Place à l’efficacité en matière de collecte et de stockage des eaux pluviales !

Par un arrêt en date du 19 avril 2024, le Conseil d’Etat est venu préciser l’articulation des dispositions entre plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN), le règlement national d’urbanisme (article R. 111-2 du Code de l’urbanisme) et les autorisations d’urbanisme.

Il était question de savoir si des dispositifs dits intermédiaires, comme ce qui était prévu en l’espèce (cuve de rétention et une tranchée d’infiltration très lente), pouvaient répondre aux impératifs de sécurité du Code de l’urbanisme, au même titre que la cuve de rétention d’eau utilisée traditionnellement, dès lors que le plan d’exposition aux risques ne prévoyait pas de dispositif particulier.

En l’espèce, les requérants soutenaient que le permis de construire modificatif (délivré après un sursis à statuer) s’il permettait de régulariser le vice tenant à la méconnaissance de dispositions du PLUi de Grenoble Alpes Métropole (qui s’était substitué au PLU communal) ne permettait pas de régulariser le vice entachant le permis de construire initial tenant à la gestion des eaux pluviales au regard des dispositions du plan d’exposition aux risques et de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme.

Le Conseil d’Etat trouve ici l’occasion de faire application de sa jurisprudence de principe, Commune de Fondettes du 4 mai 2011 (n° 321357) rappelant que si les dispositions du PPRN n’ont pas besoin d’être reprises dans le PLU pour être opposables aux demandes d’autorisation d’urbanisme, il revient toutefois à l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme, « si les particularités de la situation qu’il lui appartient d’apprécier l’exigent », soit :

  • De préciser dans l’autorisation les conditions d’application d’une prescription générale ;
  • Ou de subordonner, en application des dispositions précitées de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d’autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles du plan de prévention des risques naturels prévisibles.

En l’espèce, non seulement le dispositif de gestion des eaux pluviales mis en place ne répondait pas aux exigences du PPRN mais plus encore, le terrain sur lequel l’ouvrage était projeté, étant situé dans une zone soumise à un aléa faible de glissement de terrain, les modalités retenues faisaient « nécessairement peser un risque pour la sécurité, au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme » (TA Grenoble, 14 novembre 2022, n° 1902558).

Le permis de construire initial ainsi que le permis modificatif avaient alors été annulés. Toutefois, le Conseil d’Etat relève qu’il ressortait d’un rapport géotechnique du bureau d’études Kaéna que la solution retenue par le pétitionnaire proposait « une infiltration très lente, comparable dans son principe à celui d’une cuve de rétention ». Ainsi, si les dispositions du PPRN visaient à éviter tout système d’infiltration concentrée, le Conseil d’Etat a souligné qu’elles ne prescrivaient pas de dispositif particulier et que le système mis en place permet « drainage efficace […] autour des constructions » au sens de ces dispositions :

« 4. Il en ressort également que ce type de dispositif de collecte et de stockage intermédiaire des eaux pluviales avant une infiltration très lente, comparable dans son principe à celui d’une cuve de rétention comme celle qui avait été prévue à l’origine et estimée par l’étude Kaéna à 0,05 litre par seconde, constitue un drainage efficace des eaux pluviales autour des constructions au sens de l’article 3.4.2.1 du chapitre 2 du titre I du règlement du plan d’expositions aux risques, dont les dispositions ne prescrivent pas un dispositif particulier. En jugeant néanmoins qu’un tel dispositif d’infiltration à la parcelle méconnaissait les dispositions de l’article 3.4.2.1 du chapitre 2 du titre I du plan d’exposition aux risques dont les prescriptions visent à éviter tout système d’infiltration concentrée et qu’il présentait un risque pour la sécurité au sens de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif, qui n’a en outre pas recherché si des prescriptions spéciales complétant celles déjà prévues par le permis modificatif délivré par le maire de La Tronche n’étaient pas de nature à en assurer la légalité au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, a, comme le soutient le pourvoi, implicitement jugé que seul un dispositif organisé sous forme de cuve de rétention répondrait aux exigences du règlement du plan d’exposition aux risques de La Tronche pour la collecte des eaux pluviales et a, ce faisant, commis une erreur de droit. Par suite, son jugement doit être annulé pour ce motif, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi. ».

Pour le Conseil d’Etat, il est donc possible de recourir à des dispositifs de gestion des eaux pluviales intermédiaires, dès lors que ceux-ci assurent un drainage comparable à une cuve de rétention et efficace sur le terrain.

En considération de la conformité du système de drainage au PPRN, et dans la mesure où les juges du fond n’avaient examiné le nouveau système d’infiltration des eaux pluviales prévues par le PCM (ajoutant la tranchée d’infiltration) au regard de l’existence d’un éventuel risque pour la sécurité au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a reconnu l’erreur de droit commise par les juges du fond.

D’un point de vue opérationnel, l’arrêt rendu par les juges de cassation éclaire les rédacteurs des documents d’urbanisme sur le degré de précision de leurs dispositions. Les articles de ces documents peuvent se contenter de prescrire les objectifs et les impératifs de sécurité auxquels les projets doivent se soumettre, mais ne doivent pas nécessairement prévoir les solutions devant être retenues par les pétitionnaires. Il appartiendra à ces derniers d’opter pour les dispositifs répondant de manière efficace aux contraintes inhérentes au terrain d’implantation de leur projet.

Précisions sur la mesure de remise en état des lieux prononcée par un juge pénal

Cass. Crim., 6 février 2024, n° 23-81.748

Par deux arrêts de la chambre criminelle en date du 6 février 2024, la Cour de cassation a précisé le champ d’application et les modalités de la mesure de mise en conformité des lieux ordonnée sur le fondement des articles L. 480-5 et L. 610-1 du Code de l’urbanisme à la suite d’une condamnation pénale.

Aux termes du premier arrêt (pourvoi n° 23-81.748), la Cour de cassation a statué sur l’application de la mise en conformité en cas d’infractions aux règles fixées par le Plan local d’urbanisme (PLU).

En l’espèce, une société et une personne physique ont été poursuivies pour avoir utilisé le sol en méconnaissance du PLU, le bâtiment principal de la société, initialement destiné à un usage aquacole – stocker et conditionner des crustacés -, s’étant progressivement transformé en poissonnerie et en restaurant. En cause d’appel, les juges du fond ont confirmé le jugement déféré en ce qu’il a déclaré les prévenus coupables des faits reprochés, considérant que l’activité de restauration ne constituait pas un accessoire de l’activité aquacole mais était prédominante d’un point de vue économique.

La Cour d’appel a également ordonné la remise en état des lieux conformément au permis de construire, aux motifs que « les permis avaient été délivrés compte tenu de l’activité d’ostréiculture du prévenu et de ses déclarations sur la nature des travaux envisagés telle qu’elle figurait dans ses demandes de permis de construire » relatives à une activité aquacole et qui ne « mentionnaient pas ce qui s’est finalement révélé être un changement de destination, avec la création d’une activité de restauration. » Les demandeurs au pourvoi ont alors fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ordonné une telle remise en état, cependant qu’elle n’était pas saisie de faits de travaux réalisés en méconnaissance du permis de construire, mais uniquement du défaut de conformité de l’activité effectivement exercée au règlement du PLU.

La Cour de cassation a ainsi pu préciser que les infractions aux dispositions des PLU peuvent donner lieu à une remise en état, la « seule circonstance que l’infraction porte sur l’utilisation des bâtiments de manière non conforme à celle autorisée par le PLU ne faisant pas obstacle à ce qu’une telle mesure à caractère réel soit prononcée » ; par ailleurs, la Cour d’appel qui était saisie des infractions consistant à avoir, en violation du PLU n’y autorisant que les activités aquacoles, dédié la partie supérieure d’un bâtiment à une activité commerciale de restauration, n’a pas excédé sa saisine en ordonnant une telle mesure, dès lors que ces permis de construire, dont les préconisations n’ont pas été respectées, avaient été délivrés en application de ce document de planification et sur le fondement de l’activité d’ostréiculteur du demandeur.

Aux termes du second arrêt (pourvoi n° 22-82.833), la Cour de cassation s’est prononcée sur la nature de l’astreinte assortissant la remise en état et ses conséquences en termes de motivation.

En l’espèce, une personne physique a été poursuivie des chefs d’exécution de travaux sans permis de construire et de poursuite de travaux malgré une décision judiciaire ou un arrêté en ordonnant l’interruption. Les juges du premier degré l’ont déclarée coupable de ces faits et l’ont condamnée à remettre en état les lieux sous astreinte de 50 euros par jour de retard. La Cour d’appel a confirmé le jugement déféré sauf en ce qui concerne l’astreinte, qu’elle a portée à hauteur de 100 euros par jour de retard passé un délai de six mois.

Et c’est en vain que la demanderesse au pourvoi fait grief à la cour d’appel de n’avoir pas motivé sa décision au regard des revenus et des charges de la prévenue. En effet, la Cour de cassation a jugé que l’astreinte « prononcée au titre de l’article L. 480-5 du Code de l’urbanisme, étant une mesure comminatoire, qui a pour objet de contraindre son débiteur à exécuter une décision juridictionnelle et non de le sanctionner à titre personnel, n’a pas, en l’absence de tout texte le prévoyant à être motivée au regard des ressources et des charges du prévenu ».

Garde à vue : une précision importante sur l’obligation d’information du procureur de la République

Aux termes des dispositions du second alinéa de l’article 63 du Code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire doit informer le procureur de la République du placement en garde à vue d’une personne, « dès le début » « par tout moyen ». A cette occasion, il l’avise des motifs qui justifient cette mesure et de la qualification des faits notifiés au gardé à vue. La jurisprudence de la chambre criminelle considère que cette obligation d’information n’est soumise à aucun formalisme particulier.[1]

Néanmoins, s’il suffisait auparavant que le procès-verbal indique que le procureur avait été « informé, dès le début, de la mesure de garde à vue »[2] ou « avisé de la mesure de garde à vue immédiatement »[3], par la décision en date du 6 mars 2024, la Cour de cassation renforce la protection des personnes placées en garde à vue en jugeant que :

 

« […] faute d’indiquer l’heure à laquelle a été donné l’avis contesté, le procès-verbal dressé par l’officier de police judiciaire n’établit pas que le procureur de la République a été informé du placement en garde à vue […] dès le début de cette mesure […] ».[4]

En l’espèce, le mis en cause avait formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles l’ayant condamné a :

  • Cinq mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et cinq ans d’interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation pour violence aggravée et outrage ;
  • 300 euros d’amende pour mauvais traitement envers un animal domestique.

