La Commission de Régulation de l’Energie consulte les acteurs du marché sur les évolutions des prestations annexes des gestionnaires de réseaux de distribution de gaz

En sus de leur mission de service public d’acheminement du gaz naturel facturée par l’application des tarifs d’accès des tiers au réseau de distribution de gaz naturel (ATRD), entrent également dans le champ du monopole des gestionnaires du réseau public de distribution (GRD) de gaz naturel des prestations dites « annexes ». Prestations annexes dont il convient de déterminer précisément l’étendue (celles-ci ne pouvant empiéter sur le champ d’intervention d’opérateurs sur le marché concurrentiel), mais également les tarifs. Ainsi, les prestations annexes des GRD (en matière de gaz comme d’électricité) sont regroupées dans des catalogues et il revient à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) d’en établir les méthodes de tarification et leur évolution tarifaire. A l’heure actuelle, ces prestations et leurs tarifs sont fixés par une délibération de la CRE du 7 juin 2023 commentée ici. Le Régulateur envisage désormais leur évolution et consulte à ce titre, jusqu’au 15 avril 2024, les acteurs du marché.

Ainsi que le précise cette consultation, les évolutions projetées à ce stade seraient notamment les suivantes :

  • l’adaptation de certaines prestations du GRD en lien avec la fin du déploiement massif du compteur évolué Gazpar : à ce titre, il est notamment envisagé de simplifier la collecte et la transmission au GRD des index autorelevés par les fournisseurs ou encore d’introduire une prestation de demande de pose de compteur Gazpar ;
  • l’introduction, à titre expérimental, de la prestation « passage au pas horaire » proposée par GRDF pour certains usagers ;
  • la prolongation d’un an de la prestation expérimentale « mise à jour des capacités d’injection sur demande » à la demande de GRDF.

Nous ne manquerons pas d’observer ici si ces évolutions sont finalement retenues dans la délibération prochaine de la CRE

Publication du prix repère de vente en gaz pour 2024

Avec la fin des tarifs réglementés de vente de gaz, intervenue 30 juin 2023, certains consommateurs se sont vus contraints de souscrire de nouvelles offres de fourniture de gaz :

  • les consommateurs n’ayant pas notifié leur décision de quitter ces tarifs réglementés ont été transférés vers une offre de bascule auprès de leur fournisseur historique ;
  • et les consommateurs qui avaient souscrit une offre de marché dont l’évolution était indexée sur lesdits tarifs ont reçu de nouvelles conditions tarifaires de la part de leur fournisseur.

Afin de permettre aux consommateurs de souscrire une offre de fourniture adéquate, le Médiateur National de l’énergie a mis à disposition un comparateur des offres d’énergie sur sa page internet. En parallèle, la CRE publie mensuellement, depuis le 1er juillet 2023, des prix de référence en gaz devant « servir de boussole aux consommateurs qui souhaitent comparer les offres de fourniture à partir de juin 2023 » (voir en ce sens son communiqué du 11 mars 2024). Pour le mois d’avril 2024, les prix repères de vente en gaz naturel pour la zone de desserte exclusive de GRDF, publié par la CRE dans ce communiqué du 11 mars 2024, sont les suivants :

On constatera que les prix repères des abonnements sont identiques à ceux de mars 2024. Les prix repères pour la vente de vente de gaz naturel sur les zones de desserte exclusive des entreprises locales de distribution sont précisés, pour chacune d’entre elles, en annexe dudit communiqué.

Ces prix de référence sont construits selon une méthodologie fixée par la CRE dans sa délibération du 12 avril 2023, commentée dans une de nos précédentes lettres d’actualité juridique.

Création d’une aide financière visant à compenser la hausse des coûts de l’électricité pour les entreprises grandes consommatrices d’énergie

Par un décret en date du 22 mars 2024, le Gouvernement a acté la mise en place d’une aide spécifique en faveur des entreprises de taille intermédiaire grandes consommatrices d’énergie qui sont particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine en raison de la hausse des coûts d’approvisionnement de l’électricité. En synthèse, l’aide correspond à 50 % des surcoûts d’électricité par rapport à 300 €/MWh sur le périmètre des contrats signés ou renouvelés avant le 30 juin 2023, dans la limite d’un critère d’excédent brut d’exploitation et dans le respect des plafonds d’aide de l’encadrement temporaire européen de crise et de transition. Elle correspond à la période du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2024.

En premier lieu, aux termes de l’article 1er du décret commenté, l’aide instituée bénéficie « aux personnes morales de droit privé ou public suivantes exerçant une activité économique et particulièrement affectées par les conséquences de la guerre en Ukraine » et répondant aux conditions suivantes :

« 1° Elles sont résidentes fiscales françaises ;

2° Elles emploient moins de 5 000 personnes et ont un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros ;

3° Si elles appartiennent à un groupe, celui-ci emploie moins de 5 000 personnes et a un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros ;

4° Elles ne font pas partie des personnes visées au I de l’article 1 du décret n° 2023-1421 du 30 décembre 2023 susvisé ».

Ainsi, il convient de relever que l’aide instituée par le décret commenté n’est pas cumulable avec l’amortisseur électricité. L’aide vient en effet en parallèle de l’amortisseur électricité et les entreprises éligibles à ce dispositif, visé au I de l’article 1 du décret n° 2023-1421 du 30 décembre 2023, ne peuvent pas bénéficier de l’aide prévue par le décret du 22 mars 2024. Aux termes de l’article 2 de ce même nouveau décret, les entreprises éligibles à l’aide sont celles qui répondent aux critères suivants :

  • Elles ont été créées au plus tard le 30 juin 2023 ;
  • Lorsqu’elles sont constituées sous forme d’association, elles sont assujetties aux impôts commerciaux ou emploient au moins un salarié ;
  • Elles exercent une activité éligible, c’est-à-dire une activité que ne relève pas des secteurs suivants : énergie, établissement de crédit ou établissement financier ;
  • Elles disposent d’au moins un contrat de fourniture d’électricité en vigueur en 2024 signé ou renouvelé avant le 30 juin 2023
  • Elles n’ont pas déjà obtenu, au niveau du groupe, un montant d’aide supérieur aux seuils européens ;
  • Elles ne font pas l’objet de sanctions adoptées par l’Union européenne.

Pour être considérée comme grande consommatrice d’électricité, l’entreprise devra respecter les conditions fixées par le III. de l’article 2. On retiendra notamment que les charges liées à l’énergie doivent être supérieure à 3 % du chiffre d’affaires et que les énergies considérées sont, selon le cas, le gaz naturel, l’électricité, la chaleur ou le froid produits à partir de gaz naturel ou d’électricité, à l’exclusion de tout autre produit énergétique.

En deuxième lieu, l’article 3 du décret fixe la procédure à suivre pour bénéficier de l’aide. Les entreprises devront déposer une demande d’octroi de l’aide par voie dématérialisée au plus tard le 31 mai 2024. La direction générale des finances publiques notifiera alors, le 30 juin 2024 au plus tard, à l’entreprise éligible son droit à bénéficier de l’aide prévue en application du décret commenté, sous réserve qu’elle respecte les conditions fixées par le décret. Les entreprises considérées comme éligible par la direction générale des finances publiques devront déposer pour chacun des trimestres de l’année 2024 une demande de versement de l’aide si elles remplissent les critères d’éligibilité définis par le présent décret au titre du trimestre considéré. Les dates de dépôt des demandes de versement sont précisées par l’article 4 du décret.

En troisième lieu et dernier lieu, les articles 5, 6 et 7 du décret fixent des conditions supplémentaires à remplir pour les entreprises demandeuses.

Modification des objectifs de développement du photovoltaïque dans l’arrêté tarifaire S21

CRE, nouveaux tarifs et primes relatifs aux installations photovoltaïques implantées sur bâtiment, hangar, ou ombrière, d’une puissance crête installée inférieure ou égales à 500 kW

Par un arrêté en date du 5 mars 2024, le ministre de l’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a modifié l’arrêté du 6 octobre 2021 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, dit « arrêté tarifaire S21 ». Le principal apport de l’arrêté est de réhausser les objectifs trimestriels de développement en MW soutenus de l’arrêté tarifaire S21 dans le but d’éviter à l’avenir une application trop brutale des coefficients de dégressivité.

Pour rappel, les tarifs d’achat de l’électricité dans les contrats d’obligation d’achat sont affectés d’un mécanisme de dégressivité. Le mécanisme de dégressivité se compose de deux coefficients d’évolution trimestriels calculés pour chaque segment de puissance : 0-9 kWc, 9-100 kWc et 100-500 kWc. Le premier coefficient de dégressivité, dit « coefficient de dégressivité normale », consiste en un pourcentage d’évolution tarifaire qui prend la forme d’une courbe dont les valeurs dépendent de l’atteinte des objectifs de développement d’un segment de puissance selon le développement effectivement constaté. Le second coefficient de dégressivité, dit « coefficient de dégressivité d’urgence », s’applique si les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • la puissance cumulée de volumes développés sur le dernier trimestre civil complet (le 4ème trimestre 2023 pour le calcul de la dégressivité d’urgence applicable ou non au trimestre tarifaire n° 9 février-avril 2024) dépasse le quadruple des objectifs trimestriels ;
  • la puissance cumulée de volumes développés (CDR/DCR) depuis début 2023 dépasse les objectifs cumulés cibles sur cette même période.

Si les deux conditions sont remplies le coefficient d’urgence baisse de -10,2 % les tarifs d’achat en totalité et les primes à l’investissement. Or, le rythme de développement de projets photovoltaïques bénéficiant de l’arrêté tarifaire S21 avait augmenté de sorte que les deux conditions susvisées relatives au dépassement des objectifs de développement allaient être remplies et le coefficient de dégressivité d’urgence aurait été applicable au trimestre tarifaire n° 9. En augmentant les objectifs trimestriels de développement, le ministre assure que, pour les tranches 0-9 kWc et 100-500 kWc, la dégressivité tarifaire d’urgence ne sera pas appliquée pour le trimestre tarifaire n° 9 portant sur la période du 1er février 2024 au 30 avril 2024. Par ailleurs, il convient de noter que la Commission de régulation de l’énergie a à son tour communiqué les nouveaux tarifs. Ces tarifs sont disponibles en open data sur le site de la CRE.

