La Commission de Régulation de l’Energie publie le tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF applicable à compter du 1er juillet 2024 (ATRD 7)

Délibération de la CRE du 15 février 2024 portant décision modifiant des délibérations de la CRE du 27 janvier 2022 et du 28 avril 2022 relatives aux tarifs péréqués d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel des entreprises locales de distribution

Le tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF jusque-là applicable , dit « ATRD 6 », est entré en vigueur le 1er juillet 2020 pour une durée de 4 ans, par application d’une délibération de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) du 3 janvier 2020 commentée dans notre Lettre d’actualités juridiques.

Depuis plusieurs mois, la CRE, compétente en vertu des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code l’énergie pour en fixer la méthodologie d’établissement, se penche donc sur l’ATRD 7 qui sera applicable à compter du 1er juillet 2024. Elle a ainsi lancé une consultation des acteurs du marché jusqu’au 20 novembre 2023. Elle avait alors indiqué que si l’ATRD 7 devrait être plus élevé que l’ATRD 6, la hausse de 41 % sollicitée par GRDF, considérée comme excessive par la Commission, ne pouvait être retenue.

Dans le cadre de sa délibération en date du 15 février 2024 ici commentée, la CRE publie sa décision définitive sur ce nouveau tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF. Ainsi, le revenu autorisé du gestionnaire a été établi à 3 899 M€ par an pour la période 2024-2027. Cela ne suit certes pas l’augmentation initialement sollicitée par GRDF mais représente toute de même une hausse de 27,5 % par rapport au tarif en vigueur. Augmentation qui serait en grande partie due au report des effets négatifs de divers éléments exogènes ayant négativement impactés l’ATRD 6 sur la période précédente, tels que la crise énergétique et la crise sanitaire.

En parallèle, dans une délibération également du 15 février 2024, la CRE est venue modifier l’évolution annuelle de l’ATRD applicable aux ELD à partir du 1er juillet 2024 afin de le mettre en cohérence avec le tarif de l’ATRD 7 de GRDF et permettre l’accélération de l’apurement des comptes de régularisation des charges et des produits des ELD (CRCP).

Actualités en matière de certificats d’économie d’énergie

Arrêté du 7 février 2024 modifiant l’arrêté du 28 septembre 2021 relatif aux contrôles dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie

Arrêté du 22 février 2024 mettant en place des contrôles dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie

Deux arrêtés publiés aux journaux officiels de février ont modifié l’arrêté du 28 septembre 2021 relatif aux contrôles dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie. Ces deux textes sont venus modifier les référentiels de contrôle de certaines fiches d’opération standardisées et en créer de nouveaux. Par ailleurs, un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 22 décembre 2014 modifié définissant les opérations standardisées d’économies d’énergie et l’arrêté du 29 décembre 2014 modifié relatif aux modalités d’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie est en consultation.

Pour rappel, les énergéticiens sont soumis à des obligations d’économie d’énergie. Ces obligations peuvent être satisfaites en réalisant directement des économies d’énergie ou en acquérant des certificats d’économie d’énergie. Les certificats d’économie d’énergie sont des biens meubles négociables remis par l’Etat en contrepartie de la réalisation d’opérations d’économie d’énergie. Régis par les articles L. 221-1 et suivants du Code de l’énergie, ils recouvrent une variété d’interventions classées par fiches d’opération standardisées. Aux termes de l’article L. 221-9 du Code de l’énergie, les opérations d’économie d’énergie peuvent faire l’objet de contrôles. Ces contrôles sont réalisés selon des référentiels fixés par arrêté, et notamment par l’arrêté du 28 septembre 2021 relatif aux contrôles dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie. Sur l’arrêté du 7 février 2024 modifiant l’arrêté du 28 septembre 2021 relatif aux contrôles dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie. L’arrêté du 7 février 2024 introduit de nouveaux référentiels de contrôle pour les opérations standardisées suivantes :

  • BAR-TH-125 « Système de ventilation double flux autoréglable ou modulé à haute performance (France métropolitaine) » ;
  • BAT-TH-113 « Pompe à chaleur de type air/eau ou eau/eau ».

Sur l’arrêté du 22 février 2024 mettant en place des contrôles dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie. L’arrêté du 22 février 2024 introduit de nouveaux référentiels de contrôle pour les opérations standardisées suivantes :

  • BAT-TH-116 « Système de gestion technique du bâtiment pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, le refroidissement/climatisation, l’éclairage et les auxiliaires » ;
  • RES-CH-106 « Mise en place d’un calorifugeage des canalisations d’un réseau de chaleur » ;
  • RES-CH-107 « Isolation de points singuliers sur un réseau de chaleur » ;
  • RES-EC-104 « Rénovation d’éclairage extérieur ».

Par ailleurs, l’arrêté du 22 février 2024 modifie l’arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d’économies d’énergie pour y introduire une définition de la notion de réseaux de chaleur. Ainsi, aux termes du nouvel article 2 ter de l’arrêté du 22 décembre 2014 « lorsque, dans une fiche d’opération standardisée, il est fait mention de réseaux de chaleur, ceux-ci s’entendent de réseaux de chaleur alimentant des bâtiments appartenant à au moins deux abonnés distincts ». Sur le projet d’arrêté modifiant les arrêtés définissant les opérations standardisées d’économies d’énergie et les modalités d’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie

Par une décision n° 469215 en date du 4 janvier 2024, le Conseil d’Etat a annulé plusieurs dispositions de l’arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l’arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie. Les dispositions de l’arrêté précité ont été annulées au motif qu’elles auraient dû être précédées d’une consultation du public en application de l’article L. 123-19-1 du Code de l’environnement du fait de leur incidence sur l’environnement. Le Conseil d’Etat avait modulé dans le temps les effets de cette annulation au 1er avril 2024.

Le projet d’arrêté ici commenté reprend en partie les dispositions annulées par la décision du Conseil d’Etat précitée. Ainsi, le projet d’arrêté réintroduit la suppression de la condition que l’équipement de chauffage remplacé soit hors condensation avant le 1er avril 2024. Par ailleurs, le dispositif des certificats d’économie d’énergie ne pouvant plus soutenir l’installation de systèmes de chauffage au gaz à compter de 2025 compte tenu du projet de révision de la directive 2002/91/CE sur la performance énergétique des bâtiments en voie d’adoption, le projet d’arrêté fixe au 31 décembre 2024 la date d’extinction de la fiche d’opération standardisée BAR-TH-163 « conduit d’évacuation des produits de combustion » bénéficiant du Coup de pouce « chauffage ».

Autoconsommation collective en gaz : avis de la Commission de Régulation de l’Energie sur les projets de textes réglementaires pris en application de la loi APER

Délibération de la CRE du 13 décembre 2023 portant avis sur le projet de décret pris en application des articles L. 448-1 à L. 448-5 du Code de l’énergie relatif à l’autoconsommation collective en gaz.

Le 13 décembre 2023, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a publié deux délibérations portant avis sur deux projets de décrets relatifs au régime de l’autoconsommation collective étendue en gaz. Pour rappel, le dispositif de l’autoconsommation collective étendue en gaz a été introduit par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après, loi APER) aux articles L. 448-1 à L. 448-5 du Code de l’énergie.

Aux termes de l’article L. 448-1 de ce Code, les opérations d’autoconsommation collectives en gaz sont celles dont « la fourniture de gaz renouvelable est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale dont les points de consommation et d’injection sont situés sur le réseau public de distribution de gaz et respectent les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie » Ainsi, la loi APER a confié au pouvoir réglementaire le soin de fixer le critère de proximité géographique d’opérations d’autoconsommation collectives étendue. On soulignera également que l’article L. 448-5 du Code de l’énergie précise que les conditions d’application du chapitre dédié à l’autoconsommation collective étendue en gaz doivent être définies par décret. C’est sur ces points que la CRE a été saisie pour avis le 15 novembre 2023 d’un projet d’arrêté et d’un projet de décret.

S’agissant d’abord de l’arrêté fixant le critère de proximité géographique, le projet d’arrêté propose en son article 1er une distance maximale entre les deux participants les plus éloignés de deux kilomètres. Cette distance doit s’apprécier à partir du point de livraison pour les sites en consommation et à partir du point d’injection pour les sites de production. Il est également précisé que la production annuelle cumulée des installations de production doit être inférieure à 25 GWh/an. La Personne Morale Organisatrice (ci-après, PMO) peut néanmoins demander au ministre chargé de l’énergie une dérogation au critère de proximité géographique valable pour la durée de vie de l’opération. L’article 2 du projet d’arrêté prévoit en effet que dans ces conditions, la distance entre les participants à l’opération les plus éloignée puisse être portée :

  • A dix kilomètres lorsque l’ensemble des producteurs et consommateurs sont situés exclusivement sur une ou plusieurs communes rurales ou périurbaines ;
  • A vingt kilomètres lorsque l’ensemble des producteurs et consommateurs sont situés exclusivement sur une ou plusieurs communes rurales.

Etant précisé par l’arrêté que les communes dites rurales sont celles qualifiées par l’INSEE de « bourgs ruraux », « rural à habitat dispersé » et « rural à habitat très dispersé ».

Enfin, l’article 3 du projet d’arrêté prévoit une collecte d’informations (dont la nature est précisée en annexe du projet d’arrêté) de la part des porteurs de projets, des PMO des opérations d’autoconsommation collectives étendues en gaz, des responsables d’équilibre et des gestionnaires des réseaux de distribution de gaz naturel concernés et les transmettent à la ministre chargée de l’énergie afin d’assurer le suivi de cette expérimentation et de l’évaluer.

En définitif, le projet d’arrêté transpose au gaz le cadre juridique en vigueur concernant l’autoconsommation collective étendue en électricité. La CRE a donné un avis favorable à ce projet de texte en considérant d’abord que le plafond de production annuelle cumulée à 25 GWh/an était pertinent dès lors qu’il garantissait que les opérations d’autoconsommation collective étendues en gaz puissent conserver des proportions contenues. De plus, selon la CRE, le critère de proximité géographique de 2 km permet de conserver la dimension locale de l’opération. En outre, elle considère que la dérogation prévue au critère de proximité géographique est adaptée au développement privilégié de la production de biométhane dans les zones à forte activité agricole.