Le prévenu reprochait notamment à la Cour d’avoir confirmé le jugement en ce qu’il avait rejeté l’exception de nullité tirée du caractère tardif de l’avis adressé au parquet lors de son placement en garde à vue. De fait, par suite de son placement en garde à vue le 20 janvier 2020 à 8 heures 25, le procès-verbal établit par l’officier de police judiciaire indiquait que le procureur de la République avait été avisé de la garde à vue sans préciser l’heure de cet avis. A ce propos, la chambre criminelle relève que :

« Pour rejeter l’exception de nullité tirée de l’information tardive du procureur de la République sur la mesure de garde à vue, l’arrêt attaqué se borne à énoncer que ce magistrat en a été avisé quasi immédiatement ».[5]

Elle estime alors que la cassation de l’arrêt est encourue car, en l’absence d’indication de l’heure sur le procès-verbal d’avis au parquet, le juge pénal ne peut s’assurer que le procureur a été informé dès le début de la mesure, comme l’exige le texte. Or, « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de ladite personne. »[6] et entraîne la nullité de la garde à vue, comme il en ressort de la jurisprudence constante de la Cour de cassation.[7] Notons que cette évolution jurisprudentielle renforce la protection des droits du gardé à vue au même titre que la loi récente d’adaptation au droit de l’Union européenne du 22 avril 2024[8] dans laquelle, trois points ont notamment été abordés :

  • La possibilité pour le gardé à vue de choisir librement le tiers qu’il veut prévenir[9] ;
  • La suppression du délai de carence de deux heures au terme duquel l’audition peut commencer sans avocat[10];
  • La suppression de la possibilité de commencer immédiatement l’audition sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République lorsque les « nécessités de l’enquête l’exigent»[11] .

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[1] Cass. Crim., 14 avr. 2010, no 10-80.562 

[2] Cass. Crim., 15 mars 2011, n°09-88.083 

[3] Cass. Crim., 9 novembre 2010, n°10-85.278

[4] §9 de la décision

[5] §8 de la décision

[6] §7 de la décision

[7] Cass. Crim., 10 mai 2001, no 01-81.441 ; Cass. Crim., 24 mai 2016, n°16-80.564

[8] Loi n°2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole

[9] Article 63-2 du Code de procédure pénale

[10] Article 63-4-2 du Code de procédure pénale

[11] Article 63-4-2 alinéa 3 du Code de procédure pénale

Notifier la sanction avant la réception de l’avis du conseil de discipline ? C’est oui pour la Fonction Publique Territoriale !

Par une décision en date du 23 novembre dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon est venue rappeler qu’une sanction disciplinaire peut être notifiée à l’agent, et donc entrer en vigueur, avant même que le procès-verbal de la séance du conseil de discipline, également appelé « avis » ne soit établi et adressé à l’agent.

Pour mémoire, les textes applicables sont les suivants :

  • L’article L. 532-5 CGFP :
  • « Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe de l’échelle des sanctions de l’article L. 533-1 ne peut être prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire sans consultation préalable de l’organisme siégeant en conseil de discipline au sein duquel le personnel est représenté.
    L’avis de cet organisme et la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés
    ». ;
  • L’article 14 du décret 89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux : « L’avis émis par le conseil de discipline est communiqué sans délai au fonctionnaire intéressé ainsi qu’à l’autorité territoriale qui statue par décision motivée […]».

A aucun moment il n’est donc imposé que l’avis ait été notifié à l’agent avant de prendre la décision, et c’est en effet ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans sa décision n° 444511 du 15 octobre 2021, publiée aux Tables : « les dispositions précitées n’imposent pas que la communication à l’agent de l’avis du conseil de discipline intervienne, à peine d’illégalité de la décision de sanction, avant que cette décision ne soit prise. »

D’ailleurs, le Conseil d’Etat dans cette décision censure la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui elle, avait considéré que la communication préalable de l’avis était nécessaire mais qu’elle ne constituait pas une garantie pour l’agent au sens de la jurisprudence Danthony. Il a ainsi substitué à ce motif erroné sur lequel la Cour s’était fondée celui tiré de ce que le défaut de communication à l’agent de l’avis du conseil de discipline préalablement à l’intervention de la décision lui infligeant une sanction n’était pas de nature à entacher d’illégalité de cette décision.

Les conclusions du Rapporteur public sous cette décision, lesquelles sont particulièrement éclairantes, opposent la FPE justement à la FPH et à la FPT pour en conclure qu’il n’est pas nécessaire de communiquer préalablement l’avis pour prendre la sanction. En réalité, la question est celle de la portée d’une décision concomitante du Conseil d’Etat (n° 435352 du 12 février 2021) aux termes de laquelle :

« Aucun avis motivé de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline le 21 juillet 2016 pour examiner le cas de M. A… ni même aucun procès-verbal de sa réunion n’ayant été produits au dossier, l’exigence de motivation de l’avis du conseil de discipline prévue par les dispositions citées au point précédent, qui constitue une garantie, ne peut être regardée comme ayant été respectée ».

Au-delà du fait que cette décision est rendue en matière de FPE (avec un texte différent de celui de la FPT et de la FPH), l’exigence est donc uniquement celle de pouvoir démontrer l’existence, à savoir la réalité, de l’avis du conseil de discipline. Et cette preuve peut être rapportée à tout moment de la procédure juridictionnelle. C’est cette analyse qui est confirmée par la décision rendue par la Cour Administrative d’Appel de Lyon le 23 novembre 2023, n° 23LY00310 :

« L’exigence de motivation de l’avis de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline constitue une garantie. Cette motivation peut être attestée par la production, sinon de l’avis motivé lui-même, du moins du procès-verbal de la réunion de la commission administrative paritaire comportant des mentions suffisantes ».

En synthèse : on peut notifier la sanction avant de recevoir le procès-verbal du conseil de discipline, mais à condition de pouvoir rapporter la preuve de ce dernier devant le juge.

Le régime particulier de réparation des accidents de service des agents contractuels

La réparation des accidents de service des agents contractuels de la fonction diffère drastiquement des règles applicables aux fonctionnaires. Les agents contractuels ne peuvent en effet rechercher la responsabilité sans faute de leur employeur devant le juge administratif à l’instar des fonctionnaires pour obtenir la réparation de leurs préjudices notamment personnels (CE, 4 juillet 2003, Moya-Caville, n°211106).

L’agent contractuel peut en revanche exercer une action en réparation de l’ensemble des préjudices résultant de cet accident, non couverts, par le livre IV du code de la sécurité sociale, contre son employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de ce dernier, ou contre une personne autre que l’employeur ou ses préposés, conformément aux règles du droit commun, lorsque la lésion dont il a été la victime est imputable à ce tiers.

Cependant, le Conseil d’état a admis que les agents contractuels recherchent devant le juge administratif la responsabilité de leur employeur pour solliciter la réparation du préjudice que lui a causé l’accident du travail dont il a été victime, à la double condition que ce préjudice ne n’ait pas été réparé par application du Code de la sécurité sociale, et lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l’un de ses préposés (CE, 22 juin 2011, n° 320744).

La Cour administrative d’appel de Versailles est venue apporter récemment une illustration à ce principe et préciser la notion de faute intentionnelle. Cette juridiction avait été saisie par la requête indemnitaire d’un agent contractuel afin d’obtenir la condamnation du centre hospitalier qui l’employait à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d’existence ainsi que des préjudices financiers et moraux qu’il aurait subis à la suite de son accident de service et du harcèlement moral dont il estime avoir fait l’objet.

La Cour administrative d’appel a d’abord rappelé les règles évoquées ci-dessus, à savoir qu’un agent contractuel de droit public peut demander au juge administratif la réparation par son employeur du préjudice que lui a causé l’accident du travail dont il a été victime, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application du Code de la sécurité sociale, lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l’un de ses préposés. En revanche, elle a également rappelé qu’un agent contractuel de droit public, dès lors qu’il ne se prévaut pas d’une faute intentionnelle de son employeur ou de l’un des préposés de celui-ci, ne peut exercer contre cet employeur une action en réparation devant les juridictions administratives sur le seul fondement d’un accident du travail dont il a été la victime.

Examinant, après ces rappels, la situation dont elle était saisie, la Cour a relevé que l’accident de l’agent qui résultait d’une chute sur le sol mouillé de son lieu de travail, et qu’elle n’était donc imputable à aucune faute intentionnelle de l’employeur. Le juge relève ainsi qu’il n’est pas démontré que l’agent de service, chargé du nettoyage de la zone où la victime de l’accident avait chuté, aurait volontairement omis de poser des panneaux de signalisation dans l’objectif de faire chuter ce dernier. Elle en a déduit qu’il n’était pas démontré que son accident de service résulterait d’une faute intentionnelle de son employeur, qui se caractériserait, selon le juge, par des actes volontaires accomplis dans l’intention de causer des lésions corporelles ou un dommage psychologique.

Dès lors, en l’absence de tels actes volontaires de l’administration ou de l’un de ses agents, la responsabilité administrative de l’employeur ne peut être engagée par l’agent contractuel victime d’un accident de service.

L’absence d’obligation de l’administration d’informer son agent de son droit à être assisté d’un délégué du personnel lors d’une enquête administrative

Par une décision en date du 27 février 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé que la circonstance qu’un agent n’ait pas été informé de la possibilité d’être assisté d’un délégué du personnel lors d’entretiens menés dans le cadre d’une enquête administrative, dès lors qu’elle n’avait pas été diligentée à son encontre, n’était pas de nature à caractériser une volonté de nuire.

En l’espèce, un agent de maintenance aux services techniques de la commune de Biganos a été temporairement exclu de ses fonctions pour une durée de deux ans pour avoir volé du carburant au détriment de son employeur. L’intéressé avait, de surcroît, été condamné pour ces faits par un jugement du Tribunal correctionnel de Bordeaux confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux le 25 avril 2018.

L’agent a saisi le Tribunal administratif de Bordeaux d’une demande de condamnation de la commune à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du harcèlement moral dont il s’était estimé victime. Ces conclusions ont été rejetées par le Tribunal et cette décision a été confirmée en appel. L’intérêt de l’arrêt réside dans un point particulier du litige : l’agent estimait que le harcèlement moral dont il se prévalait résidait notamment dans la circonstance qu’il n’avait pas été informé d’un droit à être assisté d’un délégué du personnel dans le cadre de cette enquête. Répondant sur ce point, la Cour administrative d’appel a considéré que l’enquête administrative qui avait été conduite, et lors de laquelle l’agent avait avoué les vols pour lesquels il a été sanctionné, n’était pas une enquête disciplinaire dirigée contre le requérant, mais une enquête administrative dont la portée était plus générale. Pour cette raison, la Cour a considéré que l’absence d’information du droit d’un agent d’être assisté d’un délégué du personnel lors des auditions menées dans le cadre d’une enquête administrative ne caractérisait pas une intention de nuire. L’importance de la charge émotionnelle de l’intéressé au cours de ces entretiens, durant lesquels il a d’ailleurs reconnu les faits, est sans incidence à cet égard.

