Maintien de l’irrecevabilité du recours contre un rapport d’observations définitives malgré l’évolution jurisprudentielle en faveur de la soumission du « droit souple » au contrôle du juge

La Cour administrative d’appel de Toulouse a récemment confirmé la solution posée par une décision du 8 février 1999 du Conseil d’Etat, aux termes de laquelle les observations formulées, même définitivement, par une chambre régionale des comptes (CRC), sur la gestion d’une collectivité territoriale ou d’un organisme entrant dans le champ du contrôle de gestion de la Chambre, ne présentent pas le caractère de décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif[1].

Cette solution traditionnelle était motivée par trois séries de motifs, à savoir :

  • L’absence de modification de l’ordonnancement juridique par les rapports d’observations définitives ;
  • La limitation de l’office du juge de l’excès de pouvoir, auquel il n’appartient pas de s’immiscer dans l’appréciation portée par les CRC, dans le cadre de leurs compétences légales, sur la gestion des collectivités territoriales et autres organismes concernés ;
  • Les garanties d’ores-et-déjà prévues au profit des collectivités territoriales et organismes contrôlés (caractère contradictoire de la procédure suivie par la CRC, adoption collégiale du rapport, existence d’une procédure de rectification soumise au contrôle du juge administratif[2] et publication, en annexe au rapport, de la réponse aux observations définitives formulée par la personne mise en cause)[3].

Toutefois, depuis la décision Commune de la Ciotat, la jurisprudence du Conseil d’Etat a, en parallèle, évolué, dans le sens d’un élargissement plus général de la recevabilité des recours, s’agissant des actes de « droit souple ». Ainsi, ont été jugés recevables des recours dirigés contre :

  • Les actes des autorités administratives qui, sans modifier l’ordonnancement juridique, sont susceptibles d’avoir des effets extra-juridiques notables, non seulement économiques mais également sur des pratiques professionnelles ou sur l’honneur ou la réputation d’une personne[4];
  • Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnes autres que les agents chargés de leur mise en œuvre[5];
  • La décision de publier un rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires et contre le refus de le modifier, mais également contre le contenu du rapport lui-même lorsqu’il comporte des mentions susceptibles d’exercer une influence significative ou de présenter des effets notables de nature à léser les intérêts de la personne concernée[6].

Il était ainsi possible de s’interroger sur le maintien de la solution issue de la décision Commune de la Ciotat susmentionnée. Et la rapporteure publique avait d’ailleurs conclu à la recevabilité du recours dont était saisie la Cour administrative d’appel de Toulouse.

Dans cette affaire, la Cour était saisie d’un recours d’une société délégataire de service public pour le compte d’un syndicat mixte qui avait fait l’objet d’un contrôle de sa gestion des années 2014 à 2020 par la CRC Occitanie. A la suite de cet examen, la gestion de la société avait en effet fait l’objet de critiques dans le rapport d’observations définitives de la chambre, dont l’intéressée avait demandé l’annulation devant le Tribunal administratif de Montpellier, qui avait rejeté sa requête comme irrecevable.

Plus précisément, la rapporteure publique considérait que les rapports d’observations définitives correspondaient aux critères d’identification du droit souple, dès lors qu’ils peuvent contenir des recommandations et des critiques sur la gestion de l’entité contrôlée, et donc des prises de position ayant des effets extra-juridiques notables, bien qu’indirects.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a cependant maintenu l’irrecevabilité du recours dirigé contre ces actes, et ce sur le fondement des mêmes motifs que ceux énoncés supra :

« Toutefois, les rapports d’observations définitives des chambres régionales des comptes s’inscrivent dans le cadre de l’examen de la gestion d’une collectivité territoriale, d’un établissement public local ou d’un des établissements, sociétés, groupements et organismes mentionnés aux articles L. 211-4 à L. 211-6 et L. 211-8 du Code des juridictions financières, procèdent de la mise en œuvre de garanties procédurales particulières et peuvent faire l’objet d’une demande de rectification, en vertu des articles L. 243-10 et R. 243-21 du Code précité. Ainsi, ils ne sont pas susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, eu égard notamment à l’office de ce dernier, alors même qu’ils seraient susceptibles de produire des effets notables ou d’influer de manière significative sur les comportements de quelque personne que ce soit ».

On retiendra donc que, si l’on souhaite critiquer le contenu d’un rapport CRC, il conviendra de préférer la rédaction d’une réponse aux observations formulées, laquelle sera annexée audit rapport, voire d’en solliciter la rectification sous le contrôle, au besoin, du juge administratif.

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[1] CAA Toulouse, 10 octobre 2024, SASU Econotre, n° 23TL02829 ; CE, 8 février 1999, Commune de La Ciotat, n° 169047

[2] CE avis, 15 juillet 2004, n° 267415 ; CAA Marseille, 19 décembre 2023, n° 21MA03704

[3] V. sur ce point : M. Torelli, Recours contre le rapport d’observations définitives d’une chambre régionale des comptes, AJDA 2025.74

[4] CE, 21 mars 2016, Société Numéricable, n° 390023 et Société Fairvesta International GmbH, n° 368082 ; CE 19 juillet 2017, Société Menarini France, n° 399766 ; CE, 19 juillet 2019, n° 426389

[5] CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142

[6] CE, 10 février 2023, Association Shri Ram Chandra mission France et autre, n° 456954

Fin du marathon budgétaire du projet de loi de finances 2025

Après une procédure budgétaire placée sous le sceau de l’instabilité politique, l’Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus le 23 janvier dernier à un accord en commission mixte paritaire sur la loi de finances 2025.

La loi ainsi votée a été déférée au Conseil constitutionnel à la suite de deux recours déposés les 6 et 7 février dernier, respectivement par plus de soixante députés du Rassemblement national et de la France insoumise.

Les Sages se sont ainsi prononcés ce jeudi 13 février 2025 sur les griefs des députés.

Au total, neuf cavaliers budgétaires ont été censurés en ce qu’ils ne pouvaient figurer dans la loi de finances, un article a été censuré car introduit en commission mixte paritaire sans qu’il n’ait été en relation avec des dispositions restant à discussion, et dix dispositions ont été jugées conformes à la Constitution.

Plus précisément, les Sages étaient saisis sur des griefs relatifs à la procédure d’adoption de la loi et sur des dispositions de fond, dont certaines intéressent au premier chef les collectivités territoriales.

Sur la procédure d’adoption du projet de loi de finances (PLF), les députés soulevaient notamment le non-respect du délai fixé à l’article 48 de la loi organique du 1er août 2001 qui impose au Gouvernement de présenter avant le 15 juillet 2024 le rapport indiquant, entre autres, les plafonds de crédits envisagés pour l’année à venir, l’état de prévision de l’objectif d’évolution de la dépense des administrations publiques et des montant prévus des concours aux collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel a rejeté ce grief en s’attachant à rappeler que « compte tenu des circonstances exceptionnelles ayant conduit à la formation tardive du Gouvernement, de la date de dépôt effective du projet de loi de finances et de ses conditions d’examen », il n’en a pas résulté « d’atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat » (considérant 7).

Parmi les mesures déférées au contrôle des Sages et intéressant les collectivités territoriales figuraient le gel de la fraction de Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) transférée aux collectivités et la création d’un mécanisme de lissage conjoncturel des recettes fiscales.

En premier lieu, l’article 109 du PLF gèle la fraction de TVA transférée aux collectivités territoriales à la suite des nombreux mouvements intervenus en matière de fiscalité locale ces dix dernières années.

Selon les travaux préparatoires de la loi, le gel réduirait les recettes des collectivités de 1,2 milliards d’euros, ce qui représente un total de 0,35 % de leurs « ressources propres » entendu au sens de l’article L. O 1114-4 du Code général des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette réduction de leurs ressources n’est pas d’une ampleur telle qu’elle entraverait le principe de libre-administration (considérants 73 à 82).

Cette position n’est pas surprenante compte-tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci ne censure que rarement des dispositions qui, même si elles contraignent les finances des collectivités territoriales, n’ont pas pour effet d’entraver leur libre-administration (pour exemple décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990).

En second lieu, la création du « DILICO », un dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales permettant la création d’un fonds d’un milliard d’euros abondé par la contribution de près de 2000 collectivités territoriales. Si 90 % des contributions seront redistribuées aux collectivités, les 10 % restants abonderont les différents fonds de péréquation des collectivités.

Le Conseil constitutionnel a jugé le dispositif conforme à la Constitution dans la mesure où il s’inscrit dans la contribution des collectivités à la réduction des déficits publics, où la contribution est répartie entre les collectivités selon leur population, leurs ressources et leurs charges, sans qu’elle n’excède 2% des recettes réelles de fonctionnement de leur budget principal, et dès lors que les fonds seront reversés en grande partie aux collectivités territoriales (considérants 100 à 107).

