

Ces missions se rattachent, ainsi, au pouvoir de police de circulation et de stationnement du maire.

Pour rappel, les articles L. 2213-1 à L. 2213-6-1 du Code général des collectivités territoriales (ci-après, CGCT) déterminent les pouvoirs de police du maire en matière de circulation et de stationnement.

Il résulte notamment des termes de l’article L. 2213-2 du Code précité que :

« Le maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l’environnement :

1° Interdire à certaines heures l’accès de certaines voies de l’agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures ou de manière permanente, à diverses catégories d’usagers ou de véhicules ;

2° Réglementer l’arrêt et le stationnement des véhicules ou de certaines catégories d’entre eux, ainsi que la desserte des immeubles riverains ;

3° Réserver sur la voie publique ou dans tout autre lieu de stationnement ouvert au public des emplacements de stationnement aménagés aux véhicules utilisés par les personnes titulaires de la carte “mobilité inclusion” portant la mention “stationnement pour personnes handicapées” mentionnée à l’article L. 241-3 du Code de l’action sociale et des familles, aux véhicules bénéficiant d’un label “auto-partage”, aux véhicules bénéficiant d’un signe distinctif de covoiturage, aux véhicules des usagers des transports publics de personnes ou aux véhicules à très faibles émissions au sens de l’article L. 318-1 du Code de la route ».

Toutefois, le maire peut accepter de transférer certaines de ses prérogatives en matière de police au président de l’EPCI à fiscalité propre dont il est membre et qui s’est vu transférer la compétence voirie.

Il résulte, en effet, des termes de l’article L. 5211-9-2 du CGCT, relatif aux pouvoirs de police pouvant être dévolues au président d’un EPCI à fiscalité propre, que :

« [] Sans préjudice de l’article L. 2212-2 et par dérogation aux articles L. 2213-1 à L. 2213-6-1, lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de voirie, les maires des communes membres transfèrent au président de cet établissement leurs prérogatives en matière de police de la circulation et du stationnement.

Sans préjudice de l’article L. 2212-2 et par dérogation à l’article L. 2213-33, lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de voirie, les maires des communes membres transfèrent au président de cet établissement les prérogatives qu’ils détiennent en matière de délivrance des autorisations de stationnement sur la voie publique aux exploitants de taxi. L’autorisation de stationnement peut être limitée à une ou plusieurs communes membres ».

Dit autrement, le président d’un EPCI compétent en matière de voirie peut se voir transférer les prérogatives de police de la circulation et du stationnement des maires des communes membres de l’EPCI dont il est président.

Il s’agit en principe d’un transfert de plein droit. Toutefois, l’article L. 5211-9-2 du CGCT prévoit que les maires peuvent s’opposer à ce transfert sous certaines conditions.

Pour être complet, on ajoutera que ces dispositions sont applicables aux établissements publics territoriaux (VI de l’article L. 5219-5 du CGCT).

Dans les faits, cela implique que dans l’hypothèse où les pouvoirs de police spéciale en matière de voirie n’ont pas été transférés au président de l’EPCI compétent, alors c’est au maire qu’il revient de réglementer le stationnement sur le territoire de sa commune et donc notamment d’instaurer des zones à stationnement limité dans le temps, ou « zones bleues », ou de mettre en place des zones de stationnement payant.

De sorte que le transfert de la compétence voirie à un EPCI ne permet pas ipso facto à ce dernier de réglementer le stationnement sur le territoire de ses communes membres en l’absence du transfert des pouvoirs de police spéciale en la matière par les maires.

2. S’agissant de l’identification de l ’autorité compétente pour déterminer la redevance de stationnement, on précisera d’abord que la redevance de stationnement ne s’applique que sur les zones de stationnement payant.

Cette redevance est composée de deux volets : la redevance de paiement immédiat ainsi que la redevance de post-stationnement, dénommée « forfait de post-stationnement » (FPS), qui remplace l’ancienne amende pénale dont le tarif unique était auparavant fixé par l’Etat.

Elle est réglementée par les dispositions de l’article L. 2333-87 du CGCT.

En vertu de ces dispositions, le tarif de la redevance de stationnement peut être institué par délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI ou du syndicat mixte compétent pour l’organisation de la mobilité lorsqu’il y est autorisé par ses statuts ou par une délibération prise dans les conditions de majorité prévues au II de l’article L. 5211-5 du CGCT.

Dit autrement, le législateur distingue « le pouvoir de police administrative de la circulation et du stationnement dont l’exercice conduit à déterminer les voies et emplacements de stationnement payant, de la compétence pour élaborer et adopter le barème tarifaire » (JurisClasseur Collectivités territoriales, Fasc. 542 : Redevance de stationnement payant sur voirie : Instauration, contrôle, recouvrement, contentieux, précité).

En Ile-de-France, le législateur a créé un régime juridique spécifique aux termes duquel les EPCI à fiscalité propre et les EPT autorisés par leurs statuts ou par une délibération prise dans les conditions de majorité prévues au II de l’article L. 5211-5 peuvent instituer la redevance après avoir reçu l’accord de l’établissement public, Ile-de-France Mobilités (2ème alinéa du I de l’article L. 2333-87 du CGCT).

Dans les faits, un EPCI à fiscalité propre, compétent pour l’organisation de la mobilité, peut se voir transférer la prérogative relative à la fixation des tarifs de stationnement sur son territoire.

On ajoutera à toutes fins utiles que le produit de la redevance de stationnement est perçu par la collectivité qui a instauré la redevance de stationnement.

Cependant, contrairement au volet de la redevance de paiement immédiat, dont le produit abonde le budget général de la collectivité compétente qui l’instaure, le produit du FPS est affecté pour la réalisation des opérations destinées à « améliorer les transports en commun ou respectueux de l’environnement et la circulation », déduction faite des coûts de mise en œuvre des FPS » (article l’article L. 2333-87 du CGCT).

Dans ces conditions, si la personne publique qui perçoit la FPS est différente de celle qui réalise les « opérations destinées à améliorer les transports en commun ou respectueux de l’environnement et la circulation » alors un reversement de la première à la deuxième doit être opérée (article R. 2333-120-18 du CGCT).

3. Enfin, on s’intéressera à l’autorité compétente pour fixer les amendes de la circulation.

Dans les « zones bleues », le stationnement est, on l’a vu gratuit, il n’est donc pas conditionné au paiement d’une redevance de stationnement, mais il est limité dans le temps et les infractions commises dans ces zones sont ainsi sanctionnées par des amendes de la circulation.

