Décret n° 2025-51 du 15 janvier 2025 : Utilisation des données salariales et professionnelles pour l’évaluation des ressources des demandeurs de logement social

A titre liminaire, il convient de rappeler que l’article L. 133-5-3 du Code de la sécurité sociale impose à tout employeur de personnel salarié, ou assimilé, d’adresser aux organismes sociaux dont il relève une déclaration sociale nominative. Cette déclaration doit comporter, pour chacun des salariés ou assimilés, un ensemble d’informations, incluant notamment « le lieu d’activité et les caractéristiques de l’emploi et du contrat de travail, les montants des rémunérations, des cotisations et contributions sociales et la durée de travail retenus ou établis pour la paie de chaque mois ».

Cette déclaration effectuée par l’employeur comporte ainsi de nombreuses données personnelles, dont le traitement doit se faire dans le respect des grands principes issus du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)[1]. Le traitement de ces données doit notamment poursuivre une finalité – autrement dit un objectif de traitement – déterminée et légitime.

Le décret du 18 septembre 2019[2] précise alors, d’une part, les organismes habilités à traiter les données personnelles déclarées dans le cadre de la déclaration sociale nominative, et, d’autre part, les finalités de traitement devant être poursuivies par ces organismes.

A titre d’illustration, il est prévu que les caisses d’allocations familiales et les caisses de la mutualité agricole peuvent traiter les données relatives contenues au sein de déclaration sociale nominative, et, ce, afin d’apprécier le montant des ressources et de la situation professionnelle des demandeurs et des bénéficiaires d’une aide au logement.

Le décret du 15 janvier 2025[3] a désigné le Groupement d’Intérêt Public en charge de la gestion du système national d’enregistrement des demandes de logement social (GIP SNE)[4] comme nouvel acteur pouvant avoir accès aux données relatives aux situations professionnelles renseignées au sein de déclaration sociale nominative.

Plus exactement, il est désormais prévu que le GIP SNE peut enregistrer, et, partant, traiter des données relatives aux salaires et à la situation professionnelle des demandeurs d’un logement social afin de permettre l’évaluation de leur solvabilité.

En conclusion, il est essentiel de rappeler que cet élargissement de l’accès aux données personnelles pour l’appréciation des ressources des demandeurs de logement social doit s’opérer dans le respect strict des principes fondamentaux du RGPD, afin d’assurer la pleine protection des données personnelles traitées.

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[1] Règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE

[2] Décret n° 2019-969 du 18 septembre 2019 relatif à des traitements de données à caractère personnel portant sur les ressources des assurés sociaux

[3] Décret n° 2025-51 du 15 janvier 2025 modifiant le décret n° 2019-969 du 18 septembre 2019 relatif à des traitements de données à caractère personnel portant sur les ressources des assurés sociaux

[4] Article L441-2-1 du Code de la construction et de l’habitation

Conditions de répartition d’un excédent de trésorerie en cas de retrait d’une commune d’un EPCI

Par une décision en date du 18 décembre 2024, le Conseil d’Etat est venu ajouter une nuance supplémentaire aux conditions de répartition des actifs et des dettes entre une commune qui se retire d’un établissement public de coopération intercommunale et ledit établissement.

Au cas présent, l’intégration de trois communes au sein d’une communauté de communes a eu pour effet leur retrait de plein droit de l’établissement public de coopération intercommunale dont elles étaient initialement membres. Faute d’accord entre les conseils municipaux des trois communes et l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale dont elles se sont retirées, un arrêté préfectoral a fixé les conditions financières et patrimoniales du retrait des communes. Les modalités retenues ont été contestées par les trois collectivités devant le juge administratif.

Pour rappel, c’est l’article L. 5211-25-1 du Code général des collectivités territoriales qui fixe les règles de répartition des biens meubles et immeubles entre un établissement public de coopération intercommunale et une commune en cas de retrait de cette dernière. Les biens acquis ou réalisés postérieurement au transfert de compétences sont répartis entre la commune qui se retire de l’établissement public de coopération intercommunal et ledit établissement. Le produit de la réalisation de ces biens et le solde de l’encours de la dette contractée postérieurement au transfert de compétences entrent également dans l’équation.

Le juge administratif a rappelé que l’excédent de trésorerie entrait dans la catégorie des biens acquis ou réalisés postérieurement au transfert de compétences visés par l’article L. 5211-25-1 du Code général des collectivités territoriales et devait, à ce titre, intégrer l’actif à répartir entre les communes sortantes et l’établissement public de coopération intercommunale (CE, 21 novembre 2012, communauté d’agglomération Sophia-Antipolis, n° 346380) et que la répartition d’un excèdent de trésorerie doit nécessairement tenir compte :

  • Des disponibilités nécessaires pour faire face aux besoins de financement relatifs aux opérations décidées avant la date de la répartition et non encore retracées au bilan de l’établissement public, diminuées de l’encours de la dette contractée postérieurement au transfert de compétences ;
  • D’un partage équilibré tenant compte de l’importance de la participation de la commune dans l’établissement public de coopération intercommunale.

Le Conseil d’Etat a également précisé que même si les conditions de répartition des biens acquis ou réalisés postérieurement au transfert de compétences ne sont pas définies par le Code général des collectivités territoriales, cette circonstance ne faisait pas obstacle au versement ou à l’encaissement par la collectivité sortante du solde entre la valeur nette comptable de la part qui lui revient de l’actif global et la valeur nette comptable de l’ensemble des biens corporels qui lui sont entièrement attribués.

Il précise d’ailleurs que l’évaluation de chaque bien doit être faite après déduction des subventions réelles d’investissement figurant au passif du bilan et spécifiquement affectées à ce bien.