Autrement dit, la Cour semble ici affirmer que la collectivité n’avait aucune obligation d’informer son agent lors de la convocation à ces entretiens de sa possibilité de se faire assister par le représentant de son choix, dès lors que l’enquête administrative n’était pas dirigée contre lui et ne revêtait donc pas un caractère disciplinaire.

L’arrêt pose ici la distinction qu’il réaffirme entre l’enquête administrative et l’enquête disciplinaire. Alors que les droits de la défense se renforcent en matière disciplinaire, allant jusqu’à l’annulation d’une sanction prise contre un fonctionnaire au motif qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire lors de la procédure disciplinaire (CAA Paris, 2 avril 2024, n°22PA03578), l’enquête administrative, si elle n’est pas dirigée contre un agent en particulier en vue de lui infliger une sanction, n’est pas encadrée par de tels droits, alors même que l’enquête aboutirait à établir l’existence d’une faute disciplinaire.

Reste à connaître le sort de cette jurisprudence : la distinction entre enquête administrative et disciplinaire n’est que peu précisée par la décision, et les conséquences, le cas échéant, d’un défaut d’information pendant une enquête dite « disciplinaire » ne sont pas non plus précisées, l’analyse faite par la Cour de Bordeaux se limitant au seul cadre de la qualification de harcèlement.

Du « botox » dans les effectifs : la volonté de rajeunir les effectifs peut justifier le refus de maintenir en activité un fonctionnaire au-delà de la limite d’âge

Dans une décision rendue le 11 avril 2024, le Conseil d’Etat a considéré que l’employeur public, dans le cadre de l’intérêt du service, peut refuser de faire droit à la demande d’un fonctionnaire tendant à être maintenu en activité au-delà de la limite d’âge, au motif qu’il préfère privilégier le recrutement de jeunes agents. Et la Haute Juridiction de ne pas y voir un motif discriminatoire.

Dans cette affaire, un inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, ayant atteint la limite d’âge de 67 ans, avait sollicité auprès du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse son maintien en activité jusqu’à l’âge de 70 ans. Son employeur avait refusé de faire droit à cette demande, se fondant sur la nécessité de renouveler, dans l’intérêt du service, la composition du service par le recrutement d’inspecteurs plus jeunes. Si le Tribunal administratif de Paris, statuant en référé, a pu voir dans cette prise en compte de l’âge de l’intéressé un motif discriminatoire susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le Conseil d’Etat n’a pas partagé cette analyse.

En effet, ce dernier a estimé, pour sa part, que les dispositions permettant à un agent de demander à prolonger son activité jusqu’à l’âge de 70 ans (en l’espèce celles de l’article L. 556-1 du Code général de la fonction publique), « confèrent à l’autorité compétente un large pouvoir d’appréciation de l’intérêt, pour le service, d’autoriser un fonctionnaire atteignant la limite d’âge à être maintenu en activité ». Et le Conseil d’Etat d’en déduire que l’autorité administrative « peut ainsi, notamment, se fonder sur l’objectif tendant à privilégier le recrutement de jeunes agents par rapport au maintien en activité des agents ayant atteint la limite d’âge ».

Rappelons à cet égard que les dispositions spécifiques relatives à la limite d’âge des fonctionnaires ne prévoient pas de droit au maintien en activité au-delà de cette limite, mais au contraire l’obligation pour l’agent qui souhaite travailler au-delà de 67 ans de demander l’accord de son employeur, qui doit alors prendre en considération l’intérêt du service et l’aptitude de l’agent pour accorder, ou non, un maintien en fonctions.

De ces dispositions, et ainsi qu’il l’avait déjà admis sous l’empire des textes précédant l’adoption du Code général de la fonction publique (CE, 21 septembre 2020, n° 425960, le Conseil d’Etat en a logiquement déduit l’existence d’un « large pouvoir d’appréciation » au bénéfice de l’administration, s’agissant d’autoriser ou non un agent à se maintenir en activité au-delà de la limite d’âge.

Jusqu’alors, les Juridictions du fond avaient pu admettre, en la matière, le bien fondé de décisions de refus de prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge, voyant de « l’intérêt du service » dans l’existence de « mesures d’économies budgétaires au nombre desquelles figure le départ à la retraite d’un enseignant » (CAA de Versailles, 1er décembre 2016, n° 15VE01255), une politique en cours de restructuration du service (CAA de Paris, 20 octobre 2015, n° 14PA00781), la prise en compte du comportement de l’agent inadapté au fonctionnement d’un service (CAA de Marseille, 10 janvier 2023, n° 21MA00595), ou encore une fin de carrière « marquée par une relation conflictuelle avec sa hiérarchie » susceptible d’affecter le bon fonctionnement du service (CAA de Marseille, 26 janvier 2021, n° 19MA01368).

A ce catalogue, le Conseil d’Etat vient aujourd’hui ajouter, par sa décision en date du 11 avril 2024, le motif tiré du rajeunissement des effectifs. Considérant que le motif tenant à la volonté de rajeunir les effectifs (et donc tenant, indirectement, à une prise en compte de l’âge de l’agent) pouvait caractériser un intérêt du service sur lequel pouvait légalement se fonder l’administration pour refuser le maintien en activité.

L’appréciation ainsi portée sur l’âge du fonctionnaire ne traduisant pas l’existence d’une discrimination. Pour reprendre les mots de Monsieur Marc PICHON de VENDEUIL, Rapporteur public sur cette affaire, « l’article L. 556-1 du CGFP n’interdit nullement – au contraire – à l’administration de mettre en œuvre une politique de recrutement répondant le cas échéant à des impératifs démographiques, qui sont eux-mêmes de nature à caractériser l’intérêt du service et donc à justifier un éventuel refus ».  Une position au demeurant conforme à la jurisprudence européenne (CJUE, 21 juillet 2011, n°C-159/10 et n°C-160/10), derrière laquelle s’était déjà retranché le Conseil d’Etat concernant le principe de fixation d’une limite d’âge pour une mise à la retraite pour ancienneté, en jugeant que l’objectif visant à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l’âge (CE, 22 mai 2013, n°351183).

Indiquons enfin que dans une décision du même jour, rendue sous le n° 490652, le Conseil d’Etat a adopté la même solution s’agissant du refus opposé à une demande de maintien en activité au-delà de la limite d’âge sollicitée par une inspectrice générale des finances sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986 (CE, 11 avril 2024, n° 490652).

Pour résumer, refuser le maintien en activité d’un fonctionnaire ayant atteint la limite d’âge c’est possible, au nom de l’intérêt du service, dans le but de rajeunir les effectifs. Mais attention à ne pas céder au réflexe que pourrait inspirer cette décision et à faire de l’impératif démographique un motif stéréotypé, en se dispensant de motiver et de justifier, à partir d’éléments tangibles, la décision de refus de maintien en activité au-delà de 67 ans. 

Extension de l’expérimentation permettant aux infirmiers d’établir les certificats de décès

Ainsi que nous le commentions alors dans notre précédente LAJEE, le ministre de la Santé et de la prévention avait annoncé dans une réponse ministérielle de novembre 2022 la mobilisation prochaine des infirmiers dans l’établissement des certificats de décès. Un mois plus tard, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 est publiée et prévoit en son article 36 qu’à titre expérimental l’Etat peut autoriser les infirmières et infirmiers à signer les certificats de décès, tout en renvoyant à un décret le soin de déterminer les modalités de cette expérimentation.

C’est ainsi qu’un décret du 6 décembre 2023 est venu prévoir que, dans les régions participant à cette expérimentation (précisées par arrêté), les infirmiers volontaires inscrits sur une liste prévues à cet effet peuvent pour établir le certificat de décès d’une personne. Au-delà de sa limitation géographique cette prérogative était alors enfermée dans de strictes conditions prévues par l’article 3 de ce décret, parmi lesquelles figurent en premier lieu l’indisponibilité d’un médecin dans un délai raisonnable (y compris retraité dans les conditions prévues par l’article R. 2213-1-1-1 du CGCT). Ces deux exigences ont été supprimées par le décret du 23 avril 2024 ici commentée. En effet, par son article 1er celui-ci étend l’expérimentation susvisée au territoire nationale et supprime la condition tenant à l’indisponibilité d’un médecin.

Ce dispositif de secours demeure tout de même encadré. On observera notamment que seuls les infirmiers diplômés depuis plus de trois ans et ayant suivi une formation de douze heures à cette fin pourront y participer. En outre, ils ne peuvent pas établir de certificats de décès pour les personnes mineurs ou lorsque le caractère violent du décès de la personne est manifeste.

Reste à savoir si cet assouplissement permettra de réduire la longueur des délais d’établissement des certificats de décès, souvent subis par les familles endeuillées (voir en ce sens notre précédente brève).

La loi Economie Sociale et Solidaire fête ses 10 ans : bilan et perspectives du secteur de l’ESS

L’heure du focus annuel de la Lettre d’actualités juridiques dédié à l’Economie Sociale et Solidaire est arrivée. Dans la droite ligne des Lettres d’actualités juridiques parues en 2022 (numéro #128) et en 2023 (numéro #143), le focus est consacré, cette année, aux 10 ans de la Loi ESS, dite « Loi Hamon », promulguée le 31 juillet 2014. Il est aussi l’occasion de faire écho à la récente nomination de Sara BEN ABDELADHIM comme directrice du secteur « économie sociale et solidaire » au sein du cabinet et qui a pris la plume pour la rédaction de ce focus.

Très engagé aux côtés de tous les acteurs de l’ESS, SEBAN AVOCATS, dont l’ADN est l’intérêt général, est heureux d’étoffer son équipe d’avocats dédiés à l’ESS pour les accompagner, avec les autres équipes du cabinet, dans toutes leurs problématiques de droit privé, public et pénal. Bonne lecture.

Audrey LEFEVRE, avocate associée

 

La Loi ESS, également connue sous le nom de « Loi Hamon », s’apprête à fêter ses dix ans puisqu’elle a été promulguée le 31 juillet 2014. Cet anniversaire est ainsi l’occasion de faire un nécessaire bilan de ce mode alternatif de développement économique.

