Annulation par le Conseil d’Etat de la clause d’un contrat d’obligation d’achat d’électricité produite à partir du biogaz généré par une installation de stockage de déchets non dangereux prévoyant le versement d’une prime à la méthanisation

Dans le cadre d’un recours formée par une partie (dit recours « Béziers 1 »[1]), le Conseil d’Etat a confirmé l’annulation par la Cour administrative d’appel de Marseille de l’article d’un contrat d’obligation d’achat de l’électricité produite à partir de biogaz généré par l’installation de stockage de déchets non dangereux conclu entre la société EDF et la société SMA Energie, exploitante de l’installation.

L’article 5 dudit contrat prévoyait le versement par EDF à la société exploitante d’une prime de méthanisation. Lequel dérogeait aux règles du décret du 10 mai 2001 relatif aux conditions d’achat de l’électricité produite par des producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat et de l’arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz, auxquels se réfère l’article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, et qui fixent les tarifs d’achat de l’électricité applicables dans un contrat d’obligation d’achat tel que celui conclu entre EDF et la société SMA Energie. Précisément, il résulte de l’arrêté du 10 juillet 2006 que les installations de stockage de déchets non dangereux ne peuvent bénéficier de la prime à la méthanisation.

Pour rappel, dans le cadre d’un recours « Béziers 1 », l’office du juge administratif lui permet d’apprécier l’importance et les conséquences des irrégularités contractuelles en cause, après avoir vérifié qu’elles sont de celles que les parties peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui et, soit de décider de la poursuite de l’exécution du contrat sous réserve éventuellement de mesures de régularisations, soit de prononcer la résiliation du contrat si cette décision ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit, au regard des irrégularités relevées, soit de prononcer son annulation en raison du caractère illicite du contrat ou à un vice de particulière gravité tenant notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Et ce n’est que si une clause est divisible du reste du contrat que le juge peut prononcer sa seule résiliation ou annulation.

Le Conseil d’Etat a considéré, en l’espèce, qu’en jugeant que l’article 5 du contrat d’obligation d’achat conclu entre EDF et la société SMA Energie était illicite et divisible de ses autres clauses, la Cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit. En sus de l’annulation de l’article 5 du contrat d’obligation d’achat, la société EDF avait demandé au juge administratif de condamner sa cocontractante à la restitution du trop-plein perçu augmenté des intérêts aux taux légal. Après avoir rappelé qu’aux termes de l’article 2224 du Code civil, le délai de prescription des actions personnelles ou mobilières est de cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, le Conseil d’Etat a suivi le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Marseille qui a jugé que l’action intentée par EDF n’était pas prescrite dès lors que celle-ci ignorait l’existence de sa créance jusqu’au jour du prononcé de l’annulation de l’article 5 du contrat d’obligation d’achat.

Cette décision reste surprenante s’agissant des conséquences de l’introduction, dans un contrat d’obligation d’achat, d’un mode complémentaire de rémunération du vendeur qui n’aurait pas dû être prévu et d’un acheteur obligé dont on peut penser qu’il était éclairé.

 

[1] CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n°304802.

L’Autorité de Régulation des Transports valide l’essentiel des tarifs 2024 de SNCF Gares & Connexions

Par un avis n° 2024-022 en date du 21 mars 2024 relatif aux redevances des prestations régulées fournies dans les gares de voyageurs et aux éléments autres que tarifaires du projet de document de référence des gares de voyageurs pour l’horaire de service 2024, l’Autorité de régulation des transports (ci-après, l’ « Autorité ») valide l’essentiel des tarifs 2024 fixés par SNCF Gares & Connexions pour les prestations régulées fournies dans ses gares de voyageurs.

Pour rappel, aux termes de l’article 14-1 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 modifié relatif à l’utilisation du réseau ferroviaire, SNCF Gares & Connexions est chargée d’établir, chaque année, un document de référence pour les gares de voyageurs dont elle assure la gestion. Ce document de référence est adressé à l’Autorité pour avis en vertu du II de l’article L. 2133-5 du Code des transports et du III de l’article 14-1 du décret du 7 mars 2003 susvisé.

L’un des principaux enjeux de ce document de référence est la fixation des redevances pour l’accès et l’utilisation des installations de service exploitées par SNCF Gares & Connexions et tout particulièrement des redevances relatives aux biens et services en gare. En effet, la réussite de la libéralisation des activités en réseau est de garantir un égal accès des opérateurs aux infrastructures essentielles à l’exercice de ces activités. À défaut, ces dernières n’étant pas reproductibles, seuls les propriétaires ou exploitants de ces infrastructures pourraient de fait exercer l’activité en cause nonobstant son ouverture à la concurrence en droit.

Dans le cadre de la libéralisation du transport de voyageurs, le règlement d’exécution (UE) 2017/2177 de la Commission du 22 novembre 2017 concernant l’accès aux installations de service et aux services associés au transport ferroviaire et les dispositions le transposant en droit interne, à savoir le décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 modifié relatif aux installations de service du réseau ferroviaire, imposent aux exploitants d’installations de service de donner accès à ces dernières aux entreprises ferroviaires. Ces textes régulent également leur tarification afin de s’assurer que lesdits exploitants ne pratiqueront pas des tarifs dissuasifs pour empêcher de facto l’accès auxdites installations.

En application des textes précités, l’Autorité a donc analysé le document de référence d’accès et de services régulés offerts dans les gares de voyageurs pour l’horaire de service 2024 (ci-après, le « DRG 2024 »). En substance, l’Autorité a émis un avis favorable sur les tarifs des prestations régulées proposées par SNCF Gares & Connexions dans le DRG 2024 sous réserve toutefois de deux corrections portant :

  • d’une part, sur le montant de la rétrocession du résultat des activités non-régulées, que l’Autorité considère sous-estimé et qui devra être réévalué à hauteur de 4,3 millions d’euros ;
  • d’autre part, de certaines erreurs matérielles constatées dans le calcul des tarifs des prestations de portes d’embarquement ; lesquelles devront donc être rectifiées.

Outre cette validation, l’Autorité a relevé que SNCF Gares & Connexions avait mis en œuvre des politiques répondant favorablement aux préconisations qu’elle avait formulées dans de précédents avis. Enfin, l’Autorité a formulé deux importantes demandes en vue de l’analyse du DRG 2025 à savoir :

  • d’une part, de réviser le mécanisme de régularisation a posteriori du revenu autorisé relatif aux mises en service de nouveaux investissements, de sorte à éviter que les clients du gestionnaire des gares ne supportent le coût d’installations qui n’ont pas été mises en service ;
  • d’autre part, d’achever la réforme du modèle tarifaire des gares de voyageurs, engagée en 2021, afin de mettre en place une tarification plus représentative de la nature et du niveau des services rendus, d’améliorer la lisibilité et la prévisibilité des facturations des transporteurs et de renforcer les mécanismes d’incitation à la qualité de service, au profit de toutes les entreprises ferroviaires utilisatrices des gares.

Création de l’observatoire de la micromobilité par le ministère des Transports

Le 23 mai dernier, le ministre chargé des Transports, Patrice Vergriete, a annoncé le lancement officiel de l’Observatoire de la micromobilité qui permettra une meilleure connaissance des nouvelles mobilités. Figurant dans le plan national visant à mieux réguler l’usage des trottinettes électriques annoncé le 29 mars 2023, ce nouvel outil a notamment pour vocation de réunir les opérateurs de micromobilité et de publier des connaissances objectives sur l’usage, l’accidentalité et l’impact environnemental des engins de déplacement personnel motorisés (EDPm), qu’ils soient ou non partagés.

L’observatoire sera copiloté par la direction générale des infrastructures et des mobilités (DGITM), le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), l’agence de la transition écologique (ADEME) et l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR).

L’observatoire a déjà intégré les résultats d’une première étude sur l’usage de la micromobilité et le profil des différents utilisateurs. Aujourd’hui, 2,5 millions de français sont propriétaires d’un EDPm contre 640 000 en 2020 (c’est-à-dire une augmentation de + 290 %) et 59 villes disposent d’un service de trottinettes en libre-service.

Rapport Woerth : Quelles propositions pour les mobilités, les transports et la voirie ?

Par un rapport remis le 30 mai 2024 au Président de la République le député Éric Woerth propose 51 mesures pour renouveler la décentralisation. Quarante ans après le premier mouvement de décentralisation, le rapport dresse un constat, celui de la « fin d’un cycle ».

A l’origine de ce constat, la décentralisation apparait comme un processus de plus en plus technique, devant faire face au « bouleversement écologique », aux « tensions internationales », aux « transitions numériques et démographiques » et aux « attentes des citoyens ». Parmi les difficultés recensées le rapport relève « l’enchevêtrement des compétences », « l’instabilité du financement », « l’inflation normative », la « critique du millefeuille », le « découragement des élus », ou encore le « déclin de la participation électorale ».

En réponse, la mission énumère 51 propositions pour parvenir à « une action publique locale plus efficace », à « plus d’efficacité démocratique », à « une organisation entre collectivités plus respectueuse des pouvoirs de chacun » ou à « un état territorial plus fort, miroir de la décentralisation ». Parmi ces mesures et tout en reconnaissant les « améliorations substantielles » permises par le « transfert d’un certain nombre de compétences aux collectivités territoriales » en matière de « voirie » ou de « trains express régionaux », le rapport propose de renouveler les modalités d’exercice et de financement des compétences mobilités, transport ou encore voirie.

 

I.- SUR « LES MESURES EN FAVEUR D’UNE ACTION PUBLIQUE PLUS EFFICACE »

La mission part d’abord d’un constat, celui que l’enchevêtrement des compétences cause une dilution des responsabilités mettant à mal le fonctionnement de certains services publics.