Au regard de ces précisions, le Conseil d’Etat a pu faire droit aux contestations des communes relatives au calcul retenu dans l’arrêté préfectoral pour l’évaluation des équipements attribués, dès lors que la valeur nette comptable de chaque équipement n’était pas déduite des subventions réelles d’investissements inscrites au passif de l’établissement public de coopération intercommunale.

Versement de la dotation globale de fonctionnement (DGF) aux Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre en l’absence de loi de finances pour l’année 2025

Compte tenu des circonstances toutes particulières de ce début d’année et l’absence de loi de finances pour l’année 2025, la Direction générale des collectivités territoriales (DGCL) est venue préciser, dans une note d’information du 13 janvier 2025, le modus operandi à mettre en œuvre pour que les EPCI à fiscalité propre puissent bénéficier d’une dotation globale de fonctionnement (DGF) actualisée.

La DGCL rappelle, conformément à l’article 2 de la loi spéciale du 21 décembre 2024, la reconduction en 2025 du prélèvement sur les recettes de l’Etat au titre de la DGF de 2024, soit un montant de 27.245.046.362 euros.

Et prévoit pour les EPCI à fiscalité propre que :

  • Un versement d’acomptes par douzième correspondant à leur attribution au titre de l’année 2024, jusqu’à la notification de leur attribution pour l’exercice 2025 ;
  • A compter de la notification de leur attribution au titre de l’année 2025, les versements mensuels seront régularisés sur les mois suivants ;
  • S’agissant des EPCI à fiscalité propre qui ont fusionnés au 1er janvier 2025, le même mécanisme aura vocation à être mis en œuvre, étant précisé que l’acompte versé jusqu’à la notification du montant de la DGF correspondra au douzième de la somme des dotations perçues en 2024 par chacun des EPCI ayant fusionné ;
  • La dotation des EPCI créés ex-nihilo au 1er janvier 2025 sera versée à compter de l’achèvement des calculs de cette dotation. Dans cette hypothèse aucun acompte n’est prévu ;
  • S’agissant des EPCI à fiscalité dont l’une des communes qui représente plus de 25 % de la population de l’EPCI s’est retiré au 1er janvier 2025, les préfets doivent alors modifier manuellement le montant des acomptes.

L’acompte de janvier sera versé le 27 janvier prochain (puis le 20 de chaque mois).

Il est enfin précisé que le résultat de la répartition des différentes dotations sera mis en ligne sur le site internet de la DGCL une fois les calculs achevés et invite les collectivités à voter leur budget sur le fondement dudit calcul sans qu’il soit nécessaire d’attendre la notification officielle des attributions !

Surtout, la DGCL complète en précisant qu’en cas d’adoption tardive de la loi de finances pour 2025, les collectivités disposeront d’autant de jours supplémentaires pour adopter leur budget au-delà de la date limite du 15 avril (voir en ce sens l’article L. 1612-2 al 3 du CGCT).

L’absence de notification du droit de se taire dans une procédure disciplinaire n’entraîne pas nécessairement l’irrégularité de la procédure

La position du Conseil d’Etat était particulièrement attendue sur la portée de l’absence de notification du droit de se taire, applicable immédiatement aux instances en cours et qui, de ce fait, pouvait entraîner l’irrégularité de procédures réalisées plusieurs mois voire années avant l’édiction de ce principe.

Par deux décisions du même jour le Conseil d’Etat, amené à statuer dans sa formation de Section, a apporté des précisions et surtout apporté les nuances nécessaires dans l’application de ce principe.

Dans la décision commentée rendue sous le n° 490157, la Haute Juridiction a indiqué :

  • D’une part, que la notification du droit de se taire n’a pas à intervenir dans les échanges ordinaires s’inscrivant dans l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni au stade de l’enquête administrative, sauf dans le cas où l’enquête interviendrait après l’ouverture d’une procédure disciplinaire ;
  • D’autre part, même en cas d’absence d’information du droit de se taire, cela ne sera susceptible de vicier la procédure que si la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus au cours de la procédure disciplinaire.

Il s’agit d’une atténuation importante et salutaire qui devrait largement limiter les annulations « sèches » prononcées par les tribunaux et les cours administratives d’appel depuis la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 octobre 2024 (cf. notre brève sur le sujet : https://www.seban-associes.avocat.fr/garantie-du-droit-de-se-taire-le-conseil-constitutionnel-confirme-son-opposabilite-en-matiere-disciplinaire/ ).

Ainsi, et dans la veine de la célèbre jurisprudence « Danthony »[1], il appartient au juge administratif d’examiner, dans les circonstances de chaque espèce, si la sanction infligée reposait de manière déterminante sur des propos exprimés par l’agent qui n’aurait pas été informé du droit de se taire.

Cela permettra pour les contentieux en cours et initiés en l’absence de notification du droit de se taire d’échapper à la censure tirée d’un vice de procédure lorsque la sanction ne serait pas fondée de manière déterminante sur les propos prononcés par l’agent, mais était justifiée par d’autres éléments objectifs tels que des témoignages ou un rapport hiérarchique, par exemple.

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[1] CE, Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon.

Modalités de désignation des délégués au sein des comités syndicaux des syndicats mixtes dits ouverts

Dans le cadre de sa décision en date du 2 août 2024, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser les modalités de désignation applicables aux délégués des syndicats mixtes « ouverts ».

Pour rappel, dans le cadre des syndicats de communes et des mixtes « fermés », l’élection des représentants de la collectivité sont opérées au scrutin secret uninominal majoritaire à trois tours en application des dispositions de l’article L. 5211-8 du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

Au contraire, s’agissant des syndicats mixtes « ouverts » rien n’est prévu par la loi.

Il revient, ainsi, aux statuts de prévoir les modalités de désignation de ces délégués.

