Intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme : les précisions bienvenues du Conseil d’État

CE, 16 octobre 2024, n° 475093

Voisin immédiat : trop loin, trop bruyant, pas assez près, trop tard ? Il est parfois délicat pour les services instructeurs ainsi que les pétitionnaires d’autorisations d’urbanisme de déterminer un risque contentieux au prisme de l’intérêt à agir des riverains d’un projet.

Par deux décisions, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions utiles sur l’appréciation de cet intérêt à agir des tiers (hors association) contre les autorisations d’urbanisme.

Rappelons d’abord que l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme prévoit que l’intérêt à agir d’un tiers (autre que les personnes publiques ou certaines associations) contre une autorisation d’urbanisme est subordonné à la démonstration que le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il détient ou occupe régulièrement ou pour lequel il est titulaire d’un bail, d’une promesse de vente ou d’un contrat préliminaire.

L’article L. 600-1-3 du même code ajoute que l’intérêt à agir du requérant s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sauf circonstances particulières. Ces dispositions dérogent ainsi au principe selon lequel l’intérêt à agir s’apprécie à la date d’édiction de l’acte contesté.

Construisant au fil du temps la notion du voisin immédiat, le Conseil d’État définit le voisin immédiat comme une personne qui, en raison de sa situation particulière, a en principe un intérêt à agir lorsqu’elle présente au juge des éléments concernant la nature, l’importance ou la localisation d’un projet (voir en ce sens : CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n° 389798, commenté ici[1]).

I. Nuisances sonores & parcelles en voisinage immédiat

C’est justement cette notion de voisin immédiat que le Conseil d’Etat s’est appliqué à parfaire dans la première décision évoquée (8 octobre 2024, n° 493773).

L’on sait que, sans être voisin immédiat, le tiers qui réside à plus de 700 mètres d’un projet de station de conversion électrique justifie d’un intérêt à agir en raison des nuisances sonores qu’il subira (CE, 10 juin 2015, n° 386121), solution d’ailleurs transposée s’agissant de nuisances sonores générées par une salle de réception située à plus de 130 mètres et séparée de la parcelle du requérant par un espace boisé (CAA Versailles, 19 janvier 2017, n° 15VE02091).

Par ailleurs, une habitation située à près de 500 mètres d’un projet de construction d’un poulailler pouvant accueillir jusqu’à 25 000 volailles et dont les parcelles d’assiette respectives sont contiguës sur 50 mètres a pu être reconnue comme faisant partie du voisinage immédiat du poulailler, par les nuisances sonores et olfactives auxquelles elle est exposée (CAA Nantes, 17 mars 2023, n° 21NT01083).

Dans l’affaire ici étudiée, une société d’exploitation agricole requérante et son gérant contestaient les permis de construire accordés pour la transformation d’une grange en lieu de réception destiné à accueillir des évènements festifs pouvant accueillir jusqu’à 200 personnes et d’autres bâtiments en lieu d’hébergement.

Saisi en référé, le Tribunal administratif d’Orléans avait d’abord refusé de leur reconnaître la qualité de voisins immédiats, le domicile du gérant et le siège social de la société étant situés à près de 400 mètres des projets, dont ils étaient séparés par un boisement.

Au vu de cette distance et de la séparation des parcelles par un espace boisé, le juge des référés avait donc refusé d’admettre leur intérêt à agir au titre des nuisances sonores – applaudissements, voix et cris de joie en provenance de la propriété, audibles  » très distinctement  » depuis le jardin de la maison des requérants -, générées par les rassemblements festifs organisés dans la salle de réception, notamment de nature à perturber les animaux présents sur les parcelles qu’ils exploitent.

C’est cette analyse que censure le Conseil d’Etat.

En effet, la Haute juridiction note « que certaines des parcelles appartenant aux requérants sont immédiatement contiguës de parcelles appartenant à la société bénéficiaire du permis de construire et du permis modificatif litigieux et que l’existence d’une cuvette naturelle renforce le vis-à-vis entre les parcelles occupées par [les requérants] et celles qui font l’objet des projets autorisés par les décisions litigieuses, et notamment l’exposition des premières aux nuisances résultant des secondes, en dépit des boisements qui les séparent. »

Par conséquent, la société requérante et son gérant se voient reconnaître un intérêt à agir. L’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans est annulée.

En l’absence de vis-à-vis évident, le Conseil d’Etat offre la confirmation que la qualité de voisin immédiat ne résulte pas seulement d’une appréciation objective d’une distance entre deux points, mais relèvent aussi de considérations plus subjectives et sensorielles.

Ces considérations constituent ainsi distinctement des atteintes aux conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance que subissent, ici, les parcelles non bâties exploitées dans le cadre d’une activité professionnelle.

II. Locataire évincé d’un immeuble voué à être démoli

Dans la seconde affaire ici commentée (16 octobre 2024, n° 475093), le Conseil d’Etat a eu à connaître une configuration assez particulière.

Une société contestait le permis de construire délivré à une autre société en vue d’édifier un immeuble en lieu et place de l’immeuble qu’elle occupait en vertu d’un contrat de bail.

Pour reconnaître un intérêt à agir à cette société, la Cour administrative d’appel de Lyon avait estimé que « la mise en œuvre du permis de construire en litige s’inscrit dans un projet d’ensemble qui nécessitera la démolition de l’immeuble précité, que [la requérante] occupe encore à la date de l’arrêté litigieux au titre d’un bail en cours de validité » et avait refusé de tenir compte du permis de démolir distinct devenu définitif obtenu par la pétitionnaire car il était « postérieur à la date d’affichage de la demande de permis de construire en litige prise en compte par l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme pour apprécier l’intérêt à agir ».

Or, le Conseil d’Etat refuse ici d’appréhender l’intérêt à agir de la requérante au vu du projet dans son ensemble et retient que le permis de construire « par lui-même, n’était pas de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance par la société du bien occupé ». Autrement dit, le locataire sur le point d’être évincé n’a pas, par hypothèse, la qualité de voisin immédiat et ne peut donc revendiquer un intérêt à agir.

Il s’écarte ainsi de la motivation bienveillante de la Cour fondée sur l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme[2] pour refuser par principe au locataire d’un immeuble ayant vocation à être détruit tout intérêt à agir contre le permis de construire l’immeuble qui le remplacera.

Après avoir annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, le Conseil d’Etat rejette donc la requête de la société pour défaut d’intérêt à agir.

Cette solution fait écho à une affaire plus ancienne dans laquelle le Conseil d’Etat avait dénié à une société un intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire délivré sur un terrain dont elle avait été définitivement expropriée (CE, 4 novembre 1992, n° 81837).

La société requérante aurait donc vraisemblablement été uniquement recevable à contester le permis de démolir, seule autorisation de nature à affecter directement ses conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien occupé.

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[1] https://www.seban-associes.avocat.fr/publications/urbanisme-la-preuve-de-l-interet-a-agir-contre-un-permis-de-construire/

[2] « Il ressort des pièces du dossier que la société Genedis est locataire de l’immeuble situé sur le terrain d’assiette du projet en vertu d’un contrat de bail commercial en date du 12 mars 2015 conclu pour une durée de dix ans avec la société immobilière Abraham Bloch, devant se terminer le 31 décembre 2024 et portant sur un terrain situé composé des parcelles cadastrées section BM nos. Le tènement immobilier loué comprend un bâtiment de 7465 m² sur deux étages quelle occupe, un parking couvert denviron 1380 m² et un terrain attenant aménagé en enrobé à usage de parking, le tout contenant environ 170 places. La mise en œuvre du permis de construire en litige s’inscrit dans un projet d’ensemble qui nécessitera la démolition de l’immeuble précité, qu’elle occupe encore à la date de l’arrêté litigieux au titre d’un bail en cours de validité, et cette autorisation sera ainsi de nature à léser directement ses conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien qu’elle occupe, alors même que la démolition du bâtiment a été autorisée par un arrêté distinct du 4 décembre 2018 devenu définitif mais postérieur à la date d’affichage de la demande de permis de construire en litige prise en compte par l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme pour apprécier l’intérêt à agir. Par suite, la société SIAB n’est pas fondée à soutenir que la requête présentée par la société Genedis à l’encontre du permis en litige délivré le 10 mai 2019 serait irrecevable en l’absence d’intérêt à agir de cette dernière société. » (CAA Lyon, 1re ch. – formation à 3, 18 avr. 2023, n° 21LY02999, annulé).

Le malaise survenu sur le lieu et dans le temps du service ne revêt pas le caractère d’un accident de service si celui-ci est dû au traitement médicamenteux de l’agent

Par un arrêt en date du 22 octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse a, à propos du malaise d’un agent pourtant survenu sur le lieu et dans le temps du service, écarté la qualification d’accident de service.

En l’espèce, un adjoint technique territorial titulaire, exerçait les fonctions d’agent de surveillance de la voie publique au sein du service de la police municipale d’une commune a, alors qu’il était en service, été victime d’un malaise lipothymique avec perte de connaissance incomplète, qui l’a fait chuter, lui occasionnant des douleurs et des contusions au niveau de l’épaule, du genou et de la cheville.

