Recours gracieux non obligatoires : faut-il prendre en compte la date d’envoi ou la date de réception pour vérifier le respect du délai de recours ?

Pour rappel, la jurisprudence a récemment évolué s’agissant de la date à prendre en compte pour le délai de recours contentieux. En effet, par une décision en date du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé que :

« 2. Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. » (CE, 13 mai 2024, n°466541, publié au Recueil).

Cette affaire concernait précisément le cas d’un appel interjeté par voie postale devant une juridiction de Paris par une personne habitant en Polynésie Française. Il s’en évince qu’il faut désormais prendre la date d’envoi par voie postale d’un recours contentieux à une juridiction pour apprécier le respect du délai de deux mois et non la date de réception par la juridiction. Mais qu’en est-il pour les recours gracieux ? D’abord, l’on rappelle que l’article L. 411-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dispose que :

« Toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. ».

Ensuite, l’article R. 421-1 du Code de justice administrative dispose que :

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ».

Toutefois, le principe découlant de la décision du Conseil d’Etat de mai 2024 précitée nous parait uniquement applicable aux recours contentieux et non aux recours gracieux, mais une distinction s’impose pour ces derniers. En effet, il convient de distinguer ici recours gracieux préalables obligatoires et recours gracieux non obligatoires. A ce titre, l’on relève que le rapporteur public de cette affaire, Monsieur Jean-François de Montgolfier, rappelle dans ses conclusions sous la décision du Conseil d’Etat du 13 mai 2024, la distinction entre recours gracieux obligatoire et recours non obligatoires, et qu’il tend, selon nous, vers une uniformisation de la règle quel que soit le recours :

« La complexité résulte en particulier de la coexistence de règles différentes pour les recours administratifs et pour les recours contentieux. Ainsi, le principe de la date d’envoi s’applique au recours administratif préalable obligatoire (27 juillet 2005, Mme H…, n° 271916, A ou 30 mars 2011, Association des parents d’élèves des collèges du canton de Saint-Lys, n° 344811, T). Au contraire, pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a conservé le délai de recours contentieux, vous jugez que c’est la date de sa réception qui s’applique (21 mars 2003, Préfet de police c/ Mme X P…, n° 240511, B ; 30 janvier 2019, MM…, n° 410603, B). ».

Cela étant dit, d’une part, à aucun moment le Conseil d’Etat n’indique expressément dans sa décision de mai 2024 qu’il étendrait ce principe aux recours gracieux, a fortiori les recours non obligatoires. D’autre part, si l’article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que :

« Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d’une administration peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d’un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux autorisés au titre de l’article L. 3 du code des postes et des communications électroniques faisant foi.
Ces dispositions ne sont pas applicables :

1° Aux procédures d’attribution des contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation ;

2° Aux procédures pour lesquelles la présence personnelle du demandeur est exigée en application d’une disposition particulière. ».

Cet article ne s’applique pas aux recours gracieux facultatifs mais seulement aux recours administratifs préalables obligatoires :

« 3. L’institution d’un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, vise à laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration. Pour autant, dès lors que le recours administratif obligatoire a été adressé à l’administration préalablement au dépôt de la demande contentieuse, la circonstance que cette dernière demande ait été présentée de façon prématurée, avant que l’autorité administrative ait statué sur le recours administratif, ne permet pas au juge administratif de la rejeter comme irrecevable si, à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif. Il appartient alors au juge administratif, statuant après que l’autorité compétente a définitivement arrêté sa position, de regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation de la décision, née de l’exercice du recours administratif préalable, qui s’y est substituée.

  1. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…, par deux lettres recommandées avec accusés de réception datées du 20 août 2020, a respectivement adressé un recours administratif préalable au président du conseil départemental de l’Essonne et un recours contentieux au tribunal administratif de Versailles. Le tribunal administratif, après avoir relevé que le recours administratif préalable, exigé par l’article L. 262-47 du code de l’action sociale et des familles, alors au demeurant qu’il n’est pas applicable aux litiges relatifs à l’attribution ou à la récupération de l’aide exceptionnelle de fin d’année, qui est une allocation versée au nom de l’Etat, avait été exercé par M. B… de telle sorte qu’il avait été reçu par le département de l’Essonne le mardi 1er septembre 2021 postérieurement à l’enregistrement de sa requête au greffe du tribunal le samedi 28 août 2021, a rejeté cette dernière comme manifestement irrecevable au motif qu’il n’avait pas formé de recours administratif préalablement à la saisine du juge. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de tenir compte, non de la date de réception par le département du recours administratif formé par M. B…, mais de sa date d’envoi, et au surplus, compte tenu de la date à laquelle il statuait, de regarder les conclusions de M. B… comme dirigées contre la décision implicite née du rejet de son recours administratif préalable, qui s’était substituée aux décisions initiales portant sur ses droits au revenu de solidarité active et sur l’indu de revenu de solidarité active, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. M. B… est, par suite, fondé à demander pour ce motif l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque.» (CE, 28 avril 2022, n° 450339 ; voir encore : CAA Bordeaux, 27 avril 2021, n° 19BX01273).

Selon nous, le recours gracieux doit être effectué dans le délai de deux mois à compter de la notification si la décision en litige contient les voies et délais de recours. L’intéressé devra donc veiller à ce que son recours gracieux soit réceptionné dans le délai de deux mois imparti et non simplement envoyé dans ce même délai. Pour un exemple :

« 4. D’autre part, il est constant que la décision du 6 juillet 2021 par laquelle le président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur a infligé la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois jours à M. A… lui a été notifiée le 20 juillet 2021, et que cette décision comportait la mention des voies et délais de recours. Pour rejeter la demande d’annulation de cette décision en raison de sa tardiveté, l’ordonnance attaquée relève que si un recours gracieux a été adressé par M. A… à son employeur, celui-ci a été réceptionné le 22 septembre 2021 seulement, soit au-delà du délai de deux mois qui lui était imparti à cette fin, lequel a expiré le 21 septembre 2021. Si, pour justifier de ce que ce recours gracieux a été réceptionné par l’administration avant le 21 septembre 2021, M. A… produit un rapport d’émission de télécopie du 20 septembre 2021 attaché au courrier du même jour tendant au retrait de la décision du 6 juillet 2021, un tel document ne peut à lui seul, eu égard aux conditions techniques dans lesquelles il est établi, apporter la preuve de la réception effective du recours de M. A… avant l’expiration du délai de deux mois, dont l’effectivité est expressément contestée par la région. Dans ces conditions, le recours gracieux réceptionné le 22 septembre 2021 n’a pu avoir aucun effet sur le délai de recours de deux mois, lequel a expiré le 21 septembre 2021. Par suite, la décision du 10 novembre 2021 par laquelle le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a rejeté ce recours n’a pu rouvrir un nouveau délai de deux mois au bénéfice de M. A…. Il suit de là que sa demande introduite le 7 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif de Marseille était tardive. » (CAA Marseille, 30 mars 2023, n° 22MA00413).

Plus encore, le centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’Etat, qui a commenté la décision de mai 2024, indique que si la distinction recours obligatoires ou recours gracieux n’a plus lieu d’être, il rappelle bien qu’elle n’a pas été formellement abandonnée par le Conseil d’Etat :

« S’agissant ensuite du délai imparti pour l’exercice d’un recours administratif préalable, il faut ici distinguer les recours obligatoires des recours gracieux ou hiérarchiques de droit commun. Le principe de la date d’envoi s’applique déjà aux recours administratifs préalables obligatoires (RAPO ; CE 27 juill. 2005, n° 271916, Houdelette, Lebon ; AJDA 2005. 2087), par application du CRPA. Quant aux recours administratifs de droit commun, ils sont soumis à la règle de la date de réception (CE 21 mars 2003, n° 240511, Préfet de police c/ Pan, Lebon T. ; AJDA 2003. 1345, concl. S. Austry). Cette spécificité, historiquement rattachée à celle des recours contentieux, n’a plus lieu d’être, même si ce précédent de 2003 n’a pas été formellement abandonné par la décision commentée. » (AJDA 2024, n°1381, Double date, par Alexis Goin et Louise, Cadin, maîtres des requêtes au Conseil d’Etat et responsables du centre de recherches et de diffusion juridiques).

Enfin, la doctrine semble également aller dans le sens de la date de réception et non d’envoi du recours gracieux, même si elle serait a priori en faveur d’une uniformité :

« On prendra garde néanmoins à ne pas confondre recours contentieux et recours administratif. En effet en ce qui concerne les recours gracieux ou hiérarchiques dirigés à l’encontre d’un acte administratif, la règle demeure en l’état antérieur : le délai n’est interrompu que par la réception par l’Administration de la lettre constituant ledit recours administratif (CE, 15 mars 1961, Baillot). Enfin, il faut souligner que la solution n’a pas vocation à affecter la grande majorité désormais des situations, à savoir celles où la saisine de la juridiction est opérée par l’application Télérecours. » (Lexis360, Délai de recours – revirement de jurisprudence : le délai de recours interrompu par l’envoi postal de la requête – Procédures n°7, juillet 2024. Comm 188, par Serge DEYGAS, Avocat).

Enfin, nous vous indiquons le commentaire récent d’un juge rapporteur public du Tribunal administratif de Melun, Manon Van Daele (Lexis360 Procédure contentieuse – Date d’envoi ou date de réception des recours administratifs non obligatoires : qu’en dit la jurisprudence aujourd’hui ?, dans La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 28, 15 juillet 2024, act.397), qui commente un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 1er juillet 2024, n° 21VE03465) qui étend la jurisprudence du Conseil d’Etat à tout recours gracieux même non obligatoire :

« 8. D’autre part, le délai de l’article R. 421-1 du code de justice administrative est un délai franc. S’il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. Et sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Ces principes sont également applicables aux recours administratifs non obligatoires.

  1. Il ressort des pièces du dossier que le recours gracieux du 29 mai 2018 par lequel M. A… a demandé le retrait des arrêtés litigieux, notifiés le 28 mars 2018, a été adressé par lettre recommandée et reçue par la commune le 30 mai 2018. A la date de l’expédition de ce recours gracieux le 29 mai 2018, le délai de recours contentieux, qui est un délai franc, n’était pas expiré. Ainsi, le recours gracieux du 29 mai 2018 a interrompu le délai de recours contentieux à l’encontre des arrêtés du 27 février 2018. » (CAA Versailles, 1er juillet 2024, n° 21VE03465).