Il ressort d’une note d’information du 8 août 2024 établie par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) relative au recensement des amendes liées à la circulation routière par les services de police au cours de l’année 2023 et à destination des préfets[1] que :

« […]

Néanmoins dans les communes qui n’ont pas mis en place le forfait de post-stationnement, les amendes dressées en zone bleue relèvent désormais d’une infraction de 2ème classe et doivent être recensées ».

Il s’agit donc d’appliquer les dispositions de l’article R. 417-6 du Code de la route aux termes desquelles :

« Tout arrêt ou stationnement gratuit contraire à une disposition réglementaire autre que celles prévues au présent chapitre est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe ».

En définitive, les amendes perçues en cas d’infraction constatée en « zone bleue » se distinguent du produit des redevances que peuvent percevoir les collectivités ayant institué le stationnement payant sur leur territoire.

Et la répartition du produit issue des amendes de circulation n’obéit pas au même régime juridique que celui du produit des redevances. En effet, celle-ci est fixée par les dispositions prévues aux articles L. 2334-24 et suivants et R. 2334-10 et suivants du CGCT.

L’article L. 2334-24 du CGCT dispose, ainsi, que :

« Le produit des amendes de police relatives à la circulation routière destiné aux collectivités territoriales visé au b du 2° du B du I de l’article 49 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est réparti par le comité des finances locales en vue de financer des opérations destinées à améliorer les transports en commun et la circulation. ».

L’article R. 2334-10 du CGCT dispose, quant à lui, que :

« I. – Le produit des amendes de police relatives à la circulation routière est partagé, proportionnellement au nombre des contraventions à la police de la circulation dressées sur leur territoire respectif au cours de l’année précédant celle au titre de laquelle est faite la répartition, entre :

1° Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre comptant au moins 10 000 habitants, auxquels les communes ont transféré la totalité de leurs compétences en matière de voies communales, de transports en commun et de parcs de stationnement et les communes de 10 000 habitants et plus ne faisant pas partie de ces groupements ;

Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 10 000 habitants exerçant la totalité des compétences précitées et les communes de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie de ces groupements

[…] ».

De nombreuses précisions sont apportées par les services de l’Etat dans la note d’information de la DGCL du 8 août 2024 précitée.

A grand trait, les EPCI de plus ou de moins de 10 000 habitants peuvent être bénéficiaires du produit des amendes de circulation à condition d’être compétents en matière de voies communales (la compétence en matière de voies communales est considérée comme étant totalement transférée au groupement lorsque celui-ci assure la compétence sur l’ensemble de la voirie anciennement communale), de transports en commun (soit la compétence « organisation des transports urbains ou de la mobilité au sens du chapitre II du titre II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, sous réserve des dispositions de l’article 46 de cette loi ») et de parcs de stationnement. Dans le cas contraire, les communes de plus ou de moins de 10 000 habitants en seront bénéficiaires.

Toutefois, les communes et les EPCI peuvent conventionner pour se répartir entre eux le produit des amendes (article R. 2334-11 du CGCT).

Pour être complet, on précisera, que pour les communes et les groupements de la région d’Ile-de-France, un prélèvement est réalisé sur ce produit à destination d’Ile-de-France Mobilités et de la Région Ile-de-France (article L. 2334-25-1 du CGCT).

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[1] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/Notes%20de%20la%20DGCL/2024/24-010801-D%20Note%20du%2008%20ao%C3%BBt%202024.pdf 

Recours administratif : il conviendra désormais de conserver les enveloppes !

Par une décision du 30 juin 2025, à publier au Recueil, le Conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant que, pour apprécier si un recours administratif (gracieux ou hiérarchique) interrompt valablement le délai de recours contentieux, c’est désormais la date d’envoi du recours qui doit être prise en compte (n° 494573).

C’est donc à une jurisprudence ancienne et établie (par exemple : CE, 27 mars 1991, Préfet de la Haute-Garonne, n° 114854), en vertu de laquelle il convenait de tenir compte de la date de réception du recours administratif par l’administration, que la Haute juridiction a mis fin.

Cette nouvelle solution s’inscrit dans la continuité d’un précédent revirement de jurisprudence, intervenu le 13 mai 2024. Plus précisément, par cette décision de section, il a été jugé que, sauf exceptions législatives ou réglementaires, la date d’expédition – établie par le cachet de la poste – fait foi pour juger de la recevabilité d’un recours contentieux envoyé par voie postale (CE, 13 mai 2024, n° 466541).

Là encore, il s’est agi de revenir sur une jurisprudence séculaire, en application de laquelle était prise en compte la date de réception au greffe de la juridiction, sauf délai postal d’acheminement anormal (par exemple : CE, 14 janvier 1910, Levallois, p. 24).

Trois raisons principales ont justifié ce revirement de 2024 :

  • L’allongement du délai standard d’acheminement du courrier par la Poste, porté à trois jours et non plus à deux en 2022 ;
  • Le caractère imprévisible en jurisprudence et variable selon les zones géographiques et donc source d’insécurité juridique du critère de l’acheminement normal du recours ;
  • La circonstance que le critère de la date de réception n’était plus appliqué que par la seule juridiction administrative et souffrait, en outre, en son sein, déjà de plusieurs exceptions, à l’image de la demande d’aide juridictionnelle ou des recours préalables obligatoires (article 37 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ; CE, 25 juillet 2005, n° 271916).

Pour le second revirement évoqué ici, il s’est agi d’harmoniser les règles applicables aux recours administratifs et aux recours contentieux, dans un contexte où la règle de la date de réception faisait figure d’exception parmi les règles de computation des délais.

Au demeurant, cette règle de la date de réception des recours administratifs présentait les mêmes inconvénients liés au délai normal d’acheminement du courrier évoqués supra s’agissant des recours contentieux.

Ce revirement de jurisprudence impacte directement les administrations qui souhaiteraient soulever l’irrecevabilité d’un recours contentieux introduit à la suite d’un recours administratif tardif.

En effet, en cas d’envoi du recours administratif par lettre simple, il leur faudra produire au contentieux l’enveloppe affranchie, afin d’attester de la date d’envoi.

Ainsi, la seule production du recours administratif portant un tampon de réception ne suffira plus.

En revanche, en cas d’envoi du recours administratif en LRAR, le bordereau remis à l’expéditeur pourra faire foi.

Pour être complet, on relèvera, comme l’indique Thomas Janicot, rapporteur public, dans ses conclusions sous la décision commentée du 30 juin 2025, que le revirement de jurisprudence auquel a procédé le Conseil d’Etat n’est pas fondé sur l’actuel article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui prévoit que le cachet de la poste fait foi pour démontrer le respect d’un délai de dépôt d’une demande. En effet, le Conseil d’État en a exclu l’application aux recours administratifs (CE, 21 mars 2003, n° 240511), ceux-ci ne constituant pas une demande encadrée par un délai au sens de cette disposition, mais une faculté dont l’exercice n’est encadré que pour interrompre le délai de recours contentieux.