Le Régulateur précise néanmoins être favorable, à titre expérimental, à l’octroi automatique de ces dérogations pour les projets en zone rurale et périurbaine au regard de la charge administrative que peut représenter les demandes de dérogations pour les porteurs de projet.

Enfin, s’agissant des distances de 20 et 10 kilomètres fixées en cas d’obtention de la dérogation, la CRE considère que celles-ci doivent rester un maximum dès lors notamment que cette limitation lui semble adaptée à la réalité du réseau public de distribution de GRDF associé au développement du biométhane dont les longueurs moyennes n’excèdent pas 25 km. Selon la CRE, au-delà d’une distance de 20 km, la possibilité d’échange de gaz entre participants à l’opération n’est pas acquise.

S’agissant ensuite du projet de décret pris en application des articles L. 448-1 à L.448-5 du Code de l’énergie, certaines de ses dispositions portent modification de ce Code tant sur la question de la production du biogaz et de l’injection du gaz bas-carbone dans le réseau de gaz naturel que sur celle de l’autoconsommation collective étendue en gaz.

Concernant cette seconde thématique, on retiendra que l’article 6 du projet d’arrêté prévoit la création d’un chapitre VIII intitulé « l’autoconsommation collective étendue » au sein du titre IV du livre IV de la partie réglementaire du Code de l’énergie consacré à la commercialisation du gaz. Plus précisément, au sein de ce chapitre VIII, il est proposé d’introduire un article D. 448-2 fixant trois conditions à respecter par les producteurs de gaz renouvelables et les consommateurs participant à une opération d’autoconsommation collective en gaz :

  • raccordés au réseau public de distribution de gaz naturel exploité par un unique gestionnaire ;
  • déclarer l’opération d’autoconsommation collective étendue auprès du gestionnaire du réseau public de distribution de gaz naturel ;
  • choisir, pour chaque consommateur final, un fournisseur de gaz naturel au sens des articles L. 443-1 et suivants du Code de l’énergie.

Le projet de décret prévoit également l’introduction d’articles au sein de ce Code qui fixent notamment les limites de quantités pouvant être autoconsommées et les règles de calcul des quantités de production affectées à chaque consommateur final (création d’un article D. 448-4 du Code de l’énergie), les obligations de la PMO vis-à-vis du gestionnaire du réseau public de distribution, qui doit lui communiquer les coefficients de répartition de la production associée à chaque consommateur final ou, le cas échéant, leur méthode de calcul (création d’un article D. 448-5 du Code de l’énergie), l’obligation pour le fournisseur d’un consommateur participant à une telle opération de couvrir ses besoins en gaz naturel pour la part non autoconsommée (création d’un article D. 448-6 du Code de l’énergie), ou encore les informations minimales devant figurer dans le contrat qui lie le gestionnaire du réseau de distribution de gaz et la PMO (création d’un article D. 448-8 du Code de l’énergie). En outre, le projet de décret introduit des dispositions relatives aux opérations d’autoconsommation collectives en gaz à l’initiative d’organisme d’habitations à loyer modéré.

Après avoir souligné ici également que les modifications du Code de l’énergie prévues par le projet de texte sont similaires à celles en vigueur pour l’autoconsommation collective étendue de l’électricité et la pertinence d’une telle transposition, la CRE a rendu un avis favorable sur le projet de décret.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêté du 28 décembre 2022 fixant le prix seuil permettant de calculer la « prime négative » dans le cadre du mécanisme du complément de rémunération

Saisi de trois requêtes présentées par diverses associations, syndicats et sociétés, qui ont été jointes, le Conseil d’Etat a prononcé l’annulation de l’arrêté du 28 décembre 2022 fixant le prix seuil pris en application de l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 dans un arrêt du 13 février 2024.

Pour rappel, ce prix seuil prend place dans le contexte du déplafonnement des contrats de complément de rémunération. Tel que nous l’indiquions dans une précédente lettre d’actualités juridiques relative à l’avis de la Commission de Régulation de l’Energie sur le projet d’arrêté litigieux, le dispositif du complément de rémunération donne lieu au versement d’une prime d’EDF Obligation d’Achat (ci-après, EDF OA) vers les producteurs d’énergie renouvelable ou de ces producteurs vers EDF OA. Dans l’hypothèse où le prix de gros sur le marché de l’électricité est inférieur au tarif de référence fixé dans le contrat de complément de rémunération, la prime est versée par EDF OA. On parle alors de « prime positive ». A l’inverse, si le prix de gros sur le marché est supérieur à ce tarif de référence, le producteur d’énergie renouvelable doit verser une « prime négative » à EDF OA.

Auparavant, le montant de cette « prime négative » était plafonné au montant total des aides perçues depuis le début du contrat lorsque le contrat portait sur des installations déjà en service. Ce mécanisme de plafonnement a été supprimé des contrats de complément de rémunération dès décembre 2021 et l’article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022 prévoyait un déplafonnement rétroactif à compter de janvier 2022. Le versement d’une prime négative par les producteurs d’énergie renouvelable à EDF OA devait désormais être calculé selon un prix seuil déterminé chaque année jusqu’à la fin du contrat.

Or, le 26 octobre 2023, le Conseil constitutionnel saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité a censuré l’article 38 susvisé en considérant que si la modification en cours d’exécution des modalités contractuelles déterminant le montant des reversement dus par les producteurs à EDF OA portait une atteinte au droit au maintien des convention légales conclues qui n’était pas disproportionnée, en renvoyant à un arrêté ministériel la fixation de ce prix seuil et donc en s’abstenant de fixer lui-même les critères de détermination de ce prix, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit au maintien des conventions légalement conclues. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraire à la constitution l’article 38 de la loi de finance rectificative pour 2022 sans report d’effet.

Dans l’instance qui nous occupe, le Conseil d’Etat a ainsi tiré les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité pour considérer que l’arrêté du 28 décembre 2022 était privé de base légale. On retiendra alors que si le législateur entend remettre à l’ordre du jour le mécanisme du prix seuil, il devra déterminer lui-même ses critères de détermination.

Zonage de raccordement des installations de production de biogaz au réseau de gaz naturel : la Commission de Régulation de l’Energie émet un avis positif sur un projet de décret

Le principe du droit à l’injection pour les producteurs de biogaz dans le réseau de gaz naturel impose aux gestionnaires des réseaux de distribution (GRD) de gaz naturel, lorsqu’une installation de production de gaz renouvelable, dont le biogaz ou de gaz bas-carbone, est située à proximité d’un tel réseau, d’effectuer les renforcements nécessaires pour permettre leur injection dans ledit réseau (article L. 453-9 du Code de l’énergie). Pour ce faire, les GRD doivent au préalable élaborer un zonage de raccordement des installations de production de biogaz au réseau de gaz naturel qu’ils soumettent à la validation de la CRE (article D. 453-21 du Code de l’énergie).

Ainsi, par des délibérations régulièrement commentées dans notre lettre d’actualités juridiques, la CRE valide les projets de zonages de raccordement qui lui sont soumis, de même que les programmes d’investissements du réseau propre à augmenter la capacité du réseau en vue de ce raccordement. Avant d’être soumis à cette validation, l’élaboration de ces zonages suppose la consultation préalable des autorités organisatrice de la distribution de gaz (AODG) concernées, et ce sans que l’article D. 453-21 du Code de l’énergie qui la prévoit ne précise les éléments à transmettre à cette fin.

C’est dans ce cadre, qu’un projet de décret dont a été saisi la CRE propose de préciser que doivent alors être transmis aux AODG concernés « les hypothèses utilisées » pour l’établissement du zonage de raccordement des installations de production de biogaz à un réseau de gaz naturel. Un ajout bienvenu selon la CRE qui considère « qu’il est essentiel que les autorités organisatrices de la distribution de gaz naturel concernées aient les éléments pertinents leur permettant d’émettre un avis éclairé sur les projets de zonages » et qui conduit la CRE à émettre un avis positif sur le projet de décret.

Absence de concurrence entre les fournisseurs d’énergie sur le territoire des Entreprises Locales de Distribution : il est nécessaire pour le consommateur de se voir opposer un refus de fourniture d’énergie avant de saisir le CORDIS

Le niveau d’ouverture à la concurrence entre les fournisseurs d’énergie (gaz et électricité) est, sur le territoire des Entreprises Locales de Distribution (ELD), inférieur à celui observé sur les zones de desserte exclusive des sociétés GRDF et Enedis. C’est le constat régulièrement dressé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), notamment dans un rapport publié en novembre 2020 alors commenté dans notre lettre d’actualités juridiques ainsi que par le Médiateur National de l’Energie dans son rapport d’activité pour l’année 2019, également analysé dans une précédent lettre d’actualités juridiques.

Selon la CRE, cette situation s’explique notamment par l’absence d’automatisation des échanges entre les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux de distribution sur le territoire des ELD (dits GRD-ELD) ainsi que par un attachement fort sur ces territoires des consommateurs aux ELD, qui constituent le fournisseur historique local. Le Régulateur avait alors annoncé diverses mesures à mettre en place par les GRD pour permettre le développement des offres concurrentielles de fourniture d’électricité et de gaz sur ces territoires (voir en ce sens sa délibération du 10 juin 2021 commentée dans notre lettre d’actualités juridiques). Mesures qui ne semblent pas encore s’avérer suffisantes pour permettre aux consommateurs d’être libres d’acheter de l’électricité auprès du fournisseur d’énergie de leur choix sur les territoires couverts par certaines de ces ELD. En effet, sur le territoire de l’une d’entre elles, marqué par la pénurie d’offres de fourniture d’électricité concurrentes en offre de marché sur le segment des consommateurs résidentiels, un consommateur faisant partie de cette catégorie a saisi le CORDIS afin qu’il enjoigne l’ELD en question de respecter ses obligations propres à assurer aux consommateurs le droit de choisir librement leurs fournisseurs. Obligations découlant notamment de l’article 4 de la directive n° 2019/944 du 5 juin 2019 désormais codifiées.