Nous sommes heureux de constater que l’ESS est un mode d’entreprendre qui gagne aujourd’hui du terrain selon le dernier état des lieux de l’Observatoire de l’Economie Sociale, publié en 2022, et occupe aujourd’hui une place significative au sein de l’économie française. En effet, l’ESS représente plus de 2 millions d’emplois salariés pour plus de 220 000 établissements employeurs, soit environ un emploi salarié sur dix. L’ESS est présente dans tous les secteurs d’activités (l’action sociale, l’enseignement, la santé, les arts et spectacles, les activités financières et d’assurance, le sport et les loisirs, l’agriculture…) et s’invite également dans de nouvelles filières telles que le BTP, les médias, le textile…

En l’espace de 10 ans, l’ESS a ainsi gagné en notoriété auprès du grand public, représentant l’idéal d’une économie plus respectueuse de la personne, plus sobre, et favorisant différentes transitions (inclusive, verte et numérique). Ce secteur séduit notamment par l’idée centrale selon laquelle les acteurs de l’ESS ne sont pas motivés par la lucrativité, mais par le développement de projets au service de l’intérêt collectif.

C’est à partir de ce postulat que la Loi Hamon a posé, pour la première fois en France, une définition de l’Economie Sociale et Solidaire, reposant sur trois conditions :

  • Le but poursuivi est autre que le seul partage des bénéfices ;
  • La gouvernance adoptée est démocratique en prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise, ce qui place ainsi l’acteur au cœur du mouvement ESS ;
  • La gestion de l’entreprise a pour objectif principal le maintien ou le développement de son activité.

Cette loi a eu pour rôle essentiel d’élargir le périmètre de l’ESS, qui reposait jusque-là historiquement sur les associations, coopératives et mutuelles, à l’ensemble des acteurs du secteur non lucratif comme les fonds de dotations, les fondations et aussi les sociétés commerciales (sous réserve, pour ces dernières de remplir certaines conditions évoquées plus haut). Ainsi, et alors que le modèle anglo-saxon repose sur les charities et organismes non profit, la France a opté pour un modèle alliant véritablement financements publics et privés.

L’ambition a été de créer un cadre juridique et d’aider les associations (qui continuent de représenter la majorité des acteurs de l’ESS) à changer d’échelle, en structurant par exemple le régime des fusions entre associations (issu du Décret n° 2015-832 du 7 juillet 2015 pris pour l’application de la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire et relatif aux associations, en grande partie inspiré du régime simplifié de fusion applicable aux sociétés).

Cette reconnaissance institutionnelle était devenue indispensable au développement de l’ESS et a sans aucun doute permis la structuration du secteur grâce à la reconnaissance d’organisations représentatives au niveau national et local et en créant des instances de débat avec l’Etat et les collectivités.

Malgré ce bilan positif, on constate encore des obstacles importants au développement de l’ESS en France, tel que l’insuffisance chronique de la volonté politique de soutien à l’ESS.

L’enjeu de l’emploi et de l’engagement bénévole dans l’ESS

Le développement de l’ESS devra faire face à deux enjeux majeurs en vue de solidifier la professionnalisation des emplois de ce secteur.

Tout d’abord, il existe une véritable difficulté d’attractivité de ce secteur due à de nombreux facteurs que sont le manque de valorisation des métiers, les faibles rémunérations, la multiplication des CDD, le temps partiel subi (tout particulièrement dans les métiers des secteurs sociaux et médico-sociaux). On dénombrerait aujourd’hui près de 100 000 emplois non pourvus dans certains secteurs essentiels de l’ESS selon l’UDES. Une meilleure reconnaissance des formations est aujourd’hui capitale.

Il est également à noter que le développement de l’ESS repose encore essentiellement sur l’engagement bénévole. Or, le recul de l’âge légal de départ à la retraite constitue une menace sur cet engagement puisque les bénévoles sont, encore aujourd’hui, en majorité des retraités. L’engagement des jeunes générations est essentiel à l’avenir de la branche non lucrative de l’ESS, rendant urgente la revalorisation du statut de bénévole.

En ce sens, la Loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative pourra jouer un rôle non négligeable notamment en favorisant l’engagement et la formation des bénévoles :

  • L’accès aux droits de formations est facilité ;
  • Les conditions de recours au congé d’engagement sont assouplies ;
  • Les activités bénévoles permettent désormais d’acquérir des droits inscrits sur le compte personnel de formation (CPF) ;
  • Le mécénat de compétence est encouragé grâce à l’ouverture à l’ensemble des entreprises (suppression du seuil d’au moins 5 000 salariés) et à l’allongement de deux à trois ans de la durée limite de mise à disposition du personnel sous cette forme ;
  • Les salariés ont désormais la possibilité de faire don de leurs congés payés ou RTT non pris au profit d’associations ou de fondations et de bénéficier à ce titre d’un avantage fiscal.

Outre ces mesures visant à faciliter le bénévolat, cette loi du 15 avril 2024 simplifie la vie associative en facilitant par exemple les conditions de prêt entre associations et l’organisation de lotos et tombolas solidaires.

Si ces mesures sont les bienvenues, on pourrait toutefois encore déplorer que l’ouverture du régime de « groupe TVA » n’ait pas été ouvert aux associations comme le proposait initialement la proposition de loi.

On retiendra toutefois que le Gouvernement est chargé de remettre dans un délai d’un an un rapport évaluant la performance de ces mesures et présentant des pistes nouvelles afin d’encourager encore l’engagement bénévole.

L’essor du mécénat dans l’ESS

Si l’engagement bénévole constitue l’une des ressources humaines essentielles de l’ESS, le mécénat constitue pour sa part une ressources financières importante qui n’a cessé de prendre de l’importance ces dix dernières années, comme en atteste l’analyse publiée par la DGFIP en janvier dernier (DGFiP Analyses n°06 – janvier 2024). Cette analyse chiffrée revient sur la période 2011-2021 et retrace l’évolution du nombre de donateurs et du montant de leurs dons ouvrant droit à une réduction d’impôt.

Il en ressort une hausse significative des dons sur cette période puisqu’en 2021, 5,9 milliards d’euros de dons ont été déclarés à l’administration fiscale, dont 3,3 milliards d’euros correspondent aux dons des particuliers, soit une augmentation de 50 % en 10 ans. Les dons des entreprises ont doublé sur cette période, étant précisé que le nombre d’entreprises mécènes a triplé en 10 ans. Il est intéressant de noter que bien que les dons de très petite entreprise progressent depuis 2015, les dons de grandes entreprises représentent chaque année la moitié des dons déclarés (ces dons transitent bien souvent par leurs fondations).

Cette progression démontre le fait que le secteur non lucratif de l’ESS repose sur des modèles juridiques solides (les fondations et fonds de dotation), bien que la multiplication des formes de fondations puisse quelque peu complexifier la démarche des mécènes qui peinent parfois à identifier le véhicule adéquat pour leur projet d’intérêt général, lequel repose bien souvent sur un modèle économique incluant le financement privé par le mécénat. Cette difficulté touche également les sociétés du type SEM ou SPL pour lesquelles les contraintes liées la présence de personnes publiques dans le capital devront être tout particulièrement prises en considération préalablement à tout montage incluant du mécénat.

En matière de mécénat, on rappellera également que cette pratique, avec celle du parrainage, n’est pas sans risque. Ceci a été rappelé récemment par l’Agence française anticorruption (AFA) au sein de son nouveau guide « sécuriser les opérations de mécénat et de parrainage des entreprises » publié en mars 2024. Parmi les risques identifiés au sein de ce guide, on citera par exemple la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le favoritisme, le détournement de biens publics ou encore la concussion.

Ainsi, et avec la multiplication du nombre de dons, la prévention de ces risques par les associations et autres organismes sans but lucratif bénéficiaires ainsi que les mécènes doit impérativement être prise en compte sous forme de gouvernance, cartographie des risques, politiques et procédures, formation, contrôles internes, etc.

 Perspectives

La récente rencontre européenne intitulée « l’économie sociale au cœur des transitions » qui s’est déroulée les 12 et 13 février 2024 à Liège, en Belgique, dans le cadre de la présidence belge de l’Union européenne (UE) a été l’occasion pour les ministres en charge de l’Economie Sociale et Solidaire des États membres de signer une feuille de route visant à esquisser l’avenir de l’ESS au sein de l’Union, sous la forme de 25 recommandations adressées aux organes de gouvernance de l’Union européenne, signées par 21 Etats membres.

Plusieurs recommandations fortes ressortent de cette feuille de route :

  • Inclure le développement de l’ESS dans ses orientations politiques 2024-2029 et dans ses programmes de travail annuels, ainsi que d’attribuer la responsabilité de l’ESS à l’un des commissaires en poste ;
  • Encourager l’innovation sociale par le développement et le financement de groupements d’acteurs, d’incubateurs d’entreprises d’économie sociale, de clusters d’innovation sociale et de micro-projets, ainsi que par la mise en place de réseaux locaux capables de mettre en œuvre des coopérations efficaces pour structurer la réponse aux besoins territoriaux ;
  • Procéder à une analyse détaillée de la législation européenne et des règles en matière d’aides d’Etat afin d’identifier les potentielles difficultés rencontrées par l’ESS et apporter des solutions appropriées ;
  • Examiner comment adapter les réglementations en matière d’aides d’Etat pour mieux prendre en compte l’économie sociale ;
  • Publier un livre blanc recensant les bonnes pratiques d’accompagnement de l’ESS, notamment la mobilisation des aides publiques, le recours aux qualifications de services d’intérêt économique général (SIEG) et de services sociaux d’intérêt général (SSIG), ainsi que la formation continue aux spécificités de l’ESS des agents publics.

La volonté affichée est donc bien celle de placer l’ESS dans le programme d’action de la Commission européenne. Le soutien politique du développement de l’ESS, bien qu’encore insuffisant à ce jour, fait preuve de belles perspectives notamment européennes.

Sara BEN ABDELADHIM, avocate directrice

Association à but non lucratif : le Conseil d’Etat confirme que la sauvegarde de la compétitivité peut être un motif économique de licenciement en cas de perte de marché

En application de l’article L. 1233-3 du Code du travail, une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité peut caractériser un motif économique de licenciement. Tel est le cas, par exemple, d’une réorganisation mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans pour autant qu’elle soit subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement. (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977).

En tous les cas, lorsque le licenciement économique est fondé sur la sauvegarde de la compétitivité, l’appréciation du motif du licenciement implique d’établir la réalité de la menace pour la compétitivité (en ce sens : CE 8-3-2006 n° 270857 ; CE 12-1-2011 n° 327191 ; CE 27-1-2016 n° 388211).

Au cas particulier, une association avait perdu un important marché de prestations de service. L’employeur a alors sollicité l’autorisation de l’inspection du travail pour licencier un salarié protégé, en fondant sa demande sur la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’association. L’autorisation de licenciement lui a été accordée par l’inspection du travail, mais le salarié a formé un recours hiérarchique, puis contentieux contre cette décision.

La Cour administrative d’appel a annulé cette décision, en expliquant qu’il n’existait pas de menace réelle sur la compétitivité de l’association. Contestant cet arrêt, l’employeur a, alors, formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt de la Cour d’appel administrative.