Il a alors sollicité auprès de la collectivité qui l’emploie la reconnaissance de l’imputabilité de son accident au service, laquelle lui a été refusée.

Il a ensuite contesté cette décision devant le Tribunal administratif de Nîmes qui a fait droit à sa demande par un jugement du 18 juillet 2022, dont la commune a interjeté appel.

Saisie de ce litige, la Cour administrative d’appel de Toulouse a tout d’abord rappelé les dispositions de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (désormais codifiées à l’Article L. 822-18 du Code général de la fonction publique) puis le considérant de principe en matière d’accident de service selon lequel, « un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce ».

Puis, la Cour est revenue sur les circonstances du malaise de l’agent, lequel avait « lors de sa prise de service (…) indiqué à ses collègues ne pas se sentir bien, à tel point que ces derniers lui ont conseillé d’aller voir un médecin » et « après avoir repris totalement connaissance, […] indiqué prendre plusieurs médicaments, dont de la morphine à raison de trois prises quotidiennes ». La juridiction a également précisé que « il n’est pas établi ni même allégué par M. B…, tant en première instance qu’en appel, que ce malaise trouverait son origine dans les conditions d’exercice de ses fonctions, que ce soit au jour de l’accident ou de manière plus générale ». Elle a donc estimé que « dans ces conditions, le malaise dont a été victime [l’agent] ne saurait être regardé comme imputable au service ».

La Cour a donc estimé que le traitement médicamenteux de l’agent à l’origine de son malaise constituait une circonstance particulière détachant cet évènement du service.

Par conséquent, elle a d’une part, annulé le jugement du Tribunal administratif de Nîmes et, d’autre part, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, rejeté les demandes présentées par l’agent en première instance.

Lotissement : l’absence de vente de la totalité des lots n’empêche pas la cristallisation des règles d’urbanisme

Par une décision en date du 18 octobre 2024, le Conseil d’Etat a donné un éclairage pratique important sur le régime du lotissement sur l’application des dispositions permettant de cristalliser les règles d’urbanisme sur l’ensemble des lots.

Dans cette espèce, un promoteur avait obtenu, le 30 août 2018, pour le compte des propriétaires indivisaires des lots concernés, une décision de non-opposition à la déclaration préalable déposée en vue de la constitution d’un lotissement de 4 lots. Par la suite, 3 de ces lots (A, C, D) ont été cédés, les 27 et 28 août 2021, à ce même promoteur, le lot destiné à être bâti n’étant, quant à lui, pas cédé.

Par la suite, un permis de construire valant division a été délivré au promoteur en vue de l’implantation de 30 logements répartis entre 16 maisons individuelles et 6 bâtiments devant accueillir quatorze logements sociaux intermédiaires, les constructions étant autorisées sur 3 des lots (B, C et D). Ce permis a fait l’objet d’un contentieux qui donne l’occasion au Conseil d’Etat de se prononcer sur la question de la cristallisation des règles d’urbanisme dans un lotissement.

En effet, en application du deuxième alinéa de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, « lorsque le lotissement a fait l’objet d’un permis d’aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d’aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l’achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ». Le Code de l’urbanisme prévoit donc une cristallisation des règles d’urbanisme pendant une durée de 5 ans à compter de la délivrance de la décision de non-opposition à déclaration préalable (dans la mesure où cette dernière n’impliquer la réalisation d’aucun travaux).

Par ailleurs, l’article R* 424-18 du Code de l’urbanisme prévoit un délai de validité de 3 ans à compter de l’intervention de la décision de non-opposition (y compris tacite) au terme duquel l’autorisation d’urbanisme devient caduque.

La problématique portée devant le Conseil d’Etat était donc de savoir si la vente intervenue pour 3 des 4 lots du lotissement permettait de faire échec à la caducité de la déclaration préalable de lotissement et ainsi de se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme.

Le Conseil d’Etat répond positivement à cette interrogation :

« 3. Il résulte, en premier lieu, de ces dispositions qu’une division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës constitue un lotissement dès lors que l’un au moins des terrains issus de cette division est destiné à être bâti.

4. En second lieu, dès lors que la division foncière a été réalisée par le transfert en propriété ou en jouissance d’une partie au moins des lots dans le délai de validité de l’arrêté de non-opposition à déclaration préalable prévu par l’article R* 424-18 du Code de l’urbanisme cité au point 2, le bénéficiaire de cet arrêté peut se prévaloir, à l’occasion d’une demande de permis de construire, des droits attachés, en vertu de l’article L. 442-14 du même code, au lotissement autorisé. Est sans incidence, à cet égard, la circonstance que le lot destiné à être bâti n’ait pas lui-même fait l’objet d’un transfert en propriété ou en jouissance».

Le Conseil d’Etat adopte ainsi une position souple et pragmatique sur le régime du lotissement et confirme ainsi la possibilité de se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme, et ce alors même que les lots n’ont été que partiellement vendus et que le lot destiné à être bâti (qui a justifié le recours à la procédure de lotissement) n’a pas fait l’objet d’un transfert de propriété ou de jouissance.

Conclusion d’un bail commercial et annulation d’une décision de déclassement : rappel du régime indemnitaire applicable au bail commercial irrégulièrement conclu sur le domaine public avant 2014.

Par un arrêt du 20 septembre dernier, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que la conclusion d’un bail commercial sur le domaine public est interdite et qu’elle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique : l’occasion pour la juridiction de revenir sur le régime indemnitaire applicable à la réparation du préjudice subi par le preneur à bail commercial illégalement conclu avant 2014 sur le domaine public.

En l’espèce, une commune propriétaire d’un ensemble immobilier sur un port de plaisance a conclu un bail commercial le 28 juillet 2009, pour une durée de neuf ans, avec une société exploitant un salon de coiffure ainsi qu’un magasin de vêtements et d’accessoires de mode.

En 2018, la commune a refusé de renouveler ce bail commercial, au motif que le local serait situé sur son domaine public. La société a alors formulé une demande préalable indemnitaire puis a saisi le Tribunal administratif de Nice d’une requête tendant à la réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis en conséquence de ce non-renouvellement, laquelle requête a été rejetée. La société a donc interjeté appel de cette décision.

Saisie de ce litige, la Cour administrative d’appel relève tout d’abord que la parcelle sur laquelle se situe l’ensemble immobilier appartient effectivement au domaine public de la commune, dès lors que les délibérations du conseil municipal ayant procédé à son déclassement ont été annulées par un jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 7 juillet 2009 (et notifié le 20 juillet suivant, soit antérieurement à la conclusion du bail), jugement confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 22 novembre 2011.

Elle rappelle ensuite que la conclusion d’un bail commercial est interdite sur le domaine public : cette solution ancienne est admise tant par les juridictions administratives[1] que judiciaires[2]. Il est vrai que la loi du 18 juin 2014 (dite Pinel) a introduit la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public dans le Code général de la propriété des personnes publiques[3]. Mais il convient toutefois de distinguer l’exploitation d’un fonds de commerce, d’un côté, et la conclusion d’un bail commercial, de l’autre : si le premier est désormais autorisé, le second est toujours prohibé, en raison de l’incompatibilité du régime des baux commerciaux avec le caractère précaire et révocable de l’autorisation d’occuper le domaine public.

 

Après avoir rappelé le principe d’interdiction de conclusion d’un bail commercial sur le domaine public, la Cour administrative d’appel fait application du régime attaché à l’indemnisation de l’exploitant d’un bail commercial irrégulièrement conclu sur le domaine public, régime énoncé par le Conseil d’Etat dans sa décision Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais de 2014 :

« En raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un « bail commercial » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l’ensemble des dépenses dont il justifie qu’elles n’ont été exposées que dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu’a commise l’autorité gestionnaire du domaine public en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits ».

L’exploitant peut donc prétendre à l’indemnisation (i) de l’ensemble des dépenses exposées pour l’exploitation du bail commercial (ii) ainsi que des préjudices commerciaux et financiers qui résultent directement de la faute commise par la personne publique en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits.

Et si la collectivité propriétaire met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu, l’exploitant doit fatalement être regardé, pour l’indemnisation des préjudices qu’il invoque, comme ayant été titulaire d’un contrat portant autorisation d’occupation du domaine public pour la durée du bail conclu[4]. Comme rappelé dans l’arrêt commenté, il peut ainsi obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d’une telle convention, et notamment de la perte des bénéfices découlant d’une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation, mais évidemment sous réserve qu’il n’en résulte aucune double indemnisation.

Enfin, la Cour précise qu’un exploitant occupant le domaine public en vertu d’un « bail commercial » délivré avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel ne peut pas prétendre à l’indemnisation de la perte d’un fonds de commerce, puisqu’un tel fonds ne peut avoir légalement été constitué avant cette date. Cette position s’inscrit dans la prolongation du principe dégagé par le Conseil d’Etat dans sa décision de 2014 précitée, selon lequel la loi Pinel n’a pas de portée rétroactive et ne tend donc pas à s’appliquer aux baux commerciaux conclus antérieurement à son entrée en vigueur[5].