Publication de la loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau national non concédé

La loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau national non concédé a été publiée le 23 mars 2024 au Journal officiel. Pour mémoire, l’article 40 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 dite « 3DS » prévoit que, les régions peuvent participer, à titre expérimental et pour une durée de huit ans, à la mise à disposition des autoroutes, routes et portions de voies non concédées relevant du domaine public routier national situées sur leur territoire. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Occitanie se sont par suite portées volontaires et la liste des autoroutes, routes et portions de voies mises à leur disposition a été déterminée par une décision du ministre des Transports en date du 4 janvier 2023. La loi du 22 mars 2024 modifie et complète l’article 40 précité en prévision de la mise en œuvre de l’expérimentation.

En premier lieu, le texte précise que sur le domaine public routier mis à la disposition des régions le président du conseil régional exerce les attributions qu’il exerce sur le domaine régional, lesquelles recouvrent les procédures d’utilisation et de conservation du domaine public routier.

En deuxième lieu, afin de rendre l’expérimentation pleinement opérationnelle, l’article unique de la loi du 22 mars 2024 instaure la faculté pour l’exécutif régional de déléguer sa signature aux services routiers de l’Etat. Comme expliqué par le rapport de la commission des lois sur la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé, les contraintes opérationnelles liées à la gestion des routes nationales rendent nécessaires d’instaurer une possibilité de délégation et de subdélégation de signature par l’exécutif régional aux agents de l’Etat mis à disposition des régions[1]. A ce titre, le dispositif prévu par la nouvelle loi prévoit une délégation de signature à trois niveaux :

  • D’abord, le président du conseil régional peut, pour l’exercice de ses attributions propres ou de celles qu’il a reçues par délégation du conseil régional, par arrêté, donner délégation de signature, sous sa surveillance et sous sa responsabilité, aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’Etat qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel ;
  • Ensuite, lorsque le président du conseil régional délègue une partie de ses fonctions aux vice-présidents ou à d’autres membres du conseil régional, le délégataire peut, sauf disposition contraire dans l’arrêté de délégation de fonction, subdéléguer la signature des actes relatifs à la fonction déléguée aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’Etat qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel ;
  • Enfin, les délégataires et subdélégataires peuvent, sauf disposition contraire dans l’acte de délégation ou de subdélégation, subdéléguer leur signature aux agents de l’Etat qui exercent au sein de leur service des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel.

En dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 40 précité, les modalités de mise à disposition des routes doit faire l’objet d’une convention conclue entre l’Etat et chaque région volontaire. Le délai prévu pour la passation de ces conventions, auparavant fixé à huit mois, est étendu à seize mois par la loi du 22 mars 2024.

 

[1] Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé, n° 1959, présenté par M. David Valence, le 22 janvier 2024.

Décret tertiaire : parution de l’arrêté « valeurs absolues 4 »

Un arrêté relatif aux modalités d’application des obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire a été publié au Journal officiel le 14 mars 2024. Le texte fixe les objectifs en valeurs absolues pour l’horizon 2023 de nouvelles catégories d’activités tertiaires : logistique de température ambiante, blanchisserie dite « industrielle », centres hospitaliers, établissements pénitentiaires, établissements médico-sociaux, protection judiciaire de la jeunesse, sports. Pour rappel, le décret du 23 juillet 2019 n° 2019-771 dit « décret tertiaire », codifié aux articles R. 174-22 à R. 174-32 et R. 185-2 du Code de la construction et de l’habitation, instaure des obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à 2010, dans les bâtiments à usage tertiaire, dont la surface de plancher est supérieure ou égale à 1000m². Les modalités d’application de ces obligations sont précisées par un premier arrêté en date du 10 avril 2020, complété et modifié par l’arrêté du 20 février 2024 ici commenté.

En premier lieu, ce nouveau texte s’attache à définir les notions nécessaires à la mise en œuvre des obligations découlant du décret tertiaire telles que les notions d’année de référence, de surface de consommations énergétiques, de consommation énergétique de référence, de niveau de consommation exprimé en valeur relative (noté Crelat), de niveau de consommation exprimé en valeur absolue (noté Cabs), de dossier technique, de plateforme de recueil et de suivi (dont la dénomination est désormais uniformisée « plateforme OPERAT ») et d’étalon (article 2 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 2).

En deuxième lieu, l’arrêté du 20 février 2024 précise les modalités de détermination de l’année de référence et de la consommation énergétique de référence. D’abord, l’année de référence, c’est-à-dire, les douze mois durant lesquels la consommation énergétique de référence est considérée (article 2 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 2), est comprise entre 2010 et 2022, ou correspond à la première année pleine d’exploitation dont les consommations énergétiques sont remontées sur la plateforme OPERAT (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4). Ensuite, à défaut de renseignement portant sur l’année de référence avant le 30 septembre 2027, la consommation énergétique de référence, c’est-à-dire, la consommation d’énergie finale du bâtiment, de la partie de bâtiment ou de l’ensemble de bâtiments à usage tertiaire, constatée pour une année pleine d’exploitation et ajustée en fonction des variations climatiques selon une méthode définie par arrêté pris par les ministres chargés de la Construction, de l’énergie et des outre-mer (article R. 174-23 du Code de la construction et de l’habitation), correspond à la consommation de la première année pleine d’exploitation dont les consommations énergétiques sont remontées sur la plateforme OPERAT (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4).

En troisième lieu, l’article 4 de l’arrêté du 20 février 2024 indique les modalités de déclaration de la consommation de référence devant être effectuée afin de bénéficier de la prise en compte des consommations de l’année de référence lors d’un changement d’assujetti (nouveau contrat de bail, acquisition). A ce titre, les assujettis déclarent la ou les entités fonctionnelles assujetties auxquelles ils succèdent, appelées « EFA liées », en renseignant :

  • le numéro d’identification de ces entités fonctionnelles assujetties provenant de la plateforme OPERAT, fourni par les assujettis auxquels ils succèdent ;
  • les surfaces concernées pour chaque entité fonctionnelle assujettie à laquelle ils succèdent ;
  • le cas échéant, la date de début de propriété.

Le texte précise qu’à défaut, l’année de référence ne pourra être antérieure à la date de changement d’assujetti (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4).

En quatrième lieu, l’annexe de l’arrêté du 20 février 2024 introduit les valeurs absolues des nouvelles activités tertiaires. Ces valeurs absolues sont représentatives des bâtiments et reposent pour chaque catégorie d’activité sur deux sous-ensembles de valeurs qui sont : « CVC » (chauffage, ventilation, climatisation) et « USE » (autres postes de consommation dépendants de l’intensité d’usage du bâtiment) (arrêté du 20 février 2024 – Annexe). A cet égard, le niveau de consommation exprimé en valeur absolue (comme le niveau de consommation exprimé en valeur relative) est désormais exprimé en kWh/m2/an de surface de consommations énergétiques (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4) selon les sous-catégories des activités concernées et l’ensemble des usages énergétiques (arrêté du 20 février 2024 – Annexe).

En dernier lieu, le texte supprime les mesures particulières dérogeant aux principes méthodologiques généraux et introduites à l’occasion de la crise sanitaire (article 17 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 9).

Aide publique : rejet du recours contre la mise en œuvre d’une aide exceptionnelle de 100 millions d’euros aux autorités organisatrices de la mobilité en tant qu’elle exclut les régions de son champ d’application

Par un arrêt en date du 21 mars 2024, le Conseil d’État rejette le recours intenté par la région Auvergne-Rhône-Alpes contre l’arrêté du ministre délégué aux Transports du 18 avril 2023 relatif à la mise en œuvre d’une aide exceptionnelle de 100 millions d’euros aux autorités organisatrices de la mobilité. Cet arrêt est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler le champ du pouvoir règlementaire des ministres.

En l’espèce, afin de permettre aux autorités organisatrices de la mobilité (ci-après, « AOM ») de faire face à la hausse des prix de l’énergie, le législateur a adopté un dispositif d’aide au profit de ces dernières. La loi n° 2022-1726 de finances pour 2023 a consacré une aide exceptionnelle prenant la forme d’une augmentation des crédits du programme « infrastructures et services de transports » d’une somme de 300 millions d’euros.

Par un arrêté en date du 18 avril 2023, le ministre délégué chargé des Transports a défini le champ et les conditions de versement de l’aide aux AOM hors Ile-de-France. Cet arrêté excluait toutefois les régions du champ d’application de cette aide exceptionnelle. La Région Auvergne-Rhône-Alpes a donc introduit un recours en excès de pouvoir pour demander l’annulation partielle de l’arrêté en tant qu’il n’étendait pas « le dispositif d’aide qu’il institue aux régions, d’une part, en qualité d’autorités organisatrices de la mobilité régionale au titre de l’article L. 1231-3 du Code des transports et, d’autre part, en qualité d’autorités organisatrices de la mobilité au titre du II de l’article L. 1231-1 du même code ». Cette demande a conduit le Conseil d’État à se saisir d’un moyen d’office relatif à la compétence même du ministre délégué chargé des Transports pour adopter un tel arrêté.

En effet, ce dernier agit sur délégation du ministre de la Transition Ecologique et de la cohésion des territoires et ledit ministre n’était tout simplement pas compétent pour définir les conditions et modalités d’attribution d’une aide aux autorités organisatrices de la mobilité. Ainsi que le rappelle le rapporteur public, Clément Malverti, dans ses conclusions sur cette affaire, la Constitution de 1958 ne reconnaît pas un pouvoir réglementaire autonome aux ministres. Un ministre « n’est susceptible d’édicter des normes générales et impersonnelles que dans deux d’hypothèses : soit en vertu d’une délégation, législative ou réglementaire, soit, sur le fondement du pouvoir [d’organisation du service], afin d’adopter des mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité et dans la seule mesure où l’exige l’intérêt du service »[1]. Or, la définition du champ d’application de l’aide ne pouvait se rattacher à aucun de ces fondements.