Une simple réponse à un courrier du maître d’ouvrage peut-elle faire naître un décompte général et définitif tacite ?

Dans une décision rendue le 12 mai 2025, le Conseil d’État rappelle avec les conditions strictes dans lesquelles un décompte général et définitif tacite peut naître dans le cadre d’un marché public de travaux.

Il annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse en date du 19 mars 2024 dans lequel cette dernière a considéré à tort qu’un projet de décompte général avait été valablement notifié par l’entreprise titulaire du marché.

Dans cette affaire, l’INRAE (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) avait conclu un marché portant sur la construction d’un bâtiment dédié à la conservation des ressources génétiques des plantes. Le lot n° 5 concernant les « menuiseries extérieures et façades » avait été confié à un groupement composé des sociétés Entreprise Carré et SMAC.

Un litige est né quant au solde du marché. La Cour administrative d’appel de Toulouse a alors retenu qu’un projet de décompte général avait été notifié par l’entreprise Carré le 17 mars 2020. Cette notification déclenchait ainsi le mécanisme de tacite acceptation, prévu à l’article 13.4.4 du CCAG Travaux 2014, en l’absence de réponse de l’INRAE dans les 30 jours suivant cette même notification (délai par le CCAP par dérogation au CCAG). La Cour avait par conséquent accordé 68 000 euros au groupement au titre du solde.

Le Conseil d’État annule cet arrêt. Il juge en effet que la Cour a dénaturé les pièces du dossier : le courrier du 17 mars 2020 ne constituait ni en forme ni en contenu un véritable projet de décompte général. Il s’agissait, en effet, d’une réponse de l’entreprise à un document de l’INRAE daté du 11 mars 2020, intitulé « décompte général » mais ne concernant en réalité que la tranche optionnelle n° 1. Par ailleurs, l’annexe du courrier de l’entreprise, bien qu’intitulée « projet de décompte général définitif », était une copie d’un précédent décompte final envoyé en novembre 2019.

Le rapporteur public a souligné que la Cour avait conféré à ce courrier « un sens grossièrement erroné tant par rapport à son contenu qu’à son contexte », et que le caractère non équivoque d’une notification de projet de décompte général était une condition impérative pour faire naître un décompte tacite.

Pour rappel, le CCAG Travaux 2014, applicable en l’espèce, distingue :

  • Le projet de décompte final transmis par l’entreprise (art. 13.3.2 et 13.3.3)
  • Le projet de décompte général, établi par le maître d’œuvre (art. 13.3.4 et 13.4)
  • Et la possibilité, en l’absence de ce dernier, pour l’entreprise de transmettre elle-même un projet de décompte général (art. 13.4.4), déclenchant un décompte général définitif tacite à défaut de réponse (dans un délai de 10 jours selon le CCAG, et dans un délai de 30 jours selon le CCAP en l’espèce)

Encore faut-il, comme le souligne le Conseil d’État, que la notification soit explicite et régulière, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Cette exigence de notification formelle, qui faisait défaut en l’espèce, s’inscrit dans une jurisprudence plutôt rigoureuse en matière de formalisme contractuel et de preuve dans les marchés publics.

Parmi ces décisions figure notamment la décision du 29 décembre 2023 Commune de Saint-Thibéry[1], dans lequel le Conseil d’État avait censuré un arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse. Celle-ci avait déduit la notification d’un décompte général à partir d’éléments ambigus.

Le Conseil d’État annule l’arrêt. Il constate que la preuve de cette notification n’est pas rapportée dans le dossier, alors même que la commune contestait expressément le caractère définitif du décompte. L’absence de preuve de la notification rendait ainsi la créance incertaine et inopposable à la personne publique.

Ainsi, à l’instar de l’arrêt rendu le 29 décembre 2023, le Conseil d’Etat affirme le 12 mai 2025 que le caractère définitif d’un décompte général, conditionnant l’existence d’une créance exigible, suppose une notification à la fois régulière, certaine et non équivoque.

Dans cette décision, la jurisprudence rappelle qu’elle s’en tient au contenu objectif des décision contractuelles notifiées.

_______

[1] CE, 29 décembre 2023, n° 470274.

Mise en œuvre de la réforme SAD : les dernières précisions gouvernementales

La réforme des services autonomie à domicile (SAD) bat son plein ! En effet, la date du 31 décembre 2025 qu’elle fixe pour la transformation des services, et notamment des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), en SAD dits « mixtes », qui dispensent de l’aide et du soin, approche à grand pas.

Pour aider les services dans cette démarche de transformation, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a publié, le 27 juin dernier, une foire aux questions (FAQ). Cette FAQ est alimentée par les questions des agences régionales de santé (ARS), des conseils départementaux et des fédérations du secteur du domicile. Elle vient compléter les différentes notices explicatives ou autres FAQ déjà publiées par la DGCS à propos de la réforme. La multiplication des notices et FAQ en dit long sur la complexité de la réforme et sa bonne compréhension par les services…

Ces documents sont donc précieux pour les gestionnaires amenées à organiser leur transformation en SAD mixtes.

Cette nouvelle FAQ aborde notamment la question de la rupture de la relation entre les parties à une convention transitoire ou membres d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) « exploitant » (c’est-à-dire non-titulaire de l’autorisation de SAD mixte). En effet, dans ces deux options transitoires permises par la réforme afin de créer un SAD mixte, l’autorisation est attribuée conjointement aux deux services pour une durée maximale de 5 ans.

Si ces options transitoires sont séduisantes car elles permettent de créer un SAD mixte sans disposer encore d’une entité juridique unique porteuse de l’autorisation, elles peuvent devenir insécurisantes en cas de conflit, volonté d’un des deux services de mettre fin à la collaboration prévue ou tout simplement de fermeture… Cette question se pose d’autant plus pour les gestionnaires de SSIAD dans la mesure où, à défaut d’autorisation de SAD mixte, ils ne pourront plus exercer des prestations de soins à domicile.

S’agissant du GCSMS, la FAQ aborde la question des SAAD anciennement autorisés qui viendraient à se retirer d’un GCSMS pendant la période transitoire de 5 ans : dans ce cas, l’autorisation de SAD mixte délivrée aux membres sera caduque et le SAD aide sera considéré comme autorisé pour l’activité d’aide et d’accompagnement pour laquelle il était autorisé avant la constitution du groupement. Etrangement, la FAQ ne précise pas le sort du SSIAD, bien que la situation soit plus problématique pour lui. Il nous semble qu’il devrait pouvoir demander une nouvelle autorisation de SAD mixte et proposer un nouveau projet de SAD mixte avec un autre service dispensant de l’aide.