 

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[1] CE, 23 janvier 1976, Kergo, req. n° 97342 ; CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais, req. n° 352402.

[2] Cass. 3e civ., 28 février 1984, n° 82-11.194.

[3] Article L. 2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

[4] CE, 21 décembre 2022, req. n°464505.

[5] CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais, req. n°  352402.

Protection fonctionnelle des élus locaux : double différence de traitement validée par le Conseil constitutionnel

CC, 11 octobre 2024, Décision QPC n° 2024-1107

Par deux décisions en date du 11 octobre 2024, le Conseil constitutionnel s’est penché sur les différences de régimes en matière de protection fonctionnelle et leur conformité à la Constitution.

I. Il s’agissait, dans la première affaire (n° 2024-1106), de la différence de traitement entre agents publics et élus locaux.

Dans cette affaire, le conseil municipal de la commune d’Istres avait octroyé à son maire le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre de l’enquête préliminaire dont il faisait l’objet, ouverte par le parquet national financier pour des délits d’atteinte à la probité.

La Commune reprochait alors aux dispositions précitées de l’article L. 2123-34 du CGCT de n’accorder la protection fonctionnelle de la commune qu’au stade des poursuites pénales, sans en étendre le bénéfice aux actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire.

Il en résultait, selon elle, une différence de traitement injustifiée entre les élus municipaux et les agents publics.

A cet égard, rappelons que, aux termes de l’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la commune est tenue d’accorder la protection fonctionnelle aux élus communaux exerçant ou ayant exercé des fonctions exécutives[1] lorsque ceux-ci font l’objet de poursuites pénales, c’est-à-dire lorsque l’action publique a été mise en mouvement à leur encontre conformément à l’article 1er du Code de procédure pénale.

De son côté, en application de l’article L. 134-4 du Code général de la fonction publique, l’agent public peut bénéficier de la protection fonctionnelle avant l’engagement de toutes poursuites pénales à son encontre et donc pour des actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire (lorsqu’il est entendu en qualité de témoin assisté, lorsqu’il est placé en garde à vue ou lorsqu’il se voit proposer une mesure de composition pénale).

Saisi de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 2123-34 du CGCT précité, le Conseil d’Etat a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel[2].

Le Conseil constitutionnel refuse toutefois d’y voir une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, considérant que les agents publics « ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune, au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d’exercice de leurs fonctions ».

Il juge alors que, compte tenu de la différence de situation entre agents publics et élus municipaux, le législateur n’était pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle.

II. Dans la seconde affaire (n° 2024-1107), le Conseil constitutionnel était cette fois saisi de la différence de traitement entre les conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives et les autres conseillers régionaux.

Dans cette affaire, la commission permanente du conseil régional d’Île-de-France avait refusé d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à un conseiller régional dans le cadre de sa citation directe devant le Tribunal de grande instance de Paris pour des faits de diffamation.

Le conseiller requérant faisait alors valoir que, en réservant le bénéfice de la protection fonctionnelle aux conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre ces derniers et les autres conseillers régionaux.

Sur ce point, pour rappel, l’article L. 4135-28 du CGCT réserve, comme pour tous les autres élus locaux, le bénéfice de la protection fonctionnelle aux seuls conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives[3].

Saisi de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 4135-28 du CGCT, le Conseil d’Etat a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel[4].

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a, là encore, écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

Il a, en effet, jugé que « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection aux conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives, compte tenu des risques de poursuites pénales auxquels les exposent ces fonctions ».

Le Conseil constitutionnel en déduit dès lors que les conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives ne sont pas placés dans la même situation que les autres conseillers régionaux, ce qui justifie la différence de traitement.

En définitive, on retiendra des deux décisions précitées que le Conseil a jugé conforme à la Constitution l’octroi différencié de la protection fonctionnelle entre agents publics et élus municipaux, d’une part, et entre conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives et autres conseillers régionaux, d’autre part.

On relèvera néanmoins que, dans chacune des deux décisions, le Conseil constitutionnel invite explicitement le législateur à prendre position sur le sujet en lui rappelant qu’il lui « serait loisible […] d’étendre la protection fonctionnelle » à d’autres actes de la procédure pénale, pour la première affaire, et aux autres conseillers régionaux, pour la seconde.

En validant cette double différence de traitement, ces décisions interrogent plus largement sur la nécessité d’une nouvelle réflexion sur l’efficacité des dispositifs de protection fonctionnelle des élus locaux et sur les modalités de leur traduction législative.

 

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[1] A savoir le maire, ses adjoints ou les conseillers ayant reçu une délégation de la part du maire.

[2] CE, 15 juillet 2024, n° 490227, inédit.

[3] A savoir le président du conseil régional ou le conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation.

[4] CE, 15 juillet 2024, n° 469682, inédit.

Enquête administrative et droit de se taire

Par un arrêt du 23 octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé que l’absence d’information à un agent de son droit de se taire, au stade de l’enquête administrative, ne saurait entacher d’illégalité la procédure disciplinaire diligentée ensuite pour ces mêmes faits.

En l’espèce, un blâme a été infligé à un capitaine de police, affecté à une brigade de police secours de nuit, pour avoir tenu à deux gardiennes de la paix des propos déplacés, interrogeant l’une d’elle avec insistance sur ses origines et entreprenant la seconde sur sa vie privée de manière grivoise.

Au moyen de sa demande d’annulation, l’intéressé invoquait notamment l’irrégularité de l’enquête administrative préalable, au motif qu’il n’avait pas été informé lors de la convocation à son audition de son droit de se taire.

La Cour administrative d’appel de Paris confirme le rejet de cette analyse en estimant que « si M. B… se prévaut de l’irrégularité de l’enquête administrative préalable à la sanction litigieuse, à raison de l’imprécision de la convocation pour un entretien le 7 avril 2020, laquelle ne précise pas les faits qui lui sont reprochés et ne l’informe pas du droit qu’il a de se taire, de l’absence de confrontations avec ses collègues, et de la partialité de ses supérieurs hiérarchiques à son égard, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée au sujet de faits susceptibles de donner ultérieurement lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de cette procédure ».

La Cour administrative d’appel de Paris refuse ainsi d’étendre, à la phase d’enquête préalable, la récente décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1105 en date du 4 octobre 2024, jugeant contraire à la constitution le fait de ne pas informer les fonctionnaires mis en cause de leur droit de se taire dans le cadre de la procédure disciplinaire.

Si la Cour s’inscrit, pour l’instant, dans la jurisprudence en vigueur selon laquelle, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire engagée par la suite, la pérennité de cette position ne va pas de soi.

En effet, lors de l’enquête préalable, l’agent entendu peut être amené par ses déclarations ou ses réponses, dont l’autorité investie du pouvoir de sanction est susceptible d’avoir connaissance, à reconnaître les manquements qui lui sont reprochés et, par suite, de s’auto-incriminer.

Or, c’est justement sur ce fondement que les sages du Conseil constitutionnel ont déclaré contraire à la constitution les dispositions de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, aujourd’hui codifiées à l’article L. 532-4 du Code général de la fonction publique.

Signe d’une pratique religieuse de l’agent et principe de laïcité

On le sait l’agent public est soumis dans le cadre de l’exercice de ses fonctions aux principes de neutralité et de laïcité. Ces principes interdisent à l’agent l’expression pendant ses heures de service de ses convictions religieuses ainsi que de se servir de son appartenance à l’administration à des fins de prosélytisme.

Par conséquent, il est interdit à l’agent de manifester ses opinions religieuses durant son service notamment par le port de signes d’appartenance religieuse. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’agent exerce des prérogatives de puissance publique ou des fonctions de représentation.

Mais qu’en est-il lorsque l’agent présente des signes physiques apparents démontrant une pratique religieuse privée ?

Le Préfet de Police de Paris avait à cet égard refusé à un candidat de lui accorder l’agrément nécessaire à l’exercice de la profession de policier adjoint au motif qu’il présentait une marque physique visible sur le front dite « tabâa ».

Selon le préfet de police, cette marque révélait une pratique religieuse assidue de l’intéressé, laissant supposer, toujours selon lui, « un risque de repli identitaire » de l’agent.

La Cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 octobre 2024, a annulé cette décision. Elle a jugé que cette marque qui est la simple conséquence physique d’une pratique religieuse exercée dans un cadre privé, et n’est pas à elle seule de nature à établir que la candidature de l’agent serait incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité.

Elle ne permet pas non plus de considérer que l’agent ne présentait pas les garanties requises pour exercer les fonctions de policier adjoint.

Le préfet de police ne pouvait donc légalement refuser de lui délivrer l’agrément en vue de l’exercice des fonctions de policier adjoint.