Cet arrêt est donc postérieur à la décision du Conseil d’Etat précitée. Selon ce juge administratif : « un éventuel pourvoi dira si le Conseil d’État confirme cette extension retenue par les cours administratives d’appel de Douai et de Versailles ou s’il s’en tiendra à ses jurisprudences de mars 2003 et janvier 2019. » (source précitée). Nous sommes donc face à une jurisprudence mouvante. La position du Conseil d’Etat est susceptible d’évoluer soit explicitement par exemple dans le cadre d’un pourvoi en cassation en confirmant la position extensive de certains juges du fond, soit implicitement s’il laisse les juridictions du fond étendre l’application de sa nouvelle règle. Au contraire, l’on peut considérer que le fait pour le Conseil d’Etat de ne pas avoir établi un considérant de principe général dans sa décision de mai dernier signifie qu’il ne souhaite pas l’extension de ce principe au recours gracieux.

Les codes de bonnes pratiques pour les intelligences artificielles à usage général, un outil nécessaire à la mise en œuvre du récent règlement européen sur l’intelligence artificielle

La mise en œuvre de ces codes est prévue à l’article 56 « Codes de bonnes pratiques » du Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 dit « règlement sur l’intelligence artificielle » ou, en anglais, « IA Act » (ci-après le « règlement sur l’IA » ou le « règlement »), entré en vigueur le 1er août 2024 qui prévoit une application de ses dispositions de manière progressive au cours des trois prochaines années[1].

L’établissement de ces lignes directrices pour les modèles d’IA à usage général a été confié au Bureau de l’IA, avec le Comité IA, deux nouvelles instances de gouvernance mises en place par le nouveau règlement. Plus précisément, le Bureau de l’IA a été créé par décision de la Commission européenne pour améliorer les connaissances de l’UE en matière d’IA en développant des outils et/ou des méthodologies ou encore la coopération entre les différents acteurs concernés par ce règlement. Le Comité sur l’IA représente pour sa part l’avis de chaque Etat membre sur ces questions. Les codes ont pour objet de mettre en place un mode de conformité provisoire en attendant l’applicabilité pleine et entière des dispositions du règlement relatives à ces modèles d’IA particuliers.

Pour rappel,  sont définis par l’article 3 du règlement comme les modèles d’IA formés « à l’aide d’une grande quantité de données en utilisant l’auto-supervision à grande échelle qui présente une généralité significative et est capable d’exécuter de manière compétente un large éventail de tâches distinctes ». Cela concerne notamment les modèles d’IA génératives comme le célèbre ChatGPT, mais comprend en pratique de très nombreux systèmes. Dans cette optique, le Bureau de l’IA a lancé un appel à candidatures (qui a pris fin le 25 août dernier) pour former un groupement composé de fournisseurs de modèles d’IA à usage général (qui peuvent être, au sens du règlement IA, des « autorités publiques »), ainsi que des organisations de la société civile, des représentants des titulaires de droits d’auteur, des experts du monde universitaire ou indépendants, qui sera chargé de participer à l’élaboration des codes de bonnes pratiques.

L’objectif de ces codes,  prévus pour être publiés d’ici le 2 mai 2025, est de détailler les règles applicables aux fournisseurs de modèles d’IA à usage général afin que ces derniers puissent y recourir pour démontrer leur conformité. Plus particulièrement, quatre groupes de travail vont devoir œuvrer à leur rédaction, dont le premier portera sur la question épineuse des règles de transparence et de respect des droits d’auteur, avec notamment l’exigence de publication du résumé du contenu utilisé pour la formation des systèmes d’IA.

Ces codes devront ensuite être évalués par le Bureau de l’IA et le Comité de l’IA, puis approuvés par la Commission européenne. A défaut d’approbation, cette dernière établira des règles communes pour la mise en œuvre des obligations pertinentes. Bien qu’ayant une nature non contraignante, ce document, s’il est approuvé, sera précieux pour les acteurs publics qui mettent à disposition de leurs agents des systèmes d’IA à usage général afin d’anticiper au mieux leur conformité avec les dispositions du nouveau règlement.

 

[1] Article 113 du règlement sur l’IA

Le droit au bail du conjoint survivant n’ayant fait l’objet d’aucune renonciation expresse exclut tout transfert au profit des descendants

Par un arrêt rendu en date du 4 juillet 2024 et publié au Bulletin, la Cour de cassation a rappelé que, sauf renonciation expresse, le conjoint survivant cotitulaire d’un bail d’habitation bénéficie d’un droit exclusif sur le logement ayant servi à l’habitation commune des époux, excluant ainsi tout transfert du bail aux descendants.

En l’espèce, une société bailleresse du secteur social avait donné à bail un appartement à des époux, parents de deux enfants. Ces derniers se sont séparés et une ordonnance de non-conciliation rendue en 2013 a attribué le logement familial à l’épouse. Celle-ci étant décédée en 2016, l’époux qui ne demeurait plus dans les lieux depuis 2011 a signé un avenant au bail quelques jours après le décès pour le désigner comme restant seul titulaire du bail. Plusieurs suppléments de loyer de solidarité étant demeurés impayés par la suite, la société bailleresse a fait délivrer à l’époux un commandement de payer visant la clause résolutoire en 2018, puis l’a assigné quelques mois plus tard en expulsion et en paiement des arriérés.

Afin de s’opposer aux demandes de la société bailleresse, l’époux et ses enfants – intervenus volontairement dans la procédure – ont soutenu que les suppléments de loyer de solidarité n’auraient pas dû être appliqués en ce que l’époux n’avait jamais demandé à bénéficier du droit au bail et avait même envoyé une lettre en 2011 pour indiquer qu’il quittait le logement, tandis que les enfants avaient au contraire bénéficié d’un transfert du bail au décès de leur mère par application de l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Ainsi, à défaut d’avoir pris en compte les revenus des enfants pour déterminer si des suppléments de loyer de solidarité étaient réellement dus, la société bailleresse devait être déboutée de l’ensemble de ses demandes.

La Cour d’appel de Paris ayant accueilli cette argumentation, la société bailleresse s’est pourvue en cassation.

Relevant que l’époux n’avait ni délivré congé ni expressément renoncé au droit au bail dont il bénéficiait en vertu de l’article 1751 du Code civil, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en rappelant que le droit au bail était exclusif au conjoint survivant et ne pouvait entrer en concurrence avec aucun autre droit locatif, en ce compris le droit au transfert des descendants issu de l’article 14 de la loi précitée, confirmant ainsi un précédent arrêt rendu quelques années auparavant (Cass. Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-20.409). L’époux étant seul titulaire du droit au bail, seuls ses revenus devaient donc être pris en compte pour déterminer si des suppléments de loyer de solidarité étaient dus, ce qui fut fait par la société bailleresse.

Ainsi que l’écrivait La Fontaine dans sa fable du Rat et de l’Huître, tel est pris qui croyait prendre : l’époux ne pouvait tout à la fois signer un avenant reconnaissant qu’il était seul titulaire du bail au décès de son épouse et prétendre que ses enfants avaient bénéficié d’un transfert du droit au bail afin d’échapper au paiement de suppléments de loyer de solidarité.

Burkini : la saga estivale continue

TA Nice, ord., 20 août 2024, n° 2404567

La période estivale n’a pas échappé aux désormais habituels arrêtés municipaux interdisant la baignade et l’accès aux plages en fonction de critères vestimentaires. Sont directement concernés par ces interdictions les « burkinis », tenues qui permettent à certaines femmes de confession musulmane de se baigner dans le respect de leurs convictions religieuses[1]. Selon les cas, cette tenue est considérée par les édiles comme non-conforme aux bonnes mœurs, au principe de laïcité ou encore à l’hygiène et à la sécurité de la baignade.

En la matière, rappelons qu’aux termes du considérant de principe dégagé dans son ordonnance du 26 août 2016[2], le juge des référés du Conseil d’Etat a jugé que les mesures de police tendant à réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade – au rang desquelles figurent les arrêtés « anti-burkini » – « […] doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage ».

La Haute juridiction avait ainsi rappelé, comme il est de principe en matière de police administrative, que les restrictions que le maire apporte, en tant qu’autorité de police, aux libertés, doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

A noter qu’à la suite de cette ordonnance du Conseil d’État, plusieurs autres arrêtés municipaux ont été suspendus par les juges des référés des tribunaux administratifs, retenant l’absence de troubles à l’ordre public générés par les tenues prohibées[3]. Les 19 et 20 août derniers, ce sont les juges des référés des Tribunaux administratifs de Bastia (1) et de Nice (2) qui ont été amenés à se prononcer sur la légalité de telles interdictions.

1. Sans surprise et conformément à la jurisprudence constante sus-rappelée, l’interdiction du port du burkini sur la plage de Lecci, en Corse, a été suspendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia.

Dans cette affaire, le maire avait interdit, pour la période estivale, l’accès aux plages et la baignade à « toute personne n’ayant pas une tenue correcte respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ainsi que le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes ». Le juge des référés a d’abord relevé qu’il n’était pas établi que le port des tenues prohibées par l’arrêté litigieux ait été susceptible de troubler l’ordre public sur le territoire communal. En l’absence de tels risques, il a en outre estimé que le contexte de menace terroriste et le climat de tension international dont l’arrêté́ faisait état, ainsi que la circonstance, au demeurant inexacte, relative au maintien de l’état d’urgence, ne pouvaient suffire à justifier légalement l’interdiction prévue par l’arrêté litigieux. Enfin, les considérations tenant au respect des règles d’hygiène et de sécurité́, qui figuraient également dans l’arrêté du maire de Lecci, n’ont pas davantage emporté la conviction du juge des référés puisqu’il n’était pas établi que le port des tenues prohibées serait constitutif d’un risque pour l’hygiène ou la sécurité́ des usagers des plages et des baigneurs.

Dans ces conditions, dès lors que l’interdiction ne reposait ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public, ni sur des motifs d’hygiène ou de sécurité́ de la baignade, le juge des référés a considéré que l’arrêté querellé portait une atteinte grave et illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle. Il en a, ce faisant, ordonné la suspension.