C’est donc sur une décision de non-conformité partielle, qui permet tout de même au Président de la République de promulguer la loi expurgée des dispositions censurées, que s’achève le marathon budgétaire de la loi de finances.

Les autorisations spéciales d’absence (ASA) dans la fonction publique : où en sommes-nous ?

La question des autorisations spéciales d’absence est venue sur le devant de la scène pendant la crise sanitaire. Pour les agents qui ne pouvaient exercer leurs fonctions à distance, sans pour autant réunir les conditions pour être placé en congé de maladie, l’administration disposait alors d’une bien faible marge de manœuvre, et a donc fait appel à cet outil très souple.

Pour lui donner un cadre juridique, on avait déterré une instruction ministérielle du 23 mars 1950, bien peu convaincante, que l’on a ensuite cherché à étoffer avec les fameuses F.A.Q. de la direction générale de l’administration et de la fonction publique, ce qui n’était guère mieux.

Il faut dire qu’à l’exception des autorisations d’absence bénéficiant aux agents exerçant un mandat syndical ou électif, et de quelques autres régimes ponctuels[1], le régime des autorisations spéciales d’absence reste particulièrement indéterminé.

L’article 21 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont le principe reste toujours applicable, renvoyait en effet à un décret en Conseil d’Etat le soin de définir la liste des autorisations d’absence et leurs conditions d’octroi. Ce décret n’est toutefois jamais intervenu.

Depuis les années 80, le Conseil d’État a confirmé cette carence ne s’opposait pas à l’octroi d’autorisations d’absence aux agents publics[2].

Dans la fonction publique d’Etat, on a cherché à suppléer à cette carence en procédant par notes de service et circulaires, mais cette solution est imparfaite. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, le régime des autorisations d’absence est « un élément du statut des fonctionnaires et ne peut dès lors être réglementé par voie de circulaire »[3]. Les circulaires et notes de service qui le réglemente ne peuvent donc que se limiter à indiquer la simple faculté, pour le chef de service d’accorder à ses agents des autorisations d’absence ; elles ne peuvent, ni accorder de droits à bénéficier de ces autorisations d’absences, ni fonder un refus opposé par l’administration à une telle demande[4].

L’octroi d’autorisations d’absences reste donc un pouvoir largement discrétionnaire, dans les mains du chef de service, ce qui est cohérent. Titulaire du pouvoir hiérarchique, il est compétent pour définir, dans l’intérêt du service, les missions et tâches quotidiennes de ses subordonnés. Or le pouvoir de confier une mission est nécessairement, également, le pouvoir de ne pas en confier. Une autorisation d’absence n’est en réalité rien d’autre que la décision prise par un chef de service, dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique, d’exonérer, l’agent de l’exercice de ses fonctions pour une durée déterminée.

Ce régime juridique particulièrement libéral dans le silence des textes présentait, pour les collectivités, une opportunité d’instituer de nouveaux droits au bénéfice de leurs agents, notamment lorsque la question de l’instauration de congés menstruels s’est manifestée dans le champ politique et médiatique.

Toujours prompts à intervenir en la matière, les préfectures ont contesté la légalité de ces autorisations d’absence, ce qui a donné lieu à des décisions particulièrement contestables de la part des Tribunaux administratifs de Grenoble et Toulouse.

Selon ces juridictions, dès lors que ces autorisations d’absence ne peuvent se rattacher aux « autorisations d’absence liées à la parentalité et à l’occasion de certains évènements familiaux », elles ne disposent pas de fondement juridique, et ne pouvaient donc légalement être instituées[5].

Or ce raisonnement ne tient pas. On l’a dit, le fondement juridique des autorisations d’absence n’est pas une disposition du Code général de la fonction publique, mais le pouvoir de direction de l’employeur, qui peut décider, sous réserve des nécessités du service d’autoriser ses subordonnés à s’absenter. Aucun principe ne prévoit que les catégories d’absence doivent être instituées par le législateur ou le pouvoir réglementaires. Les dispositions de l’article L. 622-1 prévoient donc certes que des autorisations d’absence peuvent être octroyées pour des motifs parentaux ou familiaux, mais elles n’ont en aucun cas pour portée de limiter à ces seules hypothèses les absences permises par le supérieur hiérarchique.

Soulignons, tout d’abord, que si tel avait été le cas, aucune autorisation d’absence n’aurait pu être légalement octroyée pendant la crise sanitaire lorsque le travail à distance n’était pas possible et que le retour physique au service était encore exclu.

Ensuite, même en dehors de cette hypothèse exceptionnelle, la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’autorisation d’absence pour la célébration de certaines fêtes l’avait préalablement démontré. Il juge en effet que la décision du chef de service d’autoriser ou non son agent à s’absenter pour célébrer une fête ne peut être prise qu’en considération des nécessités du service. Il a d’abord, en 1997, annulé la décision du directeur du centre Pompidou qui avait refusé l’octroi d’une telle autorisation[6]. Puis, en 2012, il a annulé une circulaire ministérielle qui prévoyait que les autorisations d’absence en la matière « concernent les seules religions pour lesquelles la fonction publique assure une publication annuelle », en considérant « qu’il appartient toutefois au chef de service d’apprécier au cas par cas si l’octroi d’une autorisation d’absence sollicitée par un agent pour participer à une fête autre que l’une des fêtes religieuses légales est compatible avec les nécessités du fonctionnement normal du service »[7].

Les autorisations d’absence pour certaines célébrations sont donc possibles, et ne peuvent d’ailleurs être interdites par principe, alors même qu’elles ne sont prévues par aucune disposition législative ou réglementaire, et qu’elles ne sont évidemment pas en lien direct avec des questions familiales ou parentales.

On peut donc douter du bien-fondé des décisions des Tribunaux administratifs de Grenoble et Toulouse.

Une autre tentative de limiter le pouvoir des collectivités locales en la matière a été initiée en 2024 par une préfecture, cette fois sans succès. Elle contestait l’octroi, par une commune, d’autorisations d’absences qui relevaient bien d’évènements familiaux (mariages et PACS), mais qui étaient d’un volume plus important que ce que prévoyaient la pratique au sein de la fonction publique de l’Etat, en l’occurrence huit jours plutôt que cinq dans la plupart des ministères. Pour arguer de l’illégalité de cette réglementation, la préfecture se prévalait du principe de parité, soutenant que, comme en matière de régime indemnitaire ou de temps de travail, les avantages des fonctionnaires d’Etat devaient constituer un plafond au-delà duquel les collectivités ne pouvaient aller[8].

Le Tribunal administratif de Melun n’a toutefois pas suivi la préfecture : rappelant la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle les ASA constituent un élément du statut des fonctionnaires ne pouvant être réglementé par voie de circulaires, il a rejeté la critique en considérant que le principe de parité ne pouvait être opposé en l’absence de réglementation en la matière.

On comprend donc qu’en l’état du droit positif, l’octroi d’autorisations d’absences ne peut par principe être limité, ni aux hypothèses explicitement prévues par le Code général de la fonction publique, ni par le principe de parité, ni par les notes de service ou circulaires des administrations de l’Etat.

Est-ce à dire que tout est possible ? Certes non. La jurisprudence le rappelle systématiquement, chaque autorisation d’absence est octroyée après une analyse, au cas par cas, des nécessités du service. Une réglementation, si elle est mise en place par l’autorité territoriale, ne peut donc, ni prévoir que certaines autorisations d’absence doivent être systématiquement refusées, ni instituer formellement de droits opposables à ces absences pour les agents. Par ailleurs, il est clair que des exonérations de service trop importantes finiraient également par poser un problème sur le plan de la responsabilité budgétaire des responsables publics.

Reste que, sous ces réserves, le droit laisse à notre sens beaucoup de marge de manœuvre, comme toujours s’agissant du pouvoir réglementaire du chef de service :  peut-on réellement affirmer qu’accorder une journée de repos à une agente indisposée – et en tout état de cause peu à même d’affronter pleinement ses missions – est contraire à l’intérêt du service ? À Toulouse et Grenoble, le juge a esquivé cette question gênante en usant d’un argument juridique discutable. Mais, si elle était posée de cette façon, peut-être la réponse serait cette fois différente.

Plus généralement, il est certainement possible de mettre en place des dispositifs qui s’emparent des enjeux renouvelés du travail, de l’égalité et de l’attractivité de la fonction publique – sous réserve d’être prêts à affronter les réticences des préfectures, et tant, bien sûr, que le pouvoir réglementaire reste silencieux.

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[1] Sapeur-Pompier volontaires, Jury d’assises, etc.

[2] CE, 20 décembre 2013, Fédération autonome de la fonction publique territoriale, n° 351682.

[3] CE, 12 mars 1982, n° 32792 ; CE, 10 juillet 1985, n° 44319

[4] CE, 30 janvier 2019, n° 410518.