Le Comité a alors commencé à rappeler en ce sens qu’il résulte de ces dispositions que « le respect du principe d’accès non discriminatoire aux réseaux, qui s’impose aux gestionnaires de réseaux, conditionne l’exercice effectif du droit des consommateurs de choisir librement leur fournisseur » et regretté cette absence de concurrence entre les fournisseurs sur les territoires en question.

Toutefois, observant que le requérant ne fait pas, au cas présent, état d’un refus d’accès opposé par le GRD avec qui il a conclu son contrat de fourniture d’électricité (en l’occurrence l’ELD par ailleurs distributeur, donc), le CORDIS estime qu’il ne caractérise pas l’existence d’un litige relatif à l’accès ou à l’utilisation au réseau public de distribution d’électricité conformément à l’article L. 134-19 du Code de l’énergie. Il rejette donc cette requête.

Il incite néanmoins les consommateurs qui feraient l’objet d’un tel refus à le saisir : « il appartient aux utilisateurs, qui considèreraient, le cas échéant, se voir opposer par le gestionnaire de réseau un refus d’accès au réseau public contraire à l’article L. 111-93 du code de l’énergie, sur la zone de desserte en cause, tels que, par exemple, les fournisseurs alternatifs, de saisir, s’ils s’estiment fondés, le comité de demandes de règlement des différends ».

Document de référence du réseau ferré national (DRR) 2024 et 2025, que d’enseignements

Article L’Autorité de régulation des transports exprime de fortes attentes vis-à-vis de SNCF Réseau concernant l’amélioration des conditions opérationnelles d’accès au réseau ferroviaire

Prévu par le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003, le Document de référence du réseau ferré national (DRR) est un document, publié chaque année par SNCF Réseau, qui a pour objet de présenter les renseignements techniques et juridiques indispensables à la circulation des trains. Il décrit les principes et procédures pour l’accès aux infrastructures ferroviaires gérées par SNCF Réseau, du point de vue de l’accès aux infrastructures et des tarifs (définition figurant sur le site internet de l’Autorité de régulation des transports – ici l’ART).

L’ART est chargée d’émettre un avis sur le DRR, en émettant des recommandations et injonctions à SNCF Réseau.

Or, par un arrêt rendu le 5 mars dernier, le Conseil d’État vient de rendre sa décision dans le cadre du litige opposant sept régions à SNCF Réseau. S’il annule ce DRR, c’est pour un motif de procédure. En effet, d’une part, SNCF Réseau n’a pas respecté l’exigence de transparence qui s’impose lors de la détermination de la tarification de l’usage du réseau en ne transmettant pas aux régions des informations suffisantes sur l’estimation des coûts complets de l’infrastructure ferroviaire et leur évolution. D’autre part, la Haute Juridiction ne peut que constater que SNCF Réseau ne s’est pas mise en situation de prendre en compte les observations des autorités organisatrices de transport, les privant ainsi d’une garantie qu’elles tiennent des textes applicables. Et pour cause, les observations ont été reçues les 7 et 8 décembre 2022 et le DRR a été approuvé par le conseil d’administration de SNCF Réseau le 9 décembre ! Alors, certes, le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur le fond et, certes, il a reporté les effets de l’annulation au 1er octobre 2024. Mais cela reste une première victoire pour les régions. Et il y a fort à parier que SNCF Réseau reverra sa copie pour le DRR 2025 en cours de validation !

Or, précisément, le 1er février dernier, l’ART a rendu son avis sur le DRR pour l’horaire de service 2024 modifié et pour l’horaire de service 2025 (avis n° 2024-009). L’ART constate que si le gestionnaire d’infrastructures a mis en œuvre les ¾ des recommandations visées dans son avis précédent du 09 février 2023, cinq injonctions sur dix-sept qui figuraient dans une décision de l’ART du 28 juillet 2022 (règlement de différend) n’ont pas été pleinement respectées par SNCF Réseau et deux injonctions n’ont pas du tout été mises en œuvre.

A titre d’exemple, il est reproché à SNCF Réseau de na pas avoir rempli l’ensemble des champs relatifs aux impacts des écarts-travaux sur les sillons des candidats dans l’outil « TCAP ». SNCF Réseau s’est néanmoins engagée à exécuter les deux injonctions qui n’ont pas été mises en œuvre, avant la fin du premier trimestre 2024. Il est également reproché à SNCF Réseau d’avoir mal défini la notion de sillon-jour lié, afin de mieux prendre en compte la réalité des plans de transport des entreprises ferroviaires.

Par ailleurs, l’ART émet 13 recommandations relatives aux conditions opérationnelles d’accès au réseau, qu’elle regroupe en deux grands ensembles :

  • fournir davantage d’efforts dans l’accompagnement des nouveaux entrants sur le marché du transport ferroviaire de voyageurs ;
  • revoir les processus industriels pour améliorer la qualité du service aux usagers.

Sur le premier ensemble, SNCF Réseau est notamment invité à améliorer la visibilité à long terme de l’allocation des capacités dans les accords-cadres conclus avec les opérateurs. A titre d’exemples :

  • les critères d’éligibilité imposant un nombre minimal de circulations par jour par semaine et par an ne permettraient pas aux services de trains de nuit d’être éligibles à des accords-cadres ;
  • S’agissant des raccordements de sites appartenant à des tiers au réseau ferroviaire, « les conditions sont peu transparentes et peu favorables en matière de coûts et de délais» et « les conditions de raccordement au réseau ferroviaire pourraient gagner en transparence » (§37 de l’avis). L’ART recommande à SNCF Réseau de détailler précisément les différentes étapes et délai du raccordement et d’annexer au DRR un modèle de contrat de raccordement.

Sur le second ensemble, SNCF Réseau est invité à revoir certains processus industriels afin d’améliorer la qualité du service rendu aux usagers, et notamment :

  • rendre plus performante et transparente la procédure d’allocation des capacités, en y associant « plus clairement les parties prenantes». Il est demandé au gestionnaire d’infrastructure de renforcer l’accès des nouveaux entrants aux systèmes d’information (caractéristiques de l’infrastructure, travaux, commande de capacités, exploitation, etc.), en réduisant la dissymétrie d’information avec les clients actuels de SNCF Réseau qui circulent déjà sur le réseau ;
  • minimiser les impacts des travaux d’infrastructure sur les circulations, en amplifiant les efforts du gestionnaire d’infrastructure en matière de concertation et d’information. Ce dernier doit mettre en place un outil digital à disposition des entreprise ferroviaires afin d’accéder aux informations sur les capacités-travaux et permettant de recueillir leurs observations ;
  • fournir aux clients des « informations plus précises et plus fiables» en matière d’exploitation ferroviaire. Il s’agit de minimiser l’impact des situations perturbées sur les circulations commerciales.

Affaire du Dieselgate : les collectivités peuvent se constituer parties civiles dans le cadre des procédures d’information judiciaire en cours

Présentée comme un scandale industriel et sanitaire, l’affaire dite du Dieselgate n’est pas cantonnée au constructeur Volkswagen, ni même aux acquisitions de véhicules à motorisation diesel outre-Atlantique. En France, en sus de la société Volkswagen, les constructeurs Renault, Fiat et Stellantis – issue de la fusion entre Citroën et Peugeot – sont également visés par des procédures d’instruction ouvertes au Pôle santé publique du Tribunal judiciaire de Paris, du chef du délit de tromperie aggravée.

Ces procédures en cours d’information judiciaire portent sur les véhicules diesel acquis, loués ou pris en leasing entre 2009 et 2016 auprès d’un de ces constructeurs qui les auraient équipés d’un dispositif non autorisé de contrôle des gaz d’échappement, ayant eu pour objet ou pour effet d’annihiler ou de réduire l’efficacité du fonctionnement de ce système de contrôle des émissions polluantes.

Les Collectivités qui ont acquis ou utilisé ce type de véhicules sur la période concernée sont admises à se constituer parties civiles dans ces procédures et pourront, en cas de renvoi des constructeurs devant le tribunal correctionnel, solliciter un droit à réparation pour le préjudice subi au titre de l’acquisition et de la mise en circulation de ces véhicules en raison notamment de leur impact environnemental et sanitaire réel.

Notons, en effet, que dans un arrêt en date du 21 mars 2022 (C-100/21), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a admis, dans une affaire concernant la mise en place par le constructeur Mercedes-Benz Group d’un logiciel non autorisé – dit dispositif des « fenêtres thermiques » – le principe d’un droit à réparation pour les propriétaires de véhicules équipés d’un tel dispositif non autorisé.

Cette décision est transposable à la situation des dispositifs anti-pollution.

Eau : Validation du décret « sécheresse »

Le décret n° 2022-1078 en date du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux, qui avait fait l’objet de vifs débats lors de son adoption (cf. notre article sur le sujet) a été soumis à l’examen du Conseil d’Etat, qui s’est prononcé par une décision du 5 février 2024.

Et le juge, ne reconnaissant aucun des moyens soulevés par la requérante comme fondé, en confirme la validité :

  • Il estime en effet que la procédure de participation du public ayant été menée pour l’adoption du décret était régulière ;
  • Il a été adopté par l’autorité compétente ;
  • L’absence de définition de certaines notions utilisées au sein du décret, et plus particulièrement celles de « période de basses eaux», de « volumes pouvant être hydrologiquement disponibles pour les usages anthropiques » ainsi que de « bon fonctionnement des milieux aquatiques, n’entraine pas par elle-même une méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme » ;
  • Le décret encadre suffisamment l’action des préfets coordonnateurs de bassin s’agissant des ressources en eau prélevables en dehors des périodes de basses eaux et ne porte dès lors pas atteinte au principe de sécurité juridique ;
  • Le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation n’était pas suffisamment détaillé dans la requête pour que le juge puisse se prononcer.