C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat dans sa décision en date du 2 août 2024 :

« D’une part, en l’absence de toute disposition législative ou règlementaire fixant, soit directement, soit par renvoi aux règles applicables aux collectivités territoriales, les modalités de désignation des délégués des collectivités membres d’un syndicat mixte dit ouvert régi par les dispositions des articles L. 5721-1 à L. 5722-11 du Code général des collectivités territoriales et associant des collectivités territoriales, des groupements de collectivités territoriales et d’autres personnes morales de droit public, il appartient à ce syndicat de fixer les règles applicables dans ses statuts ».

Les statuts peuvent, à ce titre, renvoyer aux dispositions de l’article L. 5211-8 du CGCT ou prévoir des règles spécifiques.

Toutefois, dans le cas où les statuts ne prévoient rien, le Conseil d’Etat précise qu’il revient alors à l’organe délibérant de chaque membre de fixer les modalités de désignation de leurs délégués :

« Dans le cas où ces statuts ne contiennent aucune stipulation sur les modalités de désignation des membres du conseil syndical, il appartient à l’organe délibérant de chaque collectivité ou groupement membre du syndicat de les déterminer ».

Au cas présent, il ressort de cette décision que la Communauté d’agglomération n’avait pas délibéré sur les modalités de désignation de ses membres au sein du Comité syndical. La note explicative de synthèse adressée aux conseillers communautaires en vue de la séance au cours de laquelle se dérouleraient les opérations électorales en litige ne précisait pas non plus de manière suffisamment précise les conditions dans lesquelles les délégués seraient élus, ce qui a conduit le Conseil d’Etat à confirmer l’annulation des opérations électorales intervenues pour désigner les représentants de la Communauté d’agglomération au sein du Comité syndical.

Le Conseil d’Etat juge que les organismes de réflexion dits « think tanks » ne sont pas, par principe, des représentants d’intérêts

Définis à l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les représentants d’intérêts sont des personnes physiques ou morales qui ont pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication avec des décideurs publics.

Depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi « Sapin II »)[1], les représentants d’intérêts ont l’obligation de s’inscrire sur un répertoire public tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ils doivent, à ce titre, fournir un certain nombre d’informations relatives à leur identité, au champ de leurs activités de représentation d’intérêts et aux moyens qui y sont consacrés ainsi qu’aux actions de représentation d’intérêts qu’ils mènent auprès des personnes publiques[2].

A partir de 2020, la HATVP avait engagé des échanges avec plusieurs organismes de réflexion et de recherche (souvent dénommés « think tanks »), dont l’institut Montaigne, afin de déterminer s’ils constituaient des représentants d’intérêts au sens des dispositions précitées de la loi du 11 octobre 2013.

A la fin de ses travaux, la HATVP a adopté de nouvelles « lignes directrices » relatives au répertoire des représentants d’intérêts, publiées sur son site internet le 3 juillet 2023[3].

Ces lignes directrices énonçaient, en particulier, que « sont susceptibles d’être qualifiés de représentants d’intérêts, en application de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 : […] toute autre structure ayant la personnalité morale, tels que des organismes de recherche ou des groupes de réflexion (think tanks, etc.) ».

En d’autres termes, en application de ces lignes directrices, les think tanks devaient alors être regardés comme soumis, par principe, aux obligations, notamment déclaratives, prévues par la loi du 11 octobre 2013 précitée.

C’est dans ces conditions que l’Institut Montaigne a saisi le Conseil d’Etat afin de demander l’annulation pour excès de pouvoir de ces lignes directrices[4], en tant qu’elles prévoyaient que les groupes de réflexion, dont il fait partie, peuvent être qualifiés de représentants d’intérêts au sens de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.

Saisi de ces lignes directrices, le Conseil d’Etat a alors relevé que, contrairement à la définition qu’elles en donnent, un organisme tel qu’un think tanks, qui se consacre à une activité de réflexion, de recherche et d’expertise sur des sujets déterminés en vue de produire des travaux destinés à être rendus publics, ne saurait, à ce seul titre, être regardé comme un représentant d’intérêts, alors même qu’il entrerait régulièrement en contact avec des décideurs publics pour réaliser ses études ou travaux, faire part de ses conclusions ou promouvoir des propositions de réforme des politiques publiques qui pourraient en découler.

Il a ainsi jugé qu’une telle activité ne pouvait, par elle-même, être regardée comme poursuivant un intérêt au sens de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.

Le Conseil d’Etat a en revanche précisé qu’un tel organisme pouvait être qualifié de représentant d’intérêts si, au regard de son financement, de sa gouvernance et des conditions dans lesquelles sont menés ses études et travaux, il poursuit la défense d’un intérêt au sens des dispositions de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 et dès lors qu’il remplit, par ailleurs, la condition tenant à l’exercice d’une activité principale ou régulière d’influence sur la décision publique.

Or, les lignes directrices de la HATVP, en ce qu’elles conduisaient « à qualifier de représentants d’intérêts les organismes de réflexion à la seule condition qu’ils exercent, à titre principal ou de façon régulière, des actions d’entrées en communication avec un responsable public », méconnaissaient le sens et la portée des dispositions de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 précitées.

Le Conseil d’Etat les a dès lors annulées en tant qu’elles prévoyaient que les groupes de réflexion peuvent être qualifiés de représentants d’intérêts au sens de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.

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[1] Article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, inséré à l’article 18-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013.

[2] Article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, inséré à l’article 18-3 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013.

[3] Ces lignes directrices sont disponibles sur le site internet de la HATVP, via le lien suivant.

[4] L’Institut Montaigne demandait également, par deux autres requêtes (nos 472123 et 475251), l’annulation de courriers par lesquels la HATVP lui demandait de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts ou, à défaut, de faire état de ses entrées en communication avec des responsables publics français, ainsi que d’une notification de manquements qui lui avait été adressée par la Haute autorité. Ces requêtes ont toutefois été rejetées en raison du caractère préparatoire des actes contre lesquels elles étaient dirigées.