[5] TA Toulouse, 20 novembre 2024, n° 2406364 et 2406584 ; TA Grenoble, 17 février 2025, n° 2500479 et 2500481.

[6] CE, 12 février 1997, n° 125893.

[7] CE, 26 octobre 2012, n° 346648.

[8] TA Melun, 11 juillet 2024, n° 2309586.

Financement et modernisation du réseau ferroviaire : vers une participation plus importante des concurrents de la SNCF ?

Au cours de l’audition du ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, chargé des Transports, M. Philippe Tabarot, devant la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’assemblée nationale, a été abordé la diminution du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (ci-après, « Afitf ») pour l’année 2025 et ses conséquences en matière de financement et de modernisation du réseau ferré ainsi que la question de l’entretien du réseau ferroviaire par un prélèvement sur les bénéfices de SNCF Voyageurs et les risques de distorsion de concurrence qui en découlent.

La commission a tout d’abord souligné que le projet de loi de finances qui vient d’être adopté prévoyait une diminution des crédits de l’Afitf de l’ordre de 900 millions par rapport à 2024, soit environ un cinquième de son budget, ce qui implique invariablement une diminution des investissements que l’agence pourra réaliser. La commission souhaitait donc entendre le Ministre sur les conséquences de cette baisse du budget de l’Afitf sur la modernisation du réseau ferroviaire.

Monsieur le Ministre a rappelé que les investissements sur le réseau ferroviaire avaient progressé en passant de 3,5 milliards en 2022 à 4,3 milliards en 2024 et a indiqué que la diminution du budget de l’Afitf ne devait pas être surestimé puisqu’elle aboutissait en réalité à simplement revenir au budget alloué au développement du réseau ferroviaire en 2023. Néanmoins, le Ministre a clairement affirmé qu’il ne fallait « pas qu’une telle réduction budgétaire se renouvelle » sous peine d’accuser un retard en matière de régénération et de modernisation de lignes ferroviaires.

En outre, la commission a rappelé que l’entretien du réseau ferroviaire repose principalement sur les finances de SNCF Réseau, le reste étant financé par l’opérateur historique par le biais d’un prélèvement sur les bénéfices de SNCF Voyageurs. Or, sur ce dernier point, la commission s’est inquiétée d’une possible distorsion de concurrence avec les opérateurs qui arrivent progressivement sur le marché en raison de la mise en concurrence sur notre réseau ferroviaire. Une telle ouverture emportant également potentiellement une diminution des recettes de SNCF Voyageurs, la question se pose de la soutenabilité d’un tel modèle à terme.

En substance, Monsieur le Ministre a indiqué qu’il souhaitait un maintien du système actuel du financement de l’entretien du réseau par SNCF Voyageurs. Toutefois, il a évoqué son souhait de ne pas « exclure que l’effort soit partagé avec les opérateurs bénéficiant de l’ouverture à la concurrence dès lors qu’ils parviennent à l’équilibre financier ». Il a rappelé qu’une telle participation existait déjà au titre des péages ferroviaires que tous les opérateurs doivent acquitter même si les nouveaux entrants s’acquittent de ces péages à un tarif réduit pendant les trois premières années d’exploitation. Monsieur le Ministre n’a pas exclu d’autres modalités de participation telles qu’une participation financière – sans toutefois mentionner la forme que prendrait cette participation – ou encore l’imposition d’obligations de service public aux opérateurs entrants.

En l’état, Monsieur le Ministre n’a donc pas émis de propositions concrètes et précises sur la forme que pourrait prendre la participation des opérateurs entrants sur le marché du transport ferroviaire de voyageurs à l’entretien du réseau mais il estime qu’il s’agit là d’une problématique sur laquelle il convient de travailler à l’avenir afin de garantir l’entretien du réseau ferroviaire.

Règlement OSP (obligations de service public) : précisions sur les conditions de participation de l’opérateur interne sortant à une procédure d’attribution concurrentielle

Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») en date du 13 février 2025 rappelle que les procédures d’attribution des contrats de services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par la route doivent être ouvertes à tout opérateur, y compris aux opérateurs internes ayant bénéficié d’une attribution directe.

Pour rappel, l’exploitation des services de transport de voyageurs par chemin de fer et par la route sont régis par les dispositions du Règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 dit « Règlement OSP » et font l’objet de contrats de services publics de transport public de voyageurs.

Aux termes de son article 5§2, ces contrats peuvent faire l’objet d’une attribution directe si l’autorité compétente décide de recourir aux services d’une entité interne, c’est-à-dire, une entité juridiquement distincte sur laquelle cette dernière exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.

Dans ce cadre, l’opérateur interne titulaire du contrat par attribution directe est soumis à une exigence dite de « cantonnement géographique » énoncée au b) de l’article 5§2 :

  • « L’opérateur interne et toute entité sur laquelle celui-ci a une influence, même minime, exercent leur activité de transport public de voyageurs sur le territoire de l’autorité locale compétente, nonobstant d’éventuelles lignes sortantes et autres éléments accessoires à cette activité se prolongeant sur le territoire d’autorités locales compétentes voisines» ;
  • « L’opérateur ne participe pas à des mises en concurrence concernant la fourniture de services publics de transport de voyageurs organisés en dehors du territoire de l’autorité locale compétente» ;

Ce faisant les dispositions du c) de l’article 5§2 prévoient qu’un opérateur interne peut participer à des mises en concurrence équitables pendant les deux années qui précèdent le terme du contrat de service public qui lui a été attribué directement, à condition :

  • « qu’ait été prise une décision définitive visant à soumettre les services de transport de voyageurs faisant l’objet du contrat de l’opérateur interne à une mise en concurrence équitable» ;
  • « et que l’opérateur interne n’ait conclu aucun autre contrat de service public attribué directement».

Dans cette espèce, un opérateur dénommé « VR » s’était vu, du fait de sa qualité d’opérateur interne, attribué un contrat sans mise en concurrence en vue de l’exploitation du service public de transport public organisé par une autorité locale lettone.

Conclu en 2012, le contrat a fait l’objet de deux prolongations en 2021 et en 2022, en raison de retards subis par les procédures d’appels d’offres devant conduire à l’attribution concurrentielle des services objet du contrat en cours.

C’est en 2021 que l’autorité organisatrice des transports a décidé de lancer une procédure d’attribution concurrentielle sur le fondement de l’article 5§3 du Règlement OSP, ayant pour objet les services précédemment exploités puis de retenir l’offre de l’opérateur interne sortant.

Un candidat évincé a alors décidé de contester la décision d’attribution du contrat arguant de la violation des dispositions du c) de l’article 5§2 relatives à la participation d’un opérateur interne à une procédure d’appel d’offres, et estimant que l’autorité compétente aurait dû réexaminer la situation de l’opérateur interne au moment où la décision d’attribution du contrat a été prise.

C’est dans ce cadre que la juridiction administrative lettone a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de savoir si, dans le cadre d’une procédure concurrentielle, l’autorité compétente est tenue de vérifier si l’opérateur interne sortant qui candidate au contrat respecte les conditions du c) de l’article 5§2.

Selon la CJUE, les autorités qui décident d’avoir recours à une procédure de mise en concurrence doivent l’ouvrir à tout opérateur, y compris aux opérateurs internes relevant d’autres autorités compétentes ayant bénéficié d’une attribution directe par celles-ci, sans que soit opéré un renvoi aux conditions de l’article 5§2 ou que figurent dans l’article 5§3 des conditions similaires à l’article 5§2.

Précisément, selon la Cour, les dispositions du c) de l’article 5§2 ont pour objet de préciser l’interdiction posée au b) de l’article 5§2 et contribuent à déterminer la portée de l’exigence de cantonnement géographique des activités de l’opérateur interne.

Il s’ensuit que la participation d’un opérateur interne ayant bénéficié d’une attribution directe est uniquement susceptible d’affecter la validité de cette attribution directe, mais non celle de sa participation à la procédure d’attribution par voie de mise en concurrence. De sorte que les dispositions du c) de l’article 5§2 sont sans pertinence aux fins de l’application de l’article 5§3 relatif à l’attribution concurrentielle des contrats.

Partant, le pouvoir adjudicateur ne doit pas, lorsqu’un opérateur interne, auquel a été précédemment attribué directement un contrat de service public, participe à une procédure d’attribution par voie de mise en concurrence, vérifier le respect par celui-ci des conditions énoncées au c) de l’article 5§2 afin de déterminer si cet opérateur est en droit de participer à une telle procédure.

Publication d’une FAQ élaborée par la Commission européenne au sujet du Règlement ReFuelEU Aviation du 18 octobre 2023

La Commission européenne a publié, le 28 février 2025, une foire aux questions (FAQ) permettant de préciser certaines dispositions du Règlement (UE) 2023/2405 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à l’instauration d’une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable (ci-après, le « Règlement ReFuelEU Aviation »).