Référé-suspension et environnement : quand la suspension est-elle urgente ?

CE, 16 février 2024, SA Les Mines de Potasse d’Alsace, n° 489591, 489601

Par deux ordonnances en date du 16 février 2024, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la caractérisation de la condition d’urgence lorsqu’il est demandé au juge de suspendre des décisions en matière environnementale, en l’occurrence une autorisation environnementale et une autorisation de stockage souterrain, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (CJA).

1°) Dans une première décision n° 479822 en date du 16 février 2024, le Conseil d’État a précisé quels paramètres devaient être pris en compte, ou plutôt ne pas être pris en compte, pour apprécier s’il existe une urgence à suspendre une autorisation environnementale dans le cadre d’un référé-suspension (article L. 521-1 du CJA).

En l’espèce, le préfet de la Moselle avait délivré à la société Solucane un arrêté d’autorisation pour l’exploitation d’une plateforme de transit de déchets sur le territoire de la commune de Phalsbourg. Les requérants avaient alors demandé au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution de cet arrêté. Par une ordonnance du 25 juillet 2023, le Tribunal administratif avait fait droit à leur demande en jugeant notamment qu’il existait une urgence à suspendre l’autorisation environnementale attaquée en raison des risques pour la sécurité et les atteintes à la commodité du voisinage susceptibles d’être causés par les travaux de construction, autorisés par un permis de construire en date du 27 janvier 2023.

Saisi de la contestation de cette ordonnance, le Conseil d’Etat a toutefois infirmé ce raisonnement et jugé que les effets qui s’attachent à l’exécution de l’autorisation environnementale sont distincts de ceux du permis de construire portant sur les équipements nécessaires à l’exploitation autorisée. Ainsi, même si la mise en œuvre du permis de construire dépend de l’autorisation environnementale, les risques et nuisances liés aux travaux de construction ne peuvent être utilement invoqués pour justifier de l’urgence à suspendre l’exécution de l’autorisation environnementale.

Il annule ainsi l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg du 25 juillet 2023, considérant que les risques et nuisances susceptibles de résulter des travaux de construction de la plateforme de transit de déchets sont sans incidence sur l’appréciation de l’urgence à suspendre l’exécution de l’arrêté d’autorisation environnementale.

2°) Dans une seconde décision n° 489591 du même jour, le Conseil d’Etat a également dû se prononcer sur la condition d’urgence à suspendre l’autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux non radioactifs.

En effet, le préfet du Haut Rhin avait autorisé la prolongation pour une durée illimitée de l’autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux non radioactifs. Contesté par plusieurs requérants l’exécution de cet arrêté a été suspendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg, qui avait considéré que la condition d’urgence était remplie dès lors que le préfet ne démontrait pas que les travaux ainsi prolongés n’auraient pu être effectués auparavant.

Amené à se prononcer sur la condition d’urgence, le Conseil d’État a estimé que le juge des référés avait commis une erreur de droit dès lors qu’il n’avait pas procédé à une appréciation globale et concrète de la situation et prenant en compte les intérêts en jeu.

Procédant à cette appréciation, le Conseil d’Etat estime que la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que :

  • Il n’est pas démontré que le démarrage des travaux de confinement des déchets sur le site en cause présenterait un danger immédiat pour l’environnement et la santé des populations ;
  • La décision d’autoriser pour une durée illimitée le stockage des déchets sur le site en cause constituerait aujourd’hui la solution la plus susceptible de préserver l’environnement des atteintes portées par le site en cause ;
  • La réalisation des travaux est urgente car seule leur réalisation dans les meilleurs délais permettrait d’assurer les intérêts publics liés à la préservation des risques d’atteinte à l’environnement et à la sécurité des agents chargés de ces travaux.

Dès lors, le Conseil d’État prononce l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg.

L’Autorité de Régulation des Transports valide l’augmentation de 4,5 % des redevances aéroportuaires pour 2024 proposée par Aéroport de Paris compte tenu des charges induites par la nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance

Saisie d’une demande d’homologation des tarifs de redevances aéroportuaires sur l’année 2024 pour les aéroports de Paris-CDG, Paris-Orly et Paris-Le Bourget, l’Autorité de régulation des transports (ART) valide leur augmentation de 4,5 % pour les deux premiers aéroports et de 5,4 % pour l’aéroport de Paris-Le Bourget, par rapport aux tarifs actuellement en vigueur.

Initialement et après trois réunions de la Commission consultative économique (CoCoÉco) des aéroports de Paris-CDG et Paris-Orly, le gestionnaire Aéroport de Paris (ADP) souhaitait augmenter ses redevances aéroportuaires d’environ 1,5 % à partir du mois d’avril 2024 (pour les aéroports de Paris-CDG et Paris-Orly). C’était sans compter l’adoption de l’article 100 de la loi de finances 2024 qui institue la taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance.

Concrètement, par l’institution de cette nouvelle taxe, ADP devra supporter une charge d’environ 120 millions d’euros pour 2024.

Dans ces conditions, les propositions tarifaires résultant des CoCoEcos réunies avant l’adoption de la loi de finances pour 2024 n’étaient plus pertinentes. Et, précisément, l’ART confirme que les règles applicables aux redevances aéroportuaires autorisent Aéroport de Paris à compenser cette nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport longue distance par les redevances aéroportuaires.

Dans ce contexte particulier, par la décision n° 2024-001 du 18 janvier 2024, le régulateur a homologué, ces nouveaux tarifs de redevances aéroportuaires pour les aéroports Paris-CDG, Paris-Orly et Paris-Le Bourget, en vigueur à compter du 1er avril 2024.

Consultation publique portant sur l’évolution des règles de séparation comptable de SNCF Voyageurs

L’Autorité de régulation des transports (ci-après, l’ « ART ») a lancé, le 14 février 2024, une consultation publique ayant pour objet de présenter les modifications des règles de séparation comptable proposées par SNCF Voyageurs à compter de l’exercice comptable 2023 ainsi que les éléments de réflexion de l’ART sur ces propositions et de consulter l’ensemble des acteurs intéressés sur ces éléments, avant l’adoption par d’une décision sur l’approbation de ces règles, en application de l’article L. 2133-4 du Code des transports.

La plupart des modifications concernent des précisions sur la description des règles de séparation comptable, en vue d’améliorer la transparence de ces règles. Néanmoins, quelques modifications, en particulier celle concernant l’allocation des coûts de distribution, sont susceptibles d’avoir un effet sur les comptes séparés des entreprises ferroviaires de transport régional de SNCF Voyageurs. C’est pourquoi l’Autorité souhaite consulter les parties prenantes sur son analyse préalable de ces évolutions étant précisé que cette analyse est susceptible d’être modifiée en fonction des contributions reçues.

La séparation comptable constitue effectivement un outil indispensable à la bonne régulation du secteur ferroviaire notamment en vue de l’ouverture à la concurrence et le Code des transports prévoit une obligation de séparation comptable de différentes activités ferroviaires :

  • séparation entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation de services ferroviaires ;
  • séparation entre la gestion des gares de voyageurs et les activités d’exploitation d’installations de service et d’exploitation de services ferroviaires ;
  • séparation entre les activités de transport de personnes et de transport de marchandises ;
  • séparation entre les services conventionnés et les services librement organisés et, en ce qui concerne les services conventionnés de transport de personnes, séparation entre chaque contrat de service public

La séparation comptable doit permettre d’une part, de disposer d’une connaissance fine des actifs, des passifs, des produits et des charges par activité séparée, et de présenter les comptes des différentes activités et les relations entre elles comme si elles étaient réalisées de manière indépendante et, d’autre part, elle permet ainsi au régulateur d’évaluer en connaissance de cause la pertinence des tarifs régulés proposés par les gestionnaires d’infrastructure ou d’installations de service.

En outre, la séparation comptable est essentielle pour prévenir toute discrimination, subvention croisée et distorsion de concurrence à même de favoriser l’opérateur historique au détriment des nouveaux entrants. Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, il est effectivement essentiel que l’opérateur historique ne conserve pas une maîtrise des infrastructures essentielles par le jeu de tels mécanismes.

Enfin, la réussite de l’ouverture à la concurrence passe également par la possibilité, pour les régions, en tant qu’Autorités Organisatrices de Transport (AOT), de disposer de l’ensemble des données de coûts relatives à l’exploitation du service nécessaires pour organiser la procédure de publicité et de mise en concurrence et d’établir des critères objectifs d’attribution leur permettant ensuite de comparer des offres alternatives d’infrastructure ou d’installations de service.

Ainsi, les règles de séparation comptable de SNCF Voyageurs sont loin de constituer une simple problématique comptable mais présentent au contraire un enjeu essentiel pour la réussite de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Les parties prenantes ont donc tout intérêt à présenter leurs éventuelles observations à la consultation lancée par l’ART. Pour ce faire, elles peuvent télécharger le document mis à leur disposition par l’ART sur son site internet, lequel détaille les enjeux de la consultation, les évolutions apportées aux règles de séparation comptable de SNCF Voyageurs et pose sept questions sur les évolutions envisagées.

La consultation est ouverte jusqu’au 13 mars 2024

Production d’énergie renouvelable par les collectivités territoriales et leurs groupements : fondement juridique de leur intervention

La production d’énergie renouvelable constitue, depuis plusieurs années, un domaine d’intervention majeur et stratégique pour l’ensemble des acteurs locaux impliqués dans la transition énergétique. En apportant leur soutien aux projets de production d’énergies renouvelable déployés sur leur territoire, que ce soit par le biais de mises à disposition foncières, par un soutien financier ou capitalistique, voire en étant à l’initiative de tels projets, les collectivités et leurs groupements marquent leur engagement fort en faveur des énergies renouvelables et participent à l’autonomie énergétique du territoire. Ils contribuent également par la même occasion à l’atteinte des objectifs de décarbonation de la production énergétique fixés par le législateur.