2. A l’inverse, et de manière plus remarquée, la demande de suspension de l’arrêté du maire de Mandelieu-la-Napoule a été rejetée sans audience (au motif de son caractère manifestement infondé, en application de l’article L. 522-3 du CJA) par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice.

En l’occurrence, le maire a interdit, pour la période estivale, l’accès aux plages et la baignade à « toute personne ayant une tenue non respectueuse des règles de l’hygiène et de sécurité́ des baignades adaptées au domaine public maritime, à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraver ses mouvements lors de la baignade et de compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade et à toute personne dont la tenue est susceptible d’entrainer, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents ».

Saisi de cette interdiction, le juge des référés a considéré que celle-ci était justifiée, « dans le contexte actuel de cohabitation particulièrement tendue interreligieuse et intercommunautaire », par le risque de troubles à l’ordre public qu’est susceptible d’entraîner le port d’une tenue manifestant de manière ostentatoire la pratique d’un culte. C’est donc, selon les termes de l’ordonnance, « sans porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté́ de manifester ses convictions religieuses, ni commettre une discrimination à l’égard des femmes musulmanes, ni enfin, suggérer un quelconque lien entre le port du burkini et la menace terroriste » – répondant sur ce dernier point aux requérants, qui dénonçaient l’existence d’une stigmatisation résultant du lien direct que ferait l’arrêté́ entre le port du burkini et la menace terroriste –, que le maire a pu interdire l’accès aux plages et la baignade aux personnes vêtues de tenues regardées comme présentant un caractère religieux ostentatoire. Du point de vue des exigences en matière d’hygiène et de sécurité, le juge des référés a également retenu qu’en interdisant l’accès aux plages à toute personne dont la tenue est de nature à contrevenir à l’hygiène publique et à gêner les secours en cas de noyade, le maire n’a fait qu’user de manière adéquate et proportionnée de ses pouvoirs de police, sans porter une atteinte grave et manifestement illégale à aucune liberté fondamentale.

Cette ordonnance – rendue pour rappel sans audience – apparaît pour le moins surprenante dans la mesure où, en juillet 2023, le Conseil d’Etat avait déjà annulé une ordonnance similaire par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Nice avait refusé de suspendre l’exécution d’un arrêté pris en des termes identiques par le maire de Mandelieu-la-Napoule[4].

La Haute juridiction avait en effet considéré que les incidents de 2012 et de 2016 sur lesquels se fondait l’arrêté de 2023 – au demeurant repris par l’actuel arrêté de 2024 –, qui avaient eu lieu plusieurs années auparavant, n’étaient pas susceptibles de faire apparaître que l’interdiction de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse serait justifiée par des risques avérés de troubles à l’ordre public. Elle avait par ailleurs relevé que la commune n’apportait aucun élément relatif à un risque pour l’hygiène ou la sécurité des usagers de la plage et des baigneurs qui serait lié, par nature, au port de telles tenues, risque ici encore à nouveau repris par l’arrêté de 2024.

L’ordonnance rendue le 20 août dernier par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice, qui apparaît donc s’inscrire à rebours de la solution dégagée par le Conseil d’Etat en juillet 2023, n’a, pour l’heure, semble-t-il, pas été frappée d’appel devant la Haute juridiction – ce compte tenu, probablement, de la sortie de vigueur prochaine de l’arrêté litigieux, dont l’exécution prendra fin le 31 août prochain.

Il est néanmoins permis de gager que, selon toute vraisemblance, la Haute juridiction aurait été amenée à retenir la même solution qu’en 2023.

 

[1] Plus précisément, contraction des termes « burqa » et « bikini », il s’agit d’un vêtement composé de deux ou trois éléments et couvrant l’ensemble du corps de la femme, à l’exception du visage, des mains et des pieds (Défenseur des droits, décision n° 2018-303 du 27 décembre 2018 relative au refus d’accès d’un établissement de bain à une femme musulmane portant un burkini).

[2]  CE, ord., 26 août 2016, n° 402742.

[3] V. pour un exemple parmi d’autres : TA Toulon, ord., 30 août 2016, n° 1602545.

[4] CE, ord., 17 juillet 2023, n° 475636.

Réforme pénale : Extension de l’accès au dossier d’instruction

La loi n° 2023-1059 en date du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice – précisée par une Circulaire du 2 août 2024 – entrera en vigueur le 30 septembre 2024. Au programme de celle-ci, une avancée significative en matière d’accès au dossier d’information judiciaire, la réforme permettant désormais aux parties de se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier dès réception de la convocation en vue de leur première comparution ou audition de partie civile. Cet accès est même renforcé pour les parties civiles qui pourront solliciter une copie du dossier dès leur constitution de partie civile, quand bien même elles n’auraient pas été auditionnées. Notons toutefois que le juge d’instruction peut s’opposer à cette demande, par ordonnance motivée, susceptible d’appel devant le président de la chambre de l’instruction.

Cette modification de l’article 114 du Code de procédure pénale est d’autant plus opportune dans le contexte de l’annulation, par décision du Conseil d’Etat du 24 juillet dernier, des dispositions du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 autorisant les avocats à photographier ou scanner la procédure lors de la consultation du dossier. Outre ces deux aspects procéduraux, cette réforme comporte plusieurs dispositions importantes notamment et non exhaustivement:

  • l’allongement du délai de pourvoi en matière pénale qui passe de 5 à 10 jours francs (article 568 du Code de procédure pénale) ;
  • la suppression de la déclaration d’intention dans le cadre de l’instruction (article 175 du Code de procédure pénale) ;
  • une modification des conditions pour solliciter une démise en examen ;
  • un allègement des modalités pour désigner un avocat dans le cadre d’une instruction ;
  • de nouvelles règles en matière de justice des mineurs (mise à l’épreuve éducative, simplification des significations et citations etc.) ;
  • une évolution du régime des mesures de sureté (contrôle judiciaire, détention provisoire, assignation à résidence etc.) ;
  • une extension du recours aux moyens de communication en distanciel (Interrogatoire de première comparution pour les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) compétentes en Outre-mer, interprète, médecin etc.).

Un agent qui est directement et personnellement exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie a droit à la protection fonctionnelle

Par un arrêt en date du 7 juin 2024, le Conseil d’Etat met fin à une « conception exagérément restrictive de la protection fonctionnelle »[1] et précise que celle-ci s’applique également à l’agent public exposé à un risque avéré d’atteinte à son intégrité physique.

En l’espèce, deux affaires étaient portées devant le Conseil d’Etat par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Le 3 octobre 2019, un individu s’était introduit au sein des locaux de la préfecture de police de Paris et avait assassiné trois policiers. Deux agentes, présentes sur les lieux, n’ont pas été blessées mais se sont retrouvées face à l’auteur de l’attentat, ce qui les a traumatisées. Les agentes, constituées partie civile dans la procédure pénale engagée contre l’auteur, ont sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle aux fins, notamment, que leurs frais de représentation exposés dans cette instance soient pris en charge par leur employeur comme le permet la jurisprudence administrative de longue date[2]. Cette demande avait toutefois été rejetée par le ministre de l’Intérieur. Saisi par les agentes à l’issue d’un rejet de leur recours gracieux, le Tribunal administratif de Paris a annulé ce refus, décision confirmée par la Cour administrative d’appel de Paris. Le ministre a donc porté cette affaire devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat rejette la requête du ministre et confirme l’analyse des juges du fond. Il précise le champ d’application de la protection fonctionnelle et en ouvre le bénéfice :

« 4. Cette obligation de protection s’applique également lorsque l’agent est directement et personnellement exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie en raison de sa qualité d’agent public. ».

Dans ses conclusions sur cette décision le rapporteur public explique que l’article L. 134-5 du Code général de la fonction publique protège non seulement les agents contre les atteintes à leur intégrité physique mais également contre « les menaces » qu’ils pourraient subir. Ainsi l’existence d’un risque grave et immédiat de subir une atteinte à son intégrité constitue nécessairement une menace au sens de cet article. De plus, contrairement à ce qui était invoqué par le ministère, le rapporteur public estime que bien que la menace doive être personnelle, son motif n’a pas besoin de l’être ; il suffit que la menace soit motivée par les fonctions exercées par l’agent pour lui ouvrir droit à la protection fonctionnelle.

Dans ces conditions, les agents répondant aux conditions pour bénéficier de la protection fonctionnelle, l’administration ne pouvait leur refuser et ce quand bien même un autre régime leur offrirait une protection équivalente[3].

 

[1] Conclusions du rapporteur public sur l’affaire Monsieur Labrune ;

[2] CE, 2 avril 2003, M. C., n° 249805, 249862.

[3] CE,14 février 1975, n° 87730, au rec.

Une activité de DJ ne saurait être regardée comme une activité accessoire autorisée

Par une décision en date du 10 juillet 2024, le Conseil d’Etat a précisé que l’exercice d’une activité d’animation de soirées musicales à titre commercial, en dépit de la mise en demeure de cesser ces activités et du blâme infligé et alors qu’elle ne relevait d’aucune des catégories d’activités accessoires dont le cumul peut être autorisé, est de nature à justifier l’édiction d’une sanction disciplinaire de révocation, quand bien même cette activité ne l’aurait pas empêché d’accomplir les missions qui lui étaient dévolues dans le cadre de son emploi.

En l’espèce, un adjoint technique territorial de 2ème classe exerçant les fonctions d’agent de maintenance des bâtiments au sein d’un collège a été révoqué pour avoir méconnu les dispositions liées au cumul d’activités ainsi que son obligation d’obéissance hiérarchique, en continuant d’exercer, malgré les demandes de son employeur d’y mettre un terme, une activité de DJ à titre commercial.

D’abord rejetée par le Tribunal administratif de Bordeaux, la requête en annulation avait ensuite été accueillie par la Cour administrative d’appel de Bordeaux en annulant la révocation, compte tenu du fait que les faits litigieux n’avaient causé aucun préjudice à l’administration ou à un tiers et n’avaient pas davantage, en dépit de leur réitération, mis en cause l’intérêt ou la dignité du service. La Cour en avait déduit que la sanction de révocation édictée par le Département n’était pas proportionnée au regard de la faute commise.