Pour rappel, le Règlement ReFuelEU Aviation vise à accroître l’utilisation de carburants durables par les aéronefs et à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien. Pour ce faire, le Règlement prévoit notamment l’incorporation progressive de carburants durables dans le kérosène destiné à l’aviation et l’instauration d’un label écologique précisant la performance environnementale des vols.

La FAQ publiée par la Commission européenne apporte des réponses aux questions relatives :

  • (i) au champ d’application du Règlement ReFuelEU Aviation (quels aéroports relèvent du Règlement ? Quels vols ? Qui sont les fournisseurs de carburant d’aviation ? etc.) ;
  • (ii) aux carburants d’aviation admissibles (quels sont les carburants durables pris en compte ? etc.) ;
  • (iii) aux obligations de déclaration (la présentation d’un rapport pour 2024 est-elle obligatoire ? quelles sont les sanctions en l’absence de déclaration ? etc.) ;
  • (iv) à l’obligation de fournir des parts minimales de carburants durables (comment les Etats membres peuvent-ils soutenir le déploiement de carburant durable en conformité avec la réglementation européenne ? etc.) ;
  • (v) à l’application du règlement ReFuelEU Aviation (Qui vérifie que les opérateurs respectent leurs obligations ? A quoi sont employées les recettes générées par les amendes ? etc.)
  • (vi) au label d’émissions de vol (Qu’est-ce que le label et qui peut en demander un ? etc.)

Autant de questions qui sont analysées de manière approfondie par la Commission européenne aux termes sa FAQ.

Inondation : une nouvelle proposition de loi soumise à discussion

Sénat, Le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations : simplifier l’action, renforcer la solidarité

Le 6 mars, la proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations doit être examinée par le Sénat.

Cette proposition fait suite au rapport d’information n° 775 du 25 septembre 2024 portant sur le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations.

Le projet de texte vise d’abord à simplifier les procédures pour la réalisation de travaux sur les cours d’eau lorsqu’ils visent à remédier à une inondation d’ampleur ou à en éviter la réitération à court terme ou encore à prévenir les dangers liés à la survenance d’une crue ou à réparer les dégâts occasionnés par une crue.

Il est ensuite prévu une mise à disposition par les services de l’Etat dans le département au profit des communes et des autorités compétentes en matière de GeMAPI d’une cellule d’appui technique pour les accompagner dans la mise en œuvre des missions qui composent cette compétence.

L’article L. 561-5 du Code de l’environnement devrait par ailleurs être réhabilité pour prévoir les modalités d’élaboration d’un PAPI qui répondrait à un cahier des charges fixé par l’État et devrait être labellisé par le préfet coordonnateur de bassin.

Enfin, une réserve d’ingénierie constituée de fonctionnaires territoriaux et destinée à fournir un appui technique et administratif aux collectivités sinistrées par une inondation pourrait être instituée par les collectivités territoriales et leurs groupements. Un guichet unique d’accompagnement des collectivités territoriales sinistrées par une inondation devrait encore être mis en place pour diffuser les informations relatives aux dispositifs d’aides auxquelles les collectivités sont éligibles et centraliser leurs demandes.

Agriculture et environnement, des priorités parfois difficilement conciliables

Le 19 février puis le 20 février 2025 l’Assemblée nationale puis le Sénat ont définitivement adopté le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.

Ce texte qui a suscité de nombreux débats et a été très critiqué par les défenseurs de l’environnement a finalement retenu un certain nombre de principes et de règles qui doivent encore être soumis à la validation du Conseil constitutionnel saisi par au moins soixante députés le 24 février suivant l’adoption du texte.

L’article 1er du projet de loi érige la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche en intérêt général majeur et leur reconnaît un intérêt fondamental de la Nation. Ce principe doit être intégré à l’article L. 1 A du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) et les priorités qui en découlent ainsi que les finalités que doivent traduire ces priorités, à l’article L. 1. On relèvera dès à présent le législateur a ainsi refusé d’acter l’interdiction des produits phytopharmaceutiques malgré les débats que ces derniers suscitent. En effet, parmi les finalités retenues, on retiendra celle de maintenir un haut niveau de protection des cultures, en soutenant la recherche en faveur de solutions apportées aux agriculteurs économiquement viables, techniquement efficaces et compatibles avec le développement durable, afin de diminuer l’usage des produits phytopharmaceutiques et, à défaut de telles solutions, en s’abstenant d’interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne.

Parmi les priorités il faut également relever que la politique doit également conduire à préserver et développer les réseaux d’irrigation nécessaires à une gestion durable de la production et des surfaces agricoles.

L’article L. 1 B du CRPM pose quant à lui le principe de non‑régression de la souveraineté alimentaire selon lequel la protection du potentiel agricole de la Nation ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.

De nombreuses mesures sont alors prévues pour favoriser l’accès à la professions agricoles dans les trois premiers titres de la loi (développements des moyens dans le système éducatif, facilitation des transmissions d’exploitation, élaboration d’un contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles…).

Sur le plan environnemental c’est plus particulièrement le titre IV relatif à la sécurisation, la simplification et la facilitation de l’exercice des activités agricoles qui nous intéresse.

Des mesures sont d’abord prises pour limiter à 450 euros maximum les amendes sanctionnant les atteintes commises par une personne physique à la conservation d’espèces animales non domestiques, d’espèces végétales non cultivées ou d’habitats naturels en violation des interdictions prévues à l’article L. 411‑1 ou des prescriptions prévues par les règlements ou par les décisions individuelles pris en application de l’article L. 411‑2, lorsque ces atteintes ont été commises de manière non intentionnelle ou par négligence grave. Le texte précise alors dans quelles conditions il doit être considéré que l’atteinte a été intentionnelle ou non (article L. 171-7-2 et suivants du Code de l’environnement issus de l’article 13 du projet de loi). Un dispositif similaire d’amende plafonné est introduit pour les propriétaires d’élevages exploité sans la déclaration ou l’enregistrement qui s’impose (articles L. 171-7-3 du Code de l’environnement issus de l’article 13 bis AAA du projet de loi)

Un certain nombre de travaux forestiers sont, par ailleurs, reconnus d’intérêt général et sécurisés juridiquement tout au long de l’année (article L. 121-7 du Code forestier).

Mais on notera plus particulièrement l’intégration au sein du Code de l’environnement, d’une section entière consacrée à la protection et la gestion durable des haies pour lesquelles une nouvelle définition est proposée (articles L. 412-21 et suivants). L’intervention sur ces haies doit poursuivre un objectif de gestion durable et tout projet de destruction est soumis à déclaration unique préalable à moins que le préfet n’indique à l’auteur de la déclaration que la mise en œuvre de son projet est subordonnée à l’obtention d’une autorisation unique. L’article L. 412-24 définit alors les déclarations, les absences d’opposition, les dérogations et les autorisations intégrées dans la déclaration ou l’autorisation unique. Le principe de la compensation par replantation d’un linéaire au moins égal à celui détruit est également posé et il appartiendra par ailleurs aux préfets de mettre à la disposition du public une cartographie régulièrement mise à jour des protections législatives ou réglementaires applicables aux haies, à une échelle géographique fine. Encore doit on relever que le CRPM sera désormais doté d’une section spécifique relative à la stratégie nationale pour la gestion durable et la reconquête de la haie qui doit définir les orientations à suivre pour conduire la politique de gestion et de développement durables du linéaire de haies sur le territoire (article L. 126-6 du CRPM). Enfin, l’article L. 611-9 du CRPM prévoit les conditions dans lesquelles les gestionnaires de haies peuvent faire l’objet d’une certification garantissant la gestion durable des haies sur la totalité de l’exploitation.

On notera encore qu’un certain nombre de dispositions a vocation à neutraliser les effets du principe de non régression environnemental, prévu à l’article L. 110 du Code de l’environnement – selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment –, en vue d’évolutions à prévoir dans les nomenclatures IOTA et ICPE (article 15 bis du projet de loi). C’est ainsi que ce principe ne pourra être invoqué pour s’opposer à la modification de la nomenclature IOTA en ce qui concerne les retenues collinaires ou encore la nomenclature ICPE en ce qui concerne les produits et sous‑produits lainiers, les chiens de troupeaux ou les piscicultures.

Le rôle des départements dans la gestion de l’eau potable est par ailleurs élargie dès lors que ces derniers se voient reconnaître expressément la possibilité de recevoir un mandat de maîtrise d’ouvrage, conclu à titre gratuit, en vue de la production, du transport et du stockage d’eau destinée à la consommation humaine ou en vue de l’approvisionnement en eau, au sens du 3° du I de l’article L. 211‑7 du Code de l’environnement, confié par l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte compétent (article L. 2224-7-8 du CGCT).