S’agissant de l’option de la convention transitoire, la FAQ traite de l’hypothèse où une telle convention serait passée entre un SSIAD et 2 SAD aides et où un des 2 SAD aides venait à fermer pour des raisons financières. Il est précisé que cette situation n’entraîne pas forcément la caducité de la convention et donc de l’autorisation de SAD mixte et que cela dépend de l’impact de cette fermeture sur la zone d’intervention du SAD mixte autorisé à titre temporaire. Dans l’hypothèse où la zone d’intervention n’est plus identique entre le SSIAD et le SAD aide (entraînant la caducité de l’autorisation temporaire), la FAQ précise que les deux parties restantes peuvent signer une nouvelle convention en modifiant leur zone d’intervention avec l’autorisation des autorités. Cette situation n’est pas sans poser des questions sur la temporalité de sa mise en œuvre. Par ailleurs, la FAQ évoque l’hypothèse où les relations des parties à la convention venaient à être rompues, précisant à ce sujet que « chaque personne morale se retrouve soumis aux règles applicables au SAD aide et aux SSIAD » sans toutefois préciser concrètement les impacts de cette rupture sur le calendrier pour les SSIAD.

Cette FAQ aborde également la question de calendrier applicable à un SAD aide (ancien-SAAD) qui serait dans une démarche de rapprochement avec un SSIAD pour la constitution d’un SAD mixte.

En effet, si on s’en tient aux textes de la réforme et aux échéances qu’elle prévoit, les SAD aides devaient se conformer au cahier des charges d’ici le 30 juin 2025. Cela implique de modifier leur fonctionnement et les documents du service l’encadrant. Par ailleurs, dans l’hypothèse où un SAD aide envisage de se rapprocher d’un SSIAD pour créer un SAD mixte en déposant d’ici le 31 décembre 2025 une demande d’autorisation, il devra repenser à nouveau tout son fonctionnement pour parvenir à un fonctionnement intégré entre les prestations d’aide et de soin avec notamment la remise à zéro de tous les documents du service (projet de service, outils de la loi 2002-2, etc.). Ceci alors que le SAD aide aura déjà dû se conformer au cahier des charges des SAD aide pour le 30 juin 2025. De quoi démotiver les SAD aides…et pourtant les SSIAD ont besoin de SAD aides prêts à créer des SAD mixtes. N’oublions pas que les SSIAD, eux, sont dans l’obligation que de se rapprocher d’un service dispensant de l’accompagnement (SAD aide ou mixte). Ils sont donc entièrement dépendant de leur capacité à mobilier des SAD aide pour se transformer en SAD mixte.

Bien heureusement, la FAQ prévoit bien que « les autorités de tarification pourront laisser une certaine souplesse aux services ayant démontré qu’ils sont en processus de rapprochements avec un SSIAD (par exemple, via une lettre d’engagement) pour constituer un SAD mixte […] ».

Cela permet aux SAD aides, qui se questionnaient, de les « sécuriser » face aux sanctions qu’ils encourent en cas de non-respect du cahier des charges (injonctions, astreinte, sanctions financières, etc. cf. articles L. 313-13 et suivants du Code de l’action sociale et des familles).

Cette FAQ apporte ainsi un peu de souplesse et de clarification aux services qui peuvent se sentir un peu dépassés par la mise en œuvre de cette complexe réforme.

Disproportion du périmètre de la DUP réserve foncière censurée par le juge administratif

CAA Toulouse, 3 juin 2025, n° 23TL01867

Dans cette affaire, une déclaration d’utilité publique (DUP) réserve foncière a été prise par arrêté préfectoral du 25 juin 2020, au profit d’une zone d’activités économiques.

Plusieurs requérants, dont des associations, ont sollicité l’annulation de cet arrêté de DUP devant le Tribunal administratif de Nîmes, lequel a rejeté leurs demandes.

Un appel a été interjeté devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.

La Cour a d’abord rappelé les trois critères d’appréciation de l’utilité publique, à savoir que :

  • Le projet doit répondre à une finalité d’intérêt général ;
  • L’expropriant ne doit pas être en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation ;
  • Le bilan coûts/avantages plus favorable de l’expropriation.

Au présent cas, la DUP réserve foncière concernait 86 hectares en vue de permettre la création de 65 à 70 hectares de surface cessibles pour l’implantation future d’activités économiques, les autres hectares étaient nécessaires aux infrastructures et équipements nécessaires à l’aménagement de la zone.

La Cour a ensuite relevé que les documents justifiant la DUP faisaient état en réalité d’un besoin à l’horizon 2030 entre 25 et 30 hectares, voire 37 hectares selon le document d’orientation et d’objectifs (DOO) du Schéma de cohérence territoriale (SCoT), bien loin de 65-70 hectares prévus pour l’activité économique, et les 86 hectares objet de la DUP réserve foncière.

La Cour a donc considéré que le périmètre retenu par la DUP réserve foncière était disproportionné.

Enfin, la Cour a relevé que ces 86 hectares étaient majoritairement des terrains agricoles exploités, et qu’il s’agissait également de parcelles bâties par de habitations ou des locaux d’activités.

Selon la Cour, les inconvénients du projet objet de la DUP réserve foncière étaient donc excessifs par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette même DUP. Au titre d’un bilan coûts/avantages négatif, la Cour relève alors que le projet est dépourvu d’utilité publique.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a donc annulé cet arrêté de DUP réserve foncière.

Cet arrêt a l’intérêt de rappeler l’importance que tout expropriant doit apporter à la délimitation et à la justification du périmètre de sa DUP.

Éléments manquants et irrégularité de l’offre : Précisions du Conseil d’Etat

L’offre dont certains éléments d’information manqueraient ne peut être déclarée irrégulière que dans l’hypothèse où ces éléments seraient exigés comme condition de sa recevabilité, mais s’ils sont simplement mentionnés comme des éléments sur lesquels le pouvoir adjudicateur entend fonder son appréciation de l’offre.

Cette précision est apportée par le Conseil d’État à l’occasion d’un référé précontractuel dirigé contre un accord-cadre à bons de commande portant sur l’entretien préventif du réseau routier national de Mayotte pour la période 2024-2028.

Une candidate évincée qui avait été classée seconde à l’issue de la procédure de passation, a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Mayotte d’un référé précontractuel afin d’obtenir l’annulation de la procédure de passation. Demande à laquelle le Tribunal avait fait droit par une ordonnance en date du 11 février 2025.

La société attributaire s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’État contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance du Tribunal et, réglant l’affaire, rejette la demande de la société évincée.