Le Conseil d’Etat n’a pas partagé l’analyse de la Cour. Selon lui, eu égard à la gravité des manquements, « toutes les sanctions moins sévères que la révocation susceptible d’être infligées à M. A… en application de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983, étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes qu’il avait commises ». Cette décision rappelle notamment les limites strictes fixées par le statut à l’exercice d’activités accessoires. Elles sont limitativement énumérées à l’article 11 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.

Or, une activité exercée à titre commercial d’animation de soirées musicales ne correspond ni à une activité à caractère sportif ou culturel, y compris d’encadrement et d’animation dans les domaines sportif, culturel ou de l’éducation populaire, ni ne caractérise une œuvre de l’esprit au sens de l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, susceptible d’être exercée librement.

La circonstance que cette activité « accessoire » ne soit pas incompatible avec l’exercice par l’agent de ses fonctions était sans incidence sur la méconnaissance de ses obligations statutaires.

Changement d’affectation motivée sur la manière de servir de l’agent : attention à la sanction déguisée

On le sait, le fonctionnaire n’est pas titulaire de ses fonctions mais uniquement de son grade. L’employeur public peut donc décider de son changement d’affectation pour un motif tiré de l’intérêt du service, lequel peut éventuellement être attaché à la manière de servir de l’agent, s’il apparait qu’elle nuit au bon fonctionnement de son service. Le risque est néanmoins, dans ces cas, d’une requalification de la mesure en sanction déguisée. Si une telle qualification est retenue, le changement d’affectation fera inévitablement grief à l’agent, pourra alors faire l’objet d’un recours et être annulée par le juge administratif, en raison, notamment en considération de la méconnaissance de la procédure contradictoire propre à la procédure disciplinaire. Pour procéder à cette qualification, le juge s’attache à deux critères :

  • L’intention répressive de l’auteur de la mesure ;
  • L’atteinte à la situation du fonctionnaire, c’est-à-dire de le priver d’une partie des droits ou des avantages liés à sa fonction.

C’est précisément le contrôle qu’a opéré le Tribunal administratif de Bordeaux dans son jugement du 12 juillet. En l’espèce, un CHU avait décidé de changer d’affectation un ambulancier en raison de son comportement et plus précisément au motif du non-respect des mesures de protection contre la covid-19, le refus de respecter des ordres du supérieur hiérarchique, le refus du port de la ceinture de sécurité qui impactent la prise en charge des patients et des reproches impactant le travail collectif et la posture managériale. Le juge relève toutefois que le CHU ne justifiait sa décision par aucun motif d’intérêt du service, en se bornant à évoquer de manière générale les impacts de son comportement sur le travail collectif. Or, au regard de l’ensemble des reproches faits à l’intéressé mais surtout à la circonstance qu’au cours d’un entretien, l’intéressé a été informé que si une nouvelle problématique de comportement était identifiée, il serait sanctionné par un avertissement, le juge a considéré que le changement d’affectation revêtait principalement un caractère disciplinaire et s’apparentait à une sanction.

Il a donc annulé la décision de changement d’affectation.

Dès lors, outre les motifs avancés pour justifier le changement d’affectation de l’agent, qui doivent être très clairement et explicitement fondés sur l’intérêt du service, ce jugement nous montre qu’il convient de prêter une attention particulière à l’ensemble de la procédure et du contexte précédant la mesure, tels que les entretiens éventuels organisés avec l’agent, qui ne doivent pas révéler une volonté de sanctionner l’agent.

Décret BRS du 16 juillet 2024 (2/2) : mise en œuvre du bail réel solidaire (BRS) et du bail réel solidaire d’activité (BRSA)

L’article 2 du décret n° 2024-838 en date du 16 juillet 2024 apporte deux séries de modifications :

En premier lieu, il fait évoluer les conditions de mise en œuvre du bail réel solidaire – ici BRS (art. R. 255-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation) :

  • A compter du 1er janvier 2025, le preneur d’un BRS ne pourra plus être propriétaire d’un logement adapté à ses besoins et ses capacités susceptible de constituer sa résidence principale ou de lui procurer des revenus suffisants pour lui permettre d’établir sa résidence principale dans un logement du parc privé (nouvel article R. 255-1-1 du CCH). Cette situation est établie au moyen d’une attestation sur l’honneur ;
  • le preneur d’un BRS est expressément autorisé à louer tout ou partie du logement objet de son BRS, après en avoir informé préalablement l’organisme de foncier solidaire – ici OFS (il n’est pas fait mention, en revanche, d’une autorisation à obtenir). Toutefois, le BRS peut interdire cette faculté ;
  • enfin, s’agissant des BRS « locatifs » (hypothèse marginale à l’heure actuelle), il est précisé que les plafonds de loyers et de ressources sont ceux applicables aux PLUS, PLS et PLAI.

En second lieu, l’article 2 du décret fixe les modalités de mise en œuvre des baux réels solidaires d’activités (BRSA) consacrés par la loi dite « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022 et définis par l’ordonnance n° 2023-80 du 8 février 2023. Sur ce point, on notera en particulier que :

  • les plafonds de prix de cession des droits réels dans le cadre des BRSA (de même que les plafonds de loyers dans le cas des BRSA locatifs) sont fixés par l’OFS, qui doit retenir une « décote significative » par rapport à la valeur, sur le marché libre, de locaux similaires et situés à proximité ;
  • la revente des droits réels immobiliers dans le cadre des BRSA est régie par des règles équivalentes à celles en vigueur pour les BRS (la valeur d’acquisition peut être actualisée par application d’un indice choisi par l’OFS et peut être majoré de la valorisation de travaux d’amélioration effectués) ;
  • les critères d’éligibilité aux micro-entreprises sont précisés (art. R. 256-3 du CCH) ;
  • la conclusion d’un BRSA (ou d’un contrat d’occupation en cas de BRSA locatif) doit être précédée d’une publicité d’une durée minimale de deux mois dans un journal d’annonces légales ;
  • il est prévu, de la même manière que pour le BRS, une garantie de rachat.

Décret bail réel solidaire du 16 juillet 2024 (1/2) : évolution des modalités de gestion des organismes de foncier solidaire

Le décret n° 2024-838 du 16 juillet 2024, paru le 17 juillet 2024, apporte plusieurs modifications aux modalités de gestion des organismes de foncier solidaire (OFS).

En premier lieu, l’article 1er du décret définit le caractère subsidiaire de l’activité des OFS relative aux bail réel solidaire d’activité (BRSA) : pour mémoire, la loi dite « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022 avait consacré la possibilité pour les OFS, à titre subsidiaire, de réaliser ou faire réaliser des locaux d’activité sur des terrains acquis ou gérés au titre de leur activité principale (production de logements en bail réel solidaire – ici BRS), le dispositif du BRSA ayant par la suite été défini par l’ordonnance n° 2023-80 du 8 février 2023. Le décret du 16 juillet 2024 précise cette notion de subsidiarité, ces locaux devant représenter au plus 30 % de la surface de plancher affectée aux logements en BRS d’une même opération.

En deuxième lieu, l’article 1er du décret apporte des précisions financières et comptables en :

  • renforçant les obligations des OFS en termes de tenue d’une comptabilité séparée (séparation des résultats de l’activité de BRS des résultats de l’activité BRSA) ;
  • introduisant, s’agissant des règles d’affectation des résultats, la possibilité d’une « fongibilité asymétrique » des excédents budgétaires : alors que les résultats de l’activité de BRS sont entièrement affectés au maintien et au développement de cette activité, les résultats de l’activité de BRSA sont affectés au développement et au maintien de cette activité mais aussi de l’activité de BRS ;
  • assouplissant les règles relatives aux réserves financières obligatoires, l’OFS n’ayant plus que l’obligation d’y affecter une part de ses bénéfices suffisante pour assurer la pérennisation de l’ensemble des BRS conclus (auparavant, les recettes devaient y être intégralement affectées).

Enfin, en troisième lieu, l’article 1er du décret du 16 juillet 2024 apporte des précisions sur les procédures de contrôle et d’agrément des OFS :

  • s’agissant de la procédure d’instruction de la demande d’agrément :
    • la loi 3DS avait ajouté l’avis préalable obligatoire du Comité Régional de l’Habitat et de l’Hébergement (CRHH). Le décret met les textes réglementaires en conformité avec cette disposition, faisant de l’avis de CRHH une pièce obligatoire de la demande d’agrément, de sorte que le délai d’instruction ne court pas tant que le CRHH n’a pas rendu son avis, l’organisme ne pouvant donc se prévaloir d’aucun agrément tacite.
    • le contrôle sur la demande d’agrément est renforcé, puisqu’il devra être justifié du besoin en logement en accession sociale à la propriété sur le territoire concerté par la demande, compte tenu de la population.
  • s’agissant du contrôle de l’activité,
    • le contenu du rapport d’activité prévu à l’article R. 329-11 du Code de de l’urbanisme est précisé pour tenir compte de l’activité en BRSA, mais aussi, s’agissant des organismes HLM agréés en qualité d’OFS, de la vente HLM réalisée en BRS ;
    • toute modification de statuts ou des documents constitutifs de l’OFS sera transmis par le Préfet au CRHH pour information.
    • Précisons pour les OFS clôturant leurs comptes à une date autre que le 31 décembre que le rapport d’activité devra désormais être remis au préfet ayant délivré l’agrément au plus tard le 31 juillet de chaque année.

Sur l’impartialité de l’élu dans le cadre d’une procédure de renouvellement de délégation de service public

Par une décision en date du 24 juillet 2024, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la délicate appréciation du manquement au principe d’impartialité dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique, lequel, lorsqu’il est constitué, justifie l’annulation du contrat par le Juge. Saisi par le concessionnaire sortant, le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil avait retenu ce manquement dans le cadre de la procédure menée par la ville de Sevran en vue du renouvellement de la délégation de service public portant sur la gestion du marché forain de la ville, et avait donc prononcé l’annulation de cette dernière par une ordonnance en date du 12 janvier 2024.

Plus précisément, un élu – présidant la Commission de délégation de service public, chargée d’analyser les dossiers de candidature et de dresser la liste des candidats admis à présenter une offre – avait publié un message sur Facebook, quelques jours avant la date limite de remise des candidatures, dont la substance était la suivante : « ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité ».