Reprise de sépulture en terrain commun : le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l’article L. 2223-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT)

Par une décision en date du 31 octobre 2024, le Conseil constitutionnel est venu censurer des dispositions de l’article L. 2223-4 du Code Générale des collectivités territoriales relatives à la crémation des défunts inhumés en terrain commun en cas de reprise de sépulture.

Une décision qui trouve son origine dans un litige porté devant le Tribunal administratif de Paris par le fils d’une défunte inhumée en terrain commun dans le cimetière de Thiais.

Le 29 mars 2017, le corps de Mme A, inhumé 5 ans plus tôt en terrain commun au sein du cimetière a été exhumé avant de faire l’objet d’une crémation et que ses cendres n’y soient dispersées.

Son fils, M. B, adresse deux années plus tard un recours préalable aux services municipaux tendant à la réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait de la faute qu’aurait commise le maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police en procédant à cette crémation. Recours implicitement rejeté en raison du silence gardé par la mairie et qui donne donc lieu à un recours contentieux de la part de M.B.

Si la demande de M.B. est accueillie en première instance par le Tribunal administratif de Paris qui condamne la Ville à lui verser la somme de 5.000 euros, la Cour administrative d’appel de Paris (saisie d’un appel de la Ville de Paris) rejette dans son arrêt du 5 décembre 2023 ses prétentions en considérant qu’aucune responsabilité ne peut être retenue contre la Ville.

En effet, en l’état du droit positif, aucune disposition du CGCT n’impose aux services municipaux de porter à la connaissance de la famille d’un défunt les conditions de prise en charge de son corps lorsqu’il est inhumé en terrain commun et que sa sépulture fait l’objet d’une reprise.

Cela ressort de la lettre de l’article L. 2223-4, lequel dispose : « Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire. » En vertu de cet article, l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt suffit à permettre aux services municipaux de procéder à la crémation des restes mortuaires exhumés.

Des dispositions qui trouvent à s’appliquer :

  • A l’issue d’une reprise de sépulture consécutive à une procédure de reprise de concession funéraire: en effet, lorsqu’une concession est reprise par les services municipaux les restes des personnes y étant inhumées sont, après mise en œuvre de la procédure de reprise idoine[1], exhumés pour être réinhumés ou crématisés selon les conditions de l’article L. 2223-4 du CGCT (voir en ce sens article R. 2223-21 du CGCT[2]).

Dans cette hypothèse, le titulaire de la concession est informé de la mise en œuvre de la procédure de reprise. Bien que cela ne soit pas précisé par les textes, cette information porte également en pratique sur le devenir des restes mortuaires qui se trouvaient dans la concession.

  • Mais également à l’issue d’une reprise de sépulture située en terrain commun: les sépultures situées en terrain commun – c’est-à-dire dans le terrain consacré dans les cimetières à l’inhumation des corps en dehors de toute concession funéraire – peuvent quant à elles être reprises de façon pure et simple au bout de cinq ans à compter de l’inhumation par l’effet de l’article R. 2223-5 du CGCT[3].

Le maire peut alors, selon les dispositions de l’article L. 2223-4 du CGCT, réinhumer les restes mortuaires issus de telles sépultures en terrains communs ou procéder à leur crémation « en l’absence d’opposition connue ou attesté du défunt ».

Par l’effet de ces dispositions, aucune information préalable n’est donc portée à la connaissance de la famille du défunt sur la reprise de la sépulture en terrain commun ou la possibilité de procéder à la crémation de son corps.

C’est dans cette deuxième situation que se trouve M. B., qui va, à l’occasion du pourvoi introduit devant le Conseil d’Etat contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris rendu à son encontre, contester la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 2223-4 du CGCT.

Considérant en effet que cette absence d’information sur l’expiration du délai de sépulture en terrain commun et la possibilité de procéder à la crémation des restes du défunt en cas de reprise de cette dernière est contraire au respect de la vie privée et la liberté de conscience des personnes inhumées, le requérant demande au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 2223-4 précité. Le Conseil d’Etat procède au renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité par une décision en date du 30 juillet 2024.

Le Conseil Constitutionnel, à travers une décision aussi courte que pragmatique, considère que l’absence d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaître l’opposition à la crémation du défunt inhumé en terrain commun à l’occasion de la reprise de sa sépulture méconnaît le principe de la dignité humaine constitutionnellement reconnu (qui ne cesse pas avec la mort).

Il décide ainsi de l’abrogation des mots « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » figurant au deuxième alinéa de l’article L. 2223-4 du CGCT comme étant contraire à la Constitution.

Une abrogation dont il vient moduler les effets dans le temps, l’abrogation immédiate de ce passage ayant eu pour conséquence manifestement excessive de permettre la crémation des restes exhumés lors de la reprise d’une sépulture malgré l’opposition connue ou attestée du défunt.

Afin de préserver les droits des défunts et de leurs proches, le Conseil Constitutionnel décide de reporter la date de l’abrogation effective de ces dispositions au 31 décembre 2025 et pose d’ici là l’obligation pour les maires d’informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun.

A notre sens, cette information pourrait également inclure une notification en amont de la reprise de la sépulture en terrain commun permettant aux proches de manifester leur volonté éventuelle de procéder à l’inhumation du défunt dans une concession.

En outre, il nous semble qu’une obligation explicite d’information sur la possibilité de procéder à la crémation des restes mortuaires issus d’une procédure de reprise de concession devrait également être intégrée à la loi.

Il reste à attendre ce que prévoiront les nouvelles dispositions législatives sur ce point, dont l’entrée en vigueur devrait donc intervenir avant le 31 décembre 2025.

 

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[1] Et ce, soit sur le fondement de l’article L. 2223-15 du CGCT pour les concessions non-perpétuelles en défaut de paiement et arrivées à échéance depuis 2 ans, soit sur celui de la procédure de reprise des concessions en état d’abandon prévue par l’article L. 2223-17 du CGCT.

[2] Lequel dispose : Les terrains occupés par les concessions reprises peuvent faire l’objet d’un nouveau contrat de concession seulement lorsque les prescriptions des articles L. 2223-4, R. 2223-6, R. 2223-19 et R. 2223-20 ont été observées.

[3] L’article R. 2223-5 du CGCT dispose : « L’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’a lieu que de cinq années en cinq années. »

Ouverture à la consultation publique du nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3)

À l’occasion d’une conférence de presse à Givors, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques et Michel Barnier, Premier ministre, ont présenté le projet de troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) soumis jusqu’au 27 décembre 2024 à la consultation du public.

Envisagée comme une « démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, qu’il s’agisse de la variabilité climatique mais aussi des évènements climatiques extrêmes », l’adaptation au changement climatique fait l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années. L’ancien ministre de la Transition écologie et de la cohésion des territoires Christophe Béchu en a fait un sujet central de son action entre 2022 et 2024.

Dans la continuité du PNACC-1 (2011-2015) et du PNACC-2 (2018-2022), le PNACC-3 formule 51 mesures et annonce « plus de 200 actions concrètes » afin de répondre aux cinq axes retenus par le plan : protéger la population, assurer la résilience des territoires, des infrastructures et des services essentiels, adapter les activités humaines, protéger notre patrimoine naturel et culturel et mobiliser les forces vives de la nation.

Pour le Gouvernement, ce plan doit préparer la France à une augmentation des températures moyennes annuelles de 4°C en 2100 par rapport aux années 1850-1900. Cette donnée tirée de la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) a été très commentée dans la presse et par les associations de protection de l’environnement. Elle conditionne l’ensemble des mesures envisagées par le plan.

Bio-raffinage d’huile de palme : l’absence d’analyse des effets indirects dans les pays fournisseurs

La plateforme de la Mède exploitée par Total, dans les Bouches-du-Rhône abritait de longue date des activités de raffinage traditionnel. Depuis 2015 et la fin de ces activités, un processus de transition vers le « bioraffinage » – processus de transformation de la biomasse ou des productions végétales en carburant – a été engagé. Cette nouvelle raffinerie doit notamment permettre de transformer de l’huile de palme provenant d’Asie du Sud-Est.

En l’espèce, l’arrêté préfectoral du 16 mai 2018, autorisait Total à produire sur ce site du « biodiesel « HVO » à partir d’huiles végétales » – dont de l’huile de palme importée.

Un jugement avant-dire droit, rendu par le Tribunal administratif de Marseille le 1er avril 2021 à la suite d’une requête introduite par différentes associations de protection de l’environnement, a partiellement annulé l’arrêté du 16 mai 2018 « en tant seulement qu’il ne fixe pas de limitation quantitative annuelle plus stricte […] à l’utilisation d’huile de palme et de ses dérivés dans le fonctionnement de la bioraffinerie de La Mède » (cons. 1). Le jugement enjoint par ailleurs le préfet de prendre un arrêté modificatif pour mieux encadrer l’utilisation d’huile de palme. Cet arrêté, pris le 2 mai 2022, portant autorisation modificative et régularisant l’arrêté du 16 mai 2018, a été adopté à la suite d’une nouvelle enquête publique menée sur la base une étude d’impact complémentaire actualisée sur le volet climatique du projet.