En réponse, le rapport souhaite clarifier le rôle de chaque échelon et à confier aux collectivités la pleine maîtrise des outils nécessaires à la mise en œuvre de leurs missions. Appliqué à la gestion des routes et transports, la mission propose d’une part, de faire du département l’échelon des réseaux en lui transférant la majorité des routes non concédées et d’autre part, d’affirmer le rôle des régions dans la gestion des infrastructures régionales structurantes (ferroviaire, ports, aéroports).

 

Transférer au Département  la majorité des routes nationales non concédées (proposition n° 5)

Le rapport propose d’abord de transférer à titre obligatoire aux départements la gestion de l’ensemble des routes non-communales, à l’exception des autoroutes non concédées présentant un caractère structurant. Autrement dit, la gestion de la quasi-totalité des routes nationales et autoroutes serait ainsi transférée aux départements.  Pour la mise en œuvre de ce transfert, le rapport préconise :

  • d’évaluer les charges impliquées par le transfert ;
  • d’encourager la mutualisation de services entre départements ;
  • d’ouvrir la possibilité aux départements d’instaurer une « éco-redevance » sur le transport routier de marchandises (voir dans ce sens la proposition 17 visant à reconfigurer le schéma de financement du département grâce à une dotation de solidarité finançant les compétences sociales obligatoires, une nouvelle fiscalité locale avec pouvoir de taux et une fraction de CSG).

 

Affirmer le rôle des régions dans la gestion des infrastructures régionales structurantes (ferroviaires, ports, aéroports) (proposition n° 9)

Le rapport propose d’abord de transférer aux régions la gestion des trains d’équilibres du territoire (TET), également nommés « Intercités » et d’instaurer une coordination des conseils régionaux concernés. Il propose ensuite de transférer aux régions la gestion de certains grands ports maritimes (GPM), du fait de leur rayonnement régional, tels que les ports de Bordeaux et La Rochelle. Enfin, les aéroports départementaux devraient être transférés aux régions, lesquelles seraient également chef de file mobilité pour les aéroports décentralisés.

 

Propositions relatives au versement mobilité (proposition n° 16)

Après avoir relevé la hausse des dépenses et de la dette locale, le rapport préconise de revoir le schéma de financement de l’action des collectivités de sorte que leur soient attribuées les ressources nécessaires à l’exercice de leurs compétences. Sur cette base, la mission propose de rehausser le plafond du versement mobilité affecté aux métropoles, pour les projets de développement de transports en commun (tels que les « RER métropolitains »). Il propose une concertation avec les représentants des entreprises locales.

 

II.- SUR « LES MESURES EN FAVEUR D’UNE ORGANISATION ENTRE COLLECTIVITÉS PLUS RESPECTUEUSE DES POUVOIRS DE CHACUN »

Renforcement de la notion de chef de fil (proposition n° 31)

Le rapport préconise de renforcer la notion de chef de file en permettant à la collectivité investie de ce rôle de définir les modalités de l’action commune. Pour contourner l’obstacle du principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre, la mission propose de réviser la constitution et d’y inscrire la possibilité pour le législateur d’habiliter le chef de file à fixer par voie règlementaire les modalités d’action commune.

Les prérogatives du chef de file seraient ensuite précisées par loi organique, notamment quant à la planification et l’organisation des financements croisés.

La mission propose enfin de mettre en cohérence la liste des chefs de file afin de résoudre les cas où certains chefs de files se recoupent (ce qui est le cas par exemple de la commune chef de file de la mobilité durable, laquelle se recoupe avec la région chef de file des mobilités).

 

Mettre en place une contractualisation obligatoire entre la métropole et le département, et la métropole et la région pour partager les compétences sur le territoire métropolitain. Et prévoir une contractualisation entre la métropole et les EPCI alentours (proposition n° 38)

En ce qui concerne la compétence mobilité, le rapport propose de mettre en place une contractualisation entre la métropole et la région pour partager les compétences sur le territoire métropolitain. La mission propose enfin de créer un mécanisme de contractualisation, entre la métropole et les EPCI alentours, propre à organiser les compétences au-delà de la métropole.

 

Sur la gestion des axes routiers stratégiques en Ile-de-France, (proposition n° 40)

Tel que relevé par la mission, le boulevard périphérique de Paris fait partie des axes stratégiques reliant la capitale et actuellement gérés par l’Etat. Le rapport préconise de nationaliser le boulevard périphérique de Paris.

 

Supprimer la clause générale de compétence de la métropole de Lyon (proposition n° 41)

Le rapport propose de supprimer la clause générale de compétence dont bénéficie la métropole et de redéfinir la répartition de la compétence voirie entre la métropole et les communes.

 

Proposition 43 : créer un syndicat de transports sur le périmètre de la métropole d’Aix-Marseille-Provence

Le rapport propose en dernier lieu, de créer dans le Grand Marseille un syndicat des transports compétent pour exploiter les réseaux de transports, avec faculté pour ce dernier de recourir aux services de la société des grands projets (SGP) pour la réalisation de nouvelles infrastructures.

*

Une nouvelle pierre dans la réflexion sur l’évolution des mobilités en France qui va n’en doutons pas susciter réactions et débats … Reste à savoir ce que l’exécutif et le parlement décideront de retenir de ces propositions, qui ont au moins le mérite de remettre les collectivités au cœur du débat

Julie Ogier et Marion Terraux

Présomption d’urgence et réduction des délais en matière d’autorisation d’urbanisme : Les réticences du Conseil d’Etat

CE, 2 mai 2024, avis n° 408259

Le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables, émanant du ministre délégué au logement, a été déposé au Sénat le 6 mai 2024. Ce projet, fondé autour de 4 axes (donner de nouveaux outils aux élus locaux pour construire, simplifier les procédures, augmenter les ressources des bailleurs sociaux et faciliter l’accès des Français au logement), comporte des mesures phares en matière d’urbanisme sur lesquels le Conseil d’Etat a émis des réticences dans son avis du 2 mai dernier, en particulier s’agissant des délais de recours contre des autorisations d’urbanisme.

I. Sur la présomption d’urgence à suspendre les décisions de refus de délivrer des autorisations d’urbanisme et les décisions d’opposition à déclaration préalable

L’article 4 du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables prévoit, tout d’abord, la création d’un article L. 600-3-1 au sein du Code de l’urbanisme selon lequel :

« Lorsqu’un recours formé contre une décision d’opposition à déclaration préalable ou de refus de permis de construire, d’aménager ou de démolir est assorti d’un référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d’urgence est présumée satisfaite ».

D’une part, cet article s’inscrit dans la continuité de la présomption d’urgence codifiée à l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, relatif aux référés-suspension formés contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, un permis de construire, un permis d’aménager ou un permis de démolir. Toutefois, contrairement au mécanisme applicable aux décisions d’urbanisme positives, le délai d’introduction de référé-suspension relatif aux décisions d’urbanisme négatives ne semble pas être encadré par le délai de cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort (prévu à l’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme).

Autrement dit, et c’est la première critique émise par le Conseil d’Etat dans le cadre de son avis du 2 mai dernier, le dispositif dérogatoire envisagé par le projet de loi aura pour effet de complexifier le traitement des requêtes de référé.

D’autre part, l’objectif poursuivi par l’article 4 du projet de loi, tel qu’exposé dans l’étude d’impact, est de réduire les délais de procédure contentieuse et de faire échec aux recours dilatoires en matière d’urbanisme. Or, il est difficile de comprendre comment la création d’une présomption d’urgence pour les décisions d’urbanisme négatives dans le cadre des référés-suspensions, qui n’est encadrée par aucun délai et qui facilite, au contraire, l’ouverture de requêtes en référé-suspension, pourrait avoir un tel effet.

Ainsi, comme le relève le Conseil d’Etat dans son avis du 2 mai 2024, le dispositif dérogatoire envisagé par le projet de loi aura pour effet de « complexifier le traitement des requêtes de référé sans lien avec l’objectif recherché énoncé par l’étude d’impact ».

II. Sur la réduction des délais de recours contre les décisions les autorisations d’urbanisme et les décisions de non-opposition à déclaration préalable

L’article 4 du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables prévoit, ensuite, la création d’un article L. 600-14 au sein du Code de l’urbanisme selon lequel :

« Le délai d’introduction d’un recours gracieux ou hiérarchique à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir est d’un mois. Le silence gardé pendant plus d’un mois sur ce recours par l’autorité compétente vaut décision de rejet.

Le délai de recours contentieux contre une décision mentionnée à l’alinéa précédent n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours gracieux ou hiérarchique ».

Ainsi, le projet de loi prévoit d’une part de réduire le délai des recours gracieux ou hiérarchiques formés contre des autorisations d’urbanisme ou des décisions de non-opposition à déclaration préalable à 1 mois. En retour, l’administration ne disposera que d’un délai d’un mois pour émettre une décision sur cette demande.

D’autre part, le projet de loi prévoit que l’introduction d’un recours gracieux ou hiérarchique contre lesdites décisions ne prorogera pas le délai de recours.

Là encore, les dispositions du projet de loi tendant à resserrer les conditions d’exercice et les délais d’instruction du recours administratif contre des décisions de non-opposition à déclaration préalable ou des autorisations d’urbanisme font l’objet d’une vive réticence de la part du Conseil d’Etat. Et pour cause, ces dispositions sont, comme le relève la haute juridiction, « de nature à priver d’intérêt l’exercice du recours gracieux ou hiérarchique et à engager les requérants à porter directement le litige devant le juge administratif, au rebours des efforts engagés dans de très nombreuses matières pour réguler, grâce au recours administratif, le flux de recours contentieux ».