Pour la Haute juridiction administrative, les juges du fond avaient inexactement qualifié les faits, alors que les éléments matériellement établis devant eux pouvaient laisser penser que la perte de marché était susceptible de constituer une menace réelle pesant sur la compétitivité de l’association. Il s’évince donc de l’arrêt du Conseil d’Etat qu’une association, même à but non lucratif, peut licencier un salarié pour motif économique motivé par la nécessité de sauvegarder la compétitivité. Il sera toutefois nécessaire de caractériser la réalité de la menace pour la compétitivité de l’employeur.

La prise de participation des collectivités territoriales et de leurs groupements au sein de sociétés de production d’énergies renouvelables n’est pas subordonnée à l’exercice de la compétence en matière de production d’énergies renouvelables.

Par une décision en date du 19 avril 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes apporte d’utiles précisions quant à la prise de participation des collectivités territoriales et leurs groupements au capital de sociétés dédiées à la production d’énergies renouvelables (CAA Nantes, 23NT01257).

Pour rappel, les communes et leurs groupements sont autorisés à exploiter toute nouvelle installation utilisant des énergies renouvelables – article L. 2224-32 du Code général des collectivités territoriales. Et le même Code les autorise en outre à « participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables par des installations situées sur leur territoire » – article L. 2253-1.

Ces deux dispositions bien distinctes, ont toutefois fait l’objet d’une interprétation combinée particulièrement stricte par la doctrine administrative et par certains tribunaux administratifs (TA Rennes, 25 janvier 2024, préfet du Finistère, n° 2300530). Selon ces derniers et conformément aux principes de spécialité et d’exclusivité, les groupements de collectivités territoriales peuvent exercer la compétence prévue à l’article L. 2224-32 uniquement si elle leur a été préalablement transférée par leurs membres. En conséquence, dès lors qu’une commune a transféré cette compétence, elle s’en trouve dessaisie et ne peut plus intervenir en matière de production d’énergies renouvelables, y compris pour prendre des participations au capital d’une société dédiée à la production d’énergies renouvelables comme le prévoit pourtant l’article L. 2253-1.

Au contraire, la Cour administrative d’appel de Nantes juge de manière très claire dans cette affaire qui opposait la préfète de la Mayenne à la commune de Congrier que le Code général des collectivités territoriales n’a pas entendu imposer que seules les collectivités disposant de la compétence en matière de production d’énergies renouvelables puissent participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production de ces énergies.

De même, elle retient que l’inscription, dans les statuts d’un groupement de collectivités, de la possibilité de prendre des participations au capital d’une société dédiée à la production d’énergies renouvelables, telle que prévue à l’article L. 2253-1, ne saurait être confondue à un transfert de compétence. Il en ressort que la méconnaissance des principes de spécialité et d’exclusivité ne saurait davantage être opposée à la prise de participation conjointe d’une commune et de son groupement de collectivités dans une société de production d’énergies renouvelables.

La Cour administrative d’appel de Nantes ouvre donc la voie à une prise de participation conjointes des communes et de leurs groupements de collectivités dans des sociétés anonymes ou dans des sociétés par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables.

Cette décision, tout à fait fondée en droit, soutient opportunément les initiatives publiques locales en faveur du développement des énergies renouvelables par toutes les collectivités et groupements de collectivités.

Certes, cette décision ne statue pas sur le caractère partagé de la compétence définie à l’article L. 2224-32 du Code général des collectivités territoriales.

Autrement dit, elle ne remet pas directement en cause la doctrine administrative et certains jugements administratifs (TA Rennes, 25 janvier 2024, préfet du Finistère, n° 2300530) en ce qu’ils retiennent qu’un groupement de collectivités ne peut exercer la compétence prévue à l’article L. 2224-32 que si elle lui a été préalablement transférée par ses membres, et qu’à l’inverse, dès lors que la commune a transféré cette compétence audit groupement, elle se trouve dessaisie de la compétence. Cette position est toutefois très contestable d’un point de vue juridique, comme déjà indiqué dans notre précédente lettre d’actualités, de mars 2024.

Les incidences du projet de loi portant simplification de la vie économique sur la production d’énergies renouvelables

Par un projet de loi déposé au Sénat le 24 avril 2024, le ministre de l’Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a principalement proposé trois simplifications pour accélérer la transition énergétique et écologique de l’économie.

Premièrement, lorsqu’un marché relevant du champ d’application du Code de la commande publique concerne un projet d’installation de production d’énergie renouvelable en mer d’une puissance supérieure à un seuil fixé par décret, ou encore une étude associée à la réalisation d’une telle installation, il est prévu à l’article 16 du projet de loi :

  • Une exonération de l’obligation d’allotir, fixée à l’article L. 2113-10 du Code de la commande publique.

En effet, il ressort de l’étude d’impact que les exceptions à l’obligation d’allotissement aujourd’hui « prévues à l’article 2113-10 du Code de la commande publique ne sont pas adaptées aux spécificités des projets d’infrastructures concourant directement à la transition énergétique, pour lesquels il existe des risques d’interface (liés à la coordination entre intervenants ou à son absence) et de manque d’attractivité pour les entreprises du secteur particulièrement forts ».

  • La renonciation du sous-traitant au paiement direct, à sa demande, permettrait de raccourcir les délais de paiement, et dans certains cas d’alléger la charge administrative et comptable des titulaires des marchés et de leurs sous-traitants qui sont parfois des structures de taille petite ou moyenne.

En effet, l’étude d’impact indique que si « les dispositions relatives au paiement direct ont vocation à protéger les sous-traitants d’une possible défaillance de l’entreprise principale, elles imposent un traitement administratif potentiellement plus lourd à la fois pour le titulaire principal du marché et pour les sous-traitants, générant parfois des risques de délais de traitement supplémentaires ».

Il s’agit de raccourcir les délais de paiement et, dans certains cas, d’alléger la charge administrative du sous-traitant, tout en assurant la protection de ce dernier, qui pourra toujours, s’il le souhaite, conserver son droit au paiement direct (articles 12 et 14 de de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance).

Le montant du seuil envisagé par l’étude d’impact est de 10 millions d’euros – le même seuil retenu par le décret du 27 décembre 2023 d’application de la loi « Industrie verte » sur l’application des offres variables – qui apparaît comme un point d’équilibre garantissant l’efficacité de la mesure et une protection suffisante pour garantir l’accès aux PME à la commande publique sur ces projets.

Ces dispositions seront également applicables aux marchés d’un montant supérieur à un seuil fixé par décret qui portent sur un projet de création ou de modification d’un ouvrage du réseau public de transport ou d’un poste de transformation entre les réseaux publics de transport et de distribution.

Deuxièmement, par une modification de l’article L. 152-5 du Code de l’urbanisme, l’article 20 du projet de loi vise à permettre à l’autorité compétente pour délivrer un permis de construire ou un permis d’aménager ou encore pour prendre la décision sur une déclaration préalable, de déroger, sur décision motivée, aux règles des plans locaux d’urbanisme, afin de contribuer au déploiement des énergies renouvelables comme les panneaux solaires photovoltaïques ou thermiques implantés sur les bâtiments.

Les types d’installations concernées sont les systèmes de production d’énergie renouvelable au sens de l’article L. 211-2 du Code de l’énergie. En pratique, la disposition s’appliquera principalement aux installations de production d’énergie solaire photovoltaïque ou thermique, mais également – selon l’étude d’impact – les pompes à chaleur air/eau collectives.

Troisièmement, l’article 21 vise à clarifier les obligations relatives au biogaz en abrogeant l’article L. 446-1 du Code de l’énergie qui a introduit une obligation de réaliser un bilan carbone pour les dispositifs de soutien au biogaz listés suivantes :

  • l’obligation d’achat à la suite d’une procédure d’appel d’offres prévue à l’article L. 446-5 destiné aux installations de production de biogaz injecté dans un réseau de gaz naturel (sous la forme d’un contrat d’obligation d’achat) ;
  • le complément de rémunération à la suite de procédures d’appels à projets ou d’appels d’offres destinés aux installations de production de biogaz prévues aux articles L. 446-14 et L. 446-15 du Code de l’énergie ;
  • les dispositifs de soutien à la production d’électricité à partir de biogaz dont la procédure de mise en concurrence est lancée en application de l’article L. 311-10 du Code de l’énergie, en vertu de l’article 89 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

Ainsi, les dispositifs de soutien à la production de biogaz ne prendront plus en compte le bilan carbone des projets de production parmi leurs critères d’éligibilité ou de notation.

La suppression de cet article permet donc de limiter la charge administrative des candidats aux procédures de mise en concurrence mentionnées aux articles L. 311-10, L. 446-5, L.446-14 et L. 446-15 du Code de l’énergie lors de la constitution de dossier de candidature.

Elle permet également d’alléger la charge d’instruction de ces dossiers par les services de la Commission de Régulation de l’Energie, qui n’aura plus besoin d’analyser le bilan carbone fourni dans les dossiers.

Il doit être relevé que cette disposition était, selon l’étude d’impact, redondante avec les obligations relatives à la durabilité et les exigences de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) des installations de production de biogaz mentionnées aux articles L. 281-5 et L. 281-6 du Code de l’énergie. En effet, en vertu des articles L. 283-1 et suivants du même Code, elles doivent d’ores et déjà justifier du respect des exigences de réduction d’émissions de GES.

Dans son avis n° 408246 rendu le 22 avril 2024, le Conseil d’Etat a relevé que cette obligation d’un bilan carbone demeure néanmoins nécessaire pour les projets de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et d’hydrogène, conformément aux articles L. 314-1 A et L. 812-3 du Code de l’énergie.

Le projet de loi doit être examiné, en procédure accélérée, par le Sénat en séance publique les 3, 4, 5, ainsi qu’éventuellement les 6 et 11 juin 2024.

La révision de la directive de l’Union européenne sur la performance énergétique des bâtiments entérinée en trilogue

Le 12 avril 2024, les Etats membres ont entériné l’accord conclu en trilogue avec le Parlement européen sur la révision de la directive 2010/31/UE performance énergétique des bâtiments (EPBD, en anglais) dans le cadre d’une réunion des ministres de l’Économie et des Finances.

Cette révision est l’une des mesures du paquet législatif « ajustement à l’objectif 55 » qui vise à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

Plus particulièrement, l’objectif de cette refonte est de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la consommation d’énergie dans le secteur du bâtiment d’ici 2030, et à le rendre climatiquement neutre d’ici 2050.

En effet, les bâtiments de l’Union européenne, dont 75 % sont inefficaces sur le plan énergétique, représentent 40 % de la consommation énergétique finale de l’Union et 36 % des émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie.