Or, dans le contexte actuel de forte incitation des personnes publiques à investir le secteur des énergies renouvelables, la question du fondement juridique de leur intervention n’est toujours pas clairement réglée, générant de nombreuses interrogations des acteurs locaux et une incertitude juridique particulièrement inopportune. En effet, des prises de position récentes de l’Etat et du juge administratif mettent en lumière l’inadaptation du cadre juridique actuel (à tout le moins tel qu’il est interprété par ces derniers) à l’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière de production d’énergie renouvelable.

Le présent focus est ainsi l’occasion de rappeler les termes du débat (I), de faire état des réponses ministérielles et des décisions juridictionnelles rendues en la matière et retenant une approche regrettablement restrictive de l’intervention locale (II), avant de présenter les arguments qui selon nous conduisent à remettre en cause leur pertinence (III).

I. Les termes du débat et les questionnements générés par le statut de la production d’énergie renouvelable

En matière de production d’énergie renouvelable, il existe un débat, non encore définitivement tranché, sur le point de savoir :

  • si cette activité constitue une véritable compétence soumise aux principes de spécialité et d’exclusivité en vertu desquels :
    • d’une part, une personne publique ne peut intervenir que dans les domaines que lui confient le législateur ou ses statuts constitutifs (principe de spécialité, CE avis du 7 juillet 1994, EDCE 1994, n° 46, p.409 ; CE 23 octobre 1985, Commune de Blaye les Mines, Rec. p. 297) ;
    • et d’autre part, une personne publique ayant transféré sa compétence est dessaisie de toute possibilité d’intervention financière ou opérationnelle dans le champ de la compétence transférée (CE, 16 octobre 1970, Commune de Saint Vallier, n° 71536 ; CE 14 janvier 1998, Communauté urbaine de Cherbourg, n° 161661).
  • au-delà de ces règles générales, s’il faut y voir une compétence particulière, par principe partagée entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales, et dans l’affirmative entre quels niveaux ;
  • voire même, si un transfert de compétence est véritablement nécessaire pour habiliter un Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) ou un syndicat mixte à intervenir en matière de production d’énergie renouvelable ou si le législateur doit être regardé comme ayant habilité tous les échelons à intervenir concurremment.

L’activité de production d’énergie renouvelable est principalement envisagée par :

  •  l’article L. 2224-32 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui prévoit que « les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres, peuvent, (…), aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter » des installations de production d’énergie renouvelable ;
  •  l’article 88 I de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (Grenelle 2) qui consacre la possibilité pour les départements, régions, EPCI et syndicats mixtes « d’aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales des installations de production d’électricité utilisant des énergies renouvelables », dans un but d’autoconsommation ou de vente de l’électricité produite dans le cadre de l’obligation d’achat ;
  • l’article 88 II de la loi Grenelle 2 précitée qui consacre en outre la possibilité pour toute personne morale de solariser les bâtiments de son patrimoine.

Enfin, les articles L. 294-1 du Code de l’énergie et L. 2253-1 du CGCT pour les communes et leurs groupements, L. 3231-6 du CGCT pour les départements et L. 4211-1 du CGCT pour les régions consacrent, dans des termes relativement proches, la faculté pour ces différents échelons locaux de « participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe ». Et c’est la qualification et l’articulation de ces différentes dispositions qui interrogent et a donné lieu à des prises de position de l’Etat et du juge administratif particulièrement restrictives et défavorables à l’action locale, ce que nous regrettons.

II.- Les récentes positions de l’Etat et du juge administratif

Une réponse ministérielle avait tranché en 2020 en faveur de la qualification de compétence « classique » soumise au principe de spécialité et d’exclusivité. La question de la nature de cette compétence était en effet posée à l’occasion de la prise de participation d’une commune et de l’EPCI dont elle était membre à une société coopérative d’intérêt collectif ayant pour objet la production d’énergie renouvelable.

Par une réponse en date du 17 septembre 2020, le ministère de la transition écologique a estimé que « la participation de la commune au capital de la société n’est possible que dans la mesure où elle n’a pas transféré la compétence en matière de production d’énergie renouvelable à un EPCI, auquel cas seul ce dernier est habilité à prendre des participations en application du principe d’exclusivité. À cet égard, il importe de rappeler que la compétence dont il s’agit découle des dispositions de l’article L. 2224-32 du CGCT. Cette compétence ne relève pas des compétences transférées de plein droit à un EPCI à fiscalité propre. Par suite, son transfert à un EPCI résulte de la volonté expresse des communes qui peuvent considérer que cette compétence serait mieux exercée à l’échelle intercommunale » (Rép. Sénat à la QE n° 101965 du 25 avr. 2019, JO Sénat, 17 septembre 2020, p. 4279).

Ainsi, selon cette réponse un EPCI ne peut exercer la compétence prévue à l’article L. 2224-32 du CGCT que si elle lui a été préalablement transférée par ses membres. Ce transfert doit résulter de la volonté expresse de la commune, matérialisée par une délibération de son conseil municipal. En outre, dès lors que la commune a transférée cette compétence audit EPCI, elle se trouve dessaisie de la compétence et ne peut dès lors prendre des participations au capital d’une société de production d’énergie renouvelable.

Cette regrettable interprétation de l’article L. 2224-32 du CGCT avait été reconnue par des parlementaires à l’occasion des débats du projet de loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après loi APER) qu’ils voulaient à l’occasion de la loi APER, rectifier.

Des sénateurs avaient en effet introduit en première lecture un nouvel article 18 bis A au projet de loi portant modification de l’article L. 2253-1 afin d’y introduire un nouveau membre de phrase permettant l’intervention conjointe d’une commune et du groupement dont elle relève au capital d’une même société anonyme ou d’une même société par actions simplifiée. Les sénateurs portant l’amendement considéraient que l’article 109 de la loi pour la transition écologique et la croissance verte traduisait l’intention du législateur de permettre aux communes et aux intercommunalités d’investir simultanément en faveur de la transition énergétique mais qu’il fallait le clarifier.

Cette disposition avait toutefois été retirée du projet de loi par les députés en première lecture en commission. Le rapport présenté par la commission des affaires économiques sur le projet de loi justifiait ce retrait par les principes de spécialité et d’exclusivité classiques en matière d’intercommunalité. Ainsi, le Gouvernement et certains parlementaires ont pris position en faveur d’un traitement de l’activité de production d’énergie renouvelable identique à n’importe quelle autre compétence. C’est en pratique également la position retenue par certains services du contrôle de légalité.

Par un très récent jugement du 25 janvier 2024 (TA Rennes, 25 janvier 2024, préfet du Finistère, n° 2300530), le Tribunal administratif de Rennes a retenu la même approche. En effet, celui-ci était saisi d’un déféré préfectoral exercé à l’encontre de la délibération par laquelle une commune avait décidé de prendre des parts au capital d’une société de production d’énergie renouvelable. Le préfet contestait en effet une telle possibilité, la commune ayant transféré à la communauté de communes dont elle relevait « une compétence exclusive en matière de transition écologique et énergétique et plus particulièrement celle consistant à  » soutenir et financer des actions de maîtrise de la demande d’énergie et de production d’énergies renouvelables  » et à  » aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter, participer et/ou soutenir toute installation de production d’énergies renouvelables seul ou avec d’autres partenaires, publics ou privés ».

Le Tribunal administratif a suivi la position du préfet en considérant que la communauté de communes « était substituée de plein droit aux communes qui en sont membres dans toutes leurs délibérations et actes relatifs à cette compétence en matière de production d’énergies renouvelables » et qu’en conséquence, la délibération décidant de la participation de la commune au capital de la société « dont l’objet social consiste en la réalisation, la maintenance et l’exploitation de centrales photovoltaïques au sol, sur toiture ou en ombrière, situées sur le territoire communal, est intervenue dans une matière dont la commune avait décidé de se dessaisir ». Comme les services de l’Etat, le Tribunal applique à la production d’énergie renouvelable les règles classiques applicables en matière de transfert de compétence. On notera toutefois que le Tribunal écarte explicitement l’argument de la commune selon lequel l’article L. 2224-32 du CGCT permet « l’exercice d’une compétence partagée des communes et des EPCI s’agissant de la participation au capital d’une société de production d’énergie renouvelable » mais en observant qu’il en juge ainsi « compte tenu du transfert volontaire et intégral de cette compétence à la communauté de communes ».

Cette analyse implique ainsi que le Tribunal admet, au moins implicitement, la possibilité, non pas d’un exercice concurrent de la compétence entre une commune et un EPCI sur un même objet, mais d’un transfert partiel de la compétence au profit de l’EPCI, permettant ainsi d’intégrer a minima un peu de souplesse. Une souplesse insuffisante quoique bienvenue pour les besoins du développement des énergies renouvelables.

III.- Les limites d’une telle lecture de l’article L. 2224-32 du CGCT

Cette approche consistant à « plaquer » à la production d’énergie renouvelable le régime « classique » applicable aux autres compétences ne s’impose pas nécessairement selon nous.

D’abord, le caractère a minima partagé de la compétence en matière de production d’énergie renouvelable voire sa qualité de faculté d’intervention peuvent en effet se déduire de la rédaction de l’article L. 2224-32 du CGCT aux termes duquel « les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres » peuvent intervenir en la matière. Cette rédaction, que l’on ne rencontre pas ailleurs dans le CGCT, pourrait être interprétée comme habilitant les EPCI et syndicats à intervenir dans le domaine des énergies renouvelables en dehors de tout transfert de compétence. Il existe en effet a contrario d’autre dispositions légales qui prévoient expressément qu’un transfert des communes vers l’EPCI est nécessaire (voir par exemple en matière d’énergie les articles L. 2224-37 et 2224-38 du CGCT ou encore l’article L. 1425-1 du CGCT en matière de communications électroniques), ce qui appuie la théorie selon laquelle a contrario, en matière de production d’énergie renouvelable, un transfert de compétence n’est pas nécessaire puisque la rédaction de l’article en cause ne reprend pas ces termes. C’est d’ailleurs le sens d’une question posée par un parlementaire, mais restée sans réponse et finalement retirée pour cause de fin de mandat (QE n°00602, JO Sénat, 07 juillet 2022, p.3384).