Le Conseil d’État juge également que le ministre ne pouvait pas davantage fonder sa compétence sur les crédits qui lui ont été confiés par la loi de finances pour 2023 et de son décret de répartition du 30 décembre 2022. En effet, les « inscriptions budgétaires de dépenses des lois de finances et des décrets de répartition ont uniquement pour objet et pour effet d’ouvrir à l’administration les crédits nécessaires aux mesures qui relèvent de sa compétence, et non d’attribuer aux ministres une compétence pour prendre celles-ci »[2]. Confronté à cette incompétence du ministre de la Transition Ecologique et de la cohésion des territoires et par extension du ministre délégué, le Conseil d’État ne pouvait toutefois pas annuler l’arrêté querellé puisque cela l’aurait conduit à statuer ultra petita ; la requérante contestant uniquement l’arrêté en tant qu’il n’étendait pas le champ d’application de l’aide aux régions.

En outre, le Conseil d’État ne pouvait pas davantage faire droit à la demande de la requérante. En effet, en toute rigueur, elle ne pouvait utilement contester la décision ministérielle en tant qu’elle n’étendait pas le dispositif de l’aide. Ainsi qu’il a été exposé, le ministre ne disposait pas de la compétence pour définir le champ de cette aide, il n’était donc pas, a fortiori, compétent pour étendre le champ de cet aide aux régions. Partant, la critique de la requérante était nécessairement infondée et le Conseil d’État rejette le recours de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

 

[1] C. Malverti, Ccls. sous CE, 21 mars 2024, Région Auvergne-Rhône-Alpes, n° 475310.

[2] CE, 21 mars 2024, Région Auvergne-Rhône-Alpes, n° 475310.

Droit pénal de l’environnement : les enquêteurs de l’Office français de la biodiversité peuvent visiter les exploitations agricoles sans information préalable du Parquet de la République

Dans un arrêt rendu en formation plénière le 16 janvier 2024, la Chambre criminelle est venue préciser les contours des dispositions de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement qui fixe les conditions de visite des lieux par les inspecteurs de l’environnement dans le cadre des enquêtes qui leur sont confiées. En l’espèce, des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) avaient procédé à une visite d’une exploitation agricole dans le cadre d’une enquête ouverte du chef de destruction d’espèces protégées – des tortues d’Hermann – à l’encontre de l’occupant des lieux qui leur faisait le grief d’y avoir procédé sans en informer préalablement le Parquet de la République. Il sera rappelé qu’une telle information est requise par les dispositions susvisées notamment pour l’accès aux locaux professionnels qui ne peut au demeurant intervenir en dehors des horaires de perquisition, savoir avant 6 heures et après 21 heures.

La Cour d’appel de Bastia avait écarté ce moyen de nullité, dans un arrêt en date du 12 janvier 2022, en faisant une interprétation très stricte de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement, estimant que les terres agricoles ne constituent pas des « établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation » ; dès lors, l’information préalable du ministère public n’était pas requise – ce que la Cour de cassation a confirmé. A l’occasion de cette décision, la Chambre criminelle a également précisé la définition de domicile – dont la visite doit également répondre à des strictes exigences procédurales – en retenant que « la seule circonstance qu’un terrain agricole est clos et raccordé à l’eau courante ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un domicile ».

Enfin, cette décision rendue en plénière a également été l’occasion pour la Cour de rappeler la nécessité de respecter les formalités prévues pour les auditions et fixées par les dispositions de l’article L. 172-8 du Code de l’environnement (rédaction d’un procès-verbal, relecture du déposant, signature etc.), dans le cadre des enquêtes en droit pénal environnemental. Si le requérant n’a pas été suivi dans sa demande d’annulation d’un procès-verbal se contentant de retranscrire dans un style indirect les déclarations de son ouvrier – faute d’être en mesure de contester l’exactitude de la retranscription -, la Chambre criminelle a considéré qu’un tel recueil était soumis aux exigences procédurales de l’article susvisé.

Ciel unique européen : ou l’art de la politique des petits pas au niveau européen ?

Le transport aérien est une composante importante et stratégique du marché intérieur de l’Union européenne. Il permet la mobilité des personnes et des biens et fait progresser la croissance économique. Or, bien que le principe du transport aérien soit de nature internationale, il a toujours été géré au niveau national. Ainsi, historiquement, l’espace aérien de l’Union européenne est organisé autour des frontières des Etats membres (27 actuellement). Chaque Etat membre est souverain de son espace aérien et a sa propre approche et organisation dans la gestion du trafic aérien.

Résultat : l’espace aérien européen est particulièrement fragmenté en ce que de nombreuses zones aériennes coexistent et cela n’est pas sans conséquences :

  • Les temps de vols sont allongés ou retardés car les avions n’empruntent pas les chemins aériens les plus courts pour arriver à destination ;
  • Ce rallongement engendre une consommation de carburant et des émissions de CO2 plus élevées ;
  • Cela engendre des surcoûts se comptant en milliards d’euros chaque année.

Pour tenter de résoudre ces problématiques, l’initiative « Ciel unique européen » a vu le jour.

1. Le Ciel unique européen : qu’est-ce que c’est ?

C’est en 1999 que la Commission Européenne a lancé l’initiative du Ciel unique européen (CUE) pour :

  • Réduire la fragmentation de l’espace aérien de l’Union européenne, en supprimant les frontières nationales afin de permettre la création de routes plus courtes, directes et moins énergivores ;
  • Rationnaliser la façon dont l’espace aérien est organisé et obtenir des améliorations en termes de sécurité, de capacité, de rentabilité et d’impact environnemental.

Pour ce faire, l’Union européenne a mis en place, dès 2004, deux paquets législatifs globaux relatifs à la gestion du trafic aérien appelés communément « CUE I » du 10 mars 2004, et « CUE II » du 21 octobre 2009 comportant quatre règlements[1]. Et ses objectifs étaient les suivants :

  • La mise en place de “blocs fonctionnels d’espace aérien” permettant au secteur aérien de s’affranchir, du point de vue du contrôle aérien, tant civil que militaire, des frontières entre Etats afin d’optimiser les flux de trafic aérien et d’augmenter l’efficacité de ces prestataires en Europe. Leur création nécessitait un accord mutuel entre les États membres et est un élément clé et une des conditions du succès dans la mise en place du Ciel Unique Européen ;
  • Le programme de recherche et de développement SESAR[2], qui a pour objectif d’harmoniser et à moderniser les systèmes et procédures de gestion du trafic aérien dans l’ensemble de l’Europe ;
  • La mise en place d’organismes nationaux de surveillance indépendants.

Cependant, depuis lors, la Commission n’a pu que constater que les objectifs n’étaient pas atteints.

  • En 2009, le Ciel Unique européen 2 est adopté mais les résultats restent limités.
  • En 2013, la Commission engage de nouvelles négociations pour un Ciel Unique 2+ (CUE 2+). Ces négociations n’aboutissent pas.
  • En 2020, la Commission propose l’adoption du Ciel Unique Européen 2+ refonte (CUE 2+ Refonte) … qui vient de faire l’objet d’un accord provisoire.

2.Le Ciel unique européen : où en sommes-nous ?

En septembre 2020, la Commission a présenté sa nouvelle proposition modifiée pour le règlement relatif à la mise en œuvre du ciel unique européen en reconnaissant qu’« Il est clair que les objectifs fixés lors de la création du ciel unique européen n’ont pas été pleinement atteints dans les délais prévus. » Cette nouvelle proposition tenait compte des évolutions politiques et technologiques :

  1. Le Brexit a supprimé l’obstacle qui bloquait les négociations au Conseil sur la proposition CUE 2+ de 2013 ;
  2. L’adoption de l’Accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe: le besoin de réduire les émissions de CO2 provenant de l’aviation est toujours plus pressant ;
  3. Des nouvelles législations et technologies pertinentes ont vu le jour depuis 2013, telle que l’utilisation plus large des aéronefs sans pilote.

Et le 6 mars 2024, un accord provisoire a été trouvé entre des représentants du Conseil et des représentants du Parlement européen mais attention il n’est pas encore adopté ! Après plusieurs années de négociations et de blocage, le Conseil et le Parlement sont parvenus à trouver un accord sur la proposition CUE 2 + afin de faire avancer et améliorer l’initiative du Ciel unique européen.

  • L’instauration de plans de performance pour améliorer la gestion de l’espace aérien par les services de navigation aérienne, avec l’instauration d’une instance de contrôle, le comité d’examen des performances, nommé et financé par la Commission européenne ;
  • Des objectifs de performance incluant des objectifs en matière d’environnement et de climat ;
  • Une ouverture à la concurrence des services de navigation aérienne.

L’accord informel sur le Ciel unique européen doit encore être approuvé par les représentants des États membres de l’UE, puis par le Parlement et le Conseil dans son ensemble. Mais surtout, les acteurs du secteur soulignent qu’il s’agit d’un accord a minima, bien loin de ceux qu’ils pourraient souhaiter pour obtenir de véritables avancées dans le secteur.  Autrement dit, le Ciel Unique Européen 2+ n’est pas encore adopté que les professionnels rêvent déjà d’un Ciel Européen 3 …

Espérons que la Commission Européenne saura faire sienne cette formule de Nicolas Boileau « Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » !

Marion Terraux et Jennifer Obrero

 

[1] Le « règlement-cadre » qui vise à renforcer les normes de sécurité et l’efficacité globale de la circulation aérienne générale en Europe, à optimiser la capacité, et à réduire au maximum les retards. (règlement (CE) nº 549/2004 fixant le cadre pour la réalisation du ciel unique européen) ;

[2] Single European Sky Air Traffic Management Research

Le défaut de notification d’un mémoire préalablement à la saisine du juge des loyers commerciaux n’est pas régularisable

Par un arrêt récent rendu en date du 8 février 2024 et publié au Bulletin, la Cour de cassation a rappelé que le défaut de notification d’un mémoire préalablement à la saisine du juge des loyers constitue une fin de non-recevoir qui n’est pas régularisable.

En l’espèce, une société bailleresse avait donné un local à bail commercial à une locataire pour une durée de 9 ans. Après 24 ans d’occupation des locaux, la société bailleresse avait donné congé à la locataire avec offre de renouvellement à un nouveau loyer. Faute d’avoir trouvé un accord, la société bailleresse a finalement assigné la locataire 3 ans plus tard, sans lui avoir notifié de mémoire préalable. Sans surprise, la Cour d’appel de Nîmes a déclaré l’action en fixation du prix du bail renouvelé irrecevable à défaut de notification par la société bailleresse du mémoire préalable imposé par l’article R. 145-27 du Code de commerce. Cette dernière s’est donc pourvue en cassation en estimant que les deux mémoires notifiés postérieurement à son assignation avaient régularisé la procédure.