Le Juge des référés avait considéré que l’élu faisait « état d’une mauvaise gestion de ce marché, notamment en ce qui concernait la sélection des commerçants présents, et mettait exclusivement en lien la résolution de cette mauvaise gestion avec la procédure de renouvellement de la concession engagée quelques semaines plus tôt », et qu’une « telle prise de position critique visait directement la société SOMAREP, en charge à cette date de la gestion de ce marché urbain et candidate à sa succession, et constituait une atteinte à l’impartialité de la commission de l’article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales dont il était président délégué » (TA Montreuil, 12 janvier 2024, req. n° 2315368).

Toutefois, saisi d’un pourvoi par la ville de Sevran, le Conseil d’Etat annule cette ordonnance.

La solution n’était cependant pas évidente. En effet, le Conseil d’Etat avait déjà affirmé que le principe d’impartialité s’impose à toute autorité administrative (y compris au pouvoir adjudicateur) et qu’il incombe aux membres de ces autorités de s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe (CE, 30 décembre 2010, Société Métropole Télévision, req. n° 338273 ; CE, 14 octobre 2015, Société Aplicam, req. n° 390968 391105 ; CE, 25 novembre 2021, Collectivité de Corse, req. n° 454466). Le Conseil d’Etat avait néanmoins déjà eu l’occasion de préciser que toute prise de parole publique sur un sujet par un membre d’une autorité administrative n’est pas par elle-même de nature à compromettre systématiquement le respect par cette autorité du principe d’impartialité (CE, 16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie, req. n° 431120 ; CE, 13 novembre 2019, Société C8, req. n° 415396).

L’affaire commentée en est une illustration, puisque le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés en considérant « qu’en jugeant que ce commentaire constituait une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante, alors que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ». Cette décision confirme ainsi que le principe d’impartialité n’implique par l’interdiction pure et simple de toute prise de position publique dans le cadre d’une procédure de passation.

Les conclusions du Rapporteur public mettent toutefois en lumière que l’appréciation d’un tel manquement peut être divergente selon les juges. En effet, il reconnaissait lui-même « pouvoir comprendre que le juge des référés ait ainsi qualifié les faits », sans pour autant en retenir la même lecture. Il analysait le post Facebook non pas « comme l’affichage d’un parti pris dans la procédure de renouvellement de la concession », mais comme « l’affirmation d’une volonté de profiter de cette procédure pour procéder à une réforme et remédier aux difficultés identifiées, sans que cela implique nécessairement un changement de délégataire ».

Il relevait, en outre, que les propos litigieux avaient été tenus avant la date limite de remise des candidatures, de sorte que la liste des candidats n’était pas encore officiellement connue, et qu’il convenait de prendre en considération le contexte dans lequel les propos litigieux avaient été tenus : l’auteur du post était un conseiller municipal, le commentaire s’inscrivait dans une discussion en ligne sur le marché de Sevran dans laquelle des habitants de la commune exprimaient des avis divers, et une concertation publique sur l’avenir de ce marché avait été menée quelques mois avant par la Ville. Il en concluait avoir des réticences à proposer « d’interdire à un élu, lorsqu’il est interpelé à ce propos par ses administrés, de donner son avis sur le fonctionnement d’un service public relevant de sa compétence, dès que ce service public fait l’objet d’une procédure relevant de la commande publique ».

La jurisprudence étant particulièrement casuistique en la matière, cette décision – bien que rassurante pour les acheteurs – devrait conduire les élus à faire preuve d’une grande prudence dans les positions publiques qu’ils sont amenés à prendre dans le cadre de leur mandat au cours d’une procédure de passation.

Subventions aux associations : pas d’extension des obligations prévues par le contrat d’engagement républicain

Par un jugement en date du 24 juillet 2024, le Tribunal administratif de Lyon a retenu qu’une collectivité territoriale ne pouvait accroître les obligations du « contrat d’engagement républicain » en interdisant aux bénéficiaires d’une subvention le port de tenues « traduisant une quelconque forme de prosélytisme religieux » dans l’espace public.

Pour mémoire, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021[1], dite loi « séparatisme », a inséré dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations[2] un article 10-1, qui subordonne, pour les associations et fondations, le bénéfice de subventions publiques à un ensemble de conditions qualifié de « contrat d’engagement républicain ».

Le législateur a renvoyé à un décret en Conseil d’Etat le soin de déterminer les modalités d’application de l’article 10-1 précité de la loi du 12 avril 2000. Le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021, pris pour l’application de ces dispositions, fixe ainsi le contenu du contrat d’engagement républicain, dont l’exemplaire type figure en annexe. Très concrètement, est visée une série de sept engagements reprenant un certain nombre de principes de la République : le respect des lois de la République, la liberté de conscience, la liberté des membres de l’association, l’égalité et la non-discrimination, la fraternité et la prévention de la violence, le respect de la dignité de la personne ainsi que le respect des symboles de la République.

En l’occurrence, par une délibération en date du 17 mars 2022, le conseil régional d’Auvergne Rhône-Alpes avait, notamment, approuvé le contrat d’engagement républicain qui serait demandé lors du dépôt d’une demande de subvention auprès de la région, dont le contenu différait du contrat d’engagement républicain approuvé par l’article 1er du 31 décembre 2021 précité, et donné délégation à sa commission permanente pour faire évoluer ce document. Par une délibération du 30 juin 2022, la commission permanente avait modifié la troisième phrase de l’engagement n° 1 du contrat d’engagement républicain approuvé le 17 mars 2022. Très concrètement, cette obligation non prévue par le décret tenait à l’interdiction, par le bénéficiaire de la subvention, du « port de tenues vestimentaires traduisant une quelconque forme de prosélytisme religieux dans un espace public, à l’exception des représentants des cultes ».  L’on précisera que c’est d’ailleurs la teneur de cette modification qui « soulève des questions qui excèdent les seules circonstances locales en raison de ses implications dans le domaine des libertés publiques » qui a conduit le juge administratif à admettre l’intérêt à agir de l’association La Ligue des droits de l’homme, alors même qu’elle présente un champ d’action national.

Sur le fond, l’amendement apporté par la région au contrat d’engagement républicain a été censuré. Sans examiner son contenu – c’est-à-dire la légalité de la nouvelle obligation ainsi posée par la région – le tribunal administratif a considéré que le principe même de la modification était illégal. En clair, il a estimé que le contenu du contrat d’engagement républicain, fixé par décret, ne pouvait être modifié par les collectivités territoriales. Ainsi, l’adaptation du contenu du contrat avait été incompétemment décidée par la région Auvergne Rhône-Alpes : « le conseil régional […] n’était pas compétent pour adapter le contenu de ce contrat, qui est entièrement déterminé par le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 […] ».

 

[1] Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

[2] Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Cristallisation des moyens : les moyens restés imprécis sont irrecevables

Par un arrêt en date du 12 juillet 2024 la Cour administrative d’appel de Nantes a considéré que les moyens qui n’ont pas été précisés dans le délai imparti par l’article R. 611-7-2 du Code de justice administratif devaient être regardés comme des moyens nouveaux soulevés tardivement. Dans cette affaire, par un arrêté du 21 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a autorisé l’exploitation de trois éoliennes. L’association Pour la Préservation de l’Environnement de Longuenée-en-Anjou et autres ont demandé à la Cour administrative d’appel de Nantes d’annuler cet arrêté. A cette occasion, la Cour a apporté des précisions quant à l’appréciation des dispositions de l’article R. 611-7-2 du Code de justice administrative, relatives à la cristallisation des moyens, selon lesquelles :

« Par dérogation à l’article R. 611-7-1, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1, lorsque la juridiction est saisie d’un litige régi par les articles R. 311-5, R. 811-1-3 ou R. 811-1-4, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie ».

Il résulte de ces dispositions que, dans le cadre des litiges relevant des matières exhaustivement listées par les articles R. 311-5, R. 811-1-3 ou R. 811-1-4 du Code de justice administrative, les moyens soulevés plus de deux mois après l’enregistrement du premier mémoire en défense sont irrecevables. Dans son arrêt du 12 juillet 2024 (n° 22NT01245), la Cour administrative d’appel de Nantes a considéré que devaient également être regardés comme tardifs, les moyens soulevés avant l’expiration du délai fixé par l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative, mais dont le contenu est resté imprécis :

« Il résulte également de l’instruction que les requérants n’ont assorti ces moyens tirés, d’une part, de ce que l’étude d’impact est affectée d’inexactitudes, d’omissions, et d’insuffisances, d’autre part, de ce que l’enquête publique est entachée d’irrégularités, des précisions suffisantes pour en apprécier la portée et le bien-fondé que dans un mémoire enregistré le 27 février 2023, soit postérieurement à l’expiration du délai de deux mois courant après la communication aux parties, le 19 août 2022, du premier mémoire en défense de la société Parc Eolien de Longuenée. Ces moyens, qui n’ont été précisés qu’après le délai prévu par les dispositions de l’article R. 611- 7-2 du code de justice administrative, doivent être regardés comme des moyens nouveaux irrecevables, car invoqués tardivement. Par ailleurs, tels qu’ils ont été invoqués avant l’expiration de ce délai, ils ne peuvent qu’être écartés comme dépourvus des précisions permettant d’en apprécier la portée et le bien-fondé ».

Autrement dit, les moyens qui restent imprécis à l’expiration du délai de deux mois à compter de la cristallisation des moyens doivent être regardés comme irrecevables. En tout état de cause, ces moyens ne comportent pas les éléments suffisants pour en apprécier le bien-fondé et doivent nécessairement être écartés.

Focus sur la postulation en matière d’expropriation

En première instance, en principe, devant les tribunaux judiciaires, les avocats ne peuvent postuler, c’est-à-dire représenter une partie dans un contentieux, que devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel (article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certains professions judiciaires et juridiques).

Par exception, en région Parisienne, les avocats inscrits à l’un des barreaux de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre, peuvent postuler auprès de chacune de ces juridictions en première instance, alors même que le Tribunal judiciaire de Nanterre est rattaché à la Cour d’appel de Versailles et que les Tribunaux judiciaires de Bobigny, Créteil et Paris sont rattachés à la Cour d’appel de Paris. Un avocat postulant ne sera donc pas nécessaire. (article 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certains professions judiciaires et juridiques).