En cas de vacance du siège d’un membre du conseil municipal, l’éligibilité de son remplaçant s’apprécie à la date de la proclamation de sa désignation, rendue publique par la mention de son nom dans le tableau du conseil municipal

Le 9 janvier 2024, le Maire de la commune de Douchy-les-Mines a été informé de la démission de deux conseillères municipales.

Appelé à remplacer l’une d’entre elles, le suivant de liste a informé le maire de son refus de siéger au conseil municipal. C’est donc la personne placée directement après de ce dernier sur la même liste qui a été appelée à siéger.

Un tableau actualisé du conseil municipal, portant mention du nom de l’intéressée, a été rendu public le 16 février 2024 et notifié au Préfet du Nord le 19 février suivant.

Ce dernier a formé un déféré tendant à l’annulation de la désignation de l’intéressée en qualité de conseillère municipale et à ce que soit prononcée l’élection du candidat suivant sur la même liste, au motif qu’elle était, à la date de la démission de sa devancière, employée par la commune et, par suite, inéligible en vertu de l’article L. 231 du Code électoral.

Rappelons en effet que cet article prévoit, en son quatrième alinéa, que « Les agents salariés communaux ne peuvent être élus au conseil municipal de la commune qui les emploie ».

Le tribunal administratif a toutefois rejeté le déféré au motif qu’à la date de sa désignation, intervenue le 16 février 2024, l’intéressée était désormais affectée à la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut, celle-ci ayant, entre temps, démissionné du poste qu’elle occupait à la mairie de Douchy-les-Mines.

En d’autres termes, les premiers juges ont considéré que, si l’intéressée était inéligible au jour de la démission de sa devancière comme le relevait le préfet, elle ne l’était en revanche pas au jour où sa désignation comme suivante de liste a été rendue publique.

Saisi dans le cadre de sa compétence d’appel pour les litiges relatifs aux élections municipales[1], le Conseil d’Etat était alors amené à s’interroger quant à la date à laquelle doit être appréciée l’inéligibilité d’un suivant de liste appelé à siéger pour pourvoir un siège devenu vacant.

Il a alors jugé que :

« Il résulte de l’instruction que le Maire de la commune de Douchy-les-Mines a été informé le 9 janvier 2024 de la démission de M. B…. La désignation de sa remplaçante, Mme A…, est intervenue le 16 février 2024, date d’établissement du tableau du conseil municipal comprenant son nom. Il résulte en outre de l’instruction que si Mme A… était, le 9 janvier 2024, salariée de la commune de Douchy-les-Mines, elle ne l’était plus à la date de la proclamation de sa désignation comme conseillère municipale, rendue publique par la mention de son nom dans le tableau du conseil municipal établi le 16 février 2024, à la suite de sa mutation à la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut à compter du 1er février 2024. Il s’ensuit que Mme A… n’était pas atteinte par l’inéligibilité édictée par les dispositions de l’article L. 231 du Code électoral citées au point précédent ».

Pour le Conseil d’Etat, en cas de vacance du siège d’un conseiller municipal, l’éligibilité de son remplaçant doit donc s’apprécier à la date de la proclamation de sa désignation, rendue publique par la mention de son nom dans le tableau du conseil municipal.

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[1] Article R. 321-1 du Code de justice administrative.

Pas d’obligation d’informer l’agent de son droit à être assisté lors de l’entretien préalable faisant suite à une demande de rupture conventionnelle

Par un arrêt du 10 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse est venue préciser les contours de la procédure de rupture conventionnelle, en ce qui concerne l’entretien préalable, et l’appréciation par le juge administratif du caractère discriminatoire d’un rejet de demande de rupture conventionnelle.

En l’espèce, une agente titulaire de la fonction publique d’Etat avait sollicité l’annulation de la décision rejetant sa demande de rupture conventionnelle. Déboutée en première instance[1], elle faisait valoir devant la Cour que le refus de sa demande de rupture conventionnelle était intervenu à l’issue d’une procédure irrégulière dès lors notamment qu’elle n’a pas été informée de son droit à être assistée durant l’entretien qui faisait suite à sa demande de rupture conventionnelle et que cet entretien n’a pas fait l’objet d’un compte-rendu partagé avec elle.

L’assistance lors de cet entretien est effectivement prévue par l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui dispose notamment que « durant la procédure de rupture conventionnelle, le fonctionnaire peut se faire assister par un conseiller désigné par une organisation syndicale de son choix » et par l’article 3 du décret d’application[2] n° 2019-1593 du 31 décembre 2019[3] qui précise que « Le fonctionnaire qui souhaite se faire assister (…) au cours du ou des entretiens en informe au préalable l’autorité avec laquelle la procédure est engagée ».

Saisie de ce litige, la Cour administrative d’appel de Toulouse a jugé par un considérant limpide qu’« il ne résulte ni des dispositions précitées du décret du 31 décembre 2019 ni d’aucune disposition législative ou réglementaire que l’agent devrait être informé de son droit d’être assisté lors de l’entretien, ni de ce que cet entretien devrait faire l’objet d’un compte-rendu partagé avec l’agent ».

En d’autres termes, l’administration employeur n’est pas tenue d’informer l’agent du droit à l’assistance ni de lui remettre un compte-rendu d’entretien, alors qu’à l’inverse l’agent doit informer au préalable son employeur qu’il sera assisté lors dudit entretien.

Par ailleurs, selon la Cour, la requérante n’était pas fondée à soutenir qu’un délai de 10 jours entre l’envoi de sa demande de rupture conventionnelle et l’entretien était trop important, d’autant que l’article 2 du décret du 31 décembre 2019 précité dispose précisément que cet entretien doit être fixé « à une date fixée au moins dix jours francs et au plus un mois après la réception de la lettre de demande de rupture conventionnelle ».

La procédure suivie a ainsi été regardée comme parfaitement régulière par les juges d’appel.