Ensuite, au-delà de l’interprétation de l’article L. 2224-32 du CGCT qui permet la création d’installations de production d’énergie renouvelable, la question se pose en des termes encore un peu différents s’agissant des dispositions susmentionnées consacrant la possibilité pour les différents échelons de collectivités territoriales et leurs groupements de prendre des participations dans des sociétés de production d’énergie renouvelable. En effet, l’article L. 2253-1 du CGCT susvisé applicable aux communes et à leurs groupements dispose : « les communes et leurs groupements peuvent, par délibération de leurs organes délibérants, participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe ».,La rédaction de ces dispositions pourrait être lue comme subordonnant la capacité à prendre une telle participation uniquement à un critère géographique, et non à l’exercice d’une compétence en matière de production d’énergie renouvelable.

On notera d’ailleurs que l’étude d’impact de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ayant introduit ces dispositions précise que le but poursuivi est « la recherche de possibilités concrètes de lever des freins à l’investissement des collectivités locales » et vise les « collectivités territoriales d’implantation du projet », sans ajouter de condition tenant à ce qu’elles détiennent une compétence en matière de production d’énergies renouvelables justifiant la prise de participation dans une société présentant un tel objet. Plus encore, s’agissant des régions et des départements, comme on l’a vu ci-avant (cf. supra I), elles ne sont pas concernées par l’article L. 2224-32 du CGCT et ne tirent leur faculté d’intervention en matière de production d’énergie renouvelable que des dispositions de la loi Grenelle 2 qui s’avèrent beaucoup plus limitées s’agissant des débouchés possibles, seule l’autoconsommation ou la vente dans le cadre du dispositif d’obligation d’achat étant prévues par ladite loi. Or, pour prendre l’exemple des départements, le CGCT prévoit qu’« un département peut, par délibération de son organe délibérant, détenir des actions d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables […] ».

Si l’on transpose la solution retenue par le Gouvernement et par le Tribunal administratif de Rennes, les départements et les régions ne pourraient prendre des participations au capital de sociétés de production d’énergie renouvelable que dans les limites de leurs compétences respectives, et donc uniquement si les installations déployées par les sociétés étaient destinées à des montages d’autoconsommation au profit du département ou de la région concerné ou s’inscrivaient dans une logique de revente dans le cadre du mécanisme d’obligation d’achat. A l’évidence, tel ne sera pas le cas dans la majeure partie des hypothèses. On voit ici les limites du raisonnement tenu par l’Etat et le juge et la difficulté d’en faire application aux départements et aux régions. Quoi qu’il en soit, cette lecture de la disposition précitée n’est pas celle retenue par l’Etat qui, dans la réponse ministérielle susvisée, estime que le critère de détention de la compétence s’ajoute au critère territorial posé par l’article L. 2253-1 du CGCT.

Enfin, au-delà de ces arguments juridiques, l’approche retenue par l’Etat et a minima cette décision du Tribunal administratif de Rennes sont unanimement perçues comme un frein à l’interventionnisme local en matière de production d’énergie renouvelable. Alors que les acteurs souhaitant intervenir en matière d’énergie renouvelable gravitent déjà dans un cadre juridique en constante évolution et particulièrement complexe (on pense notamment aux régimes de l’autoconsommation individuelle avec ou sans tiers investisseur, de l’autoconsommation collective, des communautés d’énergie ou encore des contrats d’achat direct d’énergie renouvelable récemment introduits en droit interne et à l’articulation de ces différents régimes entre eux) et qu’il semble urgent et nécessaire de lever les freins, notamment juridiques, au développement des énergies renouvelables, une telle position apparaît en contradiction totale.

Outre l’attente de jurisprudences plus justes sur le sujet, une évolution législative constituerait donc le moyen le plus efficient et le plus sécurisant pour confirmer que la production d’énergie renouvelable ne peut pas être regardée comme une compétence « comme les autres » et doit être consacrée comme un champ d’intervention commun à tous les échelons locaux, et ce y compris de manière concurrente entre les collectivités et les groupements dont elles sont membres.

L’occupant au titre d’une convention d’occupation précaire ne peut se prévaloir de l’obligation de délivrance du bailleur

La convention d’occupation précaire « se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties » (Article L. 145-5-1 du Code de commerce).

Le motif de précarité caractérise la particularité de l’occupation octroyée au bénéficiaire, en contrepartie d’une redevance modique. Ainsi, il peut être mis un terme à la convention d’occupation précaire en cas de survenance d’un évènement extérieur au propriétaire et à l’occupant. La convention d’occupation précaire n’est pas un bail commercial et est d’ailleurs expressément exclue du statut des baux commerciaux. De la même manière, il convient de considérer que la convention précaire n’est pas un bail et n’est, dès lors pas soumise aux dispositions du Code civil. Le présent arrêt de la Cour de cassation rappelle ce principe.

En l’espèce, une société anonyme d’économie mixte a consenti une convention d’occupation précaire à un occupant pour un local de stockage. Se prévalant d’un dégât des eaux survenu dans les lieux, l’occupant a entendu assigner le propriétaire et son assureur aux fins d’indemnisation de son préjudice, sur le fondement de l’obligation de délivrance du bailleur régie par l’article 1719 du Code civil. Le juge du fond fait droit aux demandes de dommages et intérêts de l’occupant, considérant que le propriétaire avait manqué à son obligation de délivrance. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel, au visa de l’article 1719 du Code civil (obligation de délivrance du bailleur) et de l’article 1147 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (inexécution contractuelle).

Aux termes de son arrêt, la Cour de cassation rappelle que la convention d’occupation n’est pas un bail de sorte que les dispositions du Code civil relatives au louage de choses ne sont pas applicables. Ainsi, seules les stipulations contractuelles convenues entre les parties régissent leurs relations et leurs obligations. Dans ces conditions, l’occupant ne peut se prévaloir de l’obligation de délivrance du bailleur, et doit, dans ces conditions, prouver le manquement du propriétaire à ses obligations contractuelles. En conséquence, si les parties n’ont pas érigé en condition de la convention d’occupation précaire, l’obligation de délivrance et d’entretien de propriétaire, l’occupant ne pourra s’en prévaloir.

Bail d’habitation et allocation logement

La Cour de cassation a très récemment rendu une décision importante relative à la conservation des allocations de logement par la caisse d’allocation familiale en cas de non-décence d’un logement. Pour rappel, l’article L. 822-9 du Code de la construction et de l’habitation dispose que pour ouvrir droit à une aide personnelle au logement, celui-ci doit répondre à des exigences de décence définies par l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. L’article L. 842-1 du même Code prévoit que l’allocation de logement est versée sur sa demande au bailleur que si le logement répond aux exigences de décence du logement.

En l’espèce, un bailleur bénéficiait du versement direct de l’allocation de logement auquel son locataire avait droit. La locataire, considérant que son logement était indécent, a assigné son bailleur en exécution de travaux, suspension du paiement des loyers et indemnisation de son préjudice de jouissance. Le bailleur a formé une demande reconventionnelle en paiement d’un arriéré de loyers. La Cour d’appel a notamment condamné le locataire au paiement d’une somme au titre des arriérés de loyers incluant le montant de l’allocation de logement retenu par l’organisme payeur. Le locataire s’est pourvu en cassation.

La Cour de cassation a donné raison au locataire en jugeant qu’il résulte des dispositions combinées susvisées que « lorsque l’organisme payeur constate que le logement ne remplit pas les conditions requises pour être qualifié de décent, il conserve l’allocation de logement jusqu’à sa mise en conformité dans un délai au cours duquel le locataire s’acquitte du montant du loyer et des charges récupérables diminué du montant des allocations de logement, sans que cette diminution puisse fonder une action du propriétaire à son encontre pour obtenir la résiliation du bail ».

Par conséquent, « à défaut de mise en conformité, le montant de l’allocation de logement n’est pas récupéré par le propriétaire, lequel ne peut demander au locataire le paiement de la part de loyer non perçue correspondant au montant de l’allocation conservé ». Il revenait ainsi à la cour d’appel de déduire de la somme réclamée par le bailleur la somme correspondant au montant des allocations de logement.

Récupération des métaux issus de la crémation : le Conseil Constitutionnel déclare le dispositif issu de la loi 3DS conforme à la Constitution

Par une décision en date du 18 janvier 2024, le Conseil Constitutionnel a, en réponse à une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Europe Métal, considéré que l’article L. 2223-18-1-1 du Code Général des Collectivités territoriales relatif à la récupération des métaux issus de la crémation était conforme à la Constitution.

Pour mémoire et ainsi que nous le commentions dans notre précédente Lettre d’actualités juridiques, la société requérante soutenait dans sa QPC que ces dispositions méconnaissaient, d’une part, le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ainsi que, d’autre part, le droit de propriété, tous deux garantis par la Constitution. C’est ainsi de manière sous-jacente à la question de la qualification de ces métaux (assimilables ou non à des éléments du corps humain) ainsi que le cas échéant, à celle des droits de patrimoniaux qui y sont attachés (pour les ayant droits ou les tiers) qu’il convenait ici de répondre.

Ainsi que cela ressort des débats tenus lors de l’audience du Conseil Constitutionnel du 9 janvier 2024 (disponibles ici), la société requérante établissait sur ce point son raisonnement en deux temps. A son sens, les métaux issus de la crémation, et à plus forte raison les résidus métalliques implantés dans le corps humain (prothèses par exemple), sont des éléments du corps humain, donc insusceptibles d’une quelconque valorisation patrimoniale sauf à contrevenir aux dispositions de l’article 16-1-1 du Code civil. Et dans l’hypothèse où ces éléments métalliques ne seraient pas considérés comme des éléments du corps humains, alors les droits patrimoniaux qui y sont attachés doivent exclusivement revenir aux ayant droits des défunts concernés (et non à des tiers tels que les gestionnaires de crématoriums). Canguilhem, intervenant au nom du Gouvernement, avait, dans sa plaidoirie, réfuté chacun de ces points après avoir rappelé que ce texte venait en réalité encadrer une pratique existante développée depuis près de 15 ans au sein des crématoriums ; et ce dans le but, non pas d’encourager, mais d’éviter la valorisation économique de ces éléments métalliques.