Par un jugement du 13 juillet 2022, le tribunal administratif a ensuite rejeté le surplus des conclusions de la requête des associations.

Les associations ont alors interjeté appel de cette décision et d’une partie du jugement avant-dire droit, demandant ainsi l’annulation des arrêtés du 16 mai 2018 et du 2 mai 2022.

Le 7 octobre 2024, la CAA de Marseille s’est prononcée sur ces demandes ; c’est l’objet de l’arrêt ici commenté.

L’analyse de la décision fait apparaître que les associations reprochent essentiellement à l’étude d’impact initiale (celle réalisée en vue de l’adoption de l’arrêté du 16 mai 2018) son insuffisance dans la prise en compte des effets indirects sur l’environnement et le climat du plan d’approvisionnement d’huile de palme dans les pays exportateurs. À ce titre, elles mobilisent notamment le manque de traçabilité des huiles utilisées et l’impact sur le changement climatique. Ce moyen focalisera notre attention.

Par l’arrêt commenté, la cour administrative de Marseille rejette à nouveau le recours des associations. Elle estime en effet que ni la Charte de l’environnement, ni le Code de l’environnement, « n’imposent […] d’analyser dans l’étude d’impact l’ensemble des effets indirects de l’approvisionnement en huiles végétales dans les pays de provenance situés, en l’espèce, principalement en Indonésie et en Malaisie où est produite l’huile de palme entrant majoritairement dans l’approvisionnement de l’installation » (cons. 18). L’étude d’impact doit seulement, pour les matières premières importées, préciser « leur nature, leur pays de provenance, leur localisation dans ce pays, les quantités utilisées ainsi que les modalités de production locale » (cons. 18).

Sur ce dernier point, le juge admet, d’abord, que Total n’avait initialement pas fourni ces différentes informations. La multinationale a toutefois apporté des précisions quant à la provenance des huiles, « dans le cadre de la régularisation résultant de l’exécution » du jugement avant-dire droit (cons. 21), en s’appuyant sur un schéma de certification volontaire reconnu par l’Union européenne et la Commission européenne, l’International Sustainability and Carbon Certification (ISCC).

Puis, si le juge reconnaît que les informations transmises par Total ne permettaient pas de connaître la localisation précise dans le pays de production de l’huile de palme, il considère cependant que « cette circonstance n’a pas nui à l’information complète de la population ni n’a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » compte-tenu des informations transmises au sein de l’étude d’impact actualisée et de la certification volontaire à laquelle Total a décidé de se conformer (cons. 22), ainsi que des informations relatives au fournisseur sélectionné, Asian Agri.

Au regard de ces éléments, le juge écarte donc le moyen relatif à l’insuffisance de l’étude d’impact initiale.

Pour le reste, et sans revenir ici de manière détaillée sur le raisonnement retenu, le juge écarte de manière plus directe les différents moyens soulevés par les associations relatifs :

  • à l’annulation d’une partie du jugement avant-dire droit au regard de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement,
  • à l’insuffisance alléguée de l’étude d’impact complémentaire réalisée en vue de l’adoption de l’arrêté du 2 mai 2022,
  • à l’absence de prise en compte, par l’étude d’impact complémentaire du « changement d’affectation des sols générés par l’utilisation de l’huile de palme dans l’étude d’impact modifiée et le caractère erroné des paramètres pris en compte dans le calcul des émissions des gaz», Total s’étant fondé sur un protocole reconnu par le droit de l’Union s’assurant ainsi du respect des critères de durabilité de la directive dite RED II tout au long de la chaîne de contrôle (cons. 31)
  • à l’atteinte aux intérêts visés à l’article L. 511-1 du Code de l’environnement portée par « l’absence d’analyse des conséquences environnementales du plan d’approvisionnement en huiles végétales»

L’ensemble des moyens étant écartés, la requête a été rejetée.

Il est à noter que les associations soulevaient par ailleurs, une question préjudicielle destinée à la CJUE concernant la prise en compte des effets indirects sur l’environnement dans l’évaluation environnementale de l’approvisionnement d’une installation de production de bio-carburants, y compris lorsque les impacts environnementaux surviennent à l’étranger. Cette question, s’appuie sur le refus, par le juge interne, de prendre en compte dans l’évaluation environnementale ces effets indirects liés à l’importation de matière première survenus à l’étranger, le régime de l’évaluation environnementale étant largement déterminé par le droit de l’Union européenne.  Cette demande a toutefois également été rejetée par le Cour administrative d’appel.

Simplification : publication d’une circulaire pour l’accélération de projets territoriaux

Par une circulaire du 28 octobre 2024 adressée aux autorités déconcentrées de l’Etat (préfets de région et de département principalement), le Premier ministre a appelé à l’accélération de la mise en œuvre de certains projets locaux, dans le cadre de « contrats de simplification ».

Considérant en effet que certains projets portés par des acteurs économiques ou des collectivités territoriales seraient ralentis voire empêchés par une complexité de la règlementation, le Premier ministre demande que, dans chaque département, entre 3 et 5 projets structurants pour le territoire et dont la réalisation est ralentie ou empêchée par la règlementation soient identifiés. Cette identification devra être réalisée pour le 20 novembre 2024 en lien avec les élus locaux notamment et au regard de l’intérêt des projets pour le territoire, en prenant en compte le stade de l’instruction des projets, la nature des obstacles règlementaires ainsi que la solidité de leur financement.

Cette liste sera transmise aux services du Premier ministre, qui les instruira en lien avec les ministères concernés dans un délai maximal de deux mois. Cette instruction aura pour objet d’identifier des solutions aux ralentissements ou blocages : il pourra notamment s’agir de mettre en œuvre le pouvoir de dérogation du préfet (qui est assoupli par rapport à ce qui ressortait de la circulaire du 6 août 2020, l’information préalable du préfet de région et la saisine de l’administration centrale étant supprimées) ou de procéder à des modifications législatives ou règlementaires.

Il est enfin demandé que soient ensuite mises en œuvre les mesures préconisées et qu’un suivi des projets soit assuré.

Déchets : majoration de la taxe générale sur les activités polluantes pour les activités de stockage de déchets non-dangereux

Des modifications relatives à la TGAP avaient été introduites par l’article 104 de la loi de finances pour 2024, lequel prévoyait notamment que :

  • Une majoration serait due pour la fraction des déchets non-dangereux réceptionnés en installation de stockage à compter de l’atteinte de l’objectif annuel de réduction de 50 % des mises en décharge par rapport à 2010 applicable à compter de 2025. Cette majoration doit être fixée par arrêté ministériel entre 5 et 10 euros par tonne de déchet excédentaire ;
  • Certains tarifs réduits de TGAP seraient supprimés.

L’arrêté du 23 octobre 2024 a mis en œuvre ces dispositions légales en :

  • Fixant à 5 euros par tonne la majoration de TGAP applicable en cas de dépassement des objectifs de réduction de stockage des déchets non-dangereux ;
  • Abrogeant les textes règlementaires sur les tarifs réduits de TGAP supprimés par la loi.

Ces dispositions entreront en vigueur au 1er janvier 2025.

Protection des captages d’eau : précisions sur la procédure de définition du périmètre de protection rapprochée

La protection des points de captage d’eau potable est assurée notamment par la définition de périmètres de protection autour du point de prélèvement, conformément à l’article L. 1321-2 du Code de la santé publique : les périmètres de protection immédiate (qui doit être acquise en pleine propriété), rapprochée (où certaines activités et travaux peuvent être interdits ou règlementés) et éloignée (où ces activités et travaux peuvent également être règlementés).

Le Conseil d’Etat a eu à connaitre d’une affaire où les propriétaires de parcelles incluses dans le périmètre de protection rapprochée d’un captage, et qui se voyaient donc imposer des mesures propres à prévenir des risques de pollution, contestaient l’instauration de ce périmètre. En effet, l’article L. 1321-2 du Code de la santé publique prévoit que seul un périmètre de protection immédiate peut être instauré si les conditions hydrologiques et hydrogéologiques permettent d’assurer efficacement la préservation de la qualité de l’eau par des mesures de protection limitées.

Le Conseil d’Etat précise d’abord que la décision par laquelle l’autorité administrative définit un périmètre de protection rapprochée autour du point de captage n’est pas une décision soumise à obligation de motivation au sens de l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

Il s’est également, et surtout, prononcé sur la nécessité ou non de définir un périmètre de protection rapprochée, et relève que dans cette affaire, le captage n’était pas exposé à un risque de pollution majeur, mais que les eaux souterraines présentaient néanmoins une certaine vulnérabilité à une pollution issue de la surface et que des cas de pollution aux pesticides avaient pu être identifiés par le passé. L’instauration d’un périmètre de protection rapprochée était donc régulière et ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des requérants.