Enfin, le texte (article 15 du projet de loi) élargit les pouvoirs du juge administratif en cas de contentieux dirigé contre certaines décisions portant sur les IOTA « au titre des ouvrages de stockage d’eau ou des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, à l’exclusion des ouvrages destinés à permettre un prélèvement sur les eaux souterraines, à la condition que ces projets poursuivent à titre principal une finalité agricole, qu’elle soit culturale, sylvicole, aquacole ou d’élevage » ou sur les ICPE destinées « à l’élevage de bovins, de porcs, de lapins, de volailles et de gibiers à plumes ainsi qu’aux couvoirs et à la pisciculture ». Selon les cas, le juge pourra alors annuler partiellement les décisions soumises à son examen ou encore permettre leur régularisation (articles L. 77-15-1 du Code de justice administrative). L’introduction d’un référé suspension contre ces décisions est en outre encadrée car elle ne sera possible que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. La condition d’urgence sera, en revanche, présumée satisfaite.

Saisi de la constitutionnalité de ce texte, le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer. Au regard de la saisine de la juridiction, celle-ci devra dès lors notamment valider, d’ici le 24 mars prochain, la constitutionalité des articles 1er,13, 13 bis AAAA, 13 bis AAA, 15 ou encore 15 bis du projet de loi.

Référé pénal environnemental : la place des droits de la défense ?

Outil juridique permettant la mise en œuvre de mesures conservatoires de protection de l’environnement prononcées par un Juge des libertés et de la détention (JLD), le référé pénal environnemental prévoit, en vertu de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, une audition préalable de la personne concernée.

Naturellement, la question de l’exercice des droits de la défense dans ce cadre se pose ; la Cour de cassation en a été récemment saisie.

Aux termes d’un arrêt du 28 janvier dernier, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a implicitement considéré que les principes directeurs du procès pénal de l’article préliminaire du Code de procédure pénale n’avaient pas à s’appliquer dans le cadre de cette procédure, à l’exception de l’information de la personne concernée de son droit de garder le silence si elle est visée par une enquête relative aux mêmes faits.

En l’espèce, une enquête préliminaire avait été ouverte après la découverte d’une pollution liée à l’utilisation, lors d’un chantier confié à un Syndicat mixte d’aménagement du territoire, de matériaux impropres à la recharge granulométrique d’un ruisseau.

Parallèlement, le procureur de la République avait saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) d’un référé pénal environnemental, qui, par une ordonnance du 3 novembre 2023, avait ordonné au Président du Syndicat mixte, une suspension des opérations de déversement de déchets dans le lit du cours d’eau et une remise en état des lieux.

Le 1er février 2024, la chambre de l’instruction avait partiellement confirmé l’ordonnance du JLD et ordonné des mesures conservatoires pour mettre un terme aux effets de la pollution.

Le moyen du pourvoi, formé contre l’arrêt de la chambre de l’instruction, soutenait que la personne visée par un référé environnemental, qui pourrait être amenée à reconnaître sa culpabilité au travers de déclarations susceptibles d’être portées à la connaissance des autorités de poursuite, devait être informée de son droit de garder le silence lors de son audition devant le JLD.

La Cour de cassation reprend la réserve d’interprétation formulée par une décision du Conseil constitutionnel[1] qui, saisi de la constitutionnalité de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, a établi une exception au principe d’inapplication de la notification du droit de se taire à la personne concernée par le référé, lorsque celle-ci, entendue par le JLD, est suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est auditionnée.

Fort de ce constat, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction en affirmant que la personne entendue par le JLD, et suspectée dans le cadre d’une enquête préliminaire pour les mêmes faits, n’a pas été informée de son droit de se taire.

 

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[1] Décision n° 2024-1111 QPC du 15 novembre 2024, Syndicat d’aménagement de la vallée de l’Indre ;

Le nouveau projet d’arrêté relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour la propreté urbaine soumis à consultation publique

Après les usages agricoles (arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation de cultures) et les espaces verts (arrêté du 14 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage d’espaces verts), c’est désormais l’utilisation des eaux usées traitées pour la propreté urbaine qui est réglementée par un projet d’arrêté.

Ce projet est soumis à consultation publique ouverte sur internet du 25 février 2025 au 24 mars 2025.

Celui-ci permet d’autoriser plus rapidement les projets d’utilisation des eaux usées traitées dans le domaine de la propreté urbaine (le nettoyage de voirie par balayeuse, le nettoyage, sans lance d’aspersion, des accotements, des ouvrages d’art, le nettoyage de quais de déchetterie, l’hydrocurage de réseaux d’assainissement, les opérations sur installation d’assainissement non collective et le nettoyage de bennes à ordures).

En application de l’article R. 211-128 du Code de l’environnement, il fixe les exigences minimales de qualité auxquelles les eaux doivent satisfaire ou les prescriptions générales permettant d’atteindre un niveau de protection équivalent qui, si elles sont respectées, permettent au responsable de ne pas procéder aux consultations du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST) et de l’Agence régionale de santé (ARS).

Ce projet d’arrêté s’inscrit dans le cadre de l’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées réglementée par les articles R. 211-123 à R. 211-128 du Code de l’environnement et visant à promouvoir une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau en application de l’article L. 211-1 du même Code, afin d’assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.

En outre, l’article 10 du projet d’arrêté prévoit de modifier l’arrêté du 14 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage d’espaces verts afin de préciser des dispositions relatives aux niveaux de rejets des installations classées pour la protection de l’environnement et aux contraintes de distances aux zones sensibles pour l’arrosage par aspersion.

Pour rappel, le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau publié par le gouvernement le 30 mars 2023 prévoit d’atteindre 10 % d’économie d’eau d’ici 2030 et de développer 1000 projets de réutilisation d’eaux usées sur le territoire, d’ici 2027.

Périmètre de la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations »

Le 20 février 2025, le ministère de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation s’est prononcé sur la question de savoir si l’autorité compétente au titre de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) devait prendre en charge le coût des travaux relatifs au busage d’un cours d’eau.

Le Ministère a d’abord rappelé les finalités de la compétence GEMAPI définies aux 1°, 2°, 5° et 8° du I de l’article L. 211-7 du Code de l’environnement. Celles-ci consistent en l’aménagement de bassin hydrographique ou d’une fraction de bassin hydrographique ; l’entretien de cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau y compris les accès à ce cours d’eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d’eau ; la défense contre les inondations et contre la mer ; la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines.

S’agissant des travaux de busage d’un cours d’eau, il a ensuite précisé que l’autorité gemapienne n’était pas nécessairement maître d’ouvrage de ces travaux. Elle peut l’être si ces travaux sont déclarés d’intérêt général par le préfet à la suite d’une demande formulée par une collectivité gemapienne et s’ils contribuent au redimensionnement de l’ouvrage ou au profil d’équilibre du lit mineur ou encore à l’écoulement naturel des eaux ou à la continuité écologique.

Ainsi, ces travaux doivent tendre à satisfaire l’une des finalités de la compétence GEMAPI.

En adoptant une telle position, le Ministre donne une interprétation de la responsabilité du gemapien plus restrictive du gemapien que cette retenue par la Cour administrative d’appel de Lyon le 30 janvier 2025, qui avait considéré que l’autorité gemapienne était responsable de tous les ouvrages canalisant un cours d’eau, y compris un busage réalisé en vue de la construction de parking (CAA de Lyon, 30 janvier 2025, n° 23LY01154).

Il limite ainsi l’engagement de la responsabilité de l’autorité gemapienne aux cas où les travaux relatifs au busage ont un intérêt du point de vue de la gestion des milieux aquatiques.

Dérogation espèces protégées et projets routiers : annulation du projet de l’A69

Par une décision en date du 27 février 2025, le Tribunal administratif de Toulouse s’est prononcé sur la légalité du projet de liaison autoroutière entre Verfeil et Castres, dit projet de l’A69, et a annulé l’autorisation environnementale qui avait été délivrée par les services de l’Etat.