Afin d’atteindre les objectifs précités, la directive prévoit que chaque État membre doit établir un plan national de rénovation des bâtiments pour garantir la rénovation du parc national de bâtiments résidentiels et non résidentiels, tant publics que privés, en vue de la constitution d’un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici à 2050, en vue de transformer les bâtiments existants en bâtiments à émissions nulles. A ce titre, la Commission évaluera les projets de plans nationaux de rénovation des bâtiments, soumis tous les 5 ans, et adressera des recommandations aux Etats (article 3).

Surtout, la directive établit un dispositif visant à engager les Etats membres dans l’augmentation de la performance énergétique des bâtiments.

A cette fin, la directive retient que la performance énergétique des bâtiments est calculée sur la base d’une méthode, pouvant être différenciée d’un pays et d’une région à l’autre, sous réserve de respecter le cadre général commun établi à l’annexe 1 de la directive (article 4).

Par la suite, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir que des exigences minimales de performance énergétique des bâtiments ou des unités de bâtiment soient fixées en vue de parvenir au moins à des niveaux optimaux (de performance) en fonction des coûts et, le cas échéant, à des valeurs de référence plus strictes – telles que les exigences relatives aux bâtiments dont la consommation d’énergie est quasi nulle et aux bâtiments à émissions nulles (article 5). Lorsqu’ils fixent ces exigences, les États membres peuvent faire une distinction entre bâtiments neufs et bâtiments existants et entre différentes catégories de bâtiments.

Toutefois, en application de l’article 6 de la directive, si les Etats fixent les exigences minimales, la Commission établira un cadre méthodologique comparatif (annexe VII de la directive) pour calculer les niveaux optimaux en fonction des coûts des exigences minimales de performance énergétique. Ces niveaux devront être conformes aux trajectoires nationales définies dans les plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat. Ils seront distincts entre les bâtiments neufs et les bâtiments existants et entre différentes catégories de bâtiments.

Ainsi, les États membres devront utiliser ce cadre pour calculer les niveaux optimaux en fonction des coûts des exigences minimales de performance énergétique, puis comparer les résultats de ce calcul aux exigences minimales de performance énergétique qu’ils ont adoptées.

Si le résultat de la comparaison ainsi effectuée montre que les exigences minimales de performance énergétique en vigueur dans un État membre ont une efficacité énergétique inférieure de plus de 15 % aux niveaux optimaux en fonction des coûts des exigences minimales de performance énergétique, l’État membre concerné devra adapter les exigences minimales de performance énergétique en vigueur dans les vingt-quatre mois suivant la disponibilité des résultats de cette comparaison.

Plus particulièrement en ce qui concerne les objectifs à atteindre, il ressort de l’article 7 que les bâtiments neufs construits à compter du 1er janvier 2030 devront être à émission nulle[1]. Cette date est avancée au 1er janvier 2028 pour les bâtiments neufs appartenant à des organismes publics.

De même, conformément à l’article 8 de la directive, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir que, lorsque des bâtiments font l’objet d’une rénovation importante, la performance énergétique du bâtiment ou de sa partie rénovée soit améliorée de manière à pouvoir satisfaire aux exigences minimales de performance énergétique fixées dans la mesure où cela est techniquement, fonctionnellement et économiquement réalisable.

S’agissant des bâtiments non résidentiels, l’article 9 de la directive prévoit que les États membres établissent des normes minimales de performance énergétique des bâtiments non résidentiels qui garantissent au minimum que ces bâtiments ne dépassent pas le seuil maximal pour la performance énergétique, que chaque Etat définit comme le seuil à partir duquel 16 % de son parc immobilier non résidentiel national se trouve au-dessus de ce seuil en 2030, puis 26 % en 2033.

S’agissant du parc immobilier résidentiel, l’article 9 de la directive oblige les Etats membres à établir une trajectoire nationale de rénovation conforme aux objectifs 2030, 2040 et 2050 figurant dans le plan national de rénovation des bâtiments de l’État membre et à la transformation du parc immobilier national en un parc immobilier à émissions nulles à l’horizon 2050.

Les États membres veillent à ce que la consommation moyenne d’énergie primaire en kWh/(m².an) pour l’ensemble du parc immobilier résidentiel diminue d’au moins 16 % par rapport à 2020 d’ici à 2030 ; d’au moins 20 à 22 % par rapport à 2020 d’ici à 2035 ; et enfin d’ici à 2040, et tous les cinq ans par la suite, que cette consommation soit équivalente ou inférieure à la valeur déterminée au niveau national établie sur la base d’une diminution progressive de la consommation moyenne d’énergie primaire de 2030 à 2050, conformément à la transformation du parc immobilier résidentiel en un parc immobilier à émissions nulles.

Les États membres veillent à ce qu’au moins 55 % de la diminution de la consommation moyenne d’énergie primaire visée au troisième alinéa, soit obtenue grâce à la rénovation de 43 % des bâtiments résidentiels les moins performants (article 9). A cette fin, outre des normes minimales de performance énergétique, ils doivent mettre en place une assistance technique (guichets uniques) et des mesures de soutien financier notamment en faveur des ménages vulnérables.

Par ailleurs et conformément à l’article 10 de la directive, les États membres devront progressivement déployer des installations d’énergie solaire appropriées, si elles conviennent techniquement et sont économiquement et fonctionnellement réalisables, dans les bâtiments publics et non résidentiels, en fonction de leur taille, et d’ici 2030 dans tous les nouveaux bâtiments résidentiels neufs et tous les parcs de stationnement couverts neufs qui jouxtent un bâtiment. Il en ira notamment ainsi de tous les bâtiments publics existants dont la surface de plancher utile est supérieure à 2 000 m2 au plus tard le 31 décembre 2027, à 750 m2 au plus tard le 31 décembre 2028, et à 250 m2 au plus tard le 31 décembre 2030.

La directive rappelle également que les bâtiments occupés par des organismes publics et les bâtiments très fréquentés par le public devraient donner l’exemple en montrant que les préoccupations d’ordre environnemental et énergétique sont prises en compte et, par conséquent, ces bâtiments devraient être soumis régulièrement à un processus de certification en matière de performance énergétique.

Enfin et conformément à l’article 17 de la directive, les Etats membres ne devront plus fournir d’incitation financière à l’installation de chaudières autonomes utilisant des combustibles fossiles à compter du 1er janvier 2025. Ils pourront cependant adopter de nouvelles incitations et de nouveaux financements visant à encourager l’abandon des systèmes de chauffage et de refroidissement à combustibles fossiles au profit de systèmes hybrides utilisant une part considérable d’énergies renouvelables, tels que la combinaison d’une chaudière avec le solaire thermique ou avec une pompe à chaleur (article 13).

La directive sera publiée au plus tard en septembre 2024 au Journal officiel de l’Union européenne. Les États membres devront ensuite la transposer dans leur droit national dans un délai de deux ans.

Au regard du caractère d’ores et déjà contraignant de la réglementation française en matière de performance énergétique des bâtiments, cette directive ne devrait toutefois avoir que peu d’impact sur cette dernière.

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[1] Les bâtiments à émissions nulles présentent une demande énergétique très faible, ne génèrent sur place aucune émission de carbone provenant de combustibles fossiles et ne produisent aucune émission opérationnelle de gaz à effet de serre ou seulement de très faibles émissions.

Indemnisation des catastrophes naturelles : précisions sur les modalités d’instruction des demandes des communes

Une nouvelle circulaire, publiée le 6 mai 2024, porte sur la mise en œuvre d’une succession de mesures visant à remédier aux conséquences de certaines catastrophes naturelles. Elle fait suite à un décret n° 2024-82 du 5 février 2024, lui-même pris en application de l’ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.

La circulaire a plus particulièrement pour objet d’adapter « les modalités d’instruction des demandes communales de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle » dont les services préfectoraux sont saisis.

En ce sens, elle a principalement pour objet de :

  • préciser la possibilité d’avoir recours à la garantie catastrophe naturelle, à la fois dans sa procédure, son objet et dans son champ d’application ;
  • présenter les étapes successives de l’instruction des demandes de reconnaissance CatNat (du dépôt par les communes à la publication au Journal officiel de l’arrêté interministériel en passant par l’instruction des demandes les services préfectoraux) ;
  • toujours en matière d’instruction, de détailler le contrôle, par les préfectures, des demandes communales ainsi que la constitution des dossiers présentés ensuite à la Commission interministérielle ;
  • énoncer les conditions de mise en œuvre de la procédure accélérée, en cas de phénomène naturel d’ampleur exceptionnelle ;
  • Énumérer « les critères utilisés par les autorités ministérielles pour caractériser l’origine et l’intensité des phénomènes naturels susceptibles de donner lieu à une décision de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle» ;
  • clarifier les conditions de communication « des documents administratifs produits dans le cadre de la procédure» ;
  • indiquer dans quelles conditions seront examinés les recours administratifs et contentieux déposés contre les arrêtés portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ;
  • établir les modalités pratiques en cas de réexamen des demandes des communes.

Le texte donne également des orientations aux services préfectoraux en ce qui concerne « le traitement des demandes communales de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ». Dans le cadre de l’analyse de la recevabilité des demandes, une analyse critique des dossiers reçus doit être menée et un dialogue avec les municipalités doit être instauré « lorsque la garantie catastrophe naturelle ne s’avère pas être le dispositif d’indemnisation adapté à la situation de la collectivité ». Le cas échéant, la commune et les sinistrés sont aiguillés vers les dispositifs adaptés.

Au terme de la procédure, les services préfectoraux « [informent] les communes de la publication des arrêtés portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle les concernant ainsi que des modalités d’accès aux documents administratifs, notamment aux rapports d’expertise, utilisés pour se prononcer sur leur situation ».

Consultation publique du projet du décret visant à modifier les modalités de mise à disposition du public des projets de plans de prévention du bruit dans l’environnement

Actuellement en consultation publique (jusqu’au 30 mai 2024), un projet de décret prévoit de modifier l’article R. 572-9 du Code de l’environnement qui encadre les modalités de mise à disposition du public des projets de plans de prévention du bruit dans l’environnement. Ils concernent les infrastructures routières, autoroutières, ferroviaires ainsi que les agglomérations de plus de 100.000 habitants et doivent être renouvelés tous les cinq ans.

Cette modification s’inscrit dans une démarche de simplification et d’accélération du processus d’élaboration de ces plans de prévention, alors que la France est visée par un avis motivé de la Commission européenne depuis le 28 septembre 2023. Leur approbation par « plus de 500 autorités compétentes (préfets de départements et collectivités territoriales) » doit intervenir avant le 18 juillet 2024, au titre de la quatrième échéance de la directive 2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 relative à l’évaluation et à la gestion du bruit dans l’environnement.