Toutefois, la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi en réaffirmant une solution désormais bien établie : la notification de mémoires postérieurement à la saisine du juge des loyers ne peut régulariser la fin de non-recevoir tirée du défaut de notification préalable. Cette solution s’impose par la nature même de cette obligation. En effet, l’obligation de notification d’un mémoire préalable tient moins à la production d’un mémoire qu’à sa notification préalable. Admettre l’inverse reviendrait à priver cette obligation de toute substance.

Cette solution n’est pas sans rappeler le régime des clauses de médiation préalable dont la violation constitue une fin de non-recevoir qui ne peut être régularisée postérieurement à la saisine de la juridiction (Cass. Civ., 12 décembre 2014, n° 13-19.684). Elle est également redoutable puisque, outre l’obligation de réassigner après avoir notifié un mémoire préalable, elle prive l’assignation délivrée irrégulièrement de son caractère interruptif de prescription (article 2243 du Code civil). Or, la prescription biennale applicable en cette matière laisse peu de place à l’erreur (article L. 145-60 du Code de commerce).

La prudence s’impose donc doublement aux conseils dans le cadre de la fixation du loyer renouvelé.

Délaissement, ZAC, détournement de pouvoir… Un arrêt riche en enseignements

Le 31 janvier 2024, la Cour administrative de Versailles a rendu un arrêt intéressant à plusieurs titres en ce qu’il précise et illustre diverses notions juridiques : d’une part, la problématique du droit de délaissement en ZAC et la modification de son périmètre ; d’autre part, la procédure de préemption et l’avis du service des domaines estimant le prix du bien préempté.

Rappel des faits :

Dans cette affaire, il était question de la société Klécar, propriétaire de locaux commerciaux dans un centre commercial situé à la Madeleine à Chartres, dans lequel se situait également un hypermarché Carrefour. La société Klécar avait conclu, le 24 janvier 2014, une promesse de vente de ces locaux commerciaux sous la condition suspensive de purger le droit de préemption urbain. Et la société publique locale (SPL) Chartres Aménagement a décidé de préempter, après délégation du droit de préemption urbain par le maire de la commune de Chartres. La décision de préemption en date du 26 mars 2014 mentionnait un prix de 5.382.000 euros, selon l’estimation du service des domaines.

La décision de préemption de la SPL Chartres Aménagement était motivée par le projet de réalisation de l’opération d’aménagement dit du « Plateau Nord-Est » dont le périmètre – incluant le centre commercial de la Madeleine – devait correspondre au périmètre de la future ZAC du Plateau Nord-Est, créée quelques mois plus tard. En effet, la ZAC devait notamment permettre de transférer le centre commercial de la Madeleine, jugé vieillissant, au Nord de l’avenue Jean Mermoz où était envisagée la création d’un nouveau complexe commercial, ainsi que de remplacer le centre de la Madeleine par des logements. Toutefois, la préemption ayant été faite à un prix inférieur de 80 % par rapport au prix de la promesse de vente, la société Klécar a refusé de vendre ses locaux commerciaux à la SPL à ce prix, laquelle a donc saisi le juge de l’expropriation en juin 2014 en vue de faire fixer le prix du bien. En cours de procédure de fixation judiciaire du prix, la SPL a cependant notifié, le 8 février 2016, sa renonciation à la préemption. La procédure devant le juge de l’expropriation en fixation du prix n’a donc pas abouti. La procédure aurait donc pu s’en arrêter là, cependant, le 24 juillet 2017, la société Klécar a mis en œuvre son droit de délaissement, ses locaux commerciaux étant compris au sein de la ZAC, et a donc invité la commune à les acquérir.  Faute d’accord amiable dans le délai d’un an à compter de l’exercice du droit de délaissement, la société Klécar a saisi le juge de l’expropriation le 6 août 2018 afin qu’il prononce le transfert de propriété au profit de la Commune et fixe le prix de vente consécutif au délaissement.

Dans ce contexte, postérieurement à l’exercice par la société Klécar de son droit de délaissement, et avant la saisine du juge de l’expropriation, la commune a décidé de lancer une procédure de modification du périmètre de la ZAC pour en exclure le centre commercial de la Madeleine. Cette modification a été entérinée par délibération du 23 mai 2019. La société Klécar a alors exercé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la délibération portant modification du périmètre de la ZAC devant le Tribunal administratif d’Orléans. En effet, cette délibération l’excluant de la ZAC, elle remettait en cause le principe même de son droit de délaissement. En parallèle, la société Klécar a sollicité du juge de l’expropriation qu’il prononce un sursis à statuer dans l’attente du jugement du Tribunal administratif. Plus encore, estimant illégale la décision de préemption, la société Klécar a également saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire à l’encontre de la SPL et la commune aux fins de l’indemniser de son manque à gagner. Enfin, la société Klécar a engagé devant ce même Tribunal la responsabilité de l’Etat en raison de la faute du service des domaines lors de l’estimation du prix du bien.

Par trois jugements du 7 décembre 2021, le Tribunal administratif d’Orléans a rejeté :

  • le recours en annulation de la société Klécar contre la délibération excluant le centre commercial – au sein duquel elle détient des locaux commerciaux – du périmètre de la ZAC (1.) ;
  • le recours indemnitaire de la société Klécar à l’encontre de la SPL et de la commune pour son manque à gagner (2.), ainsi que pour faute de l’Etat du fait de l’avis du service des domaines (3.), car le Tribunal a jugé que la société n’avait pas établi la réalité de ses préjudices.

La société Klécar a alors interjeté appel de ces trois jugements devant la Cour administrative d’appel de Versailles qui a rendu son arrêt le 31 janvier 2024. C’est l’arrêt ci-après commenté.

I. Sur l’annulation du jugement ayant rejeté la requête tendant à l’annulation de la délibération emportant modification du périmètre de la ZAC

En appel, la Cour a considéré que la modification du périmètre de la ZAC, quelques mois après la mise en œuvre par la société Klécar de son droit de délaissement auprès de la commune, avait pour objectif de faire obstacle au droit de délaissement de la société Klécar, car le prix du bien, qui devait être initialement fixé par le juge de l’expropriation selon la méthode de valorisation par capitalisation de revenu, méthode traditionnellement appliquée, allait vraisemblablement être bien supérieur de dix voire quinze millions par rapport à l’estimation de l’avis du service des domaines selon la méthode de comparaison réalisée, ayant justifié initialement la décision de préemption. Sur ce point, la Cour a rappelé que la commune faisait valoir que la modification du périmètre de la ZAC était justifiée par le fait que son projet aurait évolué compte tenu notamment de ce que le secteur fera l’objet d’une opération de renouvellement urbain (ORT) liée au dispositif « Action Cœur de Ville ».

Toutefois, la Cour relève qu’à la date de la délibération arrêtant le principe de la modification du périmètre de la ZAC, la commune n’avait réalisé aucune étude sur cette nouvelle opération d’aménagement, et que le dossier de création de la ZAC modifié ne comprenait pas davantage d’étude d’impact de la modification du périmètre envisagée, et la Cour a d’ailleurs relevé que ce dossier était particulièrement lapidaire sur les motifs justifiant la modification du périmètre excluant la Madeleine.

En outre, la Cour a jugé qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le projet de transfert du centre commercial de la Madeleine dans le nouveau complexe prévu au Nord de l’avenue Jean Mermoz avait été abandonné à la date de la délibération litigieuse modifiant le périmètre. Et la Cour précise que la commune n’a jamais expliquée comment elle entendait procéder au transfert des commerces en excluant le centre commercial de la Madeleine de la ZAC, ni en quoi cette modification du périmètre était de nature à simplifier la réalisation de ce transfert des commerces ou de l’opération d’aménagement.

De plus, selon la Cour, aucun élément ne corrobore une quelconque modification du projet sur le centre commercial de la Madeleine qui devait être transformé en logements. Plus encore, la commune soutenait que la modification du périmètre de la ZAC avait été décidée en raison de l’abandon par la société liée par la promesse de vente avec la société Klécar de son projet de création d’un complexe commercial à la suite de l’avis défavorable de la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). Or, selon la Cour, ces déclarations du maire n’étaient pas corroborées par des pièces du dossier car la société qui devait acquérir les biens de la société Klécar n’avait abandonné son projet qu’en 2019, soit un an après le lancement de la modification du périmètre de la ZAC et trois ans après la décision de la CNAC.

Enfin, la Cour confirme qu’une modification du périmètre compte tenu de l’impossibilité pour une commune d’assurer le financement de l’opération, notamment en raison du décalage entre les sources de financement et la mise en œuvre du droit de délaissement par les propriétaires dont les biens sont compris au sein de la ZAC, est possible. Cependant, la Cour a remarqué, en l’espèce, d’une part, qu’un tel motif n’a jamais été évoqué par la Commune pour justifier la modification du périmètre de la ZAC, et, d’autre part, que le projet d’aménagement n’avait pas été modifié.

Par conséquent, pour toutes ces raisons, la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que la modification du périmètre de la ZAC a été décidée par la commune dans l’unique but de faire obstacle au droit de délaissement de la société Klécar et est donc entachée d’un détournement de pouvoir. Le jugement de première instance a donc été annulé. En conséquence, la délibération doit être considérée comme ayant toujours existé, de sorte que la société Klécar retrouve son droit de délaissement, et le juge de l’expropriation doit désormais constater le transfert de propriété des biens de la société Klécar vers la commune et doit en fixer le prix.

II. Sur l’annulation du jugement ayant rejeté le recours de plein contentieux tendant à l’engagement de la responsabilité de la commune et de la SPL pour la préemption

A tout préalable, la Cour rappelle que la circonstance qu’un requérant se serait désisté d’un recours en annulation à l’encontre d’une décision de préemption, lequel correspond à un simple désistement d’instance, n’empêche pas ledit requérant d’exercer un recours indemnitaire à l’encontre de l’auteur de la décision de préemption devant le juge administratif de plein contentieux. Au fond, la Cour rappelle que la circonstance que la décision de préemption était fondée sur un projet d’aménagement pour lequel la ZAC n’était pas encore créée à la date de la décision de préemption, mais a été actée trois mois plus tard, n’est pas de nature à remettre en cause la réalité du projet d’aménagement qui s’apprécie à la date de la décision de préemption.