Notons qu’au plan de la légalité interne, la Cour s’est ensuite classiquement assurée[4] que l’autorité administrative n’avait commis aucune erreur manifeste d’appréciation en rejetant la demande de RC. A cet égard, la seule circonstance alléguée par la requérante, qu’un autre agent de sa Direction ait à une époque contemporaine obtenu le bénéfice d’une rupture conventionnelle, n’était pas de nature à établir que la décision de refus serait entachée de discrimination ou d’une erreur manifeste d’appréciation.

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[1] Par un jugement du Tribunal administratif de Montpellier du 21 octobre 2022 (n° 2100856).

[2] Dans sa version résultant de la décision du Conseil d’Etat en date du 13 décembre 2021 n° 439031, 439216, 439217.

[3] Décret relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique.

[4] Voir pour une application plus ancienne du contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation : CAA Marseille, 27 juin 2023, n° 22MA02314

Quels recours pour les familles de personnes disparues ? Focus sur l’enquête en recherche des causes d’une disparition

Lorsqu’une personne disparait mais qu’il n’y a pas assez d’éléments pour démontrer qu’un crime ou un délit est à l’origine de cette disparition, les familles se retrouvaient sans aucun recours.

C’est dans ce contexte que le législateur a créé la procédure « en recherche des causes d’une disparition » qui peut prendre deux formes : une enquête dirigée par le Procureur de la République ou une information judiciaire.

En effet, lorsqu’un délit ou un crime est porté à la connaissance d’un service d’enquête ou d’un Procureur de la République, une enquête peut être ouverte afin de réaliser un certain nombre d’investigations sous la forme d’une enquête de flagrance[1], une enquête préliminaire ou l’ouverture d’une information judiciaire selon l’infraction et l’urgence de la situation.

Toutefois, en plus de ces deux régimes principaux, le législateur a progressivement créé d’autres cadres, qualifiés de cadres sui generis d’enquête.

Ainsi en est-il du cadre d’enquête régissant la découverte d’un cadavre dont la mort est inconnue ou suspecte[2], de celui régissant la recherche de personne en fuite[3], et de celui régissant la recherche des causes d’une disparition qui vient d’intervenir ou d’être constatée, prévu à l’article 74-1 du Code de procédure pénale.

Avec ce dernier cadre d’enquête le législateur a souhaité répondre à l’émotion très vive qu’ont pu susciter les disparitions d’enfants ou de personnes handicapées, tel le cas des « Disparues de l’Yonne » par exemple.

La notion de disparition doit être comprise comme une absence suspecte, suscitant des craintes quant au sort réservé à la personne, qui peut être la mort bien sûr, mais pas uniquement, et qui ne traduit pas forcément la commission d’une infraction pénale, la victime pouvant avoir subi un accident par exemple.

En tout état de cause, ce cadre est soumis à plusieurs conditions.

En premier lieu, la disparition doit concerner l’une ou l’autre des personnes suivantes :

  • un mineur, même émancipé ;
  • un majeur protégé;
  • un majeur, dans le cas où la disparition présente un caractère inquiétant ou suspect eu égard aux circonstances, à l’âge de l’intéressé ou à son état de santé.

En deuxième lieu, les investigations doivent être menées sur instruction du Procureur de la République et par des officiers de police judiciaire (OPJ), assistés éventuellement d’agents de police judiciaire (APJ).

Depuis le 26 janvier 2023, ces investigations peuvent également être menées directement par les APJ, sous le contrôle des OPJ.

En troisième lieu, les actes d’investigation pouvant être réalisés dans le cadre d’une enquête en recherche des causes d’une disparition sont ceux prévus aux articles 56 à 62 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire prévus en cas d’enquête de flagrance, à l’exclusion de la garde à vue.

Il peut donc s’agir d’actes variés tels que saisies, perquisitions, réquisitions, auditions.

La personne disparue est également inscrite au Fichier des Personnes Recherchées (FPR).

En dernier lieu, cette enquête ne peut durer que 8 jours maximum à compter des instructions du Procureur de la République, délai à l’issue duquel les recherches doivent nécessairement se poursuivre dans les formes de l’enquête préliminaire ou par l’ouverture, sur réquisition, d’une information judiciaire pour recherche des causes d’une disparition, spécifiquement prévue à l’article 80-4 du Code de procédure pénale.

Dans le cadre de cette information judiciaire, le juge d’instruction peut procéder à tous les actes qui lui sont ordinairement dévolus.

En particulier, il peut procéder à des écoutes téléphoniques, mais dans une durée maximale de deux mois renouvelables.

Cette information judiciaire a pour particularité de ne pas mettre en mouvement l’action publique, car une telle mise en mouvement suppose l’existence d’un comportement pénalement punissable alors qu’à ce stade aucune infraction pénale n’est encore constatée.

Dès lors, il peut donc y avoir concurremment une enquête de police et une information judiciaire.

Une des conséquences qui en résulte est l’irrecevabilité des constitutions de partie civile.

Par exception, « les membres de la famille ou les proches de la personne (…) disparue peuvent se constituer partie civile à titre incident »[4].

Ils ne peuvent donc en revanche pas se constituer partie civile par voie d’action c’est-à-dire être à l’origine de l’ouverture d’une information judiciaire pour recherche des causes de la disparition.

Cela est regrettable puisqu’à la suite de l’enquête de 8 jours prévus par les textes, si les recherches s’arrêtent, les familles sont sans recours sur ce fondement.

Elles devront alors utiliser d’autres techniques procédurales pour ouvrir une information judiciaire qui peuvent consister en un dépôt de plainte sur une autre qualification pénale, telle que l’enlèvement et la séquestration, afin d’ouvrir une information judiciaire et espérer connaître le sort de leur proche.

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À l’issue des investigations, il se peut que la personne soit retrouvée saine et sauve, ce qui met fin aux recherches.