Le projet de décret prévoit ainsi que, d’une part, le projet de plan soit mis à disposition du public pendant « une durée qui ne peut être inférieure à vingt-et-un jours » contre deux mois à l’heure actuelle. D’autre part, il supprime l’obligation de publier un avis par voie de publication locale tout en conservant l’information du public « par un avis mis en ligne ainsi que par un affichage en mairie ou sur les lieux concernés ».

Directive-cadre relative aux déchets : ouverture d’une procédure d’infraction à l’encontre de la France

Directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

Ce 24 avril 2024, la Commission européenne a annoncé avoir adressé à la France une lettre de mise en demeure lui demandant de « transposer correctement la directive-cadre relative aux déchets [directive 2008/98/CE relative aux déchets telle que modifiée par la directive (UE) 2018/851] ». Prévue à l’article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), cette première étape de la procédure d’infraction du droit de l’Union s’apparente à une demande d’information.

Cette directive participe notamment à la transition vers une économie circulaire et « fixe des objectifs contraignants en matière de recyclage et de préparation des déchets municipaux en vue de leur réemploi. Elle introduit également des exigences imposant aux États membres d’améliorer leurs systèmes de gestion des déchets et l’efficacité de l’utilisation des ressources ».

Selon la Commission, la France – ainsi que neuf autres États membres – n’a pas correctement transposé certaines dispositions de la directive modifiée, alors qu’elle avait jusqu’au 5 juillet 2020 pour le faire. La Commission considère que les manquements portent sur la méthodologie choisie pour mesurer les déchets alimentaires, sur les « mesures relatives à la collecte séparée des déchets et à l’incinération des déchets collectés séparément » ainsi que sur certaines définitions.

La France dispose désormais d’un délai de deux mois pour apporter les réponses adéquates, sans quoi « la Commission pourrait décider d’émettre un avis motivé ». En d’autres termes, la France devrait, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires afin de se conformer « formellement » au droit de l’Union.

Modification des règles contentieuses applicables aux ouvrages hydrauliques agricoles et aux installations d’élevage

Les règles du contentieux administratif portant sur les ouvrages hydrauliques agricoles et les installations d’élevage ont récemment été modifiées par un décret n° 2024-423 du 10 mai 2024.

En premier lieu, deux nouveaux articles sont introduits au sein du Code de justice administrative.

D’une part, l’article R. 811-1-3 dispose que « le tribunal administratif de Paris est compétent en premier et dernier ressort pour connaître des litiges relatifs aux projets mentionnés au II pour ce qui concerne les décisions mentionnées au III ».

Les projets ainsi évoqués sont ceux qui, poursuivant à titre principal une finalité agricole, que ce soit culturale, sylvicole, aquacole ou d’élevage, nécessitent des installations, ouvrages, travaux ou activités relevant des rubriques de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du Code de l’environnement suivantes :

  • 1.2.0 (Sondage, forage, y compris les essais de pompage, création de puits ou d’ouvrage souterrain, non destiné à un usage domestique),
  • 2.1.0 (Prélèvements permanents ou temporaires issus d’un forage, puits ou ouvrage souterrain dans un système aquifère, à l’exclusion de nappes d’accompagnement de cours d’eau, par pompage, drainage, dérivation ou tout autre procédé),
  • 2.2.0 (Sauf exception, prélèvements et installations et ouvrages permettant le prélèvement, dans un cours d’eau, sa nappe d’accompagnement ou un plan d’eau ou canal alimenté par ce cours d’eau ou cette nappe, lorsque le débit du cours d’eau en période d’étiage résulte, pour plus de moitié, d’une réalimentation artificielle),
  • 3.1.0 (Sauf exception, ouvrages, installations, travaux permettant un prélèvement total d’eau dans une zone où des mesures permanentes de répartition quantitative instituées, notamment au titre de l’article L. 211-2, ont prévu l’abaissement des seuils),
  • 2.3.0 (Plans d’eau, permanents ou non dont la superficie est supérieure à 0,1 ha)
  • 2.5.0 (Barrage de retenue et ouvrages assimilés relevant des critères de classement prévus par l’article R. 214-112)

Quant aux décisions susmentionnées, il s’agit de décisions individuelles dont l’article dresse la liste (autorisation environnementale, dérogation espèces protégées, absence d’opposition au titre du régime d’évaluation des incidences Natura 2000, récépissé de déclaration ou l’enregistrement d’installations ICPE…)

D’autre part, l’article R. 811-1-4 encadre la compétence des tribunaux administratifs pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs aux projets qui nécessitent une installation d’élevage relevant des rubriques de la nomenclature prévue par l’article R. 511-9 du Code de l’environnement suivantes :

  • 2101(activité d’élevage, transit, vente, etc. de bovins),
  • 2102 (élevage, vente, transit etc. de porcs),
  • 2110 (élevage, vente, transit etc. de lapins),
  • 2111 (activité d’élevage, vente, etc. de volailles, gibier à plume à l’exclusion d’activités spécifiques visées à d’autres rubriques),
  • 2112 (couvoirs),
  • 2130 (pisciculture),
  • 3660 (élevage intensif).

L’article s’applique aux mêmes décisions individuelles énoncées à l’article R. 811-13 du CJA.

En deuxième lieu, le texte crée un nouveau chapitre XV au sein du titre VII du livre VII du Code de justice administrative, intitulé « Le contentieux de certaines décisions en matière agricole ». Les nouveaux articles R. 77-15-1 et R. 77-15-2 précisent les modalités de recours des tiers intéressés dans le cadre des litiges énoncés aux nouveaux articles R. 811-1-3 et R. 811-1-4 précités.

Ainsi, et à peine d’irrecevabilité, l’auteur du recours doit le notifier à l’auteur ainsi qu’au bénéficiaire de la décision ; dans les mêmes conditions que pour les demandes tendant à l’annulation ou la réformation d’une décision juridictionnelle concernant un tel litige. Et afin de profiter de la prorogation du délai de recours contentieux offerte par un recours administratif (gracieux et hiérarchique), la notification au bénéficiaire de la décision doit également être réalisée.

La notification, adressée dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du recours contentieux ou de la date d’envoi du recours administratif, est réputée accomplie à la date d’envoi de la lettre recommandée avec avis de réception.

Le cas échéant, l’affichage ou la publication de la décision contestée « mentionnent l’obligation de notifier tout recours administratif ou contentieux à l’auteur de la décision et au bénéficiaire de la décision, à peine, selon le cas, de non-prorogation du délai de recours contentieux ou d’irrecevabilité du recours contentieux ».

L’article R. 77-15-1 précise que ces dispositions « sont applicables à une décision refusant de retirer ou d’abroger une décision mentionnée aux articles R. 811-1-3 ou R. 811-1-4 ». Cette décision de refus doit également mentionner l’obligation de notifier tout recours administratif ou contentieux à l’auteur et au bénéficiaire de la décision.

Enfin, le nouvel article R. 77-15-2 indique que le juge dispose d’un délai de dix mois pour statuer.

En troisième lieu, la modification des articles R. 181-50 (autorisation environnementale) et R. 514-3-1 (IOTA et ICPE) du Code de l’environnement instaure un nouveau délai de recours contentieux de deux mois pour les tiers intéressés, contre quatre mois jusqu’alors.

Par ailleurs, toutes ces nouvelles dispositions s’appliqueront « aux décisions administratives prises à compter du 1er septembre 2024 ».

En dernier lieu, notons que le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture prévoit également l’introduction de dispositions relatives au contentieux de certaines décisions agricoles au sein du Code de justice administrative, mais pour la partie législative cette fois (voir le focus du mois de mai).

Promulgation de la loi visant à protéger le groupe EDF d’un démembrement

Près d’un an et demi après le dépôt de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, la loi visant à protéger le groupe EDF d’un démembrement est parue au Journal officiel du 12 avril 2024.

On s’en rappelle, à l’origine cette proposition de loi avait pour objectif de faire barrage au retour du projet Hercule et donc à la scission des activités du groupe EDF favorisant leurs financements notamment par des investissements extérieurs (voir en ce sens notre brève sur les implications juridiques du projet Hercule).

En effet, dans un contexte de crise, notamment dû à la guerre en Ukraine, l’heure était alors à la souveraineté énergétique.

Ainsi, en sa version initiale, la proposition de loi allait jusqu’à préciser l’ensemble des activités de la société EDF pour assurer leur unité et leur nationalisation complète.

Cette mention a été supprimée du texte définitif, dont le contenu a d’ailleurs fortement évolué au cours des trois lectures dont il a fait l’objet à l’Assemblée nationale et au Sénat.

En substance celui-ci :

  • Modifie l’article L. 111-67 du Code de l’énergie pour venir préciser qu’EDF est une société anonyme d’intérêt national, détenue (non plus à 70% comme cela figurait dans la version anciennement en vigueur de l’article) mais à 100 % par l’Etat. La loi prend ainsi acte de la détention étatique des capitaux de la société, effective depuis juin 2023 à la suite d’une offre publique d’achat (commentée lors de son dépôt dans notre lettre d’actualité juridique). Le texte précise à ce titre que « la part de la détention par l’État est, le cas échéant, minorée, dans des proportions inférieures à une limite fixée par décret, par le capital détenu par les salariés de l’entreprise et par les anciens salariés adhérents du plan d’épargne groupe de l’entreprise».
  • Prévoit au même article la conclusion avec l’Etat d’un contrat décennal déterminant « les objectifs assignés à l’entreprise en matière de trajectoire financière, d’investissements, de décarbonation de la production d’électricité, de maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que d’adaptation des capacités de production à l’évolution de la demande d’électricité». EDF rendra compte annuellement de la mise en œuvre de ce contrat dans un rapport d’activité adressé au Parlement ainsi qu’à la CRE.
  • Etend par ailleurs et à compter du 1er février 2025 les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVe) à l’ensemble des consommateurs finals domestiques, ou non domestiques (c’est-à-dire TPE ou petites communes) sans considération de la puissance électrique du compteur. Jusqu’à cette date, ils seront réservés pour ces catégories aux sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (article 337-7 du Code de l’énergie).

Dispense d’évaluation environnementale pour le raccordement au réseau public de transport d’électricité : parution du décret d’application de l’article 27 de la loi APER

Le décret d’application du III. de l’article 27 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER, a été publié au Journal officiel du 30 mars 2024.

Pour rappel, l’article 27 de la loi APER précité a instauré une dispense d’étude d’impact environnemental pour les projets de création ou de modification d’ouvrages du réseau public de transport d’électricité lorsque ceux-ci ont pour objet le raccordement de projets se rapportant :

  • aux installations de production ou de stockage d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone ;
  • aux opérations de modifications d’installations industrielles ayant pour objectif le remplacement de combustibles fossiles pour la production d’énergie, l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la diminution significative des émissions de gaz à effet de serre.