Ensuite, la Cour considère que la décision de préemption n’avait pas pour objet de mettre fin à l’activité économique du centre commercial de la Madeleine mais de le transférer au Nord de l’avenue Jean Mermoz dans le cadre d’un projet de réaménagement de la ZAC, et remplacer le centre commercial de la Madeleine par des logements. A cet égard, la Cour estime qu’un tel objectif répond aux finalités de l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme.

En outre, la Cour relève également que la circonstance que l’avis des Domaines était de 80 % inférieur au prix de la promesse de vente – et était manifestement sous-évalué – est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption et ne révèle pas l’absence d’intérêt général du projet.

Enfin, selon la Cour, l’objectif de la préemption n’était pas d’acquérir le bien mais d’empêcher la réalisation de la promesse de vente afin que l’hypermarché soit implanté dans le futur centre commercial souhaité par la commune a des conditions financières plus avantageuses. En particulier, la Cour rappelle ici le fait que la commune et la SPL ont disposé de deux évaluations des services des domaines particulièrement avantageuses selon la méthode de comparaison, méthode qui est pourtant rarement appliquée dans ce type de vente. Le prix de la préemption suivant l’avis des domaines correspondait en effet à 1/5ème du prix de la promesse de vente. Aussi, la Cour a relevé que la commune avait déjà acté avec Carrefour l’installation d’un hypermarché dans son nouveau centre commercial, de sorte que le transfert du centre commercial paraissait inéluctable.

Par conséquent, la Cour a jugé que la société Klécar était fondée à soutenir que la décision de préemption n’avait pas pour objet d’acquérir le bien mais de rompre la promesse de vente qu’elle avait conclue avec une autre société pour la vente de ses locaux commerciaux, de manière à pouvoir acquérir ultérieurement son bien à moindre coût et, de façon générale, à tirer vers le bas les prix de toutes les acquisitions à venir dans cette zone de la Madeleine.  La décision de préemption est donc entachée d’un détournement de pouvoir de nature à engager la responsabilité à la fois de la SPL et de la commune. La responsabilité solidaire de la SPL et de la commune pouvait donc être engagée.

III. Sur l’annulation du jugement ayant rejeté la requête en responsabilité pour faute de l’Etat du fait de la méthode d’évaluation retenue par le service des domaines

Pour rappel, le prix de la décision de préemption a été pris sur la base d’une estimation du service des domaines à 5,3 millions d’euros, conformément à la méthode d’évaluation par comparaison. Or, la Cour a relevé que cette méthode d’évaluation n’était pas pertinente en l’espèce car une telle vente est en réalité évaluée par application de la méthode de la valorisation par capitalisation du revenu. A ce titre, la Cour rappelle que les services des domaines avaient évalué le bien en 2018 selon la méthode par capitalisation de revenu pour aboutir à une évaluation de 15,3 millions d’euros, soit près de trois fois le prix découlant des avis de 2012 et 2014 fondés sur la méthode par comparaison, sans que la différence ne puisse s’expliquer par la seule date d’évaluation.

Au surplus, la Cour a relevé que les biens ayant servi de termes de comparaison n’étaient généralement pas appropriés car ne se situaient pour la plupart pas dans des galeries commerciales. Partant, la Cour a considéré qu’en s’abstenant d’évaluer les biens de la société Klécar selon la méthode de la valorisation par capitalisation du revenu ou, du moins, en s’abstenant de croiser l’évaluation réalisée selon la méthode par comparaison avec celle de la valorisation par capitalisation du revenu, le service des domaines avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

La Cour a retenu l’Etat, d’une part, la SPL et la commune, d’autre part, comme étant responsables à 50 % chacun du préjudice subi par la société Klécar. Quant à l’évaluation des préjudices de la société Klécar, la Cour administrative d’appel de Versailles a prononcé un sursis à statuer le temps que le juge de l’expropriation prononce le transfert de propriété et fixe le prix résultant de l’exercice du droit de délaissement.

Pas de droit à indemnité en cas d’expropriation d’une construction irrégulièrement édifiée malgré la prescription pénale

Dans cette affaire, le préfet a déclaré d’utilité publique un projet d’aménagement de zone d’aménagement concerté (ZAC) sur le territoire de deux communes, puis a déclaré immédiatement cessibles les terrains concernés, comprenant notamment une parcelle appartenant à un particulier sur laquelle était édifié un bâtiment de 20 m². L’ordonnance d’expropriation est intervenue et faute d’accord amiable sur le montant des indemnités de dépossession, l’expropriant a saisi le juge de l’expropriation.

En appel, la Cour d’appel de Paris a constaté l’irrégularité de la construction édifiée sur une parcelle inconstructible à exproprier, et a rappelé que ne donne pas droit à indemnisation le préjudice afférent à une construction édifiée illégalement, sauf si l’infraction est prescrite. La Cour a en outre retenu que la construction était présente depuis plus de dix ans et que des poursuites judiciaires pour infractions au Code de l’urbanisme ont été engagées contre elle. Mais la Cour d’appel de Paris a jugé qu’il existait une contestation sérieuse sur le fond du droit qui nécessitait que le montant de l’indemnité soit fixé alternativement.

Le pourvoi en cassation fait donc grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir fixé alternativement les indemnités devant revenir à l’exproprié selon que le caractère illégal de la construction présente sur le terrain à exproprier sera ou non judiciairement reconnu. En réponse, la Cour de cassation a, d’abord, visé et résumé les articles L. 311-8 et L. 321-1 du Code de l’expropriation. Pour rappel, selon l’article L. 311-8 du Code :

« Lorsqu’il existe une contestation sérieuse sur le fond du droit ou sur la qualité des réclamants et toutes les fois qu’il s’élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l’indemnité et à l’application des articles L. 242-1 à L. 242-7L. 322-12L. 423-2 et L. 423-3, le juge fixe, indépendamment de ces contestations et difficultés, autant d’indemnités alternatives qu’il y a d’hypothèses envisageables et renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit ».

Et selon l’article L. 321-1 du même Code :

« Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation. »

Puis, la Cour de cassation a rappelé sa position constante sur ces fondements, à savoir que « seul peut être indemnisé le préjudice reposant sur un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation (3e Civ., 3 décembre 1975, pourvoir n° 75-70.061, Bull. n°361 ; 3e Civ., 8 juin 2010, pourvoi n° 09-15.183 ; 3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.792, publié). » Toutefois, l’on relève ici que la Cour de cassation en conclut que si l’exproprié est propriétaire d’une construction irrégulièrement édifiée sur une parcelle inconstructible, et même si toute action en démolition est prescrite à la date de l’expropriation, celui-ci ne sera pas considéré comme disposant d’un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation, et donc devant être indemnisé :

« Dès lors, faute pour son propriétaire de pouvoir invoquer un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation, la dépossession d’une construction édifiée irrégulièrement et située sur une parcelle inconstructible, n’ouvre pas droit à indemnisation, même si toute action en démolition est prescrite à la date de l’expropriation. »

A l’inverse, antérieurement à cette décision, la jurisprudence considérait que ne donne pas droit à indemnisation le préjudice afférent à une construction édifiée sans permis de construire, sauf si l’infraction pénale est prescrite (voir sous article L. 321-1 du Code de l’expropriation commenté : Versailles, ch.expr., 16 mai 1978, SCI Gallieni c/ Ville de Malakoff : D. 1978, inf. rap.p.475, chron. A.Bernard ; TGI Paris, 9 juill. 1980, Ville de Paris c/ Concalves : AJPI 1981, p.977 ; CA Versailles, 15 mars 1982, Epx Drion c/ Cne d’Arnouville-lès-Goness : AJPI 1982, p.670 ; CA Versailles, 26 oct. 1982, Sté d’Aménagement et d’Equipement du département d’Eure-et-Loir c/ Epx Ras : AJPI 1983, p.23 ; JurisData n° 1982-600002 ; TGI Paris, 30 nov.1987,  SI du Nord-Est de Paris c/ Ville de Paris : AJPI 1988, p.525 ; CA Paris, 7 juill.1989, Pedro c/ SAMBOE : JCP G 1989, IV, 372 ; CA Versailles, 13 juin 1995, n° S 94/215, Sté SEMAVO c/ Sté CEO : JurisData n° 1995-047565).

Désormais, il faut donc en comprendre, selon nous, que la circonstance que l’infraction pénale de construction illégale est prescrite, ne donne pas de droit juridiquement protégé au propriétaire d’une construction édifiée sans autorisation lui permettant d’en solliciter l’indemnisation devant le juge de l’expropriation. La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel au motif qu’il a violé les dispositions précitées et a statué sur le fond de l’affaire. Par conséquent, la Cour de cassation a fixé une indemnité de dépossession devant revenir à l’exproprié en faisant fi de la construction présente sur la parcelle, en l’évaluant sur la base d’un terrain nu.

Enfin, nous pouvons également citer une décision récente allant dans le même sens de la Cour de cassation du 9 novembre 2023 (Cass. Civ., 3ème, n° 22-18.545) dans laquelle la Cour de cassation a considéré que c’était à bon droit que la Cour d’appel avait, après avoir relevé qu’une partie significative des constructions avait été édifiée sans permis de construire, jugé qu’il ne s’agissait pas d’une contestation sérieuse à trancher, et qu’il y avait donc lieu d’appliquer un abattement sur la valeur du bien pour tenir compte de l’illicéité des constructions, laquelle constituait une moins-value « quand bien même la prescription de l’action en démolition était acquise ».

Obligation d’installation d’ombrières et de système de gestion des eaux pluviales sur les parcs de stationnement : précisions sur l’hypothèse d’absence de conditions économiques acceptables permettant d’y déroger

En application des dispositions de la loi dite Climat Résilience (Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets), codifiées à l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme, les parcs de stationnements extérieurs de plus de 500 mètres carrés neufs ou associés à des bâtiments eux-mêmes soumis à l’obligation de disposer d’un dispositif de production d’énergie renouvelable ou d’un système de végétalisation, doivent être équipés de systèmes de gestion des eaux pluviales et de procédés d’ombrières photovoltaïques ou végétalisées. Ainsi que cet article le prévoit, ces obligations ne s’appliquent toutefois pas aux parcs de stationnement qui, en raison de contraintes techniques, de sécurité, architecturales ou patrimoniales, ne permettent pas l’installation des procédés et dispositifs, ou lorsque cette obligation ne peut être satisfaite dans des conditions économiquement acceptables du fait de contraintes techniques.