Ainsi, ces dispositifs – qui soulèvent des interrogations quant aux objectifs recherchés en matière de simplification des procédures – auront pour effet d’accroître le nombre de contentieux en matière d’urbanisme réglementaire.

Au surplus, comme le relève le Conseil d’Etat, les mesures envisagées définiront un régime dérogatoire pour l’ensemble des décisions d’urbanisme – excédant donc le sujet du logement concerné par le projet de loi – sans cohérence avec les dispositions par ailleurs applicables, en particulier aux installations classées pour la protection de l’environnement.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat ne retient pas ces dispositions qui accroît le « caractère excessivement instable et dérogatoire des normes applicables à l’ensemble du contentieux du droit de l’urbanisme, au détriment de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité des normes ».

Référé suspension : l’urgence demeure malgré l’état d’avancement important du défrichement

Par une décision en date du 8 avril 2024, n° 469526, le Conseil d’Etat saisi dans le cadre d’une procédure de référé suspension contre un arrêté préfectoral octroyant une dérogation aux interdictions fixées pour la préservation des espèces protégées permettant le défrichement d’une partie de forêt en montagne, a précisé que l’état d’avancement important des travaux de défrichement n’empêche plus de faire droit aux demandes de suspension.

Dans cette affaire, le préfet de la Haute Savoie avait, par un arrêté du 30 mai 2022, délivré à la société des Remontées mécaniques de Megève une dérogation aux dispositions de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement (espèces protégées) dans le cadre du projet de restructuration du domaine de Rochebrune, sur le territoire de la commune de Megève (Haute-Savoie).

Le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble, constatant l’état très avancé du défrichement autorisé par l’arrêté litigieux, avait, par une ordonnance du 16 novembre 2022, refusé de faire droit à la demande de suspension sollicitée par l’association Biodiversité sous nos pieds. Cette association a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

Après avoir rappelé que les dispositions de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement comportent un ensemble d’interdictions visant à assurer la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats, le Conseil d’Etat a rappelé que le 4° du I de l’article L. 411-2 du même Code permet à l’autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à :

  • l’absence de solution alternative satisfaisante ;
  • à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés, parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur.

Pour déterminer, enfin, si une dérogation peut être accordée, le Conseil d’Etat rappelle qu’il appartient à l’autorité administrative de tenir compte de l’ensemble des aspects mentionnés au point précédent, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l’état de conservation des espèces concernées.

Cela étant rappelé, après avoir constaté que 90 % des arbres dont la coupe avait été autorisée par arrêté préfectoral avaient déjà été abattus, le Conseil d’Etat a considéré que le seul état d’avancement des travaux de défrichement ne fait pas obstacle à l’urgence à suspendre la décision litigieuse.

Autrement dit, la Haute juridiction met un coût d’arrêt à la jurisprudence de certains tribunaux administratifs qui considéraient que l’important état d’avancement des travaux empêche de constater l’existence d’une urgence à suspendre la décision autorisant des défrichements.

Illégalité du PLU et autorisations d’urbanisme : un contrôle de qualification juridique des faits opéré par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’État effectue un contrôle de qualification juridique des faits sur le point de savoir si le vice entachant un PLU doit être regardé comme étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet de construction, au sens de l’article L. 600-12-1 du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, aux termes des dispositions de l’article L. 600-12 du Code de l’urbanisme, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un plan local d’urbanisme (PLU) a pour effet de remettre en vigueur le document d’urbanisme immédiatement antérieur. Et, aux termes des dispositions de l’article L. 600-12-1 du Code de l’urbanisme, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un PLU est sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation du sol ou à l’occupation des sols délivrées antérieurement à son prononcé, dès lors que cette annulation ou cette déclaration d’illégalité repose sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet.

Il est de jurisprudence constante que les vices de légalité externe sont en principe étrangers aux règles du PLU annulées ou déclarées illégales, sauf s’il est démontré qu’ils ont été de nature à exercer une influence directe sur les règles d’urbanisme applicables à l’autorisation d’urbanisme. A contrario, les vices de légalité interne ne sont pas étrangers sauf s’ils concernent des règles non applicables au projet (CE, 2 octobre 2020, req. n° 436934).

Par sa décision en date du 5 avril 2023 (req. n° 466748), le Conseil d’Etat s’est assuré que la qualification juridique des faits opérée par le Tribunal administratif de Toulouse, retenant que le vice de légalité externe affectant le rapport de présentation du PLUi de Toulouse Métropole (annulé par un jugement du 30 mars 2021 et confirmé par un arrêt du 15 février 2022) n’avait pas exercé d’influence sur les règles applicables au projet de construction litigieux, n’était pas erronée. Autrement dit, le Conseil d’État effectue un contrôle de qualification juridique des faits retenue par les juges du fond au regard des dispositions de l’article L. 600-12-1 du Code de l’urbanisme.

Pas d’application de la jurisprudence Thalamy au permis de construire modificatif

Par un arrêt rendu le 30 avril 2024, le Conseil d’Etat a refusé de donner à l’autorité administrative le pouvoir d’imposer au pétitionnaire qui aurait déposé une demande de permis de construire modificatif en cours de réalisation de ses travaux d’intégrer la demande de régularisation de travaux irréguliers réalisés antérieurement.

En l’espèce, après avoir accordé un permis de construire pour la surélévation et l’extension d’une maison individuelle, le maire a, par la suite, constaté l’existence d’infractions dans l’exécution de ce permis et ordonné l’interruption des travaux. Ces infractions concernaient notamment la réalisation d’une consolidation des murs périphériques de la maison. Afin de régulariser la situation, un permis de construire modificatif réparant les infractions commises a été sollicité et accordé.

A l’occasion du contentieux contre cette décision, le Conseil d’Etat a pu se prononcer sur la nécessité d’autoriser l’opération de consolidation des murs par le biais d’un permis modificatif.

Plus exactement, pour rappel, le juge administratif applique depuis 1986 la jurisprudence Thalamy (CE, 9 juill. 1986, n° 51172). Cette jurisprudence impose, lorsqu’il est envisagé des éléments de constructions nouveaux prenant appui sur une partie d’un bâtiment irrégulière, de régulariser l’existant avant de pouvoir envisager obtenir une autorisation d’urbanisme pour les modifications envisagées.

Cette jurisprudence s’applique lorsque les travaux non-autorisés ont été réalisés et se posait ainsi la question de l’application de cette jurisprudence à l’hypothèse d’un permis de construire modificatif, c’est-à-dire dans le cas où les travaux sont encore en cours.  Le Conseil d’Etat a répondu par la négative à cette question :

« 9. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions [articles L. 480-1, L. 462-1 et L. 462-2 du Code de l’urbanisme] que l’autorité administrative dispose, en cours d’exécution de travaux autorisés par un permis de construire, de la faculté de contrôler le respect de l’autorisation d’urbanisme. A défaut de la mise en œuvre de ces pouvoirs de contrôle ou, s’ils ont été mis en œuvre, du constat d’une irrégularité, le pétitionnaire doit être considéré comme réalisant les travaux en se conformant à l’autorisation délivrée. L’autorité compétente ne peut pas exiger du pétitionnaire qui envisage de modifier son projet en cours d’exécution, que sa demande de permis modificatif porte également sur d’autres travaux, au motif que ceux-ci auraient été ou seraient réalisés sans respecter le permis de construire précédemment obtenu. Il appartiendrait dans ce cas à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations de dresser procès-verbal des infractions à la législation sur les permis de construire dont elle aurait connaissance, procès-verbal transmis sans délai au ministère public. En toute hypothèse, l’administration dispose, en vertu des dispositions visées au point 8, du pouvoir de contrôler la conformité une fois les travaux achevés et d’imposer, à ce stade, la mise en conformité ».

En effet, si des travaux irréguliers sont entrepris en cours d’exécution d’une autorisation d’urbanisme, le pétitionnaire dispose toujours du droit soit de se conformer à l’autorisation précédemment obtenue, soit de solliciter une nouvelle autorisation sous la forme d’un permis de construire modificatif. Ainsi, l’autorité administrative ne peut imposer au pétitionnaire de solliciter une nouvelle autorisation d’urbanisme afin de régulariser les travaux irréguliers entrepris alors même que l’exécution de l’autorisation d’urbanisme est encore en cours. Plus exactement, l’autorité administrative sera uniquement en mesure de conduire une procédure administrative (mise en demeure de régulariser sous astreinte) ou judiciaire (voie pénale et mesures de restitution) pour assurer la conformité des constructions au droit de l’urbanisme, comme le rappelle Monsieur le rapporteur public dans ses conclusions sous l’arrêt.

La question est donc tranchée, la jurisprudence Thalamy sera donc limitée à l’hypothèse qu’on lui connait depuis son origine.

Précision sur l’extension de l’urbanisation en continuité dans les communes littorales

Saisi pour avis par le Tribunal administratif de Bastia, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’interdiction de l’extension de l’urbanisation en continuité, en particulier l’agrandissement des constructions, dans les communes soumises à la Loi Littoral.

En l’espèce, Mme D. a sollicité un permis de construire en vue de réaliser plusieurs aménagements sur la parcelle comprenant sa maison d’habitation, à savoir la construction d’une terrasse et d’un local technique et l’extension de sa piscine. Sa maison, d’une superficie initiale de 83 mètres carrés, avait déjà fait l’objet, trois ans auparavant, d’une extension consistant en la création de pièces supplémentaires d’une surface de plancher de 22 mètres carrés, d’une piscine de 36 mètres carrés et d’un abri de voiture. Pour refuser d’accorder l’autorisation pour la nouvelle extension, le maire de Porto-Vecchio a appréhendé de façon cumulée les extensions récemment réalisées et les nouveaux aménagements projetés, considérant que le projet était constitutif d’une extension d’urbanisation discontinue prohibée par les dispositions issues de la Loi Littoral.