Elle peut également être retrouvée morte ou blessée, ce qui justifiera une nouvelle enquête ou instruction de droit commun en cas d’origine infractionnelle, ou l’enquête sui generis prévue à l’article 74 du Code de procédure pénale si l’origine demeure inconnue ou suspecte.

En cas de recherches infructueuses, il est important de noter que la disparition ne se prescrit pas ; aussi, même si l’enquête ou l’instruction est clôturée, la survenance de faits nouveaux pourra toujours justifier la reprise de nouvelles investigations.

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[1] Article 53 du Code de procédure pénale

[2] Article 74 du Code de procédure pénale

[3] Article 74-2 du Code de procédure pénale

[4] Article 80-4 du Code de procédure pénale

« Guerre des pylônes » : l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques, des Postes et de la distribution de la Presse (ARCEP) rejette les demandes d’injonctions formulées par la société Valocîme dans le cadre des différends l’opposant aux opérateurs de téléphonie mobile

Par une décision en date du 7 janvier 2025, la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction (ci-après la formation « RDPI ») de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après l’« ARCEP »), a rejeté les demandes de la société VALOCIME d’un règlement des différends l’opposant aux opérateurs de téléphonie mobile en ce qu’elle n’était pas compétente.

La société VALOCIME avait sollicité, en septembre 2024, de la formation RDPI de l’ARCEP, d’enjoindre aux opérateurs Bouygues Telecom, Orange et SFR d’entrer en négociation avec elle afin de conclure une convention d’hébergement sur les emplacements pour lesquels elle justifie d’une convention d’occupation sur le fondement de l’article L. 36-8 du Code des postes et des communications électroniques.

Or, il est mentionné dans les articles L. 36-8 (I) et L. 36-8 (II) du Code des postes et des communications électroniques, que l’ARCEP est compétente pour connaître d’un différend, d’une part, en cas de refus d’accès ou d’interconnexion ou en cas d’échec des négociations sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électroniques, et d’autre part, en cas de différend portant sur les possibilités et conditions d’accès aux infrastructures d’accueil, mentionnées à l’article L. 34-8-2-1 du Code des postes et des communications électroniques précité.

Sur ces fondements, l’ARCEP a estimé qu’elle pouvait intervenir quand un TowerCo refuse l’accès ou refuse de conclure une convention d’accès avec un opérateur. En revanche, elle ne s’estime pas compétente lorsqu’un gestionnaire d’infrastructure veut forcer des opérateurs de téléphonie mobile à utiliser son infrastructure d’accueil. En outre, cette décision ne remet pas en cause les obligations qui incombent aux opérateurs mobiles notamment en matière d’aménagement numérique du territoire.

Méthode d’évaluation de la valeur vénale d’un bien immobilier : précisions sur la recevabilité des termes de référence dans le cadre d’une procédure de fixation devant le juge de l’expropriation

Dans un arrêt en date du 19 septembre 2024, la Cour de cassation a eu l’occasion d’apporter des précisions sur les informations à transmettre concernant les termes de référence dans le cadre d’une procédure judiciaire de fixation de l’indemnité de dépossession pour permettre de mettre en œuvre la méthode d’évaluation des biens par comparaison.

Dans cette espèce, une SARL a mis en œuvre son droit de délaissement concernant des parcelles situées au sein d’une zone d’aménagement concertée. Dans le cadre de la procédure judiciaire de fixation, la Cour d’appel de Paris (arrêt du 15 juin 2023, n° 22/04648) a retenu des termes de comparaison à partir des références cadastrales et des numéros de publication sans pour autant que les actes de mutation correspondants à ces termes n’aient été produits par les parties.

La société a formé un pourvoi en soulevant le moyen du non-respect du principe du contradictoire en raison de l’absence de production de ces éléments.

Dans son arrêt du 19 septembre dernier, la Cour de cassation a pu rappeler que le principe du contradictoire supposait nécessairement que les parties puissent débattre des termes de comparaison proposés.

A ce titre, elle considère qu’il n’existe aucune obligation de produire les actes de vente correspondant aux termes de comparaison présentés, ces derniers pouvant être admis sous réserve que les informations relatives à la mutation ainsi que les références de publication soient fournies :

« 4. Pour fixer le montant de l’indemnité d’expropriation ou de délaissement, le juge apprécie souverainement les termes de comparaison issus des actes de mutation sélectionnés sur lesquels chaque partie se fonde pour retenir l’évaluation qu’elle propose, dès lors que celles-ci ont été en mesure d’en débattre contradictoirement.

    1. Les termes de comparaison invoqués par les parties dans leurs conclusions, issus de bases de données accessibles au public, dès lors qu’ils comportent les informations énoncées à l’article R. 112 A-1 du livre des procédures fiscales et sont accompagnés des références de publication permettant, le cas échéant, l’obtention auprès du service de la publicité foncière des actes de mutation concernés, mettent les parties en mesure de débattre contradictoirement de leur bien-fondé ou de leur pertinence.
    2. Le moyen, qui postule que ne peut être pris en compte, sauf à méconnaître le principe de la contradiction, un terme de comparaison comportant ses références de publication, s’il n’est accompagné de la production de l’acte de vente correspondant, n’est donc pas fondé ».

La Cour de cassation juge ainsi que dès lors que les parties disposent des éléments leur permettant d’obtenir les actes correspondant aux termes de comparaison directement auprès du service de la publicité foncière, le principe du contradictoire est respecté dans le cadre des débats.

Si la Cour de cassation fait preuve d’une forme de pragmatisme en n’imposant pas la production de l’ensemble des actes de mutation à l’appui de la mention des termes de comparaison, il convient de relever que les éléments exigés excèdent ceux accessibles sur les plateformes disponibles gratuitement (type DVF).