Pollution de l’air : reconnaissance en appel du lien de causalité

CAA Paris, 9 octobre 2024, n° 23PA03742

Dans deux arrêts du 9 octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur deux jugements du Tribunal administratif de Paris qui avaient reconnu non seulement l’existence d’une faute de l’Etat pour non-respect des normes de qualité de l’air, mais surtout et de manière plus novatrice un lien de causalité entre cette faute et les préjudices subis par des victimes (cf. notre article sur le sujet).

Le Tribunal administratif avait ainsi condamné l’Etat à réparer les préjudices tirés des souffrances endurées et des troubles dans les conditions d’existence.

L’Etat a fait appel de ces jugements.

Dans ses décisions, la Cour administrative d’appel reconnait également l’existence d’un lien de causalité entre la faute de l’Etat pour non-respect des normes de qualité de l’air, en indiquant que « l’exposition de la jeune A… à des pics de pollution observés en région parisienne doit ainsi être regardée comme étant en lien de causalité directe, non pas avec l’ensemble des maladies respiratoires contractées par l’enfant, mais avec l’aggravation de ces pathologies ».

De la même manière qu’en première instance, la Cour condamne donc l’Etat à indemniser les victimes au titre des préjudices tirés des souffrances endurées et des troubles dans les conditions d’existence, mais écarte les demandes de réparation liées au préjudice d’agrément, au préjudice d’angoisse face à l’inaction de l’Etat, aux préjudices patrimoniaux et au préjudice d’anxiété face à une contamination.

Protection de la biodiversité : l’interdiction d’installer des clôtures en milieu naturel est conforme à la Constitution

Par une décision en date du 18 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité aux normes constitutionnelles de plusieurs dispositions du Code de l’environnement introduites par la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.

L’article L. 372-1 du Code de l’environnement instaure en effet une obligation de mise en conformité de certaines clôtures situées dans des espaces naturels afin de permettre en tout temps la libre circulation des animaux sauvages. Les clôtures concernées doivent ainsi respecter certaines caractéristiques afin de permettre ce passage. Et l’article L. 424-3-1 du même code fixe les conditions dans lesquelles un propriétaire procède à l’effacement des clôtures tandis que ses articles L. 171-1 et L. 428-21 reconnaissent à certains agents un droit de visite pour la réalisation de contrôles administratifs.

Plusieurs requérants ont entendu contester la conformité de ces dispositions aux normes constitutionnelles se rattachant au droit de propriété, au principe d’égalité, à la liberté d’entreprendre ou encore à la garantie des droits. Le Conseil constitutionnel a néanmoins écarté l’ensemble de cet argumentaire. Ainsi :

  • Les requérants invoquaient des atteintes à l’article 17 de la DDHC relatif à l’interdiction de la privation de propriété, dans la mesure où le texte impose la mise en conformité des clôtures sans indemnisation, et à l’article 2 de la DDHC consacrant le droit de propriété, dès lors que le texte, selon eux non justifié par un motif d’intérêt général, remettrait en cause le droit de se clore par son champ d’application trop large. Mais le Conseil constitutionnel expose que :
  • Le texte impose une mise en conformité pour l’implantation, la réfection ou la rénovation de clôtures et constitue donc seulement une limitation du droit de propriété et non une privation ;
  • Il poursuit notamment l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. En outre, des exceptions sont prévues et les zones dans lesquelles cette obligation s’applique sont précisément définies.

Dès lors, il n’existe pas de déséquilibre manifeste entre le droit de propriété et, notamment, l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement

  • Il serait selon les requérant porté atteinte à l’article 16 de la DDHC relatif à la garantie des droits, ainsi qu’aux principes de sûreté et de sécurité juridique, l’obligation de mise en conformité des clôtures s’appliquant également à celles édifiées jusqu’à 30 ans avant l’adoption de la loi. Le Conseil Constitutionnel écarte cet argument en rappelant que cette mesure poursuit un objectif de valeur constitutionnelle et qu’elle est encadrée puisque les propriétaires ont jusqu’au 1er janvier 2027 pour mettre en conformité leurs clôtures, que les clôture de plus de trente ans ne sont pas concernées et que les clôtures peuvent être maintenues mais doivent seulement répondre à de nouvelles caractéristiques ;
  • Les requérants invoquaient également le principe d’égalité devant la loi car les textes instaureraient une différence de traitement injustifiée entre propriétaires, mais le Conseil constitutionnel relève que les propriétaires fonciers ne sont pas placés dans la même situation selon que leurs clôtures ont été ou non édifiées au moins trente ans avant la date de publication de la loi du 2 février 2023
  • Le Conseil constitutionnel rejette également, en raison de la définition du champ d’application du texte et des objectifs qu’il poursuit, les arguments liés à la liberté d’entreprendre invoquée par les requérants ;
  • Les dispositions de l’article L. 424-3-1 n’ont pas pour effet de faire peser sur les propriétaires des dépenses incombant à l’Etat, et ne créent donc aucune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
  • Les dispositions des articles L. 171-1 et L. 428-21 ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée ni le principe de l’inviolabilité du domicile eu égard à la nature des lieux auxquels les agents peuvent accéder.

Véhicules impactant l’environnement : la place des associations de protection de l’environnement dans les affaires de tromperies commerciales

Cass. Crim., 1er octobre 2024, n° 23-81.329

Cass. Crim., 1er octobre 2024, n° 23-81.330

Par trois arrêts du 1er octobre 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser les contours de la recevabilité des constitutions de partie civile des associations de protection de l’environnement dans les affaires de tromperies aggravées portant sur la commercialisation de véhicules.

Le fondement juridique de l’action des associations de protection de l’environnement réside dans les dispositions de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement qui permet aux associations agréées et à celles régulièrement déclarées depuis au moins cinq années, l’exercice des droits reconnus à la partie civile pour les « faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, à l’urbanisme, à la pêche maritime ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales ainsi qu’aux textes pris pour leur application. ».

Sur le fondement de cet article, une association ayant pour objet la protection de l’environnement s’est constituée partie civile dans le cadre de trois procédures d’information judiciaire ouvertes du chef de tromperie aggravée reprochée à une société ayant commercialisé des véhicules équipés de moteurs dépassant les seuils réglementaires d’émissions d’oxyde d’azote.

La société mise en examen a soulevé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’association – toutefois admise par le magistrat instructeur, dont l’ordonnance a été confirmée par la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, considérant que les faits commis sur des véhicules les rendaient dangereux pour la santé et avaient entraîné des conséquences avérées sur l’environnement.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt de la Chambre de l’instruction aux termes d’une interprétation stricte des dispositions susvisées de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement.

Plus précisément, la Cour de cassation considère que les associations de protection de l’environnement ne sont recevables à se constituer partie civile qu’à l’égard des infractions définies limitativement par le texte – qui vise la lutte contre les pratiques et publicités comportant des indications environnementales –, et non de manière générale, pour toutes les infractions ayant des conséquences sur le plan environnemental – en l’espèce des faits de tromperies aggravées.

Ces arrêts interrogent une nouvelle fois la portée et les contours de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement et réaffirment la distinction entre la légalité et la légitimité des actions portées par ces associations.

Evolution de la puissance de raccordement : avis favorable de la Commission de Régulation d’Energie sur le projet d’arrêté visé par l’article L. 342-24 du Code de l’énergie

Le renforcement des réseaux d’électricité, rendu nécessaire pour accueillir de nouvelles installations et œuvrer dans le sens de la transition énergétique, induit naturellement de revoir les capacités des réseaux publics d’électricité afin de traiter plus efficacement les demandes de raccordement.

En ce sens, l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2022 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité, commentée dans une de nos précédentes lettre d’actualité, et prise en application de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après, loi APER), a créé un dispositif afin de permettre au gestionnaire de réseau de modifier la puissance de raccordement des utilisateurs à des fins de dimensionnement optimal du réseau.

On rappellera en effet que le nouvel article L. 342-24 du Code de l’énergie dispose :

« Les conventions ou protocoles de raccordement mentionnés aux articles L. 342-22 et L. 342-23 conclus postérieurement au 10 novembre 2023 ou en cours d’exécution à cette date précisent, dans des conditions déterminées par la Commission de régulation de l’énergie, les modalités selon lesquelles la puissance de raccordement peut être modifiée par le gestionnaire de réseau, lorsque la puissance maximale soutirée par l’utilisateur concerné est inférieure à la puissance de raccordement en soutirage prévue par cette convention ou ce protocole, à des fins de dimensionnement optimal du réseau.

La Commission de régulation de l’énergie détermine les modalités d’évolution de la puissance de raccordement et les éventuelles indemnités auxquelles un client peut prétendre, en cas de modification de sa puissance de raccordement. »

Un projet d’arrêté du ministre chargé de l’Energie devait préciser les catégories d’installations soumises à ces dispositions, en fonction de leurs caractéristiques.

La Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) s’est ainsi penchée sur le projet d’arrêté relatif aux catégories d’installations soumises aux dispositions de l’article L. 342-24 du Code de l’énergie qui détermine une liste d’installations éligibles à des conditions de raccordement spécifiques pour soutenir certaines filières de production.