Un décret du 18 mars 2023, a déjà précisé les critères relatifs à ces exonérations, et a notamment posé la règle selon laquelle l’obligation ne s’applique pas lorsque les coûts des travaux requis compromettent la viabilité économique du propriétaire du parc de stationnement, ou si ces coûts, parce qu’ils sont renchéris par une contrainte technique, s’avèrent excessifs (articles R. 111-25-6, R. 111-25-13 à R. 111-25-15 du C. urb.). Etant précisé que le caractère excessif s’apprécie par le dépassement d’un rapport entre, d’une part, le coût total HT des travaux liés au respect de l’obligation, et, d’autre part, le coût total HT des travaux de création ou de rénovation, ou la valeur vénale du parc existant lorsque les travaux ont pour seul objectif de répondre aux obligations susmentionnées.

L’arrêté du 5 mars 2024 ici commenté, précise que ce rapport est de 15 % pour des travaux de création ou de rénovation du parking et de 10 % pour des travaux sur un parc existant ne visant qu’à répondre aux obligations susmentionnées (art. 1er). Ensuite, l’arrêté vient préciser les conditions d’application de l’article R. 111-25-11 du Code de l’urbanisme permettant de déroger à l’obligation d’installation d’ombrières lorsqu’ il est démontré qu’une telle installation est impossible en raison de contraintes techniques ou d’un ensoleillement insuffisant engendrant des coûts d’investissement portant atteinte de manière significative à la rentabilité de cette installation. L’article R. 111-25- 11 du Code de l’urbanisme précise déjà à cet égard que « la rentabilité de l’installation est affectée de manière significative lorsque le coût actualisé de l’énergie produite par cette installation sur une durée de vingt ans est supérieur à la valeur du tarif d’achat ou du tarif de référence utilisé pour le calcul des revenus pouvant être obtenus par la vente de l’électricité produite par l’installation, multiplié par un coefficient ».

L’arrêté du 5 mars 2024 (art. 3) :

  • Fixe ce coefficient à 1,2 ;
  • Précise que le coût actualisé de l’énergie correspond à la somme actualisée des coûts d’investissement et des coûts d’exploitation et de maintenance du système, divisée par la somme actualisée des quantités annuelles d’énergie produite par le système, et tient compte d’un taux d’actualisation fixé à 3 % ;
  • Indique que les revenus pouvant être obtenus par la vente de l’électricité produite par l’installation sont déterminés sur la base des dispositifs de soutien à la production d’énergie photovoltaïque (tarif d’achat le cas échéant, ou tarif moyen pondéré des offres désignées lauréates à la période de candidature la plus récente de la procédure concernée pour les installations pour lesquelles le dispositif de soutien peut être obtenu au terme des procédures de mise en concurrence organisées par la Commission de régulation de l’énergie.

L’arrêté précise enfin les règles de certifications professionnelles s’imposant aux entreprises pouvant être sollicitées pour effectuer l’étude technico-économique devant être réalisées à la demande du propriétaire du parc de stationnement s’il souhaite déroger à l’obligation d’installation d’ombrières comportant des panneaux photovoltaïques dans les conditions susmentionnées (art. 3). Ces dispositions s’appliquent aux parcs de stationnement et aux rénovations lourdes liées à ces parcs, dont les autorisations d’urbanisme sont déposées à compter du 1er janvier 2024, ainsi qu’aux parcs de stationnement faisant l’objet de la conclusion ou d’un renouvellement de contrat de service public, de prestation de service ou de bail commercial à partir du 1er janvier 2024 (art. 4 de l’arrêté).

Après la démocratisation du télétravail et de la téléconsultation, celle de la téléjustice : le décret organisant le recours à la visioplainte

Le distanciel tend-il à devenir la norme ?

Par la loi en date du 24 janvier 2023[1], consacrée à la « modernisation du ministère de l’intérieur », la création de l’article 15-3-1-1 du Code de procédure pénale avait initié le recours à la visioplainte en prévoyant :

« Toute victime d’une infraction pénale peut déposer plainte et voir recueillir sa déposition par les services ou unités de police judiciaire par un moyen de télécommunication audiovisuelle garantissant la confidentialité de la transmission ».

Récemment, le décret du 23 février 2024, entré en vigueur le 24 février, est venu préciser les modalités d’application de cette disposition permettant désormais aux victimes de déposer plainte à distance, « par voie de télécommunication audiovisuelle »[2]. Pour y procéder, la victime doit s’identifier de façon sécurisée par un téléservice défini qui assure une transmission « fidèle, loyale et confidentielle » des échanges entre elle et l’officier de police judiciaire et une qualité de transmission des images permettant de certifier son identité.

Lors du dépôt de plainte, la victime est informée :

  • Du caractère facultatif de la visioplainte qui ne peut lui être imposée ;
  • De la possibilité d’une audition ultérieure en sa présence si la nature ou la gravité des faits la rend nécessaire ;
  • De ses droits ;
  • Des suites données à sa plainte et des modalités de recours contre un éventuel classement sans suite ;
  • De la possibilité d’une prise en charge psychologique et médicale si la nature de l’infraction le justifie.

Le décret exclut expressément certaines infractions du champ de la visioplainte, savoir les infractions à caractère sexuel[3] – pour lesquelles les officiers ou agents de police judiciaire doivent procéder à une audition en présence de la personne. A l’issue du recueil de la plainte, le procès-verbal est communiqué à la victime par voie électronique. Elle peut alors solliciter des modifications, avant d’en confirmer le contenu « par tout moyen et par un accord exprès ». La signature de la victime n’est pas exigée. Relevons que ce récent mécanisme fait suite à la dématérialisation progressive des moyens de dépôt de plainte pour les victimes. La loi du 25 mars 2019[4] – codifiée à l’article 15-3-1 du Code de procédure pénale – avait déjà instauré la possibilité de déposer une plainte par voie électronique.

La visioplainte est aujourd’hui, et depuis octobre 2023, expérimentée dans les départements de la Sarthe (72) et des Yvelines (78) et une centaine de visioplaintes ont été enregistrées à cette occasion. Elle devrait être étendue au reste de la France courant 2024 selon des modalités qui seront précisées par arrêté conjoint du ministre de l’Intérieur et du Garde des Sceaux [5].

 

[1] Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur

[2] Articles R. 2-25 et suivants du code de procédure pénale

[3] Prévues par les articles 222-22 à 222-31-2 et 227-25 à 227-27-3 du code pénal

[4] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

[5] Déposer une plainte à distance avec Visioplainte, Direction de l’information légale et administrative, 5 mars 2024

Proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local : adoption à l’unanimité en première lecture au Sénat

Déposée le 18 janvier 2024 et cosignée par 309 sénateurs (sur 348), cette proposition de loi vise à instaurer, enfin, un véritable statut de l’élu local pour améliorer les conditions d’exercice du mandat local et sécuriser le parcours des élus locaux.

En effet, face à la dégradation des conditions d’exercice du mandat, de nombreux élus locaux ont songé à renoncer à l’exercice de ces fonctions, voire à démissionner. Au 31 janvier 2024, depuis le renouvellement général des conseils municipaux en 2020, 1 424 maires ont ainsi démissionné, soit plus de 4 % des maires. En réponse à cette situation, la proposition de loi vise donc à créer un « véritable statut de l’élu local ». Jeudi 7 mars 2024, le Sénat a adopté à l’unanimité, en première lecture, cette proposition de loi qui a été amendé au cours de son examen.

Très concrètement, le texte prévoit une meilleure prise en compte des contraintes de l’engagement des élus locaux par l’amélioration des conditions d’indemnisation des élus, de la prise en charge des frais de transport engagés par les élus dans le cadre de leur mandat, des frais de garde ou d’assistance aux personnes âgées ou en situation de handicap. Le texte prévoit également la possibilité de recourir à la visioconférence pour les réunions des commissions constituées par le conseil municipal. Aussi, face à l’augmentation des actes de violence verbale et physique à l’encontre de l’ensemble des élus locaux, le Sénat a souscrit à la double modification du régime de la protection fonctionnelle portée par la proposition de loi : d’une part, l’octroi de la protection fonctionnelle aux élus locaux victimes de violences, de menaces ou d’outrages serait automatique ; d’autre part, cette automaticité bénéficierait, au-delà à tous les élus locaux et non pas aux seuls membres de l’exécutif.

Enfin, le texte adopté prévoit l’automaticité du bilan de compétence et de la démarche de validation des acquis de l’expérience à l’expiration du mandat. Cela étant, plusieurs modifications ont été apportées par le Sénat à cette proposition de loi. D’abord, la Chambre Haute a étendu la revalorisation des indemnités de fonction des maires aux adjoints au maire. Ensuite, le Sénat a souhaité renforcer la protection sociale des élus locaux indemnisés, ayant cessé leur activité professionnelle pour l’exercice de leur mandat, occupant des fonctions exécutives au sein des collectivités territoriales lorsqu’ils se trouvent empêchés d’exercer leur mandat en cas de maladie, maternité, paternité, accueil de l’enfant, adoption ou accident.

Le texte adopté étend, en outre, à l’ensemble des catégories d’élus le statut de l’élu en situation de handicap. Il facilite aussi la possibilité pour les élus locaux d’obtenir la suspension de leur contrat de travail s’ils sont amenés à remplacer temporairement le maire ou le président du conseil départemental ou régional empêché d’exercer son mandat. Le Sénat a également étendu le principe selon lequel les indemnités de fonction sont fixées par principe au maximum légal, sauf délibération contraire de l’organe délibérant, à l’ensemble des exécutifs locaux.

Enfin, les sénateurs ont entendu préciser les conditions d’appréciation du délit de prise illégale d’intérêt définie à l’article 432-12 du Code pénal, tout en retenant le principe posé dans la version initiale de la proposition de loi selon lequel un intérêt public ne peut pas être constitutif de cette infraction.

Le 8 mars dernier, la version du texte adoptée par le Sénat a été transmise à l’Assemblée nationale qui doit désormais l’examiner.