Pour ce faire, le Conseil d’État constate que, pour ordonner l’annulation de la procédure de passation, le juge du référé du Tribunal administratif de Mayotte a considéré que l’offre de la société attributaire était incomplète et donc irrégulière, car la note technique présentée par cette société n’indiquait pas les méthodes d’intervention sur le chantier.

Après avoir rappelé que le pouvoir adjudicateur est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes. Le Conseil d’État précise que « cette obligation ne fait pas obstacle à ce que ces documents prévoient en outre la communication, par les soumissionnaires, d’éléments d’information qui, sans être nécessaires pour la définition ou l’appréciation des offres et sans que leur communication doive donc être prescrite à peine d’irrégularité de l’offre, sont utiles au pouvoir adjudicateur pour lui permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou d’un sous-critère et précisent qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause ».

Le Conseil d’État fait donc une différence entre

  • Les informations nécessaires pour la définition ou l’appréciation de l’offre
  • Dont l’absence entraîne nécessairement l’irrégularité de l’offre.
  • Les informations utiles pour permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou sous critère
  • Dont l’absence n’entraîne pas l’irrégularité de l’offre, mais peut amener à ce qu’il lui soit attribué la note de zéro sur ce critère ou sous-critère.

Or dans le cas d’espèce, la note technique sollicitée figurait dans la partie du règlement de la consultation consacrée au jugement et classement des offres, et non celle consacrée à la présentation des offres qui énumérait les pièces dont la communication était requise.

Le Conseil d’État considère donc que cette information n’était pas nécessaire pour la définition ou l’appréciation de l’offre, mais plutôt utile pour permettre d’apprécier la valeur des offres et annule l’ordonnance attaquée pour ce motif.

Le Conseil d’État écarte en outre tous les autres moyens soulevés et rejette donc la demande de la société requérante.

Harcèlement – insuffisance d’un rapport d’enquête interne : le doute profite au salarié

Lorsque le licenciement d’un salarié se fonde sur la commission de faits de harcèlement moral, de harcèlement sexuel, ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la force probante de l’enquête interne réalisée par l’employeur, au regard, le cas échéant, des autres éléments de preuve versés aux débats par les parties. 

Dans la continuité d’une jurisprudence foisonnante concernant les faits de harcèlement sexuel et moral, et plus précisément les enquêtes internes menées, cet arrêt vient mettre en exergue l’importance du pouvoir d’appréciation du juge concernant la valeur probante d’une enquête interne menée.

Remise en contexte. Un salarié, occupant un poste de directeur de développement puis de directeur associé, a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et a été licencié pour faute à la suite de plaintes de collaboratrices pour des propos et comportements sexistes. A la suite de ces signalements la direction RH a pris les devants, avec le CHSCT, en menant une enquête interne.

L’enquête a abouti à la conclusion suivante : les propos et agissements, à connotation sexuelle et sexiste de la part du salarié et la nuisance à l’ambiance provoquée par ces agissements sont fréquents et inacceptables.

Les arguments des parties. Le salarié conteste son licenciement en arguant notamment la partialité de l’enquête. Ce dernier souligne entre autres que cette enquête était uniquement à charge du fait que plusieurs membres du CHSCT ayant participé à l’enquête sont des amis des collaboratrices plaignantes. Il pointe également le caractère tronqué de l’enquête, notamment par un versement partiel et caviardé des comptes-rendus d’entretiens qui ne reflètent pas la réalité des propos tenus.

En réplique, la société défend l’impartialité de la commission et justifie l’absence de certains documents par la volonté de salariés de rester anonymes, tout en rappelant que le juge peut tenir compte de témoignages anonymisés puisque la preuve est libre en matière prud’homale.

Si la juridiction prud’homale avait donné raison à la société, c’est une tout autre position qu’a adopté la Cour d’appel, qui sera confirmée par la Cour de cassation.

Décision : une enquête interne jugée insuffisante. L’enquête produite a été considérée comme très incomplète et pas suffisamment probante. A ce titre, les faits reprochés au salarié ne sont pas établis avec certitude, le doute subsistant doit donc lui profiter.

Penchons-nous sur l’argumentation développée par la Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation. Les juges ont reproché à la société le versement partiel de l’enquête aux débats (5 comptes-rendus versés sur 14 entretiens réalisés).

Les juges du fond considèrent, concernant le non-versement de témoignages par la volonté de salariés de conserver l’anonymat avancée par la société, que cet argument ne tient pas. Et pour cause, la société n’explique pas en quoi elle n’aurait pas pu anonymiser ces éléments et ne verse pas aux débats de courriels adressés à ces derniers pour leur demander leur accord, ni de réponse de refus de leur part (alors qu’elle produit ces échanges de mails pour ceux y ayant consenti).

La Cour estime que rien ne justifie le non-versement de ces pièces. Elle va même plus loin et en déduit une abstention fautive de la part de la société portant préjudice au salarié.

En outre, elle indique que certains comptes-rendus d’entretien étaient tronqués et que certains faits décrits ne permettaient pas de s’assurer que la personne interrogée en avait été personnellement témoin.

Par conséquent, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi établi par la société. En application de l’article L 1235-1 du Code du travail et en raison du caractère incomplet de l’enquête interne et donc son caractère non probant, le doute doit profiter au salarié dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse.

Constat. Cet arrêt vient confirmer que le rôle des juges du fond est clé pour apprécier la valeur probante d’une enquête interne. En cas d’enquête incomplète ou tronquée, le doute profitant au salarié concerné par la mesure de licenciement pourrait voir cette dernière remise en cause, à son avantage.

Cet arrêt s’inscrit dans la même lignée qu’un précédent arrêt de la Cour de cassation qui indiquait qu’il appartenait aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur (Cass. Soc. 29 juin 2022 no 21-11.437).

Echo à une jurisprudence en mouvement. Cet arrêt est à rapprocher de la position de la Cour d’appel de Paris qui s’était prononcée sur un harcèlement d’ambiance et pour lequel elle avait considéré que l’enquête interne menée par l’employeur était insuffisante (CA Paris, 26 nov. 2024 – n° 21/10408). Était critiqué le manque de rigueur de l’enquête interne, qui ne permettait pas d’écarter la possibilité de harcèlement discriminatoire (voir notre article : Sexisme au travail : Rappel à l’ordre des employeurs face au « harcèlement d’ambiance »).

Rappelons-le, même si la Cour de cassation a récemment considéré que l’absence d’enquête ne caractérisait pas, en soi, un manquement à son obligation de sécurité (Cass. Soc. 12 juin 2024 no 23-13.975) elle reste recommandée.