Il est ainsi proposé de soumettre aux dispositions de l’article susvisées toutes les installations raccordées aux réseaux publics d’électricité, sauf :

  • Les installations raccordées au réseau public basse tension ;
  • Les installations nucléaires de base (pour leur besoin de soutirage).

Par une délibération publiée le 10 octobre 2024, le Régulateur a émis un avis favorable en recommandant néanmoins d’exclure également de ce dispositif, à titre de sécurité juridique, les ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité pour leur raccordement à un autre réseau d’électricité.

Afin de rendre cette souplesse compatible avec l’augmentation des usages électriques, la CRE ajoute qu’elle « veillera à ce que les modalités de modification de la puissance de raccordement qu’elle définira ne contraignent pas excessivement le développement de l’électrification des usages, notamment le développement des infrastructures de recharge de véhicules électriques ».

Projet de Loi pour la simplification de la vie économique : quelques propositions en matière d’énergie

Le Projet de Loi pour la simplification de la vie économique a été déposé devant le Sénat le 24 avril 2024 par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et numérique.

Ce texte a pour objet d’alléger la vie des entreprises par une série de simplifications administratives dans de nombreux domaines tels que la commande publique, les télécommunications ou encore l’énergie.

Le texte, tel qu’adopté par le Sénat en première lecture, prévoit plusieurs dispositions en matière de droit de l’énergie qui méritent d’être soulignées.

D’abord, le projet de loi propose d’introduire une modification relative au pouvoir de sanction du Comité de Règlement des Différends et des Sanctions (ci-après, CoRDIS) de la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE).

Il est ainsi proposé de modifier l’article L. 134-25 du Code de l’énergie afin de supprimer la mention des personnes pouvant saisir le CoRDIS d’une demande de sanction contre les manquements des :

  • « gestionnaires de réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité, des gestionnaires de réseaux fermés de distribution d’électricité, des opérateurs des ouvrages de transport ou de distribution de gaz naturel ou des exploitants des installations de stockage de gaz naturel ou des installations de gaz naturel liquéfié ou des exploitants de réseaux de transport et de stockage géologique de dioxyde de carbone ou des utilisateurs de ces réseaux, ouvrages et installations, y compris les fournisseurs d’électricité ou de gaz naturel, dans les conditions fixées aux articles suivants. » (Alinéa 1 de l’article) ;
  • « du gestionnaire du réseau public de transport d’électricité ou d’un gestionnaire de réseau de transport de gaz naturel ou de la part des autres sociétés de l’entreprise verticalement intégrée, telle que définie à l’article L. 111-10, à laquelle appartient ce gestionnaire de réseau » portant sur les « règles d’indépendance mentionnées aux sections 1 et 2 du chapitre Ier du titre Ier du présent livre, à l’obligation annuelle d’actualisation du schéma décennal de développement du réseau mentionné à l’article L. 321-6 ou du plan décennal de développement du réseau mentionné à l’article L. 431-6 ou au refus de réaliser un investissement prévu dans ce schéma ou dans ce plan. » (Alinéa 2 de l’article) ;

Ou contre les manquements «  aux règles définies aux articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie, aux dispositions relatives aux codes de réseau et aux lignes directrices mentionnés aux articles 59,60 et 61 du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité, ainsi qu’aux textes pris pour leur application, ou tout autre manquement de nature à porter gravement atteinte au fonctionnement du marché de l’énergie, y compris du mécanisme d’obligation de capacité mentionné à l’article L. 335-2 du présent code, qu’il constate de la part de toute personne concernée, dans les conditions fixées aux articles L. 134-26 à L. 134-34, sans qu’il y ait lieu de la mettre préalablement en demeure ».

On comprend donc que, si cette modification est adoptée, toute personne pourra saisir le CoRDIS afin que de telles sanctions soient prononcées.

Toutefois, on soulignera que l’article L. 134-25 du Code de l’énergie actuellement en vigueur prévoit déjà que « toute autre personne concernée » peut saisir le CoRDIS contre les manquements mentionnés aux alinéas 1 et 3 de cet article.

En sus, le Projet de Loi propose d’ajouter à cet article la possibilité pour le CoRDIS de sanctionner un acteur de marché qui « pour répondre à une demande formulée pour l’application des mécanismes d’équilibrage mentionnés aux articles L. 321‑10 à L. 321‑17‑2, propose, sans justification, une offre à un prix excessif au regard des prix offerts par cet acteur sur les marchés de l’électricité ».

Une modification similaire devrait être faite à l’article L. 133-7 du Code de l’énergie, relatif au fonctionnement de la CRE et, précisément, du CoRDIS.

D’autres modifications portant sur le pouvoir de sanction du CoRDIS sont également envisagées et devraient aboutir à la modification des articles L. 134-25-1, L. 134-28 à L. 134-30, et L. 134-33 du Code de l’énergie.

Ensuite, l’article 21 bis du Projet de loi propose de compléter le chapitre VI du titre IV du livre IV du Code de l’énergie par l’ajout d’une Section 14 visant la création d’un fonds de garantie pour le développement de projets de biogaz.

Pourrait ainsi être créé un article L. 446-60 du Code de l’énergie prévoyant que les exploitants d’installation de production de biogaz qui bénéficient d’un contrat d’obligation d’achat ou d’un certificat de production de biogaz peuvent adhérer à un fonds de garantie afin de compenser une partie des pertes financières qui résulteraient de l’annulation par le juge administratif d’une autorisation environnementale.

L’article entend ensuite définir ce que recouvrent les pertes financières prises en compte.

En contrepartie, les adhérents au fonds de garantie devraient être redevables d’une contribution financière proportionnelle à la puissance installée du projet considéré.

L’article renvoie à un décret en Conseil d’Etat la définition des conditions, des taux, des plafonds et des délais d’octroi de l’indemnisation ainsi que des modalités de fixation du montant de la contribution financière et des modalités de gestion du fonds.

Enfin, le Projet de Loi entend modifier l’article L. 211-2-1 du Code de l’énergie afin d’étendre les projets réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article c du 4° de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, aux projets « d’installations de production d’hydrogène renouvelable et bas carbone au sens de l’article L. 811-1 ou de stockage d’hydrogène ».

Pour rappel, cette qualification permet à certains projets de déroger aux interdictions d’implantation sur certaines zones géographiques protégées « dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

Le Projet de Loi est actuellement en première lecture à l’Assemblée nationale.

Les statuts du futur réseau européen des opérateurs de réseaux d’hydrogène (Ennoh) soumis à consultation

L’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) a organisé une consultation publique sur les projets de documents statutaires du Réseau européen des opérateurs de réseau pour l’hydrogène (« European Network of Network Operators for Hydrogen » (ENNOH) en anglais).

Pour rappel, l’ENNOH est une entité européenne indépendante regroupant les gestionnaires de réseau de transport d’hydrogène (GRT), distincte des deux autres structures existantes – l’Entsog pour le gaz et l’Entsoe pour l’électricité – visant à promouvoir le développement d’infrastructures dédiées à l’hydrogène, la coordination transfrontalière et la construction d’un réseau d’interconnexions. Grâce à ce réseau, les gestionnaires « coopèrent au niveau de l’Union pour promouvoir le développement et le bon fonctionnement du marché intérieur de l’hydrogène et des échanges transfrontaliers et pour assurer une gestion optimale, une exploitation coordonnée et une évolution technique solide du réseau européen de transport d’hydrogène »[1].

L’ACER a ainsi invité les parties prenantes du secteur de l’hydrogène (notamment les représentants industriels, les Etats membres, les régulateurs énergétiques, les clients, les organisations environnementales, les ONG, les entités scientifiques et techniques, les organisations de la sociétés civiles, les think tanks) à apporter leur contribution pour affiner les missions, la gouvernance et les règles de fonctionnement du futur réseau européen des gestionnaires de réseaux hydrogène.

Cette consultation, qui s’est déroulée du 23 septembre au 21 octobre 2024, vise à établir la structure légale et opérationnelle du futur réseau européen des gestionnaires de réseaux hydrogène. Les documents soumis à consultation contenaient à la fois le projet de statuts, les règles de fonctionnement, les règles s’appliquant à la consultation des parties prenantes, ainsi que la liste des 36 membres fondateurs (dont Teréga et GRTgaz pour la France).

Cette consultation représente une étape importante dans la création d’un réseau d’hydrogène coordonné à l’échelle européenne, qui jouera un rôle essentiel dans les objectifs plus globaux de décarbonation de l’Union européenne.

En effet, ce réseau est conçu pour faciliter la coopération transfrontalière entre les opérateurs de réseau d’hydrogène en Europe, dans le cadre du paquet législatif « Hydrogène et gaz décarbonés », dit 4e paquet gaz, adopté par le Parlement européen et le Conseil, respectivement, les 11 avril et 21 mai 2024. Ce réseau pourra permettre un cadre régulé favorisant l’interopérabilité entre les différents systèmes nationaux ainsi qu’une utilisation efficace et équitable des ressources.