Concession de service public : conditions et modalités de dérogation au principe de la remise gratuite des biens de retour à la personne publique au terme de la convention

Par un jugement récent, les juges du Tribunal administratif de Pau ont rappelé avec force le principe de restitution des biens de retour à titre gratuit à la personne publique, à l’expiration de la convention, par le concessionnaire. Après avoir indiqué que ce principe faisait normalement barrage à l’indemnisation du concessionnaire, il a toutefois indiqué que ce dernier pouvait être indemnisé du préjudice subi par cette remise gratuite des biens de retour :

  • soit « lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat». Dans ce cas, l’indemnité « est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan » ;
  • soit en cas de résiliation de la convention « dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat». Dans ce cas, « l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ».

Surtout, le Tribunal administratif précise que les parties à une convention de concession n’ont pas toute liberté pour s’écarter de ces conditions :

« Si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ».

Le second apport du jugement concerne le cas d’espèce qui en était l’objet mais peut intéresser tous les concédants en vue du contrôle de l’inventaire des biens de retour de leur concessionnaire. En effet, la communauté d’agglomération Pau-Béarn-Pyrénées avait conclu avec la société SFR Fibre SAS, une convention relative à l’établissement d’un réseau câblé de vidéocommunication, ainsi qu’une convention relative à l’exploitation du réseau câblé sur le territoire de la commune. Le contrat étant arrivé à son terme, la Société SFR Fibre SAS a sollicité de la part de la communauté d’agglomération Pau-Béarn-Pyrénées le paiement d’une indemnité de 893 711,80 euros en contrepartie de la remise des biens de retour. Cette demande fut rejetée par la communauté d’agglomération. La société SFR Fibre SAS a alors intenté un recours devant le Tribunal administratif de Pau sollicitant le paiement de cette somme.

Les justificatifs de la société SFR Fibre SAS ont été jugés insuffisants par la juridiction pour attester de la véracité des sommes demandées par le concessionnaire car il était impossible de vérifier l’exactitude du calcul opéré pour déterminer le montant de la valeur non amortie des biens de retour et des investissements complémentaires éventuellement réalisés. En outre, la désignation des biens dans l’inventaire ne permettait pas d’établir que les biens en cause étaient relatifs à l’exploitation du réseau câblé sur le territoire de la commune de Pau.

Résiliation par le juge d’un contrat public : quelle indemnisation pour le titulaire évincé ?

Par sa décision Société Cegelec Perpignan du 6 octobre 2017 (n° 395268), le Conseil d’Etat avait défini les contours du droit à indemnisation du titulaire d’un contrat public dont l’annulation est prononcée par le Juge. Ce droit à indemnisation inclut :

  • le remboursement, sur le terrain quasi-contractuel, de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé (sauf dans l’hypothèse où le consentement de la collectivité a été vicié) ;
  • la réparation, sur le terrain quasi-délictuel, du dommage imputable à l’éventuelle faute de l’administration, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant des propres fautes de l’entreprise.

Ce dommage peut inclure le bénéfice manqué, sous réserve que le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice. Par la suite, il a été confirmé que ce droit à indemnisation du titulaire évincé se définissait selon les mêmes modalités en cas de résiliation (et non d’annulation) du contrat, que ce soit par l’effet d’une décision juridictionnelle (CE, 27 février 2019, Société Opilo, req. n° 410537) ou par l’effet d’une décision unilatérale de l’acheteur (CE, 10 juillet 2020, Société Comptoir Négoce Equipement, req. n° 430864).

Par cette nouvelle décision du 2 février 2024, le Conseil d’Etat vient compléter cette jurisprudence, en apportant une réponse à la question suivante : en cas de résiliation du contrat par le Juge en raison d’une irrégularité de la procédure de passation, le titulaire évincé a-t-il droit à l’indemnisation de son manque à gagner ? Comme il l’avait déjà fait avec sa décision Société Cegelec Perpignan dans l’hypothèse d’une annulation du contrat, le Conseil d’Etat répond que tel n’est pas le cas lorsque les manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur ont eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat.

Comme l’a souligné le Rapporteur public Marc Pichon de Verneuil dans ses conclusions sous cette nouvelle décision, il s’agit là d’éviter les effets d’aubaine : ce n’est que si le titulaire évincé détenait un droit à la poursuite du contrat indépendamment des irrégularités ayant causé son annulation ou sa résiliation que celles-ci affecteraient ce droit et le priveraient donc d’un manque à gagner.

Cette nouvelle décision intervient dans le cadre d’un litige relatif à la passation par la commune de Saint-Benoît d’une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipale. Saisie par un candidat évincé, la juridiction administrative avait requalifié le contrat en marché public et, considérant que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère de particulière gravité, en avait prononcé la résiliation. Le titulaire évincé, la Société SOGECCIR, a donc introduit un recours indemnitaire afin d’obtenir une indemnisation, entre autres, de son manque à gagner, ce qui lui a été refusé en première instance et en appel. A cet égard, la Cour administrative d’appel avait motivé ce refus par la circonstance que sa concurrente évincée avait été regardée comme n’étant pas dépourvue de toute chance de remporter ce contrat. Toutefois, elle n’avait pas apprécié le caractère déterminant des manquements pour l’attribution du contrat à la Société SOGECCIR, ce qu’elle était pourtant tenue de faire.

Relevant cette erreur de droit ainsi commise par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi par la Société SOGECCIR, commence par annuler cet arrêt. Pour autant, il aboutit à la même solution que celle retenue par les juges du fond, à savoir le rejet de la demande indemnitaire au titre du manque à gagner, dans la mesure où, en l’espèce, les manquements ayant conduit à la résiliation du contrat (requalification en marché public, absence de définition du contenu et des conditions de mise en œuvre des critères de sélection des offres, durée excessivement longue et absence de publication d’un avis d’attribution au niveau européen) ont effectivement eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat à la SOGECCIR et que, dans ces conditions, le lien entre la faute de la commune et le manque à gagner dont cette société réclamait réparation ne pouvait être regardé comme direct.

Un fait isolé peut caractériser un harcèlement sexuel : une nouvelle illustration

Par un arrêt date du 25 avril 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a fourni un nouvel exemple jurisprudentiel de comportement qui, en dépit de son caractère isolé, est constitutif de harcèlement sexuel.

On rappellera que le juge administratif a consacré la possibilité pour un comportement non répété d’être qualifié de harcèlement sexuel (CE, 15 janvier 2014, n° 362495), avant que cette solution soit codifiée à l’article L. 133-1, 2 du Code général de la fonction publique. Pour autant, les illustrations jurisprudentielles en matière de harcèlement sexuel sont peu nombreuses s’agissant de faits isolés, de sorte que l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux le 25 avril 2023 mérite d’être signalé.

Dans cette espèce, une adjointe administrative territoriale de la communauté d’agglomération de Niortais, a été victime d’un acte de voyeurisme par un de ses collègues sur son lieu de travail, en l’occurrence, par une photographie des jambes de la victime par-dessous sa jupe, alors qu’ils se trouvaient assis autour d’une table de la salle de restauration. Infirmant la solution du Tribunal administratif, la Cour a considéré que cet agissement « présente un degré de gravité de nature à caractériser ces faits, bien qu’isolés, de harcèlement sexuel ».

Tirant les conséquences de ce constat, la Cour a, au titre de l’obligation de réparation incombant à l’employeur au titre de la protection fonctionnelle, condamné la communauté d’agglomération à verser à la victime la somme de 3 000 euros pour le préjudice moral subi.

L’indemnisation des fonctionnaires privés d’entretiens annuels

Par un arrêt en date du 25 octobre 2023, la Cour administrative d’appel de Paris a apporté une nouvelle illustration sur les modalités d’indemnisation des préjudices liés à l’absence d’entretien annuel.

Tout agent public a droit de bénéficier d’une évaluation annuelle de sa valeur professionnelle, en application de l’articles L. 521-1 et suivants du Code général de la fonction publique. L’administration qui prive l’agent de ce droit commet donc une faute, qui peut engager sa responsabilité : c’est la situation dont a eu à connaître la Cour administrative d’appel de Paris. En l’occurrence, la Cour a estimé que ce manquement a privé l’agent d’une possibilité de soumettre son dossier à l’avancement de grade, la privant donc d’une chance de bénéficier de cet avancement, indemnisé à hauteur de 1 000 euros. Par ailleurs, le principe même de la privation de l’agent pendant 7 années lui a causé un préjudice moral, évalué à hauteur de 2 000 euros.

Une telle indemnisation n’est évidemment pas automatique : l’agent non évalué devra démontrer qu’il a effectivement subi un préjudice du fait de cette situation. A défaut, même lorsque cette privation aura porté sur plusieurs années, le juge administratif pourra ne pas condamner l’administration responsable de cette faute (TA de Paris, 30 novembre 2022, n° 2207054).

La prévention des conflits d’intérêts lors du recrutement d’un agent public venant du secteur privé

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 se donnait notamment pour objectif de développer les échanges de personnels entre les secteurs publics et privés, en élargissant notamment les possibilités de recrutement d’agents contractuels sur certains postes à responsabilité dans la fonction publique.

Pour répondre aux risques de conflit d’intérêts que ces allers et retours sont inévitablement susceptibles de générer, la même loi a modifié en profondeur la nature des contrôles déontologiques dans la fonction publique. Procédant à une forme de décentralisation du contrôle déontologique, elle a supprimé la commission de déontologie et confié aux administrations employeurs l’essentiel des contrôles déontologiques à accomplir lors du départ des agents vers le secteur privé, à l’exception des contrôles subsidiaires, lorsque l’employeur justifie d’un doute sérieux quant aux risques associés à la situation dont il est saisi, et ceux qui concernent les emplois chargés d’importantes responsabilités, qui font l’objet d’un contrôle direct par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Mais elle a également instauré un nouveau contrôle déontologique, qui doit être mis en œuvre préalablement au recrutement d’un agent qui a exercé, dans les trois dernières années, une activité privée lucrative[1].

Encore récent, ce contrôle est peu maitrisé et son objet est mal compris. Il présente pourtant un enjeu majeur pour les administrations, y compris au-delà de son champ d’application de principe.