Il convient donc d’être vigilant à la production des informations d’identification de la parcelle (date et nature de la mutation, prix, adresse, références cadastrales, descriptif du bien dès lors qu’il a été déclaré à l’administration) et du numéro de publication au service de publicité foncière, sans quoi le terme de comparaison ne pourra pas être retenu.

Le Conseil Constitutionnel confirme la restriction de l’exercice de l’action civile des associations de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Dans une décision en date du 22 novembre 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le troisième alinéa de l’article 2-6 du Code de procédure pénale[1] en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité, pour les associations de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, d’exercer une action civile pour des faits de séquestration, de vol et extorsion.

Le 11 septembre 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation [2] avait transmis au Conseil constitutionnel, une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) soulevée par l’Association Stop Homophobie sur la conformité de cette disposition issue de la loi du 10 mai 2024, estimant que cette limitation des droits reconnus à la partie civile pour les associations à certaines infractions énumérées est contraire :

  • au droit à un recours juridictionnel effectif et à la liberté d’association ;
  • aux principes d’égalité devant la loi et devant la justice.

Le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que la restriction des droits reconnus aux associations qui luttent contre les discriminations sexuelles et sexistes, n’entrave aucunement leur capacité d’agir et que la différence de traitement avec d’autres associations admises et recevables à agir se justifie par une différence objective de situation en lien avec l’objet défendu par les statuts de l’association.

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[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045099310

[2] Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 septembre 2024 – n° 24-90.009

La dissolution administrative des associations s’applique aux partis politiques

Par un arrêt du 30 décembre 2024, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité du décret du 4 octobre 2023[1] prononçant, sur le fondement de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI), la dissolution de l’association Civitas.

Particulièrement usité ces dernières années, ce n’est vraisemblablement pas le caractère dérogatoire du régime institué par ces dispositions du CSI – permettant à l’autorité administrative de prononcer directement la dissolution de groupements ou associations dont l’activité constitue une menace immédiate pour l’ordre public – qui a valu à cette décision d’être remarquée.

Son intérêt réside, outre le fait que la Haute juridiction a jugé la dissolution justifiée (1), dans l’application de cette procédure à un parti politique (2).

 

1. Une dissolution justifiée au regard des risques de troubles à l’ordre public résultant des prises de position de l’association

Les dispositions de l’article L. 212-1 du CSI, issues de la loi du 10 janvier 1936[2], permettent la dissolution de toutes les associations ou groupements de fait par décret en conseil des ministres.

Compte tenu de l’atteinte portée à la liberté d’association par cette décision administrative – qui déroge à la compétence du juge judiciaire en la matière[3] –, le juge opère naturellement un contrôle particulièrement étroit des motifs sur lesquels elle repose.

Le Conseil d’Etat a ainsi rappelé qu’« eu égard à la gravité de l’atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure sont d’interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l’ordre public ».

Il a en outre précisé que « la décision de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prise sur le fondement de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article ».

La mise en œuvre de ce contrôle a conduit à un examen minutieux des motifs avancés pour dissoudre l’association Civitas, lequel a conduit le juge administratif à exclure l’un des trois motifs sur lesquels se fondaient le décret de dissolution.

Le premier motif, figurant à l’alinéa 5 de l’article L. 212-1 du CSI, vise les groupements « qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ».

A cet égard, le Conseil d’Etat a estimé que l’organisation de « commémorations à l’occasion de la mort de Philippe Pétain », d’hommages « à des Collaborateurs » et l’utilisation d’ « emblèmes rappelant ceux utilisés par « l’autorité de fait se disant » gouvernement de l’État français » permettaient d’établir « l’exaltation de la collaboration ».

Le deuxième motif, mentionné à l’alinéa 6 de l’article L 212-1 du CSI, permet la dissolution d’un groupement qui « provoque ou contribue par ses agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes », notamment en raison de leur appartenance à une religion ou une prétendue race.

Sur ce point, le juge administratif a relevé un certain nombre d’éléments du dossier attestant des propos antisémites régulièrement tenus par les responsables de l’association, des appels à la discrimination à l’égard des personnes de confession musulmane et plus généralement étrangères ou issues de l’immigration, ou encore de la vision hostile aux personnes homosexuelles exprimée publiquement et en des termes dégradants.

Il a en outre souligné que la mise en ligne des propos des responsables de l’association suscitait souvent des commentaires à caractère discriminatoire ou haineux, sans que ceux-ci fassent l’objet ni d’une condamnation, ni d’une modération de la part de l’association.

En revanche, s’agissant du troisième motif, le Conseil d’Etat juge que le décret a fait une inexacte application des dispositions du 3° de l’article L. 212-1 du CSI, estimant ainsi que l’association ne pouvait être dissoute sur le fondement d’une remise en cause de la forme républicaine du Gouvernement. Ce motif a néanmoins été neutralisé considérant le fait que l’auteur du décret aurait pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les dispositions des 5° et 6° de l’article L. 212-1 du CSI.

 

2. Une dissolution prononcée à l’encontre d’un parti politique

On l’a dit, l’association Civitas présentait la particularité d’être constituée en parti politique au sens de la loi de 1988[4].

Et alors que la requérante faisait justement valoir qu’elle constituait un parti politique, le juge administratif a estimé que « […] les partis politiques constitués en association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ne sont pas exclus par principe du champ d’application de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure. Le moyen tiré de ce que le décret serait entaché de détournement de procédure ou de détournement de pouvoir, au motif qu’il aurait pour objet, sous couvert de la dissolution d’une association, de procéder à la dissolution d’un parti politique ne peut donc qu’être écarté. […] ».

Pour le dire simplement, le Conseil d’Etat juge sans équivoque que l’article L. 212-1 du CSI est applicable à un parti politique, y compris au sens de la loi de 1988.