A l’inverse, la requérante faisait valoir que l’extension devait être appréhendée au regard du dernier état de la construction à la date de sa demande et que, ce faisant, l’extension de l’urbanisation était limitée et en continuité. Cette question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges a donc été portée devant le Conseil d’Etat en application de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative. Pour rappel, en droit, les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme imposent « l’extension de l’urbanisation en continuité »[1] dans les communes littorales[2] :

« L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants.

Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs. […] ».

L’esprit de la règle est d’instituer un dispositif « anti-mitage », le législateur a ainsi entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes littorales. Cela implique que les constructions peuvent être autorisées en continuité avec les zones déjà urbanisées caractérisées par une densité significative des constructions, mais qu’aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres constructions dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées des agglomérations (CE, 19 octobre 2007, Commune de Lavandou, n° 306074). Deux tempéraments ont toutefois été apportés à cette règle en jurisprudence.

Le premier concerne l’hypothèse de la restauration d’une construction existante répondant aux conditions de l’article L. 111-23 du Code de l’urbanisme (CE, 4 août 2021, M. LD., n° 433761).

Le second concerne le simple agrandissement d’une construction existante, dégagé par la décision M. F. du Conseil d’Etat du 3 avril 2020[3]. Le Conseil d’Etat avait alors jugé que  « [si], en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions » sans toutefois préciser la notion d’agrandissement.

L’avis contentieux du 30 avril 2024 a pour objectif d’éclaircir cette notion d’agrandissement. Le Conseil d’Etat juge que :

« 2. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral. Toutefois, le simple agrandissement d’une construction existante, c’est-à-dire une extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée, ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation prohibée par ces dispositions.

 Le caractère de l’agrandissement envisagé s’apprécie par comparaison avec l’état de la construction initiale, sans qu’il y ait lieu de tenir compte des éventuels agrandissements intervenus ultérieurement.

    1. S’agissant toutefois des constructions antérieures à la loi du 3 janvier 1986, le caractère de l’agrandissement envisagé s’apprécie par comparaison avec l’état de la construction à la date d’entrée en vigueur de cette loi ».

Ainsi, le Conseil d’Etat estime que l’agrandissement doit être apprécié au regard de sa taille propre (en valeur absolue), de sa proportion par rapport à la construction (en valeur relative) et en fonction de la nature de la modification apportée. Quant à la construction de référence qu’il convient de prendre en considération :

  • Il s’agit de la construction initiale pour les constructions postérieures à la Loi Littoral ;
  • Et de la construction existante à la date d’entrée en vigueur de la Loi Littoral pour les constructions antérieures à cette loi.

Cette solution est conforme à l’esprit de la Loi Littoral : la prise en considération de la construction initiale pour apprécier l’extension en continuité de l’urbanisation permet d’éviter que des agrandissements successifs ne viennent contourner le dispositif « anti-mitage » souhaité. Cela doit permettre d’éviter la possibilité de contourner la règle par des agrandissements successifs. Cela étant, l’appréciation de l’extension limitée et en continuité reste grandement entre les mains des services instructeurs ou auteurs des documents locaux d’urbanisme, puis des juges du fond en cas de contentieux, dans une matière particulièrement casuistique.

 

[1] Cette notion ne doit pas être confondue avec la notion usuelle « d’extension d’une construction existante » en dehors des communes littorale ».

[2] A noter que ce principe s’impose à la fois aux autorisations d’urbanisme et aux documents d’urbanisme (v. par exemple, pour une application à un document d’urbanisme : CAA Marseille, 18 janvier 2021, n°19MA05405).

[3]419139. Voir notre commentaire sur cette décision ici.

Loi du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement : dispositions intéressant les organismes HLM

Plusieurs dispositions de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 intéressent les organismes HLM.

On citera en premier lieu l’article 20 de ladite loi, créant la notion de « syndic d’intérêt collectif », réputé compétent pour intervenir dans les copropriétés en difficulté pour lesquelles un mandataire ad hoc a été désigné sur le fondement de l’article 29-1 A de la loi du 10 juillet 1965 et pour assister l’administrateur provisoire désigné sur le fondement de l’article 29-1.  Cette qualité de syndic d’intérêt collectif est reconnue par voie d’agrément, délivré par le préfet du département pour une période de cinq ans dans des conditions à déterminer par décret. La liste des syndics d’intérêt collectif est communiquée par le préfet au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. Le III de l’article 20 de la loi du 9 avril 2024 prévoit que les organismes HLM et les SEM agréées logement social se voient de plein droit, et à leur demande expresse, reconnaître la qualité de syndic d’intérêt collectif.

En second lieu, on rappellera que l’ordonnance n° 2023-80 en date du 8 février 2023 a créé le bail réel et solidaire d’activité (BRSA), dont l’objet est de permettre aux organismes de foncier solidaire (OFS), « à titre subsidiaire et dans un but de mixité fonctionnelle de leurs opérations, d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser des locaux à usage commercial ou professionnel sur des terrains acquis ou gérés au titre de leur activité principale ». Dit autrement, les OFS peuvent construire (ou faire construire, via un BRSA-opérateur), sur des terrains acquis pour la construction de logements, des locaux d’activité en vue de la conclusion de BRSA au profit de microentreprises (moins de 10 salariés et moins de deux millions d’euros de chiffre d’affaires). La loi du 9 avril 2024 apporte plusieurs précisions concernant les organismes HLM :

  • l’article 57 précise que les organismes HLM peuvent être opérateurs dans le cadre des BRSA-opérateurs susmentionnés ;
  • l’article 58 autorise les organismes HLM à réaliser des prestations de services pour le compte des OFS dans le cadre des BRSA (par exemple, des prestations de commercialisation) ;
  • enfin, l’article 59 les autorise expressément, lorsqu’ils sont agréés en qualité d’OFS, à conclure des BRSA.

L’absence d’une clause de révision de prix n’empêche pas l’application du contrat

L’absence d’une clause de révision de prix obligatoire ne rend pas illicite le contenu même du contrat et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité de nature à justifier que le contrat soit écarté et à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel.

En l’espèce, la société Nouvelle Laiterie de la Montagne (SNLM) s’était vu attribuer deux lots portant sur la fourniture de thon entier naturel dans le cadre d’un marché public de fourniture et de livraison de produits alimentaires lancé par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

Durant l’exécution du contrat, la SNLM a fait part à FranceAgriMer des difficultés d’exécution du marché qu’elle rencontrait et a sollicité, soit une hausse de prix de 18 %, soit un report de la date de livraison « en raison de la situation sur le marché mondial du thon ».

FranceAgriMer a refusé et a appliqué les pénalités prévues dans le cahier des charges pour non-respect de l’obligation de livraison. Ce dont la SNLM a tenté de s’exonérer en demandant au juge d’écarter l’application du contrat qui aurait été, selon elle, entaché d’un vice d’une particulière gravité en l’absence de clause de révision des prix.

On sait qu’aux termes des dispositions de l’article R. 2112-14 du Code de la commande publique, la clause de révision de prix est obligatoire pour les marchés d’une durée supérieure à 3 mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures (notamment de matières premières) dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux.

On sait aussi que depuis la jurisprudence « Béziers I », une irrégularité n’est de nature à écarter l’application d’un contrat que si elle rend illicite le contenu même du contrat ou constitue un vice d’une particulière gravité.

En l’espèce, bien que la Cour administrative d’appel de Paris ait constaté qu’« en l’absence de clause de révision de prix, ces marchés étaient donc entachés d’illégalité », elle a jugé que « l’absence d’une clause de révision de prix ne rend pas illicite le contenu même du contrat, et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité, de nature à justifier que le contrat soit écarté et à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel. La société SNLM n’est donc pas fondée à se prévaloir de l’illégalité entachant, en l’absence d’une telle clause, les marchés qu’elle a conclus avec FranceAgriMer, pour solliciter la décharge des pénalités d’inexécution qui lui ont été infligées sur le fondement de ces contrats ».

Cette décision s’inscrit ainsi dans la continuité de la jurisprudence administrative qui a déjà pu considérer que l’absence d’une clause obligatoire d’un contrat administratif ne rend pas illicite le contenu même de ce dernier.

Ainsi, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de considérer que l’omission de faire figurer dans une convention de délégation de service public, comme le prévoit l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la justification des montants et modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante ne donne pas un caractère illicite au contrat ni n’affecte les conditions dans lesquelles les deux parties ont donné leur consentement et peut, au demeurant, être régularisée. Dès lors, pour le Conseil d’Etat, une telle omission n’est pas de nature à justifier, en l’absence de toute autre circonstance particulière, que dans le cadre d’un litige entre les parties, l’application de ce contrat soit écartée (CE, 10 juillet 2020, n°434353).

L’on notera que la position de la jurisprudence administrative diffère en présence d’une clause illicite indivisible du reste du contrat. Comme l’a très récemment jugé le Conseil d’Etat au sujet d’une clause de paiement différé dans un marché public, puisqu’ « il serait impossible d’annuler cette seule clause sans modifier substantiellement le contrat, soit en supprimant le prix soit en imposant son versement en une seule fois » pour reprendre les termes du Rapporteur Public Nicolas LABRUNE. Ainsi, une clause indivisible du reste du marché public est de nature à entacher d’illicéité le contenu même du contrat (CE, 3 avril 2024, n°472476).