En outre, il existe une spécificité en matière d’expropriation sur tout le territoire français, car un avocat extérieur au ressort territorial de la juridiction qui connait l’affaire, n’aura pas besoin de postulant en première instance. En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que :

« Le code de l’organisation judiciaire distingue du tribunal judiciaire les juridictions d’attribution énumérées à l’article L. 261-1 de ce code. Les dispositions de ce texte renvoient au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique lequel, dans son article L. 211-14, institue le juge de l’expropriation. Il en résulte que le juge de l’expropriation est une juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire, de sorte que les règles de la postulation ne s’y appliquent pas » (Cass. Civ., 2ème, 6 mai 2021, n° 21-70.004).

A titre d’exemple donc, un avocat inscrit au barreau de Rennes pourra représenter une partie dans un contentieux devant le juge de l’expropriation du Tribunal judiciaire de Nice sans faire appel à un postulant sur place, à l’inverse d’une affaire devant le juge civil de ce même tribunal.

En appel, là encore, en principe, et même en expropriation, il est obligatoire de faire appel à un avocat postulant du ressort de la cour d’appel traitant l’affaire si l’avocat concerné n’est pas inscrit dans le ressort de ladite cour d’appel. Par exception, les avocats inscrits à l’un des barreaux de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre, peuvent postuler auprès de la Cour d’appel de Paris (ressort des Tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny et de Créteil) sans faire appel à un avocat postulant s’ils ont postulé devant celui des Tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny ou Créteil qui a rendu la décision attaquée. Et, les avocats inscrits aux barreaux de Paris, Bobigny ou de Créteil peuvent même postuler auprès de la Cour d’appel de Versailles dans l’hypothèse où ils auraient postulé devant leTtribunal judiciaire de Nanterre (article 5-1 précité). Ainsi, dans les cas précités, la postulation en appel est liée à la situation de postulation de première instance. Pour un exemple a contrario :

« Mais attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 1er, III, applicables au litige, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques applicables au litige, que les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre ne peuvent former une déclaration d’appel devant la cour d’appel de Paris que dans l’affaire pour laquelle ils ont postulé devant celui des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil qui a rendu la décision attaquée, ou devant la cour d’appel de Versailles dans l’affaire pour laquelle ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre ;

Attendu qu’ayant exactement retenu que la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d’une partie devant une juridiction et qu’un avocat ne postule pas lorsque la représentation n’est pas obligatoire et constaté que lui était déférée une décision du juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre, c’est à bon droit que la cour d’appel a déduit de ces énonciations et constatations que la déclaration d’appel, formée par un avocat inscrit au barreau de Paris qui n’avait pas pu être postulant en première instance peu important qu’il ait antérieurement postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre dans une affaire soumise à la procédure avec représentation obligatoire, était nulle » (Cass. Civ., 2ème, 28 janvier 2016, n° 14-29.185).

Il est donc important de relever qu’un avocat inscrit au barreau de Paris ne pourra pas postuler devant la Cour d’appel de Versailles si l’appel interjeté concerne une décision rendue par le Tribunal judiciaire de Pontoise ou de Versailles, alors même qu’il avait postulé devant ces juridictions en première instance.

En dehors de cette exception, en appel, il n’existe pas de spécificité en matière d’expropriation sur tout le territoire français, comme c’est le cas en première instance.

Lancement de l’expérimentation tarifaire des services autonomie à domicile

La loi en date du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir a prévu la possibilité pour dix départements maximum d’expérimenter différents modèles de financement des services autonomie à domicile (SAD), en ce qui concerne leur activité d’aide et d’accompagnement. Le décret du 7 juillet 2024 est venu préciser les modalités d’organisation et de mise en œuvre de cette expérimentation qui doit débuter le 1er janvier 2025.

1. Retour sur l’objectif de cette expérimentation : tester d’autres modalités de tarification

Les modalités actuelles de tarification des SAD, via des tarifs horaires, sont très souvent décriées, une majorité des SAD connaissant des grandes difficultés financières. L’objectif de cette expérimentation est de tester de nouvelles modalités de tarification afin, précise le décret, d’améliorer la qualité de la prise en charge, l’équilibre économique des services et la qualité de vie au travail des professionnels. Ainsi, les départements pourront tester la forfaitisation de la tarification des SAD (par opposition au financement horaire actuel).

Le décret prend cependant le soin de préciser qu’une expérimentation ne pourra conduire à diminuer ou augmenter le nombre d’heures d’intervention sans l’accord du bénéficiaire, ni à une augmentation de son reste à charge au-delà des conditions prévues par l’article L. 347-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) lorsque le service n’est pas habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale.

2. Appel à manifestation d’intérêt

Les départements qui souhaitent s’engager dans cette expérimentation devront répondre à un appel à manifestation d’intérêt organisé par la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) qui sélectionnera les 10 départements expérimentateurs. Le décret précise que le comité de sélection des candidatures devra sélectionner les candidatures qui permettent :

  • une organisation de l’expérimentation sur des territoires diversifiés ;
  • d’expérimenter plusieurs modèles de financement dérogeant au CASF.

Dans leur dossier de candidature, les départements devront préciser le modèle de financement qu’ils souhaitent expérimenter et ses effets attendus, ainsi que le nombre et la typologie prévisionnels des services qui participeront à l’expérimentation. Les départements sélectionnés devront, par la suite, à leur tour, organiser un appel à manifestation d’intérêt afin de sélectionner les SAD volontaires (et de statuts juridiques différents) qui participeront à l’expérimentation sur leur territoire.

A noter que si cette expérimentation devrait être menée à ressources constantes, le décret précise toutefois que la CNSA versera aux départements qui en feront la demande des crédits d’accompagnement à la mise en œuvre de l’expérimentation.

3. Fin et évaluation de l’expérimentation

La loi du 8 avril 2021 a prévu que ces expérimentations prendront fin au plus tard le 31 décembre 2026 et qu’un comité d’évaluation sera mis en place afin de remettre un rapport au Parlement, six mois avant la fin de l’expérimentation. L’idée est d’analyser les effets des adaptations du financement des services concernés sur la qualité de prise en charge (l’amplitude et la continuité de l’accompagnement), le reste à charge des personnes bénéficiaires, l’équilibre économique des services et la qualité de vie au travail des professionnels.

Le décret vient préciser la composition de ce comité d’évaluation et prévoit la mise en place de comités de pilotage départementaux qui seront chargés tout au long de l’expérimentation du suivi de sa mise en œuvre. Cette expérimentation permettra-t-elle de mettre fin aux difficultés économiques rencontrées par les services qui se répercutent sur la prise en charge des professionnels et donc les personnes accompagnées ? Rendez-vous fin 2026 pour la réponse…

Situation financière fragile des ESSMS : que peut faire l’autorité de tarification ?

Les autorités de tarification peuvent être confrontées à des structures sociales et médico-sociales qui rencontrent de grandes difficultés financières, notamment dans le secteur non-lucratif. Les raisons de ces difficultés financières ? Conjoncture, mauvaise gestion, dépendance des fonds publics dans un contexte de diminution de la tarification, etc. L’origine des difficultés peut être très variée. Le risque ? L’ouverture d’une procédure collective et la cessation de l’activité gérée par le gestionnaire, ce qui entraînera des conséquences pour les personnes prises en charge, pour le gestionnaire notamment sur le plan RH et pour l’autorité de tarification, notamment sur le plan financier. Que peut faire l’autorité de tarification face à un organisme gestionnaire concerné par des difficultés financières ?

  • Exiger la plus grande transparence financière possible de la part de l’organisme gestionnaire et le contraindre à lui communiquer certains documents si elle rencontre des difficultés à les obtenir spontanément, sur le fondement des dispositions du Code de l’action sociale et des familles (CASF), sous peine de sanctions financières ;
  • L’inciter à prendre des mesures correctives afin de redresser la situation financière du dispositif qu’il gère[1].

A ce sujet, l’article L. 313-14-1 du CASF prévoit une procédure visant à inciter l’organisme privé à but non-lucratif à redresser la situation financière du dispositif qu’il gère. L’idée étant qu’il puisse prendre les mesures de redressement financier qui s’imposent le plus tôt possible afin d’éviter toute aggravation de la situation. Ainsi, lorsque l’autorité de tarification constate 1) une situation financière faisant apparaître un déséquilibre financier significatif et prolongé ou 2) des dysfonctionnements dans la gestion financière d’ESSMS, elle peut prononcer à la personne morale gestionnaire une injonction d’y remédier et notamment de produire un plan de redressement adapté, dans un délai qu’elle fixe, qui doit être raisonnable et adapté à l’objectif recherché. Les modalités de retour à l’équilibre financier donnent lieu à la signature d’un avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM).

  • Désigner un administrateur provisoire afin qu’il remédie aux difficultés financières.

S’il n’est pas satisfait à l’injonction, ou en cas de refus de l’organisme gestionnaire de signer le CPOM, l’autorité de tarification compétente peut désigner un administrateur provisoire pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois, renouvelable une fois. Sa mission sera alors de remédier aux difficultés financières rencontrées par l’organisme gestionnaire. Il disposera pour cela de nombreux pouvoirs afin de mettre fin aux dysfonctionnements ou irrégularités constatées.

  • En cas d’échec de l’administration provisoire, saisir le commissaire aux comptes (CAC) de l’organisme gestionnaire.

Le CASF prévoit enfin que l’autorité de tarification peut saisir le CAC de l’organisme afin qu’il mette en œuvre une procédure d’alerte (prévue à l’article L. 612-3 du Code du commerce). Cette procédure permet au CAC d’alerter le président du tribunal judiciaire des difficultés rencontrées par une association lorsqu’il relève, à l’occasion de l’exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de la personne morale.

D’autres leviers existent entre les mains des autorités mais ils concernent davantage la situation où les coûts d’un ESSMS sont trop importants et ne sont pas justifiés. C’est le cas notamment du retrait de l’habilitation confiée. Cette procédure est encadrée afin de permettre aux ESSMS d’éviter des mesures de retrait d’habilitation brutale qui seraient préjudiciables.

 

[1] Attention, ces dispositions ne s’appliquent pas aux foyers de jeunes travailleurs et aux services qui assurent des activités d’aide personnelle à domicile ou d’aide à la mobilité dans l’environnement de proximité au bénéfice de familles fragiles.