Après cette première phase de consultation, l’Acer doit faire connaître son avis sur ces documents à la Commission avant le 30 décembre 2024. La Commission devra alors émettre un avis dans un délai de trois mois en tenant compte de l’avis de l’ACER. Et ce n’est que dans un délai de trois mois à compter de la réception de l’avis favorable de la Commission que les gestionnaires de réseau de transport d’hydrogène pourront adopter et publier les statuts, la liste des membres et le règlement intérieur de l’ENNOH.

L’ENNOH sera amené à coopérer étroitement avec ses pendants pour le gaz (Entsog) et l’électricité (Entsoe) pour recenser les synergies et favoriser l’intégration du système pour tous les vecteurs énergétiques afin de faciliter l’efficacité globale du système énergétique.

En effet, conformément à l’article 60 du règlement 2024/1789 précité, l’ENNOH, en tant que réseau européen des gestionnaires de réseau pour l’hydrogène (REGRH) devra établir, publier tous les deux ans et mettre régulièrement à jour un plan décennal non contraignant de développement du réseau dans l’ensemble de l’Union pour l’hydrogène, axé sur les besoins des marchés de l’hydrogène en développement. Or, il devra ainsi participer à l’élaboration de l’analyse coûts-avantages à l’échelle du système énergétique, y compris le modèle interconnecté de marché et de réseau de l’énergie, comprenant les infrastructures de transport d’électricité, de gaz naturel et d’hydrogène, ainsi que le stockage, le GNL et les électrolyseurs, de même qu’à l’établissement des scénarios pour les plans décennaux de développement du réseau et du rapport sur le recensement des lacunes en matière d’infrastructures. À cette fin, il devrait coopérer étroitement avec les réseaux européens des gestionnaires de réseau de transport pour l’électricité et pour le gaz afin de faciliter l’intégration des systèmes énergétiques.

De plus, l’ENNOH devra élaborer des codes de réseau conjointement avec l’Entsog en ce qui concerne les questions transsectorielles.

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[1] Article 57 du règlement 2024/1789 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur les marchés intérieurs du gaz renouvelable, du gaz naturel et de l’hydrogène.

Publications des recommandations de la Commission de Régulation de l’Energie portant sur le cadre de régulation des infrastructures d’hydrogène et de dioxyde de carbone

Saisie à l’automne 2023, la CRE a publié le 10 septembre 2024 un rapport portant d’une part, sur les infrastructures de transport, de distribution et de stockage d’hydrogène et d’autre part, sur les réseaux, les terminaux d’exportation et les stockages de carbone (Carbon Capture Utilisation and Storage, CCUS).

Ce rapport a vocation à identifier les enjeux techniques, économiques et juridiques pour proposer un ensemble de recommandations visant à structurer la régulation de ces deux filières émergentes et à encourager les investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone.

Concernant la régulation des infrastructures d’hydrogène, ce document s’appuie sur les perspectives de déploiement prévues par la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France et s’inscrit dans le contexte du paquet « Hydrogène et gaz décarbonés », dit 4e paquet gaz, adopté par le Parlement européen et le Conseil, respectivement les 11 avril et 21 mai 2024, qui détaille des règles très semblables à celles appliquées au secteur gazier.

A ce titre, le développement de la filière hydrogène nécessite des infrastructures coûteuses et complexes et pourrait alors reposer, selon la CRE, sur des infrastructures capitalistiques et techniques proches de celles des réseaux gaziers qui permettent de réutiliser certains actifs existants.

Le rapport souligne que, malgré leur caractère émergent, les infrastructures hydrogène doivent s’inscrire dans un cadre régulatoire clair afin de créer un environnement stable et sécurisé pour les investisseurs.

A court terme, le développement des infrastructures d’hydrogène décarboné devrait être concentré autour de hubs industriels régionaux (Fos-sur-Mer, Dunkerque, Havre-Estuaire de la Seine et Vallée de la chimie) et à leur connexion aux infrastructures de stockage, de sorte que l’hydrogène sera principalement utilisé par les industriels (sidérurgie, chimie, raffinage) dont le profil de consommation est constant et recherchant une source d’approvisionnement proche.

Ce modèle de production au plus proche des consommateurs est soutenu par la CRE en raison du mix électrique français décarboné qui permet de produire à proximité de l’hydrogène bas-carbone, directement à partir du réseau, ainsi que par le fonctionnement modulaire des électrolyseurs qui ne permet pas de réaliser des économies d’échelles significatives, de sorte qu’il y a peu d’intérêt à concentrer la production sur de très grands sites plus éloignés.

Ainsi, l’écosystème hydrogène devrait se développer à court terme dans des hubs localisés, où les sites d’électrolyse pourront tirer parti d’une électricité bas-carbone pour alimenter les clients industriels à proximité. Cette alimentation nécessitera le développement de réseaux de transport locaux qui connecteront producteurs et consommateurs.

A long terme, dans le cadre du développement d’un réseau européen de transport d’hydrogène, le développement progressif d’infrastructures de transport nationales et européennes d’hydrogène entre les hubs pourra être approfondi.

Ainsi, le rapport examine les chaînes de valeur de l’hydrogène gris (fossile) et de l’hydrogène électrolytique (hydrogène renouvelable ou bas-carbone). La chaîne de valeur de l’hydrogène peut être décomposée en trois parties : l’amont (production et acheminement des matières premières), la production, et l’aval (transport/stockage et usage final). Aujourd’hui, l’hydrogène fossile représente encore la majorité de la consommation française, raison pour laquelle le développement de l’hydrogène décarboné est une priorité pour remplacer l’hydrogène issu d’hydrocarbures.

Par la suite, le rapport recommande :

  • d’accorder, pour les réseaux géographiquement limités – n’ayant pas d’interconnexion avec des pays limitrophes, avec un stockage ou un terminal d’importation –, au cas par cas des dérogations aux obligations de séparation verticale – autrement dit des activités de production, de transport, de stockage et de fourniture – en tenant compte de l’impact sur la concurrence et le développement de la filière ;
  • dans la mesure où des gestionnaires de réseau de gaz naturel vont développer des réseaux d’hydrogène, de mettre en œuvre une séparation horizontale en veillant à l’absence de subvention croisée entre les systèmes électriques, gaziers et hydrogène, et en promouvant un modèle de filialisation des activités avec la mise en place d’une comptabilité dissociée et de règles de gouvernance robustes ;
  • d’utiliser la compétence de la CRE pour fixer les tarifs d’utilisation des infrastructures d’hydrogène afin de donner de la visibilité sur le coût des infrastructures et de faciliter l’engagement des consommateurs industriels. Pour rappel, le paquet gaz impose, au plus tard au 1er janvier 2033, une obligation d’accès régulé des tiers aux réseaux d’hydrogène, sauf dérogations ;
  • de différencier les tarifs d’utilisation des infrastructures d’hydrogène par hub régional, et de proposer des tarifs fixes ou à évolution plafonnée pour les premiers entrants au sein de ces hubs, tout en prévoyant un tarif pour le réseau national (connexions avec les stockages, entre les hubs, avec les pays voisins…) ;
  • de confier au CoRDiS le pouvoir de règlement des différends entre les gestionnaires d’infrastructures d’hydrogène et leurs utilisateurs et le pouvoir de sanctionner les manquements des gestionnaires ;
  • de cibler le soutien public en priorité sur les utilisateurs et non sur l’infrastructure des hubs régionaux afin de s’appuyer sur l’expression des besoins des acteurs locaux pour assurer son dimensionnement optimal ;
  • de privilégier le dispositif de l’avance remboursable à la subvention s’agissant du soutien public alloué aux gestionnaires d’infrastructures nationales mutualisées (transport/stockage) ;
  • de prévoir la mise à disposition des gestionnaires de réseaux des outils physiques et contractuels au regard de leur responsabilité en matière d’équilibrage des réseaux et de sécurité d’approvisionnement, notamment par :
  • un mécanisme réglementaire permettant aux gestionnaires de réseau de modifier la production des électrolyseurs qui leur sont connectés à des fins d’équilibrage (la flexibilité de certains consommateurs industriels étant plus faible) ;
  • à moyen terme, lorsqu’un réseau sera connecté à un stockage, l’accès des gestionnaires de réseaux audit stockage pour bénéficier de sa flexibilité.

La CRE indique également que les stockages d’hydrogène en cavité saline pourraient être utilisés pour la sécurité d’approvisionnement – permettant aux gestionnaires de réseau de disposer d’une marge pour compenser l’impact d’une défaillance d’un producteur en soutirant l’hydrogène faisant défaut ou d’un consommateur en injectant l’hydrogène en excès – ou pour la flexibilité – les stockages permettant aux électrolyseurs de produire quand le prix de l’électricité est bas ou de s’effacer lors des pointes de consommation électrique.

En outre, la CRE met en avant la nécessité de nouvelles dispositions législatives pour élargir le champ de ses missions et y inclure la régulation des infrastructure hydrogène, ainsi que lui permettre de recueillir toutes les informations nécessaires auprès de ces gestionnaires d’infrastructures.