La signature d’une transaction ne crée pas un droit à indemnisation pour le tiers au contrat, même si ce dernier est une caisse de sécurité sociale

La transaction signée entre la victime d’un accident et la collectivité responsable n’est pas de nature à ouvrir un droit à indemnisation à un tiers, même si ce dernier est une caisse de sécurité sociale subrogée dans les droits de la victime. Le remboursement des débours exposés par la caisse ne pourra se faire que par la démonstration d’une faute de la personne publique.

A la suite d’une blessure à la jambe subie lors d’un jeu de ballon organisé par le centre de loisirs de la commune de Clermont-Ferrand, les parents de la victime ont reproché aux responsables de cette structure de ne pas avoir tenu compte de la contre-indication à cette activité de leur enfant à raison de la maladie génétique dont il est affecté (Charcot-Marie-Tooth). Ils ont saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire et la CPAM du Puy-de-Dôme est intervenue durant l’instance pour obtenir le remboursement de ses débours.

Mais après avoir conclu un protocole transactionnel avec la commune, les parents se sont désistés de leur action et le Tribunal administratif a reconnu une faute imputable à la collectivité et a enjoint à cette dernière le versement d’une somme de l’ordre de 50 000 euros à la CPAM. La Cour a annulé le jugement et a rejeté les conclusions de la CPAM qui s’est alors pourvue en cassation en soutenant que la transaction conclue entre la collectivité et la victime permettait, par elle-même, de reconnaître son droit à indemnisation.

La question posée au Conseil d’Etat consistait donc à savoir si la signature d’une transaction vaut droit à indemnisation au profit des tiers que sont les organismes de sécurité sociale.

Le Conseil d’Etat aurait pu faire sienne la jurisprudence définie par ses homologues judiciaires dans l’affaire dite du « Médiator ». En effet, par la décision du 21 avril 2022 la Cour de Cassation a retenu que la personne qui transige avec la victime d’un dommage corporel « admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime dont la caisse, subrogée dans ses droits, peut se prévaloir ». En conséquence de quoi il « incombe alors aux juges du fond, saisis du recours  subrogatoire de la caisse qui n’a pas été invitée à participer à la transaction, d’enjoindre aux  parties de la produire pour s’assurer de son contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes  dues à la caisse […] » (Cass. Civ., 21 avril 2022, n° 20-17.185). Ainsi, pour la Cour de Cassation, la signature d’une transaction entre la victime et l’auteur du dommage ouvre un droit à indemnisation à l’organisme subrogé dans les droits de la victime.

Mais le Conseil d’Etat a fait le choix d’adopter la position opposée à celle retenue par la Cour de Cassation, suivant en cela les conclusions de son Rapporteur Public Florian ROUSSEL. Ce dernier nous rappelle tout d’abord qu’aucune disposition législative, expresse ou implicite, ne reconnait aux tiers payeurs un tel droit à indemnisation, qui ne peut pas non plus se déduire du caractère subrogatoire du recours des tiers payeurs. Il précise également que la jurisprudence administrative est en décalage avec celle du juge judiciaire qui privilégie « une conception plus objective du contrat, traité comme un fait juridique invocable par les tiers ». Le Conseil d’Etat a par exemple déjà jugé qu’un tiers à une transaction ne peut invoquer à son profit une clause par laquelle l’administration renonce à toute réclamation (CE, 21 octobre 2019, n° 4200868). Ainsi, devant le juge administratif les tiers ne peuvent se prévaloir des stipulations d’une convention à l’exception de ses clauses réglementaires.

Florian ROUSSEL ajoute que la consécration d’une telle solution porterait atteinte à un principe cardinal du droit administratif, la prohibition des libéralités, en vertu duquel l’Administration ne peut être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas. Avant de faire état, enfin, de plusieurs arguments « d’opportunité », comme la possibilité effective pour l’organisme d’engager la responsabilité de la collectivité en exerçant un recours autonome ou encore le caractère dissuasif de la transaction si un tel droit à indemnisation était consacré.

Dès lors, c’est en reprenant presque totalement les motifs exposés par Florian ROUSSEL que le Conseil d’Etat a jugé que « s’il est loisible aux personnes publiques de conclure une transaction pour mettre un terme à une procédure mettant en cause leur responsabilité, les tiers à ce contrat ne peuvent se prévaloir d’un droit à indemnisation résultant de sa signature […] ».

Pour être indemnisé, le tiers payeur devra donc apporter la preuve du triptyque classique en matière de responsabilité : un préjudice, que l’on peut imaginer être les débours, une faute et un lien de causalité direct et certain. Précisons qu’en l’espèce Florian ROUSSEL avait proposé d’écarter le principe d’une faute car il est « délicat de déduire de la fiche de liaison que l’enfant ne pouvait participer à un jeu de ballon » et « sévère » de reprocher aux employés du centre de loisirs, qui ne sont pas des professionnels de santé, de ne pas avoir recherché si la maladie dont souffrait la victime était incompatible avec ce jeu.

Même victime d’une escroquerie, l’acheteur public doit payer son cocontractant

Tout acheteur public est tenu de procéder au paiement des sommes dues en exécution d’un marché public, même s’il est victime d’escroquerie, sans que la communication, par la société cocontractante, d’éléments permettant la fraude, ait une incidence sur l’obligation de paiement de la prestation. Une décision protectrice du titulaire du contrat.

L’Office Public de l’Habitat du département de la Seine-Maritime (Habitat 76) a attribué à la société Brunet le lot n°1 « chaufferie » du marché public de travaux relatif à la création de la chaufferie collective et à la réfection des gaines de désenfumage. Après que les travaux ont été exécutés et réceptionnés, un individu se présentant comme le « comptable d’agence » a transmis à Habitat 76 de nouvelles coordonnées bancaires pour que l’Office Public puisse procéder au paiement. Habitat 76 s’est exécuté en ce sens ne s’apercevant qu’a posteriori de l’escroquerie.

« Qui paye mal paye deux fois ». Cet adage juridique nous rappelle que le paiement d’une dette à un tiers est nul et contraint ainsi le débiteur à procéder à un nouveau paiement entre les mains du véritable créancier. Mais aux termes des dispositions de l’article 1342-3 du Code civil, le paiement est libératoire lorsqu’il est fait de bonne foi entre les mains d’un créancier apparent.

Si la Cour administrative d’appel de Douai, on va le voir, a décidé de faire application de ces dernières dispositions, la question de la pénétration dans le droit des marchés publics de la notion civiliste du « créancier apparent » n’a pas encore été tranchée par le Conseil d’Etat et fait l’objet de décisions contraires de la part des juridictions du fond.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a par exemple récemment jugé que « le Grand port maritime de Bordeaux ne peut, en tout état de cause, se prévaloir des dispositions de l’article 1342-3 du code civil en vertu desquelles le paiement fait de bonne foi à un créancier apparemment est valable » (C.A.A. de Bordeaux, 4 juillet 2023, n°21BX02286). La formation de jugement bordelaise suivant en cela les conclusions de la Rapporteure Publique Isabelle Le Bris qui considérait que les dispositions de l’article 1342-3 du Code civil « ne sauraient prévaloir […] sur l’application des stipulations contractuelles » qui prévoient le paiement du prix en contrepartie d’une prestation. Une primauté de l’autonomie du droit administratif qui n’est pas sans rappeler la récente décision du Conseil d’Etat qui a jugé que l’article 1792-7 du Code civil n’est pas applicable à la garantie décennale à laquelle sont tenus les constructeurs au titre des marchés publics de travaux (C.E., 5 juin 2023, n°461341).

La Cour administrative d’appel de Douai, on l’a dit, admet pour sa part l’invocabilité des dispositions de l’article 1342-3 du Code civil. Mais c’est pour en faire une lecture stricte et refuser de reconnaître, dans le cas d’espèce, la présence d’un « créancier apparent ». La Cour déployant un faisceau d’indices à la défaveur d’Habitat 76 qui, selon elle, ne pouvait légitimement croire être en présence du véritable créancier.

La Cour relève ainsi que :

  • L’auteur présumé de l’escroquerie n’avait auparavant jamais été en contact avec Habitat 76, étant précisé que le numéro de téléphone affiché était tout aussi inconnu ;
  • Le courriel reçu par Habitat 76 laissait apparaitre l’adresse réellement utilisée par l’auteur présumé et comportait un nom de domaine qui n’était pas utilisé par l’entreprise ;
  • L’attestation relative à la modification des coordonnées bancaires de la société Brunet comportait une date de clôture du précédent compte bancaire différente de celle mentionnée dans le mail d’accompagnement ;
  • Si l’adresse de la domiciliation était identique à celle de l’établissement secondaire « Brunet Lacheray » elle n’était cependant pas celle du siège de la société Brunet.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour a estimé que « compte tenu de ces incohérences, qui auraient dû donner lieu à des investigations et vérifications complémentaires, notamment auprès des responsables de la société Brunet habituellement en contact avec Habitat 76, ce dernier n’a pu légitimement croire se trouver en présence du véritable créancier ».

Cet arrêt en rappelle au strict devoir de vigilance qui pèse sur les personnes publiques lors du paiement des prestations. La Cour imposant un rôle particulièrement actif de la part du débiteur en cas de doute sur l’identité du créancier, puisque selon la juridiction Habitat 76 aurait dû, en l’espèce, investiguer et procéder à des vérifications complémentaires compte tenu des incohérences susmentionnées.