Le juge s’est alors fondé sur l’illégalité de la dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées, dite dérogation espèces protégées, et plus particulièrement sur la condition liée à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Pour considérer qu’une telle condition n’était pas remplie, le juge a examiné un à un et de manière très détaillée les motifs qui étaient avancés pour justifier de cette RIIPM :

  • Les motifs d’ordre social : les défendeurs ont invoqué une faible croissance démographique et le vieillissement de la population du bassin de Castres-Mazamet pour soutenir qu’il existait une RIIPM. Le juge considère toutefois que cela ne suffit pas, au regard des circonstances de l’espèce, à caractériser une situation de « décrochage» sur cette zone. Il relève encore que les services et équipements y sont suffisants, que les hypothèses de fréquentation de l’A69 prises en compte seraient optimistes et que le report des poids-lourds sur cette nouvelle voie, susceptible d’améliorer la qualité de vie des riverains de la route nationale aujourd’hui existante, serait à relativiser ;
  • Les motifs d’ordre économique : le juge s’est penché sur les arguments tirés du faible taux d’inscription au registre du commerce et des sociétés entre 2013 et 2023, du taux d’activité de la zone, du faible taux de création d’emplois et du nombre de création d’entreprises. Il considère néanmoins que si la dynamique économique du bassin de Castres-Mazamet est à consolider, elle n’est pas notablement défavorable par rapport aux autres bassins de la métropole toulousaine et que la création de l’A69 aurait un impact insuffisant sur le développement économique ;
  • Les motifs de sécurité publique : le juge a relevé que l’accidentalité sur la route actuelle n’était pas plus importante que sur d’autres routes comparables et que, au contraire, la réalisation de l’A69 était susceptible d’augmenter le nombre d’accident sur l’itinéraire actuel.

Le juge considère donc qu’aucun de ces trois éléments, pris isolément ainsi que dans leur ensemble, ne permet de caractériser l’existence d’une RIIPM. La délivrance de la dérogation espèces protégées n’était donc pas fondée et, ce vice n’étant pas régularisable, le Tribunal administratif a prononcé l’annulation de l’autorisation environnementale.

L’Etat a néanmoins d’ores et déjà annoncé qu’il interjetterait appel de ce jugement.

Substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylée (PFAS) : adoption de la loi visant à protéger la population

La loi n° 2025-188 du 27 février 2025 visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylée (PFAS), a été publiée au Journal officiel le 28 février 2025 et fixe de nouvelles obligations concernant ces substances, certaines intéressant particulièrement les collectivités et établissements publics en charge du service public de l’eau potable.

Cette loi instaure notamment :

  • L’interdiction de la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des PFAS dans les cosmétiques, les produits de fart pour le ski et les produits textiles d’habillement (sauf ceux conçus pour la protection et la sécurité des personnes) à partir du 1er janvier 2026, et qui sera étendue aux produits textiles au 1er janvier 2030. Ces interdictions ne concernent que l’hypothèse où la concentration de PFAS est supérieure à une valeur résiduelle qui sera définie par décret ;
  • L’extension de la liste des PFAS intégrés au contrôle sanitaire de l’eau potable aux substances identifiées par un décret à paraitre et à l’ensemble des PFAS quantifiables dont le contrôle est justifié par des circonstances locales. Et, à partir d’analyses réalisées par les ARS, l’Etat devra en outre publier un bilan national annuel de la qualité de l’eau au robinet au regard des PFAS ;

Dans le domaine de l’eau encore, l’Etat est également mobilisé puisqu’il est prévu que le ministère devra élaborer une carte des sites ayant pu émettre ou émettant des PFAS, avec, le cas échéant, l’indication des mesures quantitatives d’émissions de ces substances. Il est aussi prévu que les actions de dépollution et les seuils maximaux d’émissions de PFAS sur l’ensemble des sites émetteurs seront fixés par arrêté. De plus, devra être adopté un plan d’action interministériel pour le financement de la dépollution de l’eau potable relevant des services publics d’eau potable et d’assainissement.

Enfin, le gouvernement doit remettre au Parlement dans le délai d’un an un rapport proposant des normes sanitaires actualisées pour les PFAS dans l’eau potable.

  • L’adoption d’une trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de PFAS par les installations industrielles avec un objectif de mettre fin à ces rejets dans un délai de 5 ans.
  • L’extension de la redevance pour pollution de l’eau d’origine non domestique aux rejets de PFAS dans l’eau pour les exploitants ICPE soumis à autorisation.

Actualités juridiques en matière d’agrivoltaïsme

Instruction ministérielle du 18 février 2025 relative aux conditions d’autorisation et de contrôle des projets agrivoltaïques et agricompatibles

 

Plusieurs textes relatifs à l’agrivoltaïsme ont récemment été publiés.

Pour mémoire, aux termes de l’article L. 314-36 du Code de l’énergie, une installation agrivoltaïque est une « installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ».

D’une part, des députés ont publié une proposition de loi visant à modifier le cadre applicable à l’agrivoltaïsme afin, selon eux, d’assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme.

D’autre part, le gouvernement a publié au bulletin officiel une instruction relative à l’application des dispositions réglementaires relatives aux installations agrivoltaïques et photovoltaïques au sol dans les espaces naturels, agricoles et forestiers.

 

Sur la proposition de loi

Aux termes de son exposé des motifs, la proposition de loi vise à « compléter les sujets non traités dans la loi APER, le précédent décret et à mieux encadrer l’agrivoltaïsme, notamment sur le volet foncier et le partage de la valeur. ».

Pour ce faire, la proposition de loi comporte cinq articles portant notamment sur le partage de la valeur produite par les installations agrivoltaïques, sur le modèle contractuel et sur la puissance maximale des installations.

 

En premier lieu, l’article 1er du projet de loi propose de compléter la partie législative du Code de l’énergie relative au partage économique de la valeur d’un article L. 314-20 aux termes duquel le producteur sélectionné par l’Etat à l’issue de la procédure de mise en concurrence ou d’un l’appel à projets serait tenu de financer des projets visant la structuration économique des filières agricoles.

Ainsi, la proposition de loi entend étendre le mécanisme de partage économique de la valeur introduit par l’article 93 de la loi n° 2023-173 du 10 mars 2023, dite loi APER, à de nouveaux projets.

Aux termes du nouvel article L. 314-20 proposé, les projets devant être financés seraient :

« Des projets visant à la structuration économique des filières agricoles mentionnées au 2° du I de l’article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime, à l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques ou à la transition agroécologique sur le territoire de l’établissement public de coopération intercommunale où sont implantées les installations agrivoltaïques. ».

Ainsi, devront être financés les projets suivants, dans les proportions suivantes :

1° Des projets portés par la commune ou par l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre d’implantation de l’installation, en faveur de la transition énergétique, de la sauvegarde ou de la protection de la biodiversité ou de l’adaptation au changement climatique – 35 %

2° Des projets de protection ou de sauvegarde de la biodiversité – 10 %

3° Des projets visant à la structuration économique des filières agricoles – 45 %

 

En deuxième lieu, l’article 2 de la proposition de loi prévoit de fixer une limite de puissance aux projets agrivoltaïques de 5 mégawatts crête.

Ainsi, aux termes d’un nouveau point III bis inséré dans l’article L. 314-36 du Code de l’énergie, définissant les termes d’installation agrivoltaïque :

« Une installation agrivoltaïque ne peut dépasser une puissance installée de cinq mégawatts crête par exploitation agricole. Dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les effets des mesures prévues par celleci. Sur la base de ce rapport, le Parlement pourra décider de modifier, prolonger ou abroger les dispositions concernées. »

En troisième lieu, l’article 3 de la proposition de loi introduit dans le Code rural et de la pêche maritime un nouveau type de convention cadre organisant les relations entre le propriétaire foncier, l’exploitant agricole et le porteur de projet agrivoltaïque.

L’objectif de ce nouveau modèle de convention, dont la conclusion serait impérative, est de sécuriser la situation de l’exploitant agricole et lui accordant des droits similaires à ceux contenus dans les baux ruraux.

En quatrième et dernier lieu, l’article 4 du projet de loi institue au profit des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’urbanisme et souhaitant exercer une compétence optionnelle en matière de production d’énergies renouvelables, un pouvoir de préemption afin d’acquérir des parcelles pour des projets d’installations agrivoltaïques.

Sur l’instruction gouvernementale

Pour rappel, l’article 54 de la loi n° 2023-173 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER, a défini le cadre juridique spécifique applicable aux installations agrivoltaïques.

Ce cadre a été complété par le décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 et l’arrêté du 5 juillet 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, naturels ou forestiers (pour une présentation détaillée du cadre applicable, nous vous renvoyons à notre focus du mois de juillet 2024, disponible ici).

Afin d’unifier l’application de ces textes, le gouvernement a publié une instruction technique à destination des préfets de département et des services de l’Etat dans les départements.

L’instruction, très attendue des professionnels du secteur, reprend ainsi les dispositions légales et règlementaires précitées pour les détailler. L’instruction aborde notamment les thèmes suivants :

  • types d’installations agrivoltaïques et photovoltaïques ;
  • appréciation du caractère agrivoltaïque d’une installation ;
  • modalités d’implantation des installations « PV compatibles » ;
  • régimes des autorisations d’urbanisme.

Si elle ne fixe pas de nouvelles règles, cette instruction sera la clé de lecture des dispositions applicables des services de l’Etat dans les départements. Les opérateurs ont donc tout intérêt à s’en saisir afin de compléter leurs dossiers de demande d’autorisation.