Concernant l’anonymat, la Cour de cassation s’est récemment positionnée sur le sujet. Si le Juge ne peut se fonder uniquement sur des témoignages anonymes, il peut prendre en considération des témoignages anonymisés (Cass. Soc. 19 mars 2025 n° 23-19.154).

Dans le présent arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2025, la société aurait pu anonymiser les comptes-rendus d’entretien ce qui aurait garanti l’anonymat des témoins dans l’enquête, plutôt que de s’abstenir de les verser.

En outre, les enquêtes devenant un sujet majeur et délicat pour les entreprises, le Défenseur des droits s’en est fait l’écho et a récemment publié une méthodologie détaillée pour tout employeur qui souhaiterait mener une enquête interne à la suite d’un signalement pour des faits de discrimination et d’harcèlement (Décision-cadre du Défenseur des droits 2025-19 du 5 fév. 2025).

Impossibilité d’être candidat sur deux listes, y compris d’adjoints

Par un intéressant jugement du 23 mai 2025, le Tribunal administratif de Bastia transpose aux élections au scrutin de liste des adjoints au maire, le principe selon lequel « nul ne peut être candidat sur plus d’une liste ».

En effet, en vertu de l’article L. 263 du Code électoral, il était déjà acquis que, pour les élections municipales dans les communes de mille habitants et plus, nul ne peut être candidat sur plus d’une liste.

En décidant d’étendre ce principe aux élections des adjoints au maire, le Tribunal a annulé les opérations électorales du 14 mars 2025 pour l’élection des cinq adjoints au maire de la commune corse de Sartène.

En l’espèce, consécutivement au décès du maire de la commune survenu au début de l’année 2025, les conseillers municipaux étaient appelés à se réunir pour procéder à l’élection du nouveau maire, à la suite de laquelle se sont tenues les élections de ses adjoints.

Saisi sur déféré du préfet de la Corse-du-Sud, le Tribunal a constaté que le nom d’une même candidate figurait sur les deux listes proposées aux suffrages. Il a considéré, comme le soutenait le préfet, qu’il résultait « d’une règle à portée générale inspirée de l’article L. 263 du Code électoral, que nul ne peut être candidat sur plus d’une liste ».

En conséquence, le Tribunal a annulé les opérations électorales du 14 mars 2025 pour l’élection des cinq adjoints au maire de la commune de Sartène ainsi que la délibération du même jour par laquelle le conseil municipal de Sartène a élu et installé ces adjoints.

La réparation du préjudice de la victime après la prescription de l’infraction

Le 7 mars 2024, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a publié les chiffres des signalements de violences sexuelles commises hors du cadre familial en 2024 et a mis en évidence une hausse de 6 % de ce nombre par rapport à 2023.

La particularité de ces violences réside dans les séquelles physiques et psychologiques qu’elles laissent aux victimes. A cet égard, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que le dommage psychologique, même sans atteinte physique et même s’il n’est pas consécutif à des blessures physiques, peut être un dommage corporel (Crim. 21 octobre 2014, n° 13-87.669).

A cet égard, dans un arrêt remarqué du 7 juillet 2022[1] la Cour de cassation a rappelé un principe fort : la prescription de l’action publique n’entraîne pas nécessairement celle de l’action civile en réparation du préjudice corporel subi par la victime, compte tenu du temps de consolidation des préjudices de cette dernière (Civ. 2ème, 7 juillet 2020, n° 20-19.147).

En l’espèce, un homme a été victime de viols et agressions sexuelles lorsqu’il était mineur entre 1972 et 1975, de la part d’un membre de la direction de l’établissement d’enseignement scolaire dans lequel il était inscrit. En octobre 1989, il a entrepris une psychothérapie prenant conscience de l’aggravation de son dommage et de la nécessité d’y remédier. En 2001, il a dénoncé les faits par une plainte adressée au procureur de la République. En 2016, il a assigné l’auteur des faits et l’association diocésaine auquel l’établissement était rattaché en réparation de ses préjudices.

Son action a été déclarée prescrite par les juges du fond. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 décembre 2019, a fixé le point de départ de l’action au jour où la victime avait débuté sa psychothérapie et en a déduit que l’action en responsabilité extracontractuelle introduite par le demandeur était prescrite depuis le mois d’octobre 1999.

Déboutée de ses demandes en première instance et en appel, la victime s’est pourvue en cassation et la deuxième chambre civile a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au motif que les juges auraient dû rechercher si le préjudice corporel du plaignant avait fait l’objet d’une consolidation, qui constitue le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation.

En effet, de la différence entre l’action publique et l’action civile (), découle un point de départ spécifique du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice corporel (II°).

 

1. Différencier l’action publique et l’action civile

Le droit pénal poursuit deux finalités cardinales : il sanctionne et il répare.

Ainsi, René GARRAUD, avocat et professeur de droit pénal, écrivait dans son Traité d’instruction criminelle et de procédure pénale que :

« L’infraction donne naissance, et au droit de la société de punir le délinquant, et au droit de la personne lésée d’obtenir réparation du dommage que lui a causé le fait illicite. On appelle action pénale ou publique, le recours à l’autorité judiciaire exercé, au nom et dans l’intérêt de la société, pour arriver à la constatation du fait punissable, à la démonstration de la culpabilité de l’auteur et à l’application des peines établies par la loi. […] Mais lorsque, indépendamment du mal social qui en résulte, le fait délictueux a causé un dommage à une personne physique ou morale, celle-ci a le droit de poursuivre en justice la réparation de ce dommage : on appelle action privée ou civile, ce recours à l’autorité judiciaire, qui est exercé par la partie lésée et qui a pour objet de procurer la réparation du préjudice éprouvé. ».

Pour faire simple, « ces deux actions n’ont pas le même objet. L’une tend à l’application d’une peine ; l’autre, à la réparation du préjudice causé ».

Dans son arrêt du 7 juillet 2022, la Cour de cassation a ainsi admis qu’une action civile indemnitaire peut être recevable pour de faits anciens dont l’action publique est prescrite.

 

2. Le point de départ du délai de prescription en matière de préjudice corporel

Concernant le point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice corporel, la Cour de cassation s’était déjà prononcée à plusieurs reprises.

Pour des faits antérieurs à la loi du 17 juin 2008, qui étaient alors régis par l’article 2270-1, alinéa 1, du Code civil, la Cour avait déjà décidé que le point de départ de la prescription décennale en matière de réparation du préjudice corporel ne pouvait démarrer qu’à la date de consolidation du dommage (Civ. 2ème, 4 mai 2000, n° 01-02.182).

Cette solution a ensuite été consacrée en 2008 à l’article 2226 du Code civil qui dispose que « l’action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ».