I. L’objet du contrôle déontologique préalable à la nomination

Le contrôle a pour objet d’examiner « si l’activité qu’exerce ou a exercée l’intéressé risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de le mettre en situation de méconnaître tout principe déontologique mentionné au chapitre IV de la loi du 13 juillet 1983 [désormais article L. 121-1 à L. 121-11 du CGFP] susvisée ou de commettre les infractions prévues à l’article 432-12 du code pénal »[2].

On peut résumer l’objet de ce contrôle ainsi : il s’agit d’examiner si l’activité privée de l’agent risque de le placer, ou de placer le service dans lequel il sera employé, en situation de conflit d’intérêts, c’est-à-dire de les placer dans une « situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions de l’agent public ».

Le principe même de ce contrôle peut surprendre. Spontanément, on pourrait penser que le seul fait que l’agent ait cessé son activité privée suffit à faire disparaître l’intérêt qui s’y attache, et donc tout risque d’interférence avec l’activité du service.

Telle n’est toutefois pas la position du Conseil d’Etat. Dans ses conclusions sur un arrêt Société Applicam[3], le rapporteur public du Conseil d’État, Monsieur Gilles Pelissier, exposait ainsi qu’un intérêt de nature à faire naître un conflit peut résider dans un lien financier, économique ou personnel, y compris lorsque ce lien est passé. Selon lui, ces liens « peuvent perdurer au-delà des liens matériels qui les ont fait naître, de sorte que la seule circonstance que le lien soit rompu ne suffit pas à écarter tout risque d’intéressement ». En 2021, le Conseil d’État confirmait ainsi l’annulation d’un marché public, en considération du fait que le technicien en charge d’instruire les candidatures était un ancien employé de la société attributaire[4].

Si, comme il le souligne, la persistance de ces liens ne peut perpétuellement être retenue comme compromettant l’impartialité des agents, elle doit l’être pendant une certaine période, au-delà de laquelle le lien est considéré comme devenu « suffisamment ancien pour ne plus alimenter d’intérêts ». En pratique, le Conseil d’Etat a considéré que plusieurs années étaient nécessaires pour que le lien s’estompe suffisamment pour écarter le risque[5].

Le constat d’un risque de conflit d’intérêt n’implique pas nécessairement, pour l’administration, de renoncer au recrutement de l’intéressé, car bien souvent, la mise en place de mesures de déport relatives à l’entreprise dont vient l’agent pourront suffire à écarter le risque. C’est d’ailleurs le sens des délibérations de la HATVP, lorsqu’elle assure ce contrôle de prénomination : elle émet un avis de « compatibilité avec réserve », qui valide le recrutement de l’agent sous réserve qu’il se déporte de toute intervention ou prise de décisions relatives aux organismes ou entreprises à l’égard desquels il détient un intérêt, et notamment l’ancien employeur de l’agent[6]. Il ne sera ainsi nécessaire de renoncer au recrutement que lorsqu’il apparaît en pratique impossible pour l’agent de respecter ce déport, par exemple lorsque les fonctions publiques qu’il a vocation à rejoindre impliquent inévitablement un lien avec son ancien employeur.

On comprend donc tout l’intérêt du contrôle ainsi exercé. Il permet de détecter les risques associés à l’exercice, par l’agent, des fonctions pour lesquels il a été recruté, et ainsi, non seulement prémunir son administration de l’annulation des actes qu’il aura instruit, mais également pour l’agent lui-même, qui s’expose non à un risque de sanction disciplinaire, mais aussi à un risque pénal, la détention d’un intérêt moral à l’égard de son ancien employeur étant suffisant pour le placer en situation de prise illégale d’intérêt[7] – raison pour laquelle, d’ailleurs, l’examen du risque associé à cette infraction fait partie du contrôle que l’administration doit opérer.

Mais, précisément lorsque l’on constate à quel point ce contrôle est crucial, on doit s’interroger sur la raison pour laquelle la loi a limité son champ d’application à un nombre très limité d’emplois, laissant tous les autres – pourtant tout autant concernés par ces risques – échapper à cette vérification.

II. Un champ d’application trop limité du contrôle de prénomination

Le Code général de la fonction publique ne prévoit la réalisation d’un contrôle déontologique préalable à la nomination que pour deux catégories d’emplois, relevant de procédures distinctes. La HATVP assure par exemple, dans la fonction publique territoriale, directement le contrôle déontologique des recrutements sur les emplois de directeur général des services des régions, département, communes ou EPCI de plus de 40 000 habitants, et, dans la fonction publique de l’Etat, ceux des directeurs d’administration centrale ou de dirigeant d’un établissement public nommé par décret[8]. Hors de ces hypothèses, l’autorité hiérarchique assure le contrôle déontologique des recrutements sur les emplois qui sont soumis à une obligation de transmission préalable de déclaration d’intérêts[9]. Ne sont donc concernés que les emplois de direction ou impliquant d’importantes responsabilités au sein des administrations. Les autres, y compris ceux qui peuvent impliquer d’importantes responsabilités en pratique, en sont exonérés.

Or, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs la jurisprudence précitée du Conseil d’État, les risques auxquels l’agent et l’administration s’exposent du fait d’une situation potentielle de conflit d’intérêts généré du fait de l’activité privée antérieure ne se limitent pas à ces seuls emplois. Le conflit d’intérêts de l’ingénieur chargé d’instruire les candidatures d’un marché provoquera aussi aisément l’annulation que celui du directeur général qui validera le choix du candidat ou signera le contrat. Limiter ce contrôle déontologique de prénomination à ces seuls emplois constitue donc, selon nous, une carence regrettable des textes. Cela, d’autant plus que le contrôle inverse, exercé lors du départ d’un agent vers le secteur privé, s’applique à tout agent, quelles que soient les fonctions qu’il exerce.

Non seulement elle tend à limiter la vigilance de l’administration face à ces situations, en faisant entièrement reposer la responsabilité de la prévention du risque de conflit d’intérêts sur l’agent, à qui il incombe de s’en prémunir spontanément[10], mais elle prive en outre l’administration qui s’interrogerait sur une telle situation, de la possibilité d’une saisine subsidiaire de la HATVP en cas de doute, cette dernière ne s’estimant compétente que pour  connaître de la situation que si l’agent entre dans le champ d’application du contrôle prévu par les textes.

Comme souvent en la matière, c’est donc à l’administration de compenser le caractère très parcellaire des textes régissant la prévention des conflits d’intérêts.

III. La nécessité de réaliser un contrôle déontologique au-delà des cas prévus par les textes

Non seulement la prudence devrait conduire l’administration à procéder systématiquement à un contrôle déontologique lorsqu’elle recrute un agent venant du secteur privé, mais, en tout état de cause, il est clair que les textes l’impliquent indirectement, et qu’un manquement sur ce point pourrait être lui être reproché.

Le statut prescrit en effet à l’autorité hiérarchique, et à l’administration en général, de se prémunir des situations de conflits d’intérêts et de ne pas commettre, ou mettre un agent en situation de commettre, du fait de sa nomination ou de la définition de ses fonctions, une infraction pénale. Dès lors, si c’est l’objet du contrôle imposé par les dispositions précitées, une telle analyse reste juridiquement imposée, même lorsque l’agent recruté ne relève pas des dispositions précitées.

D’une part, l’article L. 121-4 du CGFP prescrit à tout agent public l’obligation de prévenir ou faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver. Le fait pour l’agent de se trouver dans une telle situation le place donc en position irrégulière, et c’est le devoir de l’administration qui l’emploie, tout autant que de cet agent, d’y remédier.

D’autre part, l’article L. 124-1 dispose qu’« il appartient à tout chef de service de veiller au respect des principes énoncés aux articles L. 121-1 et L. 121-2 dans les services placés sous son autorité », ce qui inclut notamment le devoir de probité qui constitue le fondement de l’ensemble des dispositions relatives aux conflits d’intérêts[11]. Dans le même sens, les dispositions de l’article L. 122-1 font également reposer la prévention des conflits d’intérêts sur la hiérarchie de l’agent concerné, en mettant à la charge du supérieur hiérarchique, dès lors qu’il a connaissance d’un risque de conflit, le soin de confier le traitement du dossier ou l’élaboration de la décision à une autre personne.

D’une façon ou d’une autre, le contrôle déontologique devra donc être réalisé, au risque de placer l’agent et son administration en difficulté. Cela ne veut certes pas dire que cette analyse sera toujours complexe, approfondie et formalisée : lorsqu’il apparaît manifeste que les responsabilités confiées à l’agent ne le mettront pas en rapport avec son ancien employeur, le « contrôle déontologique » pourra débuter et se conclure dans l’esprit du recruteur.

Pour autant, il sera toujours de bonne pratique que la question soit posée systématiquement, a fortiori dans les situations les plus à risque : service marché d’une administration, ou administration qui, du fait de son activité, recrute souvent des personnels extérieurs à la fonction publique. Et, lorsqu’il apparaît que la réponse n’est pas évidente, de saisir un interlocuteur compétent pour l’examiner : service juridique de la collectivité, référent déontologue, etc.

 

[1] Article 124-7 et 124-8 du Code général de la fonction publique.

[2] Article 5 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique

[3] CE, 14 octobre 2015, n° 390968, concl. G. Pelissier.

[4] CE, 25 novembre 2021, n° 454466

[5] Cf., notamment, CE, 27 juillet 2001, Société Degrémont, n° 232820, écartant le conflit d’intérêt au vu des neuf années qui séparaient le recrutement de l’agent et son intervention dans un dossier relatif à son employeur.

[6] Cf., notamment, Délibération HATVP n° 2023-71 du 2 mai 2023 ; délibération n° 2020-75 du 12 mai 2020 ; délibération HATVP n° 2002-147 du 28 juillet 2020.

[7] Cass. Crim., 13 janvier 2016, n° 14-88-382

[8] L. 124-8 du CGFP.

[9] Article 5, renvoyant aux emplois désignés à l’article 2 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 dans la fonction publique territoriale.

[10] L. 121-4 du CGFP

[11] La probité impose qu’un « fonctionnaire ne doit pas se trouver dans une situation dans laquelle son intérêt personnel puisse être en contradiction avec celui de la collectivité qu’il sert » A. Plantey et M.-C. Plantey, La fonction publique, 3e éd., LexisNexis, 2012, p. 768.