Le CORDIS condamne deux sociétés pour manipulation du marché de gros de l’énergie sur le fondement du règlement REMIT

Le Comité de règlement des différends et sanctions (CORDIS) de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a prononcé d’importantes sanctions pécuniaires à l’encontre des sociétés Danske et Equinor, fournisseurs de gaz, au titre de la méconnaissance de l’article 5 du règlement européen concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie (REMIT).

L’article 5 du règlement REMIT prévoit qu’il est interdit de procéder ou d’essayer de procéder à des manipulations de marché sur les marchés de gros de l’énergie.

Les termes de manipulation de marché sont définis par le point 2) de l’article 2 du règlement REMIT. Aux termes de cet article, plusieurs pratiques peuvent être qualifiées de manipulation de marché parmi lesquelles « le fait d’effectuer toute transaction ou d’émettre tout ordre pour des produits énergétiques de gros qui (…) fixe ou tente de fixer, par l’action d’une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le prix d’un ou plusieurs produits énergétiques de gros à un niveau artificiel à moins que la personne ayant effectué la transaction ou émis l’ordre établisse que les raisons qui l’ont poussée à le faire sont légitimes et que cette transaction ou cet ordre est conforme aux pratiques de marché admises sur le marché de gros de l’énergie concerné ».

Au cas présent, en 2019 et 2020, le point d’interconnexion entre la France et l’Espagne a été considéré comme « congestionné » à la suite des demandes de réservation des sociétés Danske (82.286 kWh/h, soit la capacité maximale) et Equinor (1 kWh/h, soit la capacité minimale), aux premiers tours des enchères annuelles de capacités de transport de gaz.

La saturation des enchères qui en a résulté a conduit à la suppression des multiplicateurs tarifaires prévu par les délibérations de la CRE, diminuant le prix d’acquisition des capacités infra-annuelles, au bénéfice de la société Danske.

Dans sa décision en date du 20 janvier 2025 ici commenté, le CORDIS retient que les sociétés Danske et Equinor ont procédé à des manipulations de marché en 2019 et en 2020, à l’occasion des enchères susmentionnées.

Le CORDIS considère ainsi :

  • que les réservations aux premiers tours des enchères litigieuses effectuées par la société Danske revêtaient un caractère non authentique envoyant un signal faux ou trompeur et, partant, sont constitutives de manquement à l’article 5 du règlement REMIT ;
  • qu’il résulte d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants que les réservations des sociétés Danske et Equinor aux enchères litigieuses doivent être regardées comme une action concertée visant à fixer le prix des capacités infra-annuelles à un niveau artificiel, au sens de l’article 2(2) a) ii) dudit règlement.

Le CORDIS a par conséquent sanctionné la société Danske à hauteur de 8 millions d’euros et la société Equinor à hauteur de 4 millions d’euros.

Il s’agit de la première décision du CORDIS relative à une pratique concertée au sens de l’article 2(2) a) ii) du règlement REMIT.

Accise sur l’électricité : exonération pour certaines opérations d’autoconsommation collective

L’article 75 I A de la loi de finances pour 2025 prévoit la modification de plusieurs articles du Code des impositions sur les biens et services afin de faire bénéficier aux participants à certaines opérations d’autoconsommation collective d’une exonération de l’accise sur l’électricité.

Ainsi, l’article L. 312-79 du Code des impositions sur les biens et services a été modifié pour prévoir un taux d’accise nul dans l’hypothèse où l’électricité produite est consommée dans le cadre d’une opération d’autoconsommation répondant aux critères de l’article L. 312-87.

Quant à l’article L. 312-87 du Code des impositions sur les biens et services, il a également été modifié afin de prévoir que l’électricité consommée pour les besoins des activités des consommateurs participant à une opération d’autoconsommation collective bénéficie de l’exonération d’accise dès lors que les conditions supplémentaires suivantes sont remplies :

  • l’électricité est produite à partir d’une source d’énergie renouvelable (éolienne, solaire, géothermique, marine, hydroélectrique, énergie ambiante, biomasse, gaz de décharge, gaz des stations d’épuration d’eaux usées ou gaz produit à partir de la biomasse)
  • la puissance installée sur le site de production est inférieure à un mégawatt.

Dès lors que ces conditions seront remplies, l’électricité consommée par les consommateurs participant à une opération d’autoconsommation collective au sens de l’article L. 315-2 du Code de l’énergie sera donc exonérée de l’accise sur l’électricité.

Cet allègement des charges pesant sur les participants devrait inciter de plus en plus de producteurs et de consommateurs à rejoindre de telles opérations.

Réforme des aides pour l’électrification rurale : parution d’un arrêté parachevant la réforme du dispositif

Un décret n° 2024-1249 du 30 décembre 2024 relatif aux aides pour l’électrification rurale, qui avait fait l’objet d’un commentaire dans notre Lettre d’actualité juridique énergie environnement mobilité du mois dernier, brève de janvier 2025, a modifié les règles d’attribution et de gestion du dispositif de financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale (Facé).

Comme le prévoyait ce décret, un arrêté devait venir préciser ses modalités d’application, c’est désormais chose faite suite à la publication de l’arrêté du 21 février 2025. Parmi les apports de cet arrêté, on signalera notamment les éléments ci-après décrits.

 

En premier lieu, l’arrêté prévoit, à son article 1er et à son annexe A, la méthode de calcul par laquelle seront réparties les dotations départementales pour chacune des sous-catégories suivantes :

  • Concernant le renforcement des réseaux, la dotation sera fixée au prorata du coût de résorption du stock de départ basse tension mal alimenté sur la zone rurale du département. L’arrêté prévoit la formule permettant de calculer le coût de résorption du stock, cette dernière incluant notamment une prise en compte d’un coefficient haute montagne et d’un coefficient Outre-Mer.
  • Concernant l’extension des réseaux, la dotation sera fixée à 50 % en fonction du flux déterminé à partir des variations de puissance souscrite des clients de la zone rurale alimentés en basse tension et à 50 % en fonction de la variation de la population dans le département.
  • Concernant l’enfouissement pour raisons environnementales, la dotation est fixée à 70 % au prorata de la longueur des lignes basse tension aérienne en zone rurale et à 30 % au prorata des travaux d’amélioration esthétique financés par les maîtres d’ouvrage sur leurs fonds propres. Les conditions de calcul de ce dernier élément sont précisées par l’arrêté.
  • Concernant la sécurisation des réseaux à fils nus, la dotation est fixée à 70 % au prorata de la longueur des fils nus en zone rurale et à 30 % au prorata de la densité des clients sur les départs comportant des fils nus.

Rappelons que le décret du 30 décembre 2024 prévoit à son article 3 que les dotations attribuées au titre des autres sous-catégories le sont de manière individuelle et par projet ; raison pour laquelle leur méthode de calcul n’est pas prévue par l’arrêté.

A son annexe B l’arrêté précise également les modalités selon lesquelles le Ministre peut décider de minorer les dotations, il y est notamment prévu les cas suivants :

  • Lorsque les autorités organisatrices du réseau public de distribution d’électricité dans le département n’ont pas procédé au regroupement de compétence (minoration de 10 % lorsque deux bénéficiaires se trouvent sur le département et de 20 % lorsque plus de deux bénéficiaires se trouvent sur le département).
  • Lorsque le rythme d’utilisation des subventions est insuffisant (5 % de minoration pour un retard de plus d’un an et demi, 10 % pour un retard de plus de deux ans, 20 % pour un retard de plus de trois ans).
  • Lorsqu’une dotation n’est pas utilisée (minoration pouvant aller jusqu’à 10 %).
  • Lorsque la dotation est utilisée de manière insuffisante (minoration équivalente à la part non utilisée).
  • Lorsque les conditions relatives au versement de l’avance ne sont pas respectées, que les délais du solde de subvention sont dépassés ou encore dans le cas d’un solde de subvention non régularisé dans les délais.

 

En deuxième lieu, l’arrêté précise, à ses articles 2 et 3, les modalités de notification, de transfert et de report des dotations pour subventions.

Il établit également, à son article 4, la liste des éléments que doit contenir la demande de subvention afin d’être valide (notamment une note technique, des plans d’esquisse des ouvrages, l’avis du gestionnaire de réseau de distribution, l’avis du préfet de département, l’analyse technico-économique, l’accord foncier et un état prévisionnel dans certains cas) ainsi que la procédure de dépôt des demandes de subvention et d’attribution de ces dernières.

 

En troisième lieu, l’arrêté prévoit, à son article 8 que le barème des taux de subvention sera fixé à 80 % pour les sous-catégories extension de réseau, enfouissement pour raisons environnementales, renforcement des réseaux et sécurisation des réseaux à fils nus.