La qualification de l’offre inacceptable

Alors que la qualification de l’inacceptabilité de l’offre revêt une importance pratique majeure, force est de constater que la jurisprudence en la matière est rare. Pourtant, une telle qualification entraine par principe le rejet de l’offre, ce qui, tant pour le candidat que pour l’acheteur, s’avère lourd de conséquences. Comme les offres irrégulières et inappropriées, les offres inacceptables sont qualifiées d’irrecevables et sont par principe rejetées[1]. Plus précisément, l’examen des offres se décompose en deux étapes : la première étant dédiée au contrôle de la recevabilité des offres par l’acheteur tandis que la seconde est consacrée à l’examen des offres en tant que tel.

Les offres qualifiées d’irrecevables sont en principe écartées de la procédure et ne peuvent, donc, être examinées et classées au regard des critères d’attribution retenus. Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d’appel d’offres, la qualification d’offre inacceptable est catégorique car elle entraine le rejet pur et simple de l’offre[2]. En dehors de ces hypothèses et le cas échéant, dans le cadre d’une procédure adaptée avec négociation, l’acheteur a la possibilité d’inviter le soumissionnaire dont l’offre est inacceptable à régulariser son offre[3]. Du côté de l’acheteur, la qualification d’offre inacceptable peut s’avérer risquée dans la mesure où une qualification erronée est source de contentieux et peut entrainer jusqu’à l’annulation de la procédure.

Ainsi, tant du côté des soumissionnaires que de l’acheteur, la question des éléments de qualification de l’offre inacceptable est déterminante. Au regard des textes, l’offre inacceptable est celle dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure[4]. Notion rarement explicitée par la jurisprudence administrative, le Conseil d’Etat a très récemment eu l’occasion d’apporter d’utiles précisions sur la caractérisation d’offre inacceptable, dans le cadre d’un recours dirigé contre la procédure d’attribution d’un accord-cadre à montant maximal[5].

En substance, la Haute juridiction considère que lorsque le montant des crédits budgétaires alloués au marché est inférieur au montant maximal d’un accord-cadre, l’acheteur ne peut qualifier d’inacceptable l’offre excédant le montant des crédits budgétaires alloués seulement si les candidats ont été préalablement informés de ce montant.

Dans ce nouveau contexte jurisprudentiel, faut-il considérer que cette obligation de transmission doit être systématiquement respectée par les acheteurs et ce quelle que soit la procédure de passation suivie ?

Précisément, si l’offre inacceptable est celle dont le montant dépasse les crédits budgétaires alloués au marché déterminés et établis avant le lancement de la procédure (I), l’acheteur est-il tenu d’informer les candidats du montant de ce plafond en dehors du cas où celui-ci est inférieur au montant maximum d’un accord-cadre (II) ?

I. L’offre inacceptable excède le montant des crédits budgétaires alloués au marché

La qualification d’offre inacceptable implique que l’acheteur ait, dans un premier temps, déterminé et établi son budget ou, plus précisément, les « crédits budgétaires alloués au marché ». Pour ce faire, l’impératif de bon usage des derniers publics justifie qu’il dispose d’une certaine marge d’appréciation (A), laquelle doit cependant être conciliée avec le principe de liberté d’accès à la commande publique (B).

A. La marge d’appréciation de l’acheteur dans la détermination de son budget

L’acheteur dispose d’une certaine marge d’appréciation pour établir et déterminer son « budget »[6] également dénommé « crédits budgétaires alloués au marché »[7]. Cette marge d’appréciation se manifeste d’abord par la circonstance que les crédits budgétaires résultent d’une estimation opérée par l’acheteur en vertu du bon usage des derniers publics. Ils correspondent plus précisément « à la somme spécifique que, pour une opération donnée, l’acheteur public entend engager, et non à ses capacités générales de financement »[8].

Autrement dit, le budget alloué au marché est le résultat de la volonté de l’acheteur et non de sa capacité réelle de financement. Dans cette logique, le juge administratif n’opère qu’un contrôle restreint de l’erreur manifeste sur l’appréciation portée par l’acheteur dans la détermination et l’estimation des crédits budgétaires alloués au marché[9]. En plus du choix du montant des crédits alloués, l’acheteur est libre de choisir le support sur lequel son budget sera établi, qu’il s’agisse d’un document publié (par exemple une délibération de la collectivité) ou d’un document purement interne.

La liberté de l’acheteur ne doit cependant pas porter atteinte aux principes essentiels de la commande publique et notamment à la liberté d’accès à la commande publique.

B. La nécessaire conciliation avec la liberté d’accès à la commande publique

La liberté d’accès à la commande publique exige qu’en principe tout opérateur puisse se porter candidat à l’attribution d’un marché public. Ce principe justifie que la marge d’appréciation de l’acheteur dans la détermination de son budget soit contrôlée si ce n’est limitée.

En effet, la qualification d’offre inacceptable, laquelle découle de l’estimation budgétaire établie en amont par l’acheteur, peut entrainer le rejet pur et simple de l’offre et donc porter atteinte à la liberté d’accès à la commande publique. Lourde de conséquence, cette qualification appelle donc un certain contrôle de la part du juge administratif, lequel exige que la détermination des crédits budgétaires soit opérée de manière réaliste.

En application de cette règle, le juge administratif considère par exemple que le fait que le budget d’une opération ait dû être réévalué à l’issue d’une seconde procédure afin de prendre en compte la réalité du marché, est de nature à révéler que l’estimation ayant conduit à déclarer les offres inacceptables était irréaliste[10]. Autrement dit, les crédits budgétaires ne peuvent être déterminés que « sur des bases sincères et rationnelles »[11].

Par ailleurs, conformément à l’article L. 2152-3 du Code de la commande publique, la détermination du budget doit se faire avant le lancement de la procédure[12]. Cette exigence pourrait justifier que l’acheteur fasse connaitre aux candidats le montant des crédits budgétaires qu’il entend allouer au marché, en application du principe de transparence.

II. La connaissance préalable du montant du plafond budgétaire du marché

Dans l’hypothèse où le montant des crédits budgétaires alloués au marché est inférieur au montant maximal d’un accord-cadre, l’acheteur est dans l’obligation d’informer les candidats sur le plafond budgétaire prévu (A). La question se pose alors de savoir si cette nouvelle exigence est transposable aux marchés publics classiques (B).

A. Une exigence de publicité circonscrite aux accords-cadres à montant maximum

A la suite de la récente décision du Conseil d’Etat « Société Actor France », lorsque le montant des crédits budgétaires alloués au marché est inférieur au montant maximal d’un accord-cadre, l’acheteur ne peut qualifier d’inacceptable l’offre excédant le montant des crédits budgétaires alloués seulement si les candidats ont été préalablement informés de ce montant[13].  Pour le comprendre, il convient de revenir aux principes mêmes de l’accord-cadre.

Conformément aux dispositions de l’article R. 2162-4 du Code de la commande publique, les accords-cadres doivent être conclus avec un montant maximum[14]. Or, comme l’explique le rapporteur public sous la décision « Société Actor France », dans de tels accords, « l’acheteur n’a aucune obligation de passer commande à hauteur des valeurs maximales ». Et « le fait de prévoir dans l’accord-cadre une valeur maximale plus élevée que celle des crédits budgétaires alloués constituerait davantage une mesure de précaution juridique destinée à éviter la passation d’un avenant »[15]. Autrement dit, le montant maximum de l’accord-cadre, dans l’hypothèse où les soumissionnaires ignorent que le montant des crédits budgétaires alloués est inférieur, pourrait les induire en erreur[16].

Par ailleurs, cette circonstance pourrait inciter les acheteurs à fixer le montant de leur accord-cadre bien au-dessus de leurs besoins pour pouvoir ensuite, recourir à une procédure avec négociation, du fait du caractère inacceptable des offres déposées[17]. Pour ces raisons, le Conseil d’Etat considère que, dans le contexte particulier de l’accord-cadre à montant maximum et dans l’hypothèse où le montant des crédits alloués est inférieur à ce montant maximum, le montant des crédits alloués doit être porté à la connaissance des candidats.

A contrario, lorsque le montant des crédits budgétaires est supérieur au montant maximal de l’accord-cadre, l’acheteur n’est pas tenu d’informer les candidats sur le montant de son estimation budgétaire.

B. L’exigence de publicité du plafond budgétaire dans le cadre des marchés publics classiques

La décision « Société Actor France » opère un revirement de jurisprudence dans un cas très particulier : celui des seuls accords-cadres passés en procédure formalisée et dans lesquels le montant des crédits budgétaires alloués est inférieur au montant maximum du marché. Avant cette décision, aucun texte ni aucune jurisprudence n’imposait aux acheteurs d’informer les candidats du plafond budgétaire fixé par la collectivité en amont de la procédure.

En creux, en dehors de ce type de marché, on peut raisonnablement affirmer que l’acheteur n’a pas l’obligation d’informer les soumissionnaires du montant des crédits qu’il entend allouer à son contrat. Au soutien de cette thèse, l’information des candidats sur le plafond budgétaire pourrait les inciter à se rapprocher de l’estimation de l’acheteur public, ce qui aurait une incidence sur le prix leur offre, voire sur le jeu de la libre concurrence[18].

On signalera, enfin, que par une ordonnance du 9 août 2024, le Tribunal administratif de Rennes, a eu l’occasion de préciser, en substance, que lorsqu’une offre dépasse les seuils de procédure formalisée, cette seule circonstance n’autorise pas l’acheteur à déclarer une offre inacceptable. Pour ce faire, l’acheteur doit impérativement avoir établi, en amont de la procédure, les crédits budgétaires alloués au marché[19].

Pour rappel, l’acheteur peut recourir à une procédure adaptée pour l’attribution d’un marché public notamment si la valeur estimée de son besoin est inférieure aux seuils européens ou si la valeur de certains lots dans le cadre d’une procédure formalisée est inférieure à 80 000 € HT. Précisément, en l’espèce, l’acheteur avait eu recours à une procédure adaptée pour certains lots. Dans ces conditions, l’acheteur considérait que la connaissance par les candidats de ces seuils valait connaissance du montant des crédits budgétaires alloués au marché. Refusant d’aller dans ce sens, le juge des référés distingue l’estimation du besoin et le montant des crédits budgétaires alloués au marché : « une offre ne peut être déclarée inacceptable sur le fondement de l’article L. 2152-3 du code de la commande publique que s’il résulte de l’instruction qu’elle ne peut être financée par l’acheteur, la seule circonstance que le montant d’une offre soit supérieur à l’estimation des services [et des seuils de procédure] du pouvoir adjudicateur étant à cet égard sans incidence ».