L’arrêt rappelle également que le titulaire du contrat a droit au paiement de l’intégralité des sommes qui lui sont dues en « application des stipulations contractuelles ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude résidant dans l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces paiements soient renouvelés entre les mains du véritable créancier ».

Ainsi, en l’espèce et en application de ce principe, bien que l’escroquerie ait été rendue possible par les agissements d’un salarié de la société requérante (en l’espèce, la société Brunet a communiqué des factures correspondant au paiement litigieux à une adresse électronique ne correspondant pas au nom de domaine habituel d’Habitat 76 et des attestations d’assurance de la société) cette circonstance ne saurait caractériser un manquement de la société requérante à ses obligations contractuelles de nature à minorer la somme due.

En revanche, il sera toujours envisageable pour l’acheteur public d’essayer de rechercher la responsabilité délictuelle du cocontractant « en raison des fautes qu’il aurait commises en contribuant à permettre l’infraction », afin d’être indemnisé de tout ou partie du préjudice subi résultant du versement des sommes litigieuses dans d’autres mains (C.A.A. de Nancy, 22 décembre 2022, n° 20NC02692 ; C.A.A. de Nancy, 13 novembre 2023, n° 23NC02825).

Illégalité d’une convention résultant de l’illicéité de son objet : interdiction de faire participer un opérateur économique à l’exécution du service public du contrôle fiscal

La Cour administrative d’appel de Marseille, dans une décision en date du 12 février dernier, a fait application de la règle tenant à l’interdiction de confier à un tiers l’exercice du service public du contrôle fiscal et a, par application de cette dernière, qualifié une convention d’illégale du fait du caractère illicite de son objet, lequel consistait à faire participer cet opérateur à l’exécution du service public du contrôle fiscal.

Cette décision a été rendu au sujet d’un contrat conclu entre la commune d’Ajaccio et un opérateur économique, précisément une convention d’audit et de conseil en ingénierie fiscale destinée à identifier, au profit de la commune, les possibilités d’optimisation de la taxe locale sur la publicité extérieure. Le contentieux avait pris naissance dans le cadre de difficultés rencontrées entre les deux parties, du fait notamment de la position adoptée par cet opérateur, lequel avait considéré que la commune avait mis fin aux relations contractuelles de manière unilatérale et que cette dernière lui devait une somme de 30.000 euros.

Le Tribunal administratif de Bastia, saisi d’une demande de paiement de la part de cet opérateur, avait fait droit à cette demande, ce qui a conduit la commune d’Ajaccio à porter l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Marseille. Après avoir rappelé le considérant de principe relatif à l’office du juge du contrat[1], la Cour s’est penchée sur le contenu de la convention ici en cause. Elle a, en résumé, retenu que « la mission dévolue contractuellement à la société CTR ne se limitait pas au recensement des enseignes, préenseignes et dispositifs publicitaires et à la fourniture de conseils d’ordre général, mais impliquait l’accès à des données fiscales personnelles. Ainsi, le fonctionnement de l’application  » TLPE-Online  » impliquait que le consultant fût informé de l’identité des contribuables ayant manqué à leurs obligations déclaratives et participât au traitement des déclarations reçues. En outre, l’article 5.1 de la convention confiait à la société le soin d' » effectuer la gestion des contestations  » des contribuables. Enfin, l’article 5.2 de cette convention prévoyait l’obligation pour la commune d’assurer la  » transmission à CTR de tous les éléments et documents justifiant de la perception de la Taxe  » ».

Aussi, la Cour a jugé que la convention avait « fait participer la société à l’exécution même du service du contrôle fiscal ». Et, par application, notamment, de la règle selon laquelle le service de contrôle de l’assiette des impositions de toute nature ne peut être confié qu’à des agents placés sous l’autorité directe de l’administration[2], la Cour a qualifié l’objet de la convention d’illicite puisqu’il avait fait participer cette société à l’exécution même du service du contrôle fiscal.

Enfin, tirant les conséquences des constats précités, la Cour a considéré que « la société ne peut donc réclamer le paiement des sommes dues en vertu du contrat » et que « la commune d’Ajaccio est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de condamnation présentée par la société CTR ».

 

[1]  « Le juge du contrat, juge de plein contentieux saisi par une partie, peut relever d’office une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat. Dans ce cas, si le juge est saisi d’un litige d’exécution du contrat, il doit l’écarter et ne peut pas régler le litige sur le terrain contractuel ».

[2] Cette règle est prévue, notamment, par les articles L. 2333-6 et R. 2333-13 du Code général des collectivités territoriales et l’articles L. 103 du livre des procédures fiscales.

Publication par la DAJ d’une fiche dédiée aux méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics

Dans le cadre de ses nombreuses démarches destinées à accompagner les acheteurs soumis au Code de la commande publique et des travaux de l’Observatoire économique de la commande publique, la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des finances, et de la souveraineté industrielle (DAJ) a publié, le 15 mars 2024, un ensemble documentaire portant sur les méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics. Précisément, la DAJ a mis à disposition des acheteurs :

  • une fiche pratique présentée sous la forme d’un mode d’emplois exposant les différentes méthodes de notation, leurs caractéristiques respectives ainsi que des recommandations quant à leur utilisation ;
  • des fichiers de calcul, sous la forme de tableurs, deux tableurs (format Excel et Libre office), permettant d’obtenir le calcul de la note du prix, présentés comme un « outil clé en main [devant permettre] de transformer automatiquement le prix en note en fonction du poids du critère et des offres financières remises par les candidats ».

La fiche comporte donc un focus sur les trois méthodes suivantes (car validées par la jurisprudence) :

  • La méthode dite classique ;
  • La méthode dite linéaire ;
  • La méthode dite moyenne des offres.

D’utiles recommandations sont également données en fin de documents, et notamment les suivantes :

  • « prévoir une méthode de notation non stéréotypée, adaptée aux spécificités de l’offre de prix pressentie en procédant à une simulation.» ;
  • prendre en compte, lors de la détermination de la méthode de notation, de l’effet psychologique que peut avoir la notation sur les candidats non retenus à la lecture de la lettre de rejet.

Cette fiche est l’occasion de rappeler, comme l’a fait la DAJ, l’absence de méthode universelle pouvant être dupliquée pour tous les marchés, peu important leurs caractéristiques. Ainsi, le choix de la méthode de notation mérite d’y accorder un temps d’analyse suffisant, en prenant en compte des aspects pratiques et financiers et des limites de nature juridique puisque, pour mémoire, le choix de la méthode fait l’objet d’un encadrement, la jurisprudence ayant notamment posé les règles suivantes :

  • la note attribuée aux offres financières doit, dans tous les cas, refléter fidèlement leur écart de prix avec l’offre financière la plus basse (voir en ce sens CE, 3 novembre 2014, req. n° 373362), ce qui n’est, par exemple, pas le cas lorsqu’elle conduit l’acheteur a attribué à l’offre la plus onéreuse la note de 0/20 sur un critère prix (CE, 24 mai 2017, Société Techno Logistique, req. n° 405787, mentionné dans les tables du recueil Lebon) ;
  • il n’est aucune obligation de rendre publique, dans les pièces de la consultation, la méthode de notation retenue ce qui suppose de déterminer s’il est ou non utile, en fonction des caractéristiques de chaque marché, de la publier et aussi que, lorsqu’elle est publiée, l’acheteur n’est plus en droit de la modifier.

Conflit d’intérêts : le risque d’impartialité d’un assistant à maîtrise d’ouvrage entretenant des relations commerciales avec le fournisseur de l’attributaire du marché

Par un jugement en date du 6 mars 2024, le Tribunal administratif de la Guyane a considéré qu’une situation de conflit d’intérêts était constituée lorsque l’assistant à maîtrise d’ouvrage d’une personne publique, chargé de l’examen de la conformité des offres déposées lors de la consultation d’un marché public, a entretenu des relations commerciales et partenariales avec le fournisseur du candidat qui s’est vu attribuer ledit marché.

Dans cette affaire, le Grand port maritime de Guyane (ici GPM-Guyane) a lancé une procédure de consultation sous la forme d’une procédure avec négociation pour l’installation, la maintenance, le dépannage et l’entretien des systèmes de sécurité et de sûreté des installations du GPM-Guyane. A compter du deuxième tour de négociation, le GPM-Guyane s’est attaché les services d’un assistant à maîtrise d’ouvrage en charge de se prononcer sur la conformité ou non de chaque offre au cahier des clauses techniques particulières du marché.

A la suite de l’attribution du marché, une des sociétés évincées a initié un référé précontractuel au motif de l’irrégularité de son éviction, considérant notamment que le principe d’impartialité avait été méconnu lors de l’attribution de ce marché. La société évincée soutenait que les liens commerciaux et partenariaux existant entre l’AMO et le fournisseur du groupement attributaire révélaient une situation de conflit d’intérêts.

Pour trancher cette question, le Tribunal administratif rappelle que le principe d’impartialité s’impose à tous les pouvoirs adjudicateurs et implique l’absence de conflit d’intérêts que l’article L. 2141-10 du Code de la commande publique définit comme « toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ». Il relève que le groupement attributaire propose d’utiliser un dispositif vidéo par fibre optique reposant sur l’utilisation d’une suite logicielle distribuée par une société avec laquelle l’AMO entretient des liens commerciaux voire partenariaux.

Par la suite, poursuivant sa qualification d’une situation de conflit d’intérêts, le Tribunal administratif de Guyane relève que le GPM a écarté à tort l’offre de la société requérante. En effet, outre deux nouveaux motifs de rejet de l’offre des requérantes invoqués par le GPM en cours d’instance, ce dernier a considéré inappropriée l’offre de la société requérante qui reposait sur une solution fondée non pas sur l’utilisation de la fibre optique mais sur des capteurs et ondes radio, alors même que le CCTP n’excluait pas une telle solution.