En substance, il considérait que ces derniers n’étaient pas assimilables à des éléments du corps humain devant bénéficier d’une protection au titre du principe de dignité issu des dispositions du Code civil. Et ce, que ce soit pour les bijoux et éléments issus du cercueil comme pour ceux intégrés au corps humain telles que les prothèses, devenus selon lui dissociables par l’effet de la mort.

Le représentant du Gouvernement à l’audience poursuivait en estimant que pour autant, les ayants droits ne pouvaient se prémunir d’aucun droit patrimonial sur ces éléments : parce qu’ils y auraient renoncé au moment de la réalisation des opérations funéraires concernant les bijoux et éléments du cercueil ou parce qu’ils échapperaient à l’actif successoral s’agissant des résidus métalliques issus des prothèses.

Fort de ces débats, le Conseil Constitutionnel rappelle, dans la décision ici commentée, que l’article 16-1-1 du Code civil prévoit l’application du principe de dignité aux restes des personnes décédés incluant seulement les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, cendres dont les métaux issus de la crémation sont distincts. Il en conclut qu’« en prévoyant en prévoyant que ces métaux ne sont pas assimilables aux cendres du défunt et en confiant au gestionnaire du crématorium leur récupération et leur cession en vue de leur traitement, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».

Il écarte également le grief tiré de la non-conformité au droit de propriété en considérant que ces dispositions poursuivent un objectif d’intérêt général de nature à justifier une atteinte à ce droit, à savoir l’encadrement de la récupération et les conditions de cession des métaux issus de la crémation en vue d’en assurer le traitement approprié. Atteinte qui selon le Conseil Constitutionnel est proportionnée à cet objectif dès lors que :

  • le dispositif n’a ni pour objet ni pour effet de les priver des droits qu’ils peuvent faire valoir sur ces biens en temps utile (à savoir, on le comprend, avant les opérations de crémation) en vertu de la loi successorale ;
  • les conditions de récupération des métaux en causes et les règles d’affectation du produit éventuel de leur cession figurent sur tout document contractuel prévoyant la crémation et sont affichées dans la partie du crématorium ouverte au public.

Précisions sur la procédure de sursis à statuer de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme et sur la portée de la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard

Par un arrêt en date du 17 janvier 2024, le Conseil d’Etat est venu préciser les règles relatives à la composition de la formation de jugement se prononçant après avoir sursis à statuer en application de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme.

  • Sur le mécanisme de sursis à statuer de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme

A titre liminaire, il convient de rappeler que le sursis à statuer en contentieux de l’urbanisme est un mécanisme de régularisation en cours d’instance à l’initiative du juge, issu de l’ordonnance 2013-638 du 18 juillet 2013, permettant à ce dernier, statuant sur la légalité d’un permis de construire, de surseoir à statuer dans l’attente d’une nouvelle autorisation d’urbanisme venant régulariser le permis contesté.

Le juge, après avoir écarté les moyens non fondés, prononcera le sursis par un jugement avant-dire droit, dans lequel il octroie aux parties un délai pour régulariser le permis litigieux. A l’issue de ce délai le juge pourra, soit constater l’absence de permis de construire modificatif et prononcer l’annulation du permis initial, soit se prononcer sur l’efficacité du PCM, après qu’un débat contradictoire ait eu lieu entre les parties à l’instance. A ce stade de la procédure, le débat ne porte que sur le PCM et non plus sur les moyens écartés par le juge dans le jugement avant-dire droit (CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 18 juin 2014, n° 376760).

Le contrôle du PCM doit être opéré par le même juge qui a prononcé le sursis. Ainsi, « il en résulte qu’il appartient nécessairement au seul juge d’appel, lorsque c’est la cour qui a décidé le sursis à statuer aux fins de régularisation, de se prononcer sur la légalité du permis de construire modificatif » (CAA Bordeaux, Chambre 1, 2 avr. 2015, n° 12BX02522).

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si, devant ce même juge, la composition de la formation de jugement se prononçant après sursis à statuer devait être distincte de celle qui avait prononcé ledit sursis.

  • Sur la composition de la formation de jugement se prononçant après un sursis à statuer

En l’espèce, l’association requérante avait contesté l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (qui avait validé la légalité d’un permis de construire pour l’implantation de neuf éoliennes), au moyen notamment que celui-ci méconnaissait le principe d’impartialité pour avoir été rendu par la même formation de jugement qui avait rendu la décision avant-dire droit dans l’attente de permis de construire modificatifs.

Cependant, le Conseil d’Etat va écarter ce moyen, en affirmant qu’« il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant-dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ».

Sur la question du sursis à statuer, il n’est pas inutile de rappeler que le Code de procédure civile définit le sursis à statuer comme une décision qui « suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine » (art. 378 CPC) et qui ne dessaisit pas le juge (art. 379 al. 1er CPC). La seconde décision s’inscrit dans une même instance et devant le même juge. On comprend donc l’absence de distinction de la composition de la formation de jugement aux deux stades du mécanisme, les deux arrêts étant compris comme faisant partie d’une même procédure.

Ce recours était l’occasion pour le Conseil d’Etat de s’interroger sur l’exigence d’impartialité (principe consacré notamment à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme), et ce d’autant plus que le débat se limite aux mesures de régularisation lors du deuxième passage devant la juridiction. Si l’on peut s’étonner de la tardiveté d’une telle solution, intervenant plus de dix ans après l’introduction du mécanisme de régularisation en cours d’instance dans le Code de l’urbanisme, il semble que cette question ne soulevait pas de difficulté particulière au regard de la concision avec laquelle le Conseil d’Etat écarte le moyen.

  • Sur le fond : une interprétation stricte de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme relatif à la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard.

Sur le fond du litige, le Conseil d’Etat vient préciser que la portée de l’application de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme que précise que les documents d’urbanisme ou décisions d’occupation des sols comportent des dispositions propres « à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ». Adoptant une interprétation stricte de cette disposition, le Conseil d’Etat refuse de permettre d’opposer à une demande de permis de construire la protection d’une espèce animale caractéristique du milieu montagnard :

« 3. Sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme prévoient que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l’occupation du sol projetée et les aménagements s’y rapportant avec l’exigence de préservation de l’environnement montagnard prévue par la loi. Si ces dispositions permettent, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols en zone de montagne, de contester utilement l’atteinte que causerait l’un des projets énumérés à l’article L. 122-2 précité du code de l’urbanisme aux milieux montagnards et, par suite, aux habitats naturels qui s’y trouvent situés, il résulte de leurs termes mêmes qu’elles n’ont en revanche pas pour objet de prévenir les risques que le projet faisant l’objet de la décision relative à l’occupation des sols serait susceptible de causer à une espèce animale caractéristique de la montagne ».

Ainsi, le moyen tiré de l’atteinte à l’avifaune (en l’espèce les espèces de chouettes chevêchette d’Europe et de chouettes de Tengmalm) qui serait mise en danger par le fonctionnement des éoliennes, objet des permis demandés est donc rejeté.

Violation de licence de logiciel : la Cour d’appel de Paris se prononce à nouveau sur le fondement de responsabilité applicable

Par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris s’inscrit dans le courant de la jurisprudence récente en matière de violation des termes de licence de logiciel.

Pour rappel, dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris avait saisi, en 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur ce sujet afin de déterminer si la violation des termes contractuels d’une licence de logiciel relevait d’une responsabilité contractuelle ou de l’action en contrefaçon qui est de nature extracontractuelle (voir notre brève du 19/09/2019). Par sa décision en date du 18 décembre 2019, la CJUE a rappelé que le choix de l’application du régime de responsabilité délictuelle ou contractuelle importait peu du moment que les garanties prévues par la directive 2004/48 étaient respectées, notamment en matière de calcul des dommages intérêts (voir notre brève du 23/01/2020).

A la suite de cette décision, qui laissait en apparence un choix entre le fondement contractuel et la contrefaçon, la Cour d’appel de Paris a estimé, dans un arrêt du 19 mars 2021, que toute action en responsabilité fondée sur la violation d’un contrat de licence ne pouvait être formée que sur le fondement d’une responsabilité contractuelle (voir notre brève du 16/09/2021). Cette décision a cependant été cassée par l’arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 2022, au motif que le fondement de la responsabilité contractuelle ne permettait pas le respect des garanties posées par la directive 2004/48 (seule exigence rappelée par la CJUE).

La présente affaire présentait des faits similaires, à savoir le non-respect des termes d’une licence de logiciel. Par sa décision de décembre 2023, la Cour d’appel de Paris a ainsi fait siens les arguments exposés par l’arrêt de la Cour de cassation en octobre 2022, en considérant que seul le fondement de la contrefaçon permet au titulaire de droits de bénéficier des garanties de la directive 2004/48. Cette décision vient ainsi confirmer et entériner de manière ferme la position de la Cour de cassation. Il est désormais clair que l’action en contrefaçon est le seul fondement envisageable en matière de violation de licence.

La CNIL sanctionne NS CARDS France pour divers manquements au RGPD et pour le non-respect des règles sur les cookies et traceurs

Le 29 décembre 2023, la Commission nationale informatique et libertés (ci-après CNIL) a infligé à la société NS CARDS FRANCE une amende de 105 000 euros[1]. Cette société, un distributeur de monnaie électronique pour les paiements en ligne, propose notamment l’utilisation de coupons Neosurf pouvant être adossée à la création d’un porte-monnaie électronique, laquelle nécessite de créer un compte utilisateur sur le site web www.neosurf.com ou l’application mobile Neosurf et de le créditer au moyen des coupons ou d’une carte bancaire. C’est cette solution de paiement qui est mise en cause dans le cadre de la délibération[2] rendue par la formation restreinte de la CNIL. Concernant les traitements transfrontaliers mis en œuvre par la société, la CNIL agissait en tant qu’autorité chef de file en application de l’article 56 du RGPD.À l’issue de deux contrôles de la conformité à la réglementation en matière de protection des données de la société NS CARDS France, réalisés les 24 septembre et 13 octobre 2021, la CNIL a constaté trois manquements aux Règlement général sur la protection des données[3] (ci-après RGPD) et un manquement à la Loi informatique et liberté[4].