En l’espèce, en application de ces règles, la Cour de cassation expose que pour savoir si l’action permettant d’en obtenir la réparation était prescrite ou non, les juges du fond auraient dû rechercher si le dommage avait fait l’objet d’une consolidation et, le cas échéant, quelle était la date de cette consolidation.

Plus précisément, la Cour définit la consolidation du dommage comme « la date à partir de laquelle l’état de la victime n’est plus susceptible d’être amélioré de façon appréciable et rapide » (Crim. 21 mars 19991, n° 90-81.380 P[2]).

Notion médico-légale, la consolidation dépend de l’appréciation de constatations factuelles et médicales faites par des experts médicaux et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

En conclusion, un hiatus peut donc apparaître entre la prescription de l’action publique et la non-prescription de l’action civile en réparation du préjudice corporel.

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[1] https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2022/09/20-19.147.pdf

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007067491

E-santé : L’avènement d’un système unitaire européen de données de santé avec l’Espace Européen des Données de Santé

Le règlement relatif à l’Espace Européen de Données de Santé (EEDS) est entré en vigueur le 26 mars 2025. L’adoption de ce texte s’insère dans la stratégie « La décennie numérique de l’Europe » pour la transformation numérique de l’Europe.

Ce règlement vise à créer un Espace Européen de Données de Santé, c’est-à-dire « un environnement dont la fonction est de soutenir le partage des données au sein d’un secteur en apportant des réponses adaptées à ses contraintes et ses spécificités de nature juridique, technique et structurelle »[1], s’étendant à toute la zone européenne.

À l’image de l’espace Schengen ou du territoire européen en lui-même, il s’agit d’une zone de libre circulation des données en commun avec tous les États membres. De même, comme le RGPD, il consacre une régulation des données, à la différence que la régulation est sectorielle (qui plus est, spécifique à la santé).

L’Espace Européen de Données de Santé poursuit l’objectif d’une continuité de la prise en charge des soins des patients au sein de l’Union Européenne, tout en renforçant la gestion de leurs données de santé et des droits rattachés[2]. De façon pragmatique, l’Europe souhaite améliorer les soins de santé et de e-santé (grâce aux données) sans concession sur les droits des personnes (à la protection des données personnelles)[3].

Pour ce faire, l’espace commun est guidé par trois principes directeurs : l’interopérabilité, la sécurité et la protection des données, ainsi que la conformité.

Ainsi, le règlement fixe le cadre commun de partage et d’accès transfrontaliers des données de santé à travers diverses règles, et l’utilisation d’infrastructures dédiées (telles que les dossiers médicaux électroniques et les applications de bien-être).

Le règlement consacre aussi un régime pour les données de santé selon l’utilisation en distinguant l’utilisation dans le cadre des soins apportés à un patient (dite « utilisation primaire ») et – hors prise en charge – l’utilisation pour la recherche et l’innovation (dite « utilisation secondaire »).

Le texte prévoit notamment l’adaptation des droits à la sensibilité des données de santé, à leur utilisation, ainsi qu’au partage transfrontalier. Il rend également obligatoire la participation à l’infrastructure commune MaSanté@UE (MyHealth@EU) pour l’utilisation primaire (en tant que dossier médical électronique) et DonnéesdeSanté@UE (HealthData@EU) pour l’utilisation secondaire (en tant que plateforme d’utilisation des données)[4]. De surcroît, il prévoit un régime particulier d’accès aux données en utilisation secondaire (régime d’autorisation soumis à formalité préalable), accompagné d’un guichet unique national à cet égard.

Le règlement prévoit également un volet certification pour les acteurs souhaitant prendre part à un marché lié à cet espace commun. Par exemple, un éditeur souhaitant intégrer le marché de logiciel de dossier patient informatisé (ou dossier médical électronique) devra respecter la procédure pour être certifié.

Pour garantir son respect, le texte met en place une gouvernance assurée par des structures désignées par chaque Etats membres de type « autorité de santé numérique » (en charge du régime de l’utilisation primaire) et « organisme responsable de l’accès aux données de santé » (pour le régime de l’utilisation secondaire) [5].

Cependant, la doctrine soulève déjà la difficulté de mettre en place une autorité unique de gouvernance, alors que plusieurs autorités intervenaient dans ce même secteur des données de santé. De surcroît, une autorité supplémentaire à l’une d’entre elles constituerait une problématique d’articulation des compétences pouvant donner lieu à un conflit entre autorités.

D’autres difficultés ont d’ores et déjà été pointées. On peut citer notamment le doute sur la qualification de certaines données de bien-être en données de santé protégées par le règlement EDS et le RGPD, ainsi que l’articulation entre les règles du RGPD et celles aménagées au sein du nouveau règlement ESD pour l’utilisation secondaire de ces données.

Il faut donc attendre de voir comment ces obstacles sont dépassés à l’occasion de la mise en application du règlement. D’autant plus qu’il s’agit du premier des onze espaces européens de données prévus (s’attachant notamment au domaine de la finance, des transports, de l’agriculture, de l’énergie et de l’environnement). Toutefois, la situation n’est pas urgente puisque la mise en application du règlement va nécessiter une période de transition d’au moins quatre ans (mars 2029) et de nombreux actes d’exécution (fixant les détails techniques, organisationnels dès 2027) avant d’être pleinement opérationnelle en mars 2031.

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[1] Petel, A. (2025, 10 janvier). Nouvel « Espace européen des données de santé » : que faut-il en attendre ? Vie Publique. Consulté le 8 juillet 2025, à l’adresse https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/296786-espace-europeen-des-donnees-de-sante-eeds-que-faut-il-en-attendre

[2] Agence du Numérique en Santé. (s. d.). Espace européen des données de santé (EEDS). Agence du Numérique En Santé. https://esante.gouv.fr/espace-europeen-donnees-sante

[3] Règlement relatif à l’espace européen des données de santé. (s. d.). Public Health. https://health.ec.europa.eu/ehealth-digital-health-and-care/european-health-data-space-regulation-ehds_fr

[4] Agence du Numérique en Santé. (s. d.). Espace européen des données de santé (EEDS). Agence du Numérique En Santé. https://esante.gouv.fr/espace-europeen-donnees-sante

[5] Petel, A. (2025, 10 janvier). Nouvel « Espace européen des données de santé » : que faut-il en attendre ? Vie Publique. Consulté le 8 juillet 2025, à l’adresse https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/296786-espace-europeen-des-donnees-de-sante-eeds-que-faut-il-en-attendre

L’inscription d’informations erronées sur le curriculum vitae justifie le licenciement en cours de période d’essai

Dans une récente décision la Cour administrative d’appel de Paris a eu l’occasion de préciser les risques encourus par un agent public contractuel qui, dans le cadre de son recrutement avait adressé un curriculum vitae (CV) comportant de fausses informations sur son expérience professionnelle.