En concluant que la participation de l’AMO à l’analyse de la conformité des offres dans le cadre de la procédure de passation du marché constitue une méconnaissance du principe d’impartialité, le jugement commenté retient une position large de la situation de conflit d’intérêts. Jusqu’alors, une situation d’impartialité avait pu être identifiée :

  • lorsqu’un AMO en charge de l’élaboration des pièces d’un marché et de l’analyse des offres reçues était par le passé responsable de l’entreprise attributaire (CE, 14 octobre 2015, Région Nord-Pas-de-Calais, req. n° 390968) ;
  • lorsque le dirigeant de la société à laquelle la commune avait confié une mission d’AMO pour analyser les offres était également le dirigeant de la société éditeur de logiciel que le groupement attributaire du marché désignait comme étant son fournisseur pour l’exécution du marché (CE, 28 février 2023, Société Sofratel, req. n° 467455).

En revanche, le juge administratif avait refusé de reconnaître une méconnaissance du principe d’impartialité lorsqu’un AMO à la passation d’un contrat de concession avait eu des relations commerciales avec l’un des membres du groupement retenu, dès lors que celles-ci, datées de plus de 2 ans, ne représentaient que des missions ponctuelles correspondant à une part minime de son chiffre d’affaires (TA Paris, ord., 22 août 2018, Société Excelsis, req. n° 183709/4).

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de la Guyane retient donc la qualification de conflit d‘intérêts s’agissant de relations commerciales, voire de partenariat, qu’un AMO a pu entretenir avec le fournisseur de l’attributaire – sans prendre en compte cette fois-ci l’antériorité des relations ou le volume financier résiduel qu’a pu représenter ce partenariat – alors que l’offre de la société requérante a été écartée en raison d’une solution technique distincte de celle dont ledit fournisseur est le distributeur officiel dans le secteur.

Droit à indemnisation du candidat irrégulièrement évincé et résiliation

Lorsque le juge administratif est amené à calculer le montant du manque à gagner auquel a droit le candidat qui a été irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un contrat public alors qu’il disposait d’une chance sérieuse de le remporter, doit-il tenir compte de la circonstance que le contrat litigieux initialement signé a, par la suite, été résilié ?

Le Conseil d’État répond par la positive à cette question, dans une décision rendue le 24 avril 2024 et dont l’importance justifie la publication au recueil Lebon. Cette décision a été rendue dans le cadre d’un contentieux sur la passation par la commune de la Chapelle d’Abondance d’une délégation de service public pour l’exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski alpin situées sur son territoire. La société Chapelle d’Abondance Loisirs Développement (CALD), candidate évincée, n’avait obtenu en première instance que l’indemnisation des frais de présentation de son offre.

En appel, elle s’était vu accorder l’indemnisation de l’ensemble de son manque à gagner. Et, à cette occasion, la Cour administrative d’appel de Lyon avait jugé, en ce qui concernait le montant de ce manque à gagner, que « la circonstance que la délégation de service public initialement signée ait été par la suite résiliée est sans incidence sur le droit du candidat évincé à indemnisation sur la durée prévue par son offre ».

Saisi d’un pourvoi par la commune contre cet arrêt, le Conseil d’Etat commence par rappeler sa jurisprudence en matière d’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation : lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique (CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires EPTO Guadeloupe, req. n° 249630). En outre, le juge est tenu de vérifier qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité commise par l’acheteur et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation (CE, 10 février 2017, Société Bancel, req. n° 393720).

Ensuite, le Conseil d’État complète ce cadre jurisprudentiel, en précisant qu’il incombe au juge, pour apprécier dans quelle mesure le préjudice du candidat irrégulièrement évincé présente un caractère certain, de tenir compte notamment, s’agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l’exploitation, de l’aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci. Poursuivant dans cette logique de limiter l’indemnisation au préjudice présentant un caractère suffisamment certain, le Conseil d’État pose le principe suivant :

« Dans le cas où le contrat a été résilié par la personne publique, il y a lieu, pour apprécier l’existence d’un préjudice directement causé par l’irrégularité et en évaluer le montant, de tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu ».

Puis, faisant application de ce principe nouvellement dégagé au cas d’espèce, le Conseil d’État annule l’arrêt attaqué pour erreur de droit, considérant que les juges du fond n’auraient pas dû juger que, par principe, la résiliation du contrat litigieux était sans incidence sur le droit à l’indemnisation du manque à gagner du concurrent évincé mais, au contraire, tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation.

L’affaire est donc renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Lyon, ce qui sera l’occasion d’avoir des précisions complémentaires sur les conséquences concrètes de la résiliation du contrat sur le droit indemnitaire du candidat irrégulièrement évincé.

La Cour de cassation s’oppose au délai raisonnable d’un an consacré par la jurisprudence Czabaj du Conseil d’Etat

Cass. Assemblée Plénière, 8 mars 2024, Société City c/ Communauté de l’agglomération havraise, n° 21-21.230

Par deux arrêts rendus le 8 mars 2024 (pourvois n° 21-12.560 et 21-21.230), la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, s’est prononcée sur le délai de recours applicable devant le juge judiciaire en matière de contestation d’un titre de recettes exécutoire émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local, en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours contre cet acte. Pour rappel, d’une part, un titre exécutoire est un acte juridique permettant de recourir à l’exécution forcée, en général, du paiement d’une somme d’argent, ce qui est le cas d’un titre de recettes.

D’autre part, l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) fixe un délai de recours de deux mois à l’encontre d’un tel acte émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local. En principe, en vertu de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative (CJA) :

« Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».

Dans sa décision Czabaj en date du 13 juillet 2016 (n° 387763), le Conseil d’Etat a jugé, en se fondant sur le principe de sécurité juridique, qu’en l’absence de mention des voies et délais de recours dans une décision administrative individuelle notifiée à son destinataire, ou lorsqu’il est établi, à défaut d’une telle notification, que son destinataire en a eu connaissance, celui-ci ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable d’un an à compter de la date à laquelle elle lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.

Le juge administratif avait ensuite étendu cette solution aux titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, n° 401386).

Dans les deux affaires commentées ici, la Cour de cassation était saisie de la question de la transposition de la jurisprudence Czabaj à l’ordre judiciaire, concernant le délai de contestation d’un titre exécutoire émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local et ne mentionnant pas, ou de manière erronée, les voies et délais de recours.

Dans la première affaire (n° 21-12.560), une commune avait réclamé à une société le paiement d’une taxe locale par trois titres exécutoires, sans que ceux-ci ne précisent la juridiction devant laquelle ces titres pouvaient être contestés. La société avait sollicité devant le juge judiciaire l’annulation de ces titres exécutoires, mais les juges du fond avaient rejeté sa demande, la considérant tardive, car intervenue plus d’un an après que les titres avaient été portés à sa connaissance.

Dans la deuxième affaire (n° 21-21.230), une communauté d’agglomération avait réclamé à une société le paiement d’une facture d’eau par deux titres exécutoires. La société en avait sollicité l’annulation et la décharge devant le juge judiciaire. En première instance, ses demandes avaient été déclarées irrecevables en raison de leur tardiveté, car intervenues au-delà d’un délai d’un an, tandis que la cour d’appel avait annulé le jugement en déclarant les demandes de la société recevables.

En se fondant sur l’article L. 1617-5 du CGCT et sur l’article R. 421-5 précité du CJA, la Cour de cassation avait déjà jugé en 2015 que le délai de deux mois pour contester un titre exécutoire émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local devant la juridiction compétente (civile ou administrative) n’était opposable au débiteur qu’à la condition d’avoir été mentionné dans la notification du titre avec la voie de recours (Cass. Civ., 8 janvier 2015, n° 13-27.678).

Par les deux arrêts commentés du 8 mars 2024, elle a refusé de transposer la jurisprudence Czabaj à l’ordre judiciaire. Les titres exécutoires, en l’absence de mention des voies et délais de recours, pourront donc continuer à être contestés devant le juge civil au-delà du délai raisonnable d’un an. Pour justifier sa position, différente de celle du Conseil d’Etat, la Cour de cassation précise que cette divergence jurisprudentielle s’explique par l’application de principes et de règles juridiques différents à chacun des deux ordres de juridiction. La Cour de cassation estime que l’existence de règles de prescription applicables à l’ordre judiciaire, lesquelles ont pour effet de limiter le délai de recours, suffit en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique alors que, devant le juge administratif, les actes pourraient, eux, être indéfiniment contestés par la voie du recours pour excès de pouvoir.

A cet égard, on relèvera qu’en matière indemnitaire, le Conseil d’Etat a jugé, dans le même sens que la Cour de cassation, que la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues notamment par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Elle précise ensuite que la règle issue de l’article 680 du Code de procédure civile, selon laquelle le délai de recours ne court pas si les modalités de recours ne sont pas indiquées « de manière très apparente », constitue un principe général devant les juridictions judiciaires. Ce qui la conduit à estimer que, quelle que soit la nature de l’acte et celle des voies et délais de recours, ce principe risquerait d’être remis en cause par la transposition de la solution dégagée par le Conseil d’Etat. En ne transposant pas cette solution, la Cour de cassation termine par expliquer qu’elle entend assurer un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues, et le droit du débiteur d’accéder au juge.

Ainsi, par conséquent, selon le juge compétent pour connaître du recours contre un titre de recettes émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local, en l’absence de mention des voies et délais de recours (ou si la mention est irrégulière), l’acte pourra être contesté dans un délai raisonnable d’un an, ou dans la limite des règles de prescription applicables devant le juge judiciaire.