En premier lieu, dans le cadre de cette délibération, il a été jugé que la société n’avait pas respecté les obligations qui lui incombaient en termes de durée de conservation de données personnelles. En vertu de l’article 5-1 e) du RGPD, le responsable de traitement est tenu, en l’absence d’une obligation légale, de conserver les données pour une durée nécessaire à la finalité du traitement. Au regard de l’article L. 213-1 du Code de la consommation, pour les contrats conclus par voie électronique et portant sur une somme égale ou supérieure à un montant fixé par décret, le contractant professionnel est tenu de conserver l’écrit constatant le contrat pour une durée déterminée par décret. L’article D. 213-1 du même Code précise que le montant mentionné à l’article L. 213-1 est fixé à 120 euros, tandis que l’article D. 213-2 établit que si la livraison du bien ou l’exécution de la prestation est immédiate, le délai est de dix ans à compter de la conclusion du contrat. Dans le cas contraire, le délai court à compter de la conclusion du contrat jusqu’à la date de livraison du bien ou de l’exécution et pour une durée de dix ans supplémentaires après cette date. Toutefois, à l’issu du délai de dix ans, qui commence à courir à la date de l’activation du compte utilisateur, les comptes utilisateurs étaient rendus inactifs et conservés en base de données pour une durée indéterminée.

Au-delà, aucune distinction n’avait été opérée entre les données visées par l’article D. 213-1 du Code de la consommation et les autres. En effet, une durée de conservation de cinq ans n’a été fixée pour ces dernières qu’à l’issue du contrôle sur place. La CNIL a donc jugé les durées de conservation des données de comptes non visées par l’article D. 213-1, initialement fixées à dix ans, comme excessives.

En second lieu, un traitement de données doit s’accompagner d’une information précise à destination des personnes concernées pour être loyal et licite. Or, en l’espèce le site web et la page de création d’un compte utilisateur renvoyaient à deux politiques de confidentialité datant de 2018 et 2021. Outre la confusion pour l’utilisateur pouvant résulter d’une telle coexistence de politiques de confidentialité, ces dernières omettaient de renseigner la durée de conservation des données et le droit d’introduire une réclamation auprès de la CNIL, informations pourtant obligatoires en vertu de l’article 13 du RGPD. La politique de confidentialité de l’application mobile a également été jugée incomplète.

Par ailleurs, ces politiques de confidentialités étaient exclusivement rédigées en anglais, malgré le fait que le public ciblé soit principalement francophone. Cette situation contrevient à l’article 12 du RGPD qui stipule que l’information doit être présentée de manière « concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples ».

En troisième lieu, il incombe au responsable de traitement d’assurer la sécurité des données qu’il traite. En l’espèce, les règles de complexité des mots de passe des comptes utilisateurs étaient trop permissives, autorisant de fait des mots de passe insuffisamment robustes, et ils n’étaient pas accompagnés d’une mesure de restriction d’accès en cas d’échec d’authentification. Il a également été constaté que 49 214 mots de passe étaient stockés en clair dans la base de données de la société, associés à leurs adresses électroniques et identifiants respectifs. Ce mode de fonctionnement ne garantit pas une confidentialité adéquate des données traitées puisque toute personne ayant accès à la base de données des clients peut les consulter et les collecter. Enfin, s’agissant des mots de passe qui n’étaient pas conservés en clair, ils étaient stockés sous une forme hachée et salée via la fonction SHA-1, considérée comme obsolète. Ainsi, la formation restreinte de la CNIL a conclu que la société avait enfreint les obligations énoncées par l’article 32 du RGPD.

Enfin, aux termes de l’article 82 de la Loi informatique et libertés, qui transpose l’article 5 alinéa 3 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 dite e-Privacy[5], seuls les cookies ayant pour finalité exclusive de permettre ou de faciliter la communication par voie électronique ou ceux strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne à la demande expresse de l’utilisateur, sont exemptés du recueil préalable du consentement de ce dernier. Or, la société recourait sur son site web aux cookies Google Analytics et au module reCaptcha Google, sans pour autant collecter au préalable le consentement des utilisateurs alors que la finalité de ces derniers ne permettait pas une telle exemption. Ainsi, en privant l’utilisateur de l’expression de son consentement, il a été jugé que la société avait commis un manquement à l’article susmentionné.

Malgré les mesures de mises en conformité adoptées ultérieurement aux contrôles réalisés, la formation restreinte de la CNIL a considéré que cela « ne saurait exonérer la société de sa responsabilité pour le passé ».

Par conséquent, en application de l’article 83 du RGPD, la formation restreinte de la CNIL a conclu qu’au regard des violations de principes fondamentaux de la réglementation en matière de données personnelles et du large nombre de personne concernées, il était justifié qu’une amende administrative soit prononcée à l’encontre de la société. Ainsi, une amende de 90 000 euros a été prise, en coopération avec 17 homologues européens de la CNIL dans le cadre du guichet unique[6], pour les manquements aux articles 5-1-e), 12, 13 et 32 du RGPD.

Puis, une seconde amende administrative, d’un montant de 15 000 euros, a été prononcée pour les manquements à l’article 82 de la loi Informatique et Libertés, pour laquelle la CNIL était seule compétente. Il a également été décidé que cette délibération soit rendue publique, sur le site de la CNIL et sur le site de Légifrance, qui n’identifiera plus nommément la société à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de sa publication[7].

 

[1] Commission nationale informatique et libertés, « Paiement électronique : la CNIL inflige une amende de 105 000 euros à NS CARDS France », 11 janvier 2024 [https://www.cnil.fr/fr/paiement-electronique-la-cnil-inflige-une-amende-de-105-000-euros-ns-cards-France]

[2] Délibération de la formation restreinte n°SAN-2023-023 du 29 décembre 2023 concernant la société NS CARDS FRANCE – Légifrance

[3] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE

[4] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[5] Directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (dite  » directive e-Privacy « ).

[6] Commission nationale informatique et libertés, « Paiement électronique : la CNIL inflige une amende de 105 000 euros à NS CARDS France », 11 janvier 2024 [https://www.cnil.fr/fr/paiement-electronique-la-cnil-inflige-une-amende-de-105-000-euros-ns-cards-France]

La question de l’autorité du cabinet de l’autorité territoriale sur les services de la collectivité

Il est admis que le directeur de cabinet ne peut disposer d’une autorité hiérarchique sur les agents de la collectivité en dehors des membres de son cabinet, c’est-à-dire sur les agents occupant des emplois administratifs, ce rôle étant dévolu au directeur général des services en application de l’article 2 du décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987.

Le Ministre de l’intérieur avait d’ailleurs rappelé à cet égard que « le cabinet n’a pas vocation à gérer lui-même les services administratifs de la collectivité locale » (JO Sénat du 18 mars 2021)

Récemment, le juge pénal, en l’occurrence à l’occasion d’un jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 29 mars 2023, à l’origine de cette question sénatoriale, a toutefois durcis cette question, à la fois en faisant peser sur cette question, qui était jusqu’alors une pure question de gestion des ressources humaines, un risque pénal, tout en se bornant à une analyse en définitive sommaire, car très formelle, de la définition de collaborateur de cabinet d’une autorité territoriale, en s’attachant au seul critère du rattachement hiérarchique à l’autorité politique : « des emplois administratifs doivent être regardés comme détournés de cette finalité lorsque, hors des cas prévus par la loi, le recrutement, les missions et l’évaluation des agents les occupant, soustraits à la hiérarchique administrative, relèvent exclusivement de l’autorité politique, de ses collaborateurs de cabinet ou des élus départementaux disposant d’une délégation de fonctions de cette autorité ».

Cette réponse ministérielle de janvier 2024 nuance la question en considérant qu’« en l’état du droit, rien n’interdit néanmoins par principe la mise en place d’une autorité fonctionnelle du directeur de cabinet sur les services de la collectivité qui concourent, malgré leur caractère de services administratifs, à l’exercice des missions de l’élu. Il en va ainsi des services de communication, en tant qu’ils peuvent concourir à la fois à la communication institutionnelle de la collectivité ainsi qu’à celle, de nature plus politique, propre à l’action de l’autorité territoriale, ou encore sur le secrétariat de l’autorité territoriale ou les services du protocole, en tant qu’ils concourent à satisfaire la double nature, administrative et politique, des missions d’une autorité territoriale ». On comprend que le ministère veut poser une distinction entre autorité hiérarchique du cabinet et de l’élu sur les agents de l’administration générale administratifs, qui est désormais clairement prohibée par l’interprétation du juge pénal, et l’autorité fonctionnelle, qui serait envisageable.

On peine toutefois à donner une réelle portée à cette interprétation. D’une part, le jugement du Tribunal judiciaire du 29 mars 2023 ne fait aucune mention d’une telle distinction. D’autre part, le Ministre n’écarte toutefois pas la sanction du juge financier ou du juge pénal sur la répartition des rôles entre le cabinet et la direction générale des services. Enfin, plus généralement, la notion d’autorité fonctionnelle n’a jamais été réellement définie et ses contours restent donc très flous.

À notre sens, il convient donc de lire avec la plus grande prudence cette réponse ministérielle qui minimise la portée du jugement du Tribunal judiciaire de Paris. Le juge pénal avait en effet clairement considéré que lorsque les missions d’un agent occupant un emploi administratif relevaient exclusivement de l’autorité politique ou du Cabinet, cet emploi devait être regardé comme détourné de sa finalité. Dès lors, l’exercice d’une autorité bien qu’uniquement fonctionnelle et non hiérarchique du directeur de cabinet sur des agents occupant un emploi administratif ne sera pas exempt de tout risque pour la collectivité.