Pour les autres sous-critères, l’arrêté prévoit que le Ministre définira le taux en fonction du nombre de demandes de financement en rapport avec l’enveloppe budgétaire de la sous-catégorie concernée ainsi qu’en fonction du bénéfice que rapporte au réseau public de distribution l’opération subventionnée.

 

En quatrième lieu, à son titre III, l’arrêté prévoit les modalités relatives à l’utilisation des subventions et notamment les critères d’éligibilité des dépenses. Tandis qu’à son titre IV il indique les modalités de publicité des chantiers à prévoir ainsi que les modalités d’évaluation de l’utilisation des aides.

 

Enfin, en cinquième lieu, l’arrêté fixe, à son titre V, l’objet des sous-catégories d’aides mentionnées au I de l’article premier du décret en établissant une définition de chacune d’elles. Il convient de noter que le ministre chargé de l’Énergie n’a pas fait usage de la possibilité de créer une sous-catégorie exceptionnelle au titre de la catégorie principale ou de la catégorie spéciale, comme le lui permettait pourtant l’article premier du décret.

Modification des critères de l’autoconsommation collective étendue

Publié au Journal officiel du 5 mars 2025, un arrêté du 21 février 2025, pris dans le prolongement de la délibération de la Commission de Régulation de l’Energie qui s’était prononcée le 18 décembre 2024 sur le projet soumis par le Gouvernement, a modifié les critères de l’autoconsommation collective étendue.

D’une part, cet arrêté réhausse à 5MW, au lieu de 3MW actuellement, le seuil de puissance cumulée des installations de production participant à une opération d’autoconsommation collective (art. 1er).

D’autre part, une nouvelle dérogation au critère géographique de 2 km est créée. Cette dérogation peut être accordée aux projets répondant aux critères cumulatifs suivants :

  • l’un des producteurs ou des consommateurs participants est une commune ou un EPCI à fiscalité propre ;
  • l’ensemble des producteurs et des consommateurs participants sont des organismes publics ou privés exerçant une mission de service public ou des sociétés d’économie mixtes locales mentionnées à l’article L. 1522-1 du CGCT et leurs filiales ;
  • les points de soutirage et d’injection sont situés exclusivement dans le ressort géographique de de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre participant au projet ou auquel adhèrent la ou les communes participant au projet.

Aucun critère géographique exprimé en kilomètre n’est donc prévu pour ces projets, c’est le ressort géographique de l’EPCI à fiscalité propre qui constituera la limite territoriale.

Pour les projets remplissant ces critères, le plafond de puissance cumulée des installations de production est fixé à 10 MW. Il est à noter que la CRE avait préconisé de fixer ce plafond à 8 MW et qu’elle n’a donc pas été suivie par le Gouvernement.

Infrastructure de Recharge de Véhicule Électrique : proposition de loi visant à renforcer la transparence à l’égard des utilisateurs

Même si les ventes de voitures électriques en France ont fortement progressé entre 2019 et 2022, en raison notamment des incitations fiscales, des subventions nationales et locales, certaines réserves de la part des consommateurs continuent encore à persister, et peuvent s’expliquer notamment par un « déficit d’information » à l’égard des particuliers, ainsi qu’ « […] un manque de transparence dans les tarifs de l’énergie délivrée »[1].

Ainsi, le renforcement de la transparence lors de tous types de transactions portant sur les véhicules électriques s’avère particulièrement nécessaire.

C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi visant à renforcer la transparence de l’information relative à la commercialisation des voitures électriques et à la distribution d’énergie, composée de deux articles, a été déposée le 4 février 2025 par le député M. Jean-Pierre Taite. Cette proposition de loi a été renvoyée devant la Commission des affaires économiques.

Son article premier crée trois obligations pesant sur les constructeurs et les vendeurs automobiles :

  • L’obligation légale pour les constructeurs et vendeurs d’informer les acheteurs sur le temps de recharge à 100 % ;
  • L’obligation d’indiquer la capacité batterie utilisable plutôt que la capacité totale ;
  • L’obligation de communiquer clairement sur la garantie vieillissement de la batterie.

En outre, et cet aspect concernerait notamment les acteurs locaux gérant le service public visé à l’article L. 2224-37 du Code général des collectivités territoriales, relatif aux Infrastructures de Recharge de Véhicules Electriques (IRVE), le deuxième article de la proposition de loi crée, à l’égard de tous les opérateurs de bornes de recharges, une obligation d’affichage du prix de vente du kWh et du coût total en euros de la recharge effectuée, dans les différents points de vente.

À cet égard, une enquête Ipsos d’avril 2024, pour l’association pour le développement de la mobilité électrique indiquait que 50 % des conducteurs de véhicules électriques interrogés sur les conditions tarifaires des bornes de recharges estimaient que ces dernières n’étaient « pas assez explicites »[2].

Or, il convient de rappeler que le règlement Alternative fuel infrastructure régulation dit AFIR[3], qui est entré en vigueur le 13 avril 2024 précise que, désormais, le prix par kWh doit être communiqué à l’utilisateur « avant le démarrage d’une session de recharge », quel que soit l’opérateur. Ainsi, ce règlement impose que le prix de vente soit rendu visible directement sur la station de recharge.

Or, la proposition de loi permet d’aller plus loin que le règlement européen qui exige l’affichage de l’information une fois que l’utilisateur se trouve devant la borne. En effet, il ressort de l’exposé des motifs qu’elle vise à imposer, en amont des stations de recharges, que le prix TTC en euros du kWh soit indiqué sur des totems ou des panneaux d’affichage, depuis la voie publique, à l’instar de la règlementation en matière de tarifs de l’essence et du gazole.

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[1] Exposé des motifs de la proposition de loi

[2] Enquête IPSOS – Avere-France auprès des utilisateurs de véhicules électriques, 3 avril 2024

[3] Règlement 2023/ 1804 sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, 13 septembre 2023

Solaire photovoltaïque : vers une remise en cause du dispositif du guichet ouvert pour les petites et moyennes installations ?

Le 12 février 2025, le Gouvernement a mis en consultation un projet d’arrêté modifiant le soutien au développement du photovoltaïque sur les bâtiments, hangars, et ombrières, à la suite d’échanges engagés fin 2024 par la direction générale de l’énergie et du climat et la direction générale des entreprises, avec le syndicat des énergies renouvelables (SER), et le syndicat des professionnels de l’énergie solaire (Enerplan)[1].

Pour rappel, le dispositif de guichet ouvert pour les panneaux photovoltaïques est un mécanisme mis en place par les pouvoirs publics pour soutenir le développement de l’énergie solaire en France. En effet, ce dispositif permet aux exploitants de panneaux photovoltaïques de passer un contrat d’obligation d’achat avec EDF ou un autre opérateur agréé, au tarif d’achat fixé par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE).

Toutefois, tous les exploitants de panneaux solaires ne peuvent bénéficier de ce dispositif, dès lors que des critères d’éligibilités à l’obligation d’achat sont fixées par le Code de l’énergie[2]. Si à l’origine, le guichet ouvert ne s’adressait qu’aux installations de 100 kWc maximum, il a été étendu, par l’arrêté du 6 octobre 2021, aux installations de maximum 500 kWc (segment dit « S21 »).

Toutefois, dans son projet d’arrêté soumis à consultation, le Gouvernement envisage de réduire, de façon rétroactive au 1er février, les niveaux de soutien aux projets solaires d’une puissance inférieure à 500 kWc.

Ce nouveau projet d’arrêté a pour objectif principal de réduire les dépenses publiques induites par la mise en œuvre du S21.

Or, les modifications sur le dispositif du guichet ouvert entraineraient d’importantes conséquences sur la filière solaire en France qui sont dénoncées notamment par le SER et Enerplan.

Selon le SER, cette réduction aurait pour effet de rendre déficitaires l’ensemble des projets solaires sur les bâtiments, hangars, et ombrières, en 2025. Dès lors, cette évolution reviendrait « dans les faits, à mettre un coup d’arrêt brusque à tous les futurs projets solaires sur les moyennes toitures et les ombrières de parking à court terme, mettant ainsi en risque la viabilité de centaines d’entreprises et de milliers d’emplois »[3].

Ainsi, le SER et Enerplan demandent au gouvernement de revenir sur sa position en maintenant le cadre tarifaire actuel pour le segment S21, le temps qu’un nouveau mécanisme soit mis en place, afin de sécuriser les investissements qui sont déjà engagés par la filière solaire en France.

 

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[1] En 2024, la Direction générale de l’Energie et du climat envisageait deux options de modification du S21, soit de passer du guichet ouvert jusqu’à 500 kWc en guichet fermé, soit de baisser le seuil d’éligibilité de l’arrêté tarifaire à 100 kWc.

[2] Art. L. 314-1 à L. 314-13 et D. 314-15 à R. 314-22 du Code de l’énergie

[3] SER, Enerplan, communiqué de presse, 13 février 2025