Pour être complet, relevons que le Conseil d’Etat avait, par ailleurs, précisé dans sa décision Czabaj que la solution ainsi dégagée était applicable de manière immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date des faits qui lui avaient donné naissance. Cette précision s’est vue censurée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt en date du 9 novembre 2023 (CEDH, 9 novembre 2023, Legros c/ France, n° 72173/17). La Cour a en effet considéré que l’application immédiate de cette solution aux instances en cours violait l’article 6 § 1 de la Convention en ce qu’elle avait pour effet de restreindre le droit d’accès des requérants à un tribunal.

SOS Méditerranée : les collectivités peuvent subventionner une action humanitaire internationale

CE, 13 mai 2024, n° 474507

CE, 13 mai 2024, n° 474652

L’article L. 1115-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise, « dans le respect des engagements internationaux de la France », les collectivités territoriales et leurs groupements à « mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire » – cette aide prenant dans bien des cas la forme d’une subvention.

Au titre de cette action extérieure, plusieurs tribunaux administratifs avaient déjà admis la légalité des interventions des collectivités locales venant en aide aux associations secourant les migrants en mer[1]. Récemment, deux cours administratives d’appel s’étaient prononcées de manière contradictoire sur l’octroi de subventions à l’association SOS Méditerranée qui mène une activité de sauvetage en mer de migrants dans les eaux internationales[2].

Par trois arrêts rendus le 13 mai dernier, la section du contentieux du Conseil d’Etat précise le cadre juridique des actions extérieures des collectivités territoriales qui interviennent en soutien d’actions internationales à caractère humanitaire. Les affaires en litige portaient sur l’attribution de subventions (100 000 € par la Ville de Paris, 20 000 € par le département de l’Hérault et 15 000 € par la ville de Montpellier) à l’association SOS Méditerranée.

La Haute juridiction rappelle d’abord que la loi permet aux collectivités territoriales de mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, sans que cette action n’ait à répondre à un intérêt public local, à s’inscrire dans les autres domaines de compétences des collectivités territoriales ou à impliquer une autorité locale étrangère (point 5 de l’arrêt).

Ces actions doivent, aux termes de la loi, respecter les engagements internationaux de la France. Elles ne doivent pas interférer avec la conduite par l’État des relations internationales de la France. Enfin, ces actions ne peuvent pas conduire une collectivité territoriale à prendre parti dans un conflit de nature politique (point 7 de l’arrêt).

Sur ce dernier point, le Conseil d’Etat estime que, si le simple fait qu’une organisation prenne des positions dans le débat public n’interdit pas à une collectivité territoriale de lui accorder un soutien pour des actions mentionnées à l’article L. 1115-1 du CGCT, c’est à la condition que cette action ne constitue pas en réalité une action à caractère politique et que la collectivité territoriale qui décide d’apporter son soutien à une telle organisation s’assure que son aide sera exclusivement destinée au financement d’une action de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, et ne sera pas utilisée pour financer les autres activités de cette organisation (points 7 et 8 de l’arrêt).

Le cadre juridique applicable ayant été rappelé et précisé, le Conseil d’Etat considère qu’une collectivité territoriale peut légalement apporter un soutien financier à l’association SOS Méditerranée pour son action humanitaire de sauvetage en mer.

Il juge à cet égard que l’activité de sauvetage en mer de SOS Méditerranée est bien une action internationale à caractère humanitaire, et non une action de nature politique. Il relève qu’elle est menée en conformité avec les principes du droit maritime international, qui prévoient l’obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer, et de les débarquer dans un lieu sûr dans un délai raisonnable, quel que soit leur nationalité ou leur statut, et juge qu’elle n’est pas contraire aux engagements internationaux de la France. Il relève également que si les autorités de certains États de l’Union européenne ont pu refuser le débarquement des navires de l’association, celle-ci y a déféré, et que les autorités françaises ont d’ailleurs contesté la conformité de ces refus au droit maritime international, et juge que, dans ces conditions, cette activité ne peut être regardée comme interférant avec la conduite par l’État des relations internationales de la France.

Il ajoute que le fait que les responsables de SOS Méditerranée aient pris des positions dans le débat public sur la politique de l’Union européenne et de certains États en matière de sauvetage en mer des migrants en Méditerranée ne suffit pas à interdire aux collectivités territoriales d’apporter un soutien à son activité opérationnelle de sauvetage en mer, à condition de réserver ce soutien à cette seule activité.

Sur le fond, la section du contentieux juge que la subvention accordée par la ville de Paris (n° 472155) « est exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités de secours en mer ». Il estime également que la convention conclue avec SOS Méditerranée prévoit que l’utilisation de la subvention à d’autres fins que l’activité de sauvetage en mer entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s’assurer du respect de ces obligations. Le Conseil d’État en déduit que la destination de ce soutien est donc suffisamment encadrée. Pour les mêmes motifs, le Conseil d’Etat rejette également le recours contre la subvention accordée par le département de l’Hérault (n° 474507).

En revanche, celle attribuée par la commune de Montpellier (n° 474652) est annulée, aucun élément ne permettant d’établir « que la commune se serait assurée, […], que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire qu’elle entendait soutenir ». Notons que dans cette dernière affaire, la haute juridiction juge qu’une délibération « qui a pour objet d’accorder une subvention, a par elle-même une incidence directe sur le budget communal, [ce] qui suffit à conférer à un requérant établissant sa qualité de contribuable communal un intérêt pour agir », sans qu’il soit nécessaire d’établir que les conséquences directes de cette délibération sur les finances communales seraient d’une importance suffisante.

 

[1] V. en ce sens TA Montpellier, 19 octobre 2021, n° 2003886 ; TA Paris 12 septembre 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n° 202012829.

[2] CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222 ; CAA Paris, 3 mars 2023, n° 22PA04811.

Recours contentieux : le cachet de la poste fait désormais foi

Le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence en considérant qu’un recours contentieux envoyé par voie postale ne doit plus désormais être parvenu à la juridiction administrative avant la fin du délai de recours mais doit être posté avant l’expiration de ce délai, le cachet de la poste faisant foi. Avant l’intervention de cet arrêt de Section et selon une jurisprudence constante, la tardiveté d’un recours contentieux formé par voie postale (et via le téléservice Télérecours) était appréciée au regard du jour de la présentation du pli au greffe de la juridiction[1].

Sous réserve des cas où la loi permet de remettre le recours à une autorité administrative chargée de le transmettre à la juridiction (comme c’est le cas en matière électorale), la jurisprudence a toujours refusé de prendre en compte la date d’un acte antérieur au dépôt au greffe, même s’il manifestait l’intention d’engager la procédure contentieuse[2]. Ainsi, selon cette jurisprudence, il appartenait au requérant de poster son recours suffisamment à l’avance pour qu’il parvienne à la juridiction avant le terme du délai. Cela étant, un recours présenté tardivement restait néanmoins recevable s’il avait été remis aux services des postes « en temps utile », pour y parvenir à temps selon « les délais normaux d’acheminement du courrier »[3].

En pratique, la jurisprudence retenait le plus souvent qu’un recours posté deux jours ouvrables (48 heures) avant l’expiration du délai pouvait être considéré comme remis en temps utile[4]. Or, l’évolution de cette jurisprudence apparaissait souhaitable et/ou nécessaire pour au moins trois séries de considérations relevées par le rapporteur public dans ses conclusions.

D’abord en raison de ses difficultés d’application géographique qui, notamment outre-mer, rendait la notion de « délai normal d’acheminement » particulièrement aléatoire avec des jurisprudences incertaines et parfois contradictoires.

Ensuite du fait de la réforme du service postal universel entrée en vigueur le 1er janvier 2023. En effet, les délais de la plupart des offres de distribution du courrier ont évolué vers un nouveau standard de délai d’acheminement en J+3, évolution qui semblait faire obstacle à ce que soit maintenue la règle des 48 heures précitée. Notons enfin que les justiciables qui utilisent le téléservice Télérecours pouvaient déposer leur recours contentieux jusqu’au dernier jour du délai de recours tandis que la règle de la date d’enregistrement contraignait les justiciables qui envoient leur recours par voie postale à le poster plusieurs jours avant l’expiration de ce délai pour être certains qu’il parvienne dans les temps à la juridiction. A l’occasion de sa décision rendue le 13 mai dernier, le Conseil d’Etat a donc fait évoluer la jurisprudence en jugeant que, pour les recours par voie postale, le respect du délai s’apprécie désormais à la date d’envoi du courrier, attestée par le cachet de la poste.

Ce faisant, le Conseil d’Etat procède à une double harmonisation. D’une part, les justiciables bénéficient désormais, en pratique, du même délai de recours qu’ils utilisent ou non le téléservice Télérecours. D’autre part, les règles de délai sont désormais identiques pour les citoyens, qu’ils saisissent la justice ou l’administration. En effet, la règle du cachet de la poste faisant foi est déjà celle qui s’applique chaque fois qu’une personne est tenue, à l’égard de l’administration, de respecter une date limite pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document (article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

 

[1] V. en ce sens CE, 27 février 1885, élections de Prétin, Rec. p. 251 ; CE, 30 décembre 1998, Epoux Serot, n° 167843 ; CE, 30 juillet 2003, Mme Chenilco, n° 240756.

[2] V. sur ce point CE, 2 février 1864, Oxéda, Rec. p. 69.

[3] V. en ce sens CE, 14 janvier 1910, Sieur Levallois, Rec. P. 25.

[4] V. par ex. CE, 3 juin 1991, Société Dormeuil, n° 61896.