Aux termes du III. de l’article précité, la dispense d’étude d’impact environnemental ne peut être accordée que pour le raccordement d’installations situées sur des sites dont la liste est fixée par décret.

Le décret du 29 mars 2024 ici commenté fixe la liste des sites visés par l’article 27 de la loi APER précité.

Gaz : actualités réglementaires relatives à l’autoconsommation collective étendue de gaz renouvelable, aux garanties d’origine et à l’hydrogène

Décret n° 2024-289 du 29 mars 2024 relatif à l’autoconsommation collective étendue de gaz dans les habitations à loyer modéré et portant diverses dispositions relatives aux gaz renouvelables et bas-carbone

Arrêté du 29 mars 2024 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue de gaz

Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a publié une série de textes réglementaires relatifs au gaz renouvelable et plus particulièrement à l’autoconsommation collective étendue de gaz renouvelable et aux garanties d’origine de gaz renouvelable et d’hydrogène.

En premier lieu, le cadre légal de l’autoconsommation collective en gaz renouvelable a été consacré par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

La volonté du législateur était de calquer le régime de l’autoconsommation collective d’électricité sur la production et la consommation de gaz renouvelable. En codifiant les articles L. 448-1 à L. 448-8 dans le Code de l’énergie, l’article 100 de la loi APER précitée a partiellement reproduit les dispositions des articles L. 315-2 et suivants dudit Code, relatives à l’autoconsommation collective en électricité.

Partiellement, car la lecture de ces nouvelles dispositions permet de comprendre que seule l’autoconsommation collective étendue a été consacrée par le législateur. Les articles relatifs à l’autoconsommation collective simple, à l’autoconsommation individuelle, et par suite, au tiers investissement, n’ont pas d’équivalent en matière de gaz renouvelable. Notons par ailleurs que l’autoconsommation collective patrimoniale n’a toujours pas de cadre juridique, tant pour l’électricité que pour le gaz renouvelable.

On retiendra toutefois de ce nouveau cadre légal que les opérations d’autoconsommation collective de gaz :

  • ne peuvent concerner que le gaz renouvelable, autrement dit, les gaz produits à partir d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211-1 du Code de l’énergie (article L. 448-1 du Code de l’énergie) ;
  • doivent nécessairement comporter au moins un producteur et au moins un consommateur, ce qui exclut de fait les opérations d’autoconsommation collective patrimoniale, sauf à ce que les gestionnaires de réseau public de distribution de gaz renouvelable fassent preuve de tolérance, tout comme le font les gestionnaires de réseau public de distribution d’électricité ;
  • doivent être portées par une personne morale organisatrice, réunissant en son sein les participants, qui doivent par ailleurs être reliés au réseau public de distribution publique de gaz et respecter un critère de proximité géographique.

Par la publication de trois textes, le ministre de l’Économie est venu poser le cadre réglementaire applicable à l’autoconsommation collective étendue de gaz renouvelable.

De première part, le décret n° 2024-289 du 29 mars 2024 a précisé les obligations des participants aux opérations d’autoconsommation collective étendue en gaz renouvelable en codifiant les articles D. 448-1 à D. 448-8 dans la section 1 du chapitre VIII du titre IV du livre IV de la partie réglementaire du Code de l’énergie relative à l’autoconsommation de gaz.

Aux termes de l’article D. 448-2 du Code de l’énergie, les participants à l’opération d’autoconsommation collective devront répondre à plusieurs obligations :

  • être raccordés à un réseau public de distribution de gaz naturel exploité par un unique gestionnaire de réseau de distribution ;
  • déclarer l’opération d’autoconsommation collective étendue au gestionnaire du réseau public de distribution de gaz nature ;
  • les consommateurs devront choisir un fournisseur de gaz au sens des articles L. 443-1 et suivants du Code de l’énergie pour le complément de fourniture d’une part et pour que ce dernier assume les obligations classiques des fournisseurs de gaz (responsabilité d’équilibre, mécanisme de capacité, etc…).

En outre, les consommateurs devront être équipés de systèmes de comptage évolués (par renvoi aux articles D. 452-1-1 renvoyant à l’article L. 453-7 qui fait référence aux systèmes de comptage évolués, qui selon la CRE recouvrent Linky et Gazpar).

Par ailleurs, le décret a précisé les missions qui seront confiées à la personne morale organisatrice de l’opération (ci-après, PMO). La PMO devra notamment indiquer au gestionnaire du réseau public auquel sont raccordés les participants la clé de répartition pour chaque pas de mesure, étant précisé que la clé de répartition est libre et qu’à défaut elle sera fixée au prorata de leur consommation, dans la limite de leur quantité de gaz consommée.

Enfin, aux termes de l’article D. 348-8 du Code de l’énergie, le contrat liant la personne morale organisatrice et le gestionnaire du réseau de distribution de gaz auquel sont raccordés les participants devra comporter :

  • les noms des producteurs et consommateurs participant à l’opération d’autoconsommation collective étendue et leurs points d’injection et de livraison ;
  • les modalités de gestion, les engagements et responsabilités réciproques des deux parties pendant toute la durée de l’opération ;
  • les coefficients mentionnés à l’article D. 448-5 ou, le cas échéant, leur méthode de calcul, ainsi que leurs modalités de transmission ;
  • pour chaque consommateur participant à l’opération, le fournisseur de gaz naturel assurant le complément de fourniture ;
  • le cas échéant, pour chaque producteur participant à l’opération, la mention de la conclusion d’un contrat avec un fournisseur de gaz naturel pour le gaz renouvelable produit, injecté et non consommé dans le cadre de l’opération.

De deuxième part, le décret n° 2024-288 du 29 mars 2024 relatif à l’autoconsommation collective étendue de gaz dans les habitations à loyer modéré et portant diverses dispositions relatives aux gaz renouvelables et bas-carbone a complété la section relative à l’autoconsommation collective en de gaz à l’initiative d’un organisme d’habitations à loyer modéré en codifiant les articles R. 448-9 à R. 448-13 du Code de l’énergie.

Les dispositions codifiées sont largement similaires à celles prévues pour l’autoconsommation collective d’électricité par les organismes d’HLM.

Ainsi le bailleur doit informer ses locataires lorsque l’opération d’autoconsommation est au stade du projet. Ces derniers peuvent refuser d’y participer et les nouveaux locataires doivent être informés de l’existence de l’opération et peuvent également refuser d’y participer.

Les nouveaux articles précisent les conditions d’information, de participation ou de refus de participation à l’opération.

De troisième part, l’arrêté du 29 mars 2024 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue de gaz a terminé de compléter le cadre réglementaire.

Ainsi, la distance maximale entre deux participants à l’opération est par principe de deux kilomètres mais peut être étendue :

  • à dix kilomètres lorsque l’ensemble des producteurs et consommateurs sont situés exclusivement sur une ou plusieurs communes rurales ou périurbaines ;
  • à vingt kilomètres lorsque l’ensemble des producteurs et consommateurs sont situés exclusivement sur une ou plusieurs communes rurales.

Etant précisé par l’arrêté que les communes dites rurales sont celles qualifiées par l’INSEE de « bourgs ruraux », « rural à habitat dispersé » et « rural à habitat très dispersé ».

Enfin, la somme de la production annuelle des producteurs participant à l’opération d’autoconsommation ne peut pas dépasser 25 GWh.

En deuxième lieu, le décret n° 2024-289 du 29 mars 2024 a également porté codification de dispositions relatives aux garanties d’origine de gaz renouvelable et d’hydrogène. Le décret précise les modalités de désignation des gestionnaires des registres des garanties d’origine de gaz renouvelable et d’hydrogène prévus respectivement aux articles L. 445-4 et L. 823-1 du Code de l’énergie.

Aux termes des nouveaux articles D. 445-1 et D. 823-1 du Code de l’énergie, les gestionnaires des registres sont désignés pour une période de cinq ans après une procédure de mise en concurrence.

Leur mission recouvre l’émission, le transfert et l’annulation des garanties d’origine de gaz renouvelable et des garanties d’origine d’hydrogène.

Le décret précise le contenu minimum des cahiers des charges des procédures de mise en concurrence pour la désignation des gestionnaires des registres. Les cahiers des charges devront comporter notamment :

  • la description de l’objet de la mise en concurrence ainsi que la période sur laquelle porte cet objet ;
  • la liste exhaustive des critères d’appréciation des dossiers de candidatures dont notamment :
    • l’indépendance du candidat par rapport aux activités de production, de commercialisation ou de fourniture de gaz naturel ou de gaz renouvelable ;
    • les capacités technique et financière du candidat, notamment son aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers ;
  • la liste exhaustive des critères de notation des offres ainsi que leur pondération ;
  • la définition de la structure des tarifs qui seront facturés aux usagers ;
  • la liste exhaustive des indications et des pièces à produire par les candidats ;
  • la date et l’heure limite de dépôt des dossiers de candidature ;
  • l’adresse électronique à laquelle le candidat fait parvenir son dossier de candidature à l’appel à concurrence.

Par ailleurs, les nouveaux articles D. 445-2 et D. 823-2 du Code de l’énergie prévoient que le ministre chargé de l’énergie adresse un avis d’appel public à la concurrence à l’Office des publications de l’Union européenne en vue de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

En troisième et dernier lieu, le décret n° 2024-288 du 29 mars 2024 porte codification de dispositions d’application des lois n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables.

Aux termes du nouvel article R. 446-131 du Code de l’énergie, les installations de production de biogaz visées à l’article L. 446-57 dont la demande liée à la réglementation des ICPE doit être transmise pour information au maire de la commune d’implantation du projet sont les installations :

  • de méthanisation relevant de la rubrique 2781 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement ;
  • de gazéification de biomasse relevant de la rubrique 3140 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement.

Par ailleurs, le portail national du biogaz mentionné à l’article L. 446-58 du Code de l’énergie est, aux termes de l’article R. 446-132, mis en œuvre par l’Agence de l’environnement et de la maitrise de la demande en énergie.

Enfin, le décret apporte les précisions nécessaires à l’application du V. de l’article 81 de la loi du 10 mars 2023 précitée aux termes duquel à titre expérimental et pour une durée de trois ans, les porteurs de projet d’installations de production et de stockage d’hydrogène renouvelable ou bas carbone bénéficient d’un référent unique pour les différentes autorisations administratives qu’ils doivent obtenir.

Aux termes de l’article 1er du décret, le référent est ainsi le sous-préfet désigné par le préfet de département, tel que visé à l’article L. 181-28-10 du Code de de l’environnement. Le référent est notamment chargé de conseiller les porteurs de projet avant le dépôt des demandes d’autorisation et de coordonner l’instruction de celles-ci par les services compétents.