Il n’est pas certain que cette décision soit confirmée à l’avenir dans la mesure où elle crée une situation de blocage pour les acheteurs : en cas d’offres dont le montant est supérieur aux seuils de procédures formalisées, les acheteurs ne pourront pas écarter les offres s’ils n’ont pas établi, en amont de la procédure, les crédits budgétaires alloués au marché.

Il est ainsi vivement conseillé aux acheteurs d’établir systématiquement, en amont de la procédure, les crédits budgétaires alloués au marché. Et, dans l’hypothèse où le montant des crédits budgétaires est inférieur au montant maximum du marché, les acheteurs devront, en outre, informer les candidats de ce plafond budgétaire.

Marion Terraux, Anna Véran et Julie Oger

 

[1] Article L. 2152-1 du Code de la commande publique

[2] Article R. 2152-1 du Code de la commande publique

[3] Article R. 2152-1 du Code de la commande publique

[4] Article L. 2152-3 du Code de la commande publique

[5] CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[6] Point 4 de l’article 26 de la Directive 2014/24/UE

[7] Article L. 2152-3 du code de la commande publique

[8] Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[9] CE, 3 octobre 2012, Département des Hauts-de-Seine, n° 359921

[10] CAA de Paris, 4eme chambre, 10 février 2023, n° 22PA00023

[11] Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[12] Point 4 de l’article 26 de la Directive 2014/24/UE

[13] CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[14] Article R. 2162-4 du code de la commande publique

[15] Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[16] Ibid

[17] Ibid

[18] Ibid

[19] TA de Rennes, ord. 9 août 2024, n° 2404137

L’obligation de saisir le comité social territorial en cas de dissolution d’un syndicat mixte

Les impacts des restitutions de compétence d’un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) vers les communes (transposables à la restitution d’une compétence d’un syndicat mixte à un EPCI) sont régis par les dispositions de l’article L. 5211-4-1, IV bis du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

Aux termes de cet article :

  • la mise à disposition des agents à l’EPCI prend fin et les agents sont réintégrés dans les services de la collectivité. Deux hypothèses spécifiques sont encore envisagées :
    • Le fonctionnaire territorial qui ne peut être affecté dans son administration d’origine aux fonctions qu’il exerçait précédemment reçoit une affectation sur un emploi que son grade lui donne vocation à occuper ;
    • L’agent territorial non titulaire qui ne peut être affecté dans son administration d’origine aux fonctions qu’il exerçait précédemment reçoit une affectation sur un poste de même niveau de responsabilités.
  • les fonctionnaires et les agents transférés par les communes membres ou recrutés par l’EPCI et qui remplissaient la totalité de leurs fonctions dans l’exercice de la compétence restituée, sont répartis d’un commun accord par convention conclue entre l’EPCI et la commune membre. L’accord est notifié aux agents après consultation des comités sociaux territoriaux placés auprès du syndicat et auprès de la collectivité (le texte ne prévoit pas de solliciter l’avis de l’agent concernant cette répartition). A défaut d’accord, la répartition est arrêtée par le préfet dans un délai de trois mois à compter de la restitution de la compétence ;
  • les fonctionnaires et les agents transférés par les communes ou recrutés par le syndicat et qui remplissaient en partie seulement leurs fonctions dans l’exercice de la compétence restituée, reçoivent une affectation au sein du syndicat correspondant à leur grade ou niveau de responsabilité, ils sont donc maintenus au sein du syndicat

Par sa décision en date du 26 avril 2024, le Conseil d’Etat confirme, d’abord, que les dispositions de l’article L. 5211-4-1 IV bis du CGCT ont vocation à s’appliquer en cas de dissolution d’un syndicat mixte fermé. Il énonce, en effet, qu’ : « il résulte de ces dispositions, qui sont applicables aux syndicats mixtes fermés, constitués exclusivement de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale, en vertu de l’article L. 5711-1 du même code, qu’en cas de restitution d’une compétence aux communes ou établissements publics de coopération intercommunale membres d’un syndicat mixte, y compris dans le cas où, ce syndicat devant être dissous, il leur restitue l’ensemble de ses compétences […] ».

Il juge, ainsi, que les comités sociaux territoriaux placés auprès du syndicat mixte et auprès des collectivités membres doivent obligatoirement être consultés sur la convention par laquelle le syndicat mixte et ses membres déterminent, d’un commun accord, la répartition des agents à la suite de la dissolution du syndicat mixte. Et considère que le défaut de saisine des comités sociaux territoriaux est de nature à priver les agents de la garantie que constitue cette consultation et, à ce titre, à créer un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés préfectoraux mettant fin à l’exercice des compétences du syndicat mixte à laquelle la convention de répartition des agents était annexée.

Utilisation du nom et du logo « Nouveau Front Populaire » (NFP) dans la communication électorale : compétence du juge judiciaire ou du juge électoral ?

Dans une affaire récente, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire d’Évry, déclarant son incompétence pour statuer sur l’utilisation contestée de l’appellation et du logo « Nouveau Front Populaire » (NFP) pendant la campagne électorale des dernières élections législatives, le requérant n’ayant pas fondé son action sur un titre de droit de propriété intellectuelle.

Le litige est né dans une circonscription de l’Essonne, où deux candidats de gauche étaient en lice pour les élections législatives. Le candidat soutenu par une association politique locale a contesté l’utilisation par son opposant de l’appellation « Nouveau Front Populaire » et de son logo, arguant que cela créait une confusion parmi les électeurs.

Le juge des référés du Tribunal judiciaire d’Évry a rendu une ordonnance le 21 juin 2024, déclarant son incompétence rationae materiae pour statuer sur cette affaire. Il a fondé sa décision sur le principe de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel pour tous les actes liés aux opérations électorales, juge de l’élection. Les demandeurs ont interjeté appel, soutenant que le juge judiciaire était compétent pour intervenir afin de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par l’utilisation de l’appellation « Nouveau Front Populaire » dans les documents autres que ceux prévus par la communication électorale organisée par la loi. En effet, ils ont argué que l’utilisation de ces termes induisait les électeurs en erreur et faussait la sincérité du scrutin, en ajoutant que l’opposant se présentait illégitimement sous cette appellation, prétendant faussement être investi par le NFP.

Le 27 juin 2024, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge des référés d’Évry, confirmant l’incompétence du juge judiciaire pour statuer sur cette affaire. La Cour a souligné que les actes de communication électorale, même ceux réalisés en dehors des supports officiels, relèvent du contentieux électoral, compétence exclusive du Conseil constitutionnel.

En précisant que « la compétence de la juridiction judiciaire requiert l’existence d’une atteinte à un droit privatif, ce trouble n’étant pas détachable du cadre de la fonction électorale », la Cour a jugé que le trouble invoqué relevait du contentieux électoral. Cette décision renforce la distinction stricte entre le contentieux électoral et les compétences du juge judiciaire. Elle met en lumière les limitations imposées au juge judiciaire lorsqu’il s’agit de questions touchant directement ou indirectement aux opérations électorales et à leur régularité, tant qu’elles ne sont pas détachables du cadre de la fonction électorale. En ce sens, la décision en date du 27 juin 2024 de la Cour d’appel de Paris réaffirme l’exclusivité de la compétence du juge de l’élection en matière de contentieux électoral, garantissant ainsi une régulation cohérente et spécialisée de ces questions sensibles.

Cependant si le requérant avait fondé son action sur la marque protégeant le nom ou le logo du NFP, un usage frauduleux de cette marque ainsi que des actes de contrefaçon auraient pu être considérés comme des bases légitimes pour une action devant le tribunal judiciaire.

Un nouveau régime indemnitaire en deux parts pour la police municipale

La plupart des cadres d’emploi de la fonction publique territoriales bénéficient désormais du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), c’est-à-dire d’un régime servi en deux parts, l’une tenant compte des conditions d’exercice des fonctions, et l’autre de l’engagement professionnel et des résultats collectifs du service.

La police municipale n’a toutefois pas bénéficié de cette évolution, le statut prévoyant qu’ils bénéficient d’un régime indemnitaire déterminé entièrement par décret, après dérogation au principe applicable au sein de la fonction publique territoriale, en application de l’article L. 714-13 du Code général de la fonction publique.

Les personnels de la police municipale et leurs représentants syndicaux avaient, depuis plusieurs années, remis en cause cette situation, qui aboutissait à un plafonnement du niveau de rémunération de ses agents. Le ministère de l’Intérieur avait pourtant, dès janvier 2023, confirmé qu’il n’intègrerait pas la police municipale parmi les agents éligibles au RIFSEEP.

La situation soulevait toutefois des difficultés, comme l’avait soulevé une sénatrice en avril 2023 : cette limitation du régime indemnitaire des agents de police municipale avait abouti à conduire certaines collectivités, en difficulté pour pourvoir ses services, à instituer des primes ou des systèmes de rémunération irréguliers pour attirer les agents. Conscient de la difficulté, le ministère de la Transformation et de la Fonction publique avait annoncé une évolution du régime indemnitaire des agents de la municipale, qui tardait toutefois à arriver. C’est désormais chose faite par le décret n° 2024-614 du 26 juin 2024 relatif au régime indemnitaire des fonctionnaires relevant des cadres d’emplois de la police municipale et des fonctionnaires relevant du cadre d’emplois des gardes champêtres. Il autorise désormais l’organe délibérant des collectivités à instituer une indemnité spéciale de fonction et d’engagement, dont la similarité avec le RIFSEEP n’échappera à personne. Elle est ainsi composée :

  • D’une part fixe, calculée par l’application d’un pourcentage du traitement, décidé par l’organe délibérant, dans les limites fixées par le décret en fonction du cadre d’emploi auquel appartient l’agent (Art. 3 du décret) ;
  • D’une part variable, liée à l’engagement professionnel et à la manière de servir, selon des critères définis par l’organe délibérant (Art. 4 du décret).

Notons que ce dispositif vient remplacer les précédents régimes indemnitaires bénéficiant à la police municipale, dont les décrets seront abrogés le 1er janvier 2025 (art. 8 et 9 du décret). Les collectivités ont donc désormais jusqu’à la fin de l’année pour prendre une délibération instituant ce nouveau régime indemnitaire.