L’agente avait été recrutée par la Cour nationale du droit d’asile, sur un poste de gestionnaire budgétaire. Le contrat à durée déterminée de recrutement prévoyait une période d’essai de deux mois, renouvelable une fois à l’initiative de l’employeur, permettant aux deux parties de résilier le contrat sans préavis ni indemnité.

Néanmoins, durant la période d’essai son employeur s’était aperçu que l’agente avait falsifié son CV en y inscrivant des informations erronées sur ses expériences professionnelles. Il avait donc décidé de la licencier en cours de période d’essai, au titre de la rupture de confiance et des doutes sur la compétence à occuper le poste, et ce sur le fondement des dispositions de l’article 9 du décret du 17 janvier 1986[1].

La Cour a constaté que le CV de l’agent mentionnait un emploi budgétaire dans les services du Premier ministre sur la période 2019-2021, ce qui suggérait une durée d’emploi continue au cours de cette période. Or l’intéressée n’avait en réalité été recrutée que de manière discontinue du 1er août 2019 au 30 avril 2020 et du 1er octobre 2020 au 30 novembre 2020 (date de son licenciement durant sa période d’essai). En définitive l’agente ne justifiait que d’une expérience de onze mois sur une période annoncée de 3 ans auprès du même employeur et elle n’avait pas travaillé auprès de ce dernier en 2021 contrairement à ce que laissait sous-entendre son CV.

Après avoir retenu que la requérante « ne saurait utilement se prévaloir de ce qu’elle n’a pas été interrogée au moment de son recrutement sur la chronologie de son curriculum vitae », la Haute juridiction a jugé que ces faits, relatifs à la probité et à la loyauté de l’intéressée alors que celle-ci avait été recrutée sur un poste budgétaire la conduisant à connaître de données financières, étaient de nature à justifier son licenciement en cours de période d’essai, et ce sans préavis ni indemnité.

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[1] Décret relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat.

Premières lumières jurisprudentielles sur les sujétions justifiant une réduction de la durée de travail

Depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 2022, qui a confirmé la constitutionnalité de l’obligation faite aux collectivités territoriales de mettre fin aux régimes dérogatoires à la durée annuelle de travail de 1607 heures, de nombreuses collectivités ont engagé un travail d’ampleur destiné à appliquer à certaines catégories d’agents les dispositions de l’article 2 du décret du 12 juillet 2021 (n° 2001-623), qui permet de réduire la durée annuelle de travail pour tenir compte de « sujétions liées à la nature des missions des agents », et notamment à l’égard des agents dont les fonctions impliquent des travaux pénibles et dangereux.

La rédaction était d’une rédaction très sommaire, très peu précise, et n’avait que très peu été mise en œuvre depuis 2001. De ce fait, la jurisprudence était restée particulièrement muette sur la question.

La Cour administrative d’appel de Paris avait apporté un premier éclairage en censurant la délibération du Conseil de Paris qui avait prévu une application uniforme d’une réduction de trois jours de travail à l’ensemble de ses personnels, en considération des caractéristiques de leur lieu de travail, c’est-à-dire de l’intensité particulière de la capitale comme l’environnement de travail. Selon la cour, cette disposition ne peut être appliquée qu’aux « seules hypothèses de sujétions intrinsèquement liées à la nature même des missions ».

Si cette précision était déterminante, elle laissait néanmoins de grandes questions en suspens, et en particulier de la nature exacte des sujétions qui pouvaient justifier une réduction de la durée annuelle de travail. De ce fait, nombre de collectivités territoriales ont mis en place des dispositifs très variés, souvent fondés sur les facteurs de risques professionnels prévus par le Code du travail et déterminant une pénibilité au regard du régime des pensions. Ces dispositifs ont donné lieu à de nombreux déférés préfectoraux en France, depuis 2023 en particulier, mais limités bien souvent à des ordonnances de référé qui, du fait de l’office du juge, ne pouvaient réellement définir une jurisprudence claire et généralisable de l’application de ces textes.

Plus récemment toutefois, le Tribunal administratif de Melun, statuant au fond, a pris la pleine mesure de son office et commencé à préciser les contours de cette notion. Dans un jugement du 14 novembre 2024, il a indiqué, pour la première fois, que ces dispositions n’avaient pas vocation à « permettre la réduction du temps de travail pour tout agent soumis à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles d’avoir un impact sur sa santé physique ou psychologique », mais que ces dispositions « vis[aient] seulement à protéger certaines catégories d’agents soumises à des contraintes professionnelles particulières ». Cette interprétation le conduisait alors à valider la réduction de durée annuelle de travail qui était en l’espèce appliquée aux assistants maternels, compte tenu des multiples contraintes physiques, et de l’amplitude horaire de leur travail.

Une nouvelle avancée jurisprudentielle est intervenue récemment, dans un jugement rendu le 26 juin 2025. La juridiction était saisie d’une requête pléthorique qui remettait en question l’ensemble des sujétions qui étaient reconnues à chacun des métiers dont la commune avait décidé de réduire la durée de travail. Cette requête a conduit la juridiction à s’interroger sur la nature du contrôle qu’il lui incombait, dans ce cadre, c’est-à-dire de la question de savoir s’il lui appartenait d’examiner si chacune des sujétions prises en compte correspondait à chacun des métiers considérés, et à trancher en considérant qu’un tel contrôle ne pouvait lui incomber.

En conséquence, la juridiction a alors indiqué les points sur lesquels la juridiction exercerait son contrôle, et la nature du contrôle qu’elle exercerait :

  • La nature des sujétions, qui doit être en lien avec la nature des missions des agents publics ou de leur cycle de travail ;
  • Le lien entre chaque sujétion et métier considéré, le Tribunal indiquant toutefois qu’il n’examinerait que l’existence d’erreur manifeste d’appréciation, en l’absence de tout critère défini par les dispositions réglementaires appliquées ;
  • La parcimonie avec laquelle le dispositif est appliqué, qui ne peut conduire à réduire la durée du travail de l’ensemble des agents de la collectivité, compte tenu du caractère intrinsèquement dérogatoire du dispositif ;

Enfin, la juridiction soulignait que le fait d’appliquer une réduction de durée du travail uniforme à l’ensemble des agents concernés par une sujétion de pénibilité n’impliquait pas, par nature, une erreur manifeste d’appréciation.

C’est donc une heureuse évolution de la jurisprudence, certes encore limitée au premier degré de l’ordre administratif, mais qui permettra, si elle devait être pérennisée, de faciliter et sécuriser la mise en œuvre de ce dispositif, qui aura vocation à rester important, dans un contexte ou la pénibilité du travail est un sujet de premier ordre.