Il faut préciser que si la solution n’est pas nouvelle, la question méritait en réalité d’être reposée. En effet, depuis l’intervention de la loi du 10 janvier 1936, de nombreux groupements identifiés comme des « partis politiques » avaient déjà été dissous. Les solutions jurisprudentielles[5] rendues sur ces dissolutions étaient néanmoins antérieures à la loi de 1988 qui a créé la véritable définition du parti politique en France[6].

Si certains ont pu penser que l’existence de cette législation spécifique en matière de partis politiques pouvait suggérer une protection particulière de ces entités, la solution retenue exprime, au fond, qu’un parti politique est avant tout une association. On soulignera en outre la cohérence de cette solution sur le plan historique puisque la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association marque la naissance des partis politiques modernes – les garanties offertes par cette loi ayant contribué à permettre aux organisations politiques de l’époque de s’inscrire plus clairement dans un cadre légal[7].

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[1] NOR : IOMD2326367D.

[2] Loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées.

[3] On rappellera que la dissolution d’une association peut être prononcée par le juge judiciaire, notamment à la diligence du ministère public, lorsque le groupe à un objet social non conforme à l’ordre public (article 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association).

[4] Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

[5] V. par ex. CE, 17 avril 1963, Association « Parti Nationaliste », n° 47273 ; CE, Ass., 21 juillet 1970, Sieurs Krivine et Franck, n° 76179 et 76232 ; CE, Ass., 21 juillet 1970, Sieur Jurquet, n° 76233 ; CE, 13 janvier 1971, Sieur Geismar, n° 81087.

[6] Cf. titre III de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

[7] Huard Raymond, La naissance du parti politique en France, Presses de Sciences Po. « Académique », 1996, spéc. p. 289 à 310.

L’ère de la régulation débute avec l’IA Act : interdiction des IA à risque inacceptable à compter du 2 février 2025

Le règlement sur l’Intelligence Artificielle (IA Act)[1] constitue la première législation d’envergure à l’échelle mondiale qui vise à encadrer le développement, la mise sur le marché et l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle (IA) présentant des risques pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux.

Entré en vigueur le 1er août 2024, ce règlement instaure un cadre législatif structuré, dont l’application se fait progressivement sur deux ans.

 

1. Les quatre niveaux de risque

L’IA Act propose une classification des systèmes d’IA en quatre catégories, déterminées par le niveau de risque qu’ils présentent. Selon le niveau de risque identifié, les obligations réglementaires applicables varient.

  • Risque inacceptable[2]

Un système d’IA est considéré comme présentant un risque inacceptable lorsque son utilisation est contraire aux valeurs fondamentales de l’Union européenne et aux droits fondamentaux.

Il peut s’agir, par exemple, de systèmes de notation sociale ou de technologies exploitant la vulnérabilité des individus, qui mettent en péril les principes essentiels de dignité et d’égalité.

Ces IA sont totalement prohibées par le règlement.

  • Haut risque[3]

Un système d’IA est considéré comme étant à haut risque lorsqu’il peut porter atteinte à la sécurité des personnes ou à leurs droits fondamentaux. Dès lors, le développement de ces IA est soumis à des exigences renforcées (évaluation de conformité, documentation technique, …).

Ces systèmes sont listés au sein de des annexes I et III de l’IA Act, incluant, entre autres, les systèmes d’IA biométriques ainsi que les systèmes d’IA utilisés dans le recrutement.

  • Risque spécifique en matière de transparence[4]

Certains systèmes d’IA, parce qu’ils interagissent avec des personnes physiques, et qu’ils peuvent les influencer et orienter leurs comportements, présentent un risque spécifique de transparence. Partant, certaines obligations en matière d’information aux personnes leur sont applicables pour, d’une part, garantir une transparence totale et, d’autre part, renforcer la confiance dans ces outils.

À titre d’exemple, il est nécessaire que les utilisateurs employant des chatbots soient clairement informés de leur interaction avec une machine.

  • Risque minimal

Cette catégorie englobe tous les systèmes d’IA ne présentant pas de risques particuliers en matière de sécurité ou de protection des droits fondamentaux. En conséquence, aucune obligation spécifique ne leur est applicable.

Selon la Commission européenne, ces systèmes représentent la grande majorité de ceux actuellement utilisés ou susceptibles de l’être au sein de l’Union européenne.

Cette catégorie comprend notamment des applications telles que les jeux vidéo intégrant l’IA ou les filtres anti-spam, qui, en raison de leur faible impact sur la sécurité et les droits fondamentaux, échappent à une réglementation spécifique.

 

2. Les systèmes d’IA à risque inacceptable interdits dès le 2 février 2025

A partir du 2 février 2025, les systèmes d’IA présentant un risque inacceptable, c’est-à-dire ceux dont l’utilisation est contraire aux valeurs fondamentales de l’Union Européenne, seront interdits.

A titre d’illustration, sont spécifiquement interdits :

  • les technologies de notation sociale ;
  • les technologies qui exploitent les vulnérabilités dues à l’âge, au handicap ou à la situation sociale ou économique spécifique d’une personne physique ;
  • les techniques subliminales, au-dessous du seuil de conscience d’une personne, ou les techniques délibérément manipulatrices ou trompeuses ;
  • l’identification biométrique utilisée par les services répressifs à distance en temps réel et dans des lieux accessibles au public ;
  • la police prédictive ciblant les individus[5];
  • la reconnaissance des émotions sur le lieu de travail et dans les établissements.

Toute entité ne respectant pas ces interdictions de mise sur le marché, de mise en service, et d’utilisation des systèmes d’IA à risque inacceptable s’expose à une amende administrative pouvant aller jusqu’à 35 millions d’euro (ou 7 % de son chiffre d’affaires annuel mondial)[6].

Ainsi, il est essentiel que toutes les entités, qu’elles soient publiques ou privées, identifient les systèmes d’IA qu’elles utilisent et procèdent à une cartographie précise des obligations qui leur sont applicables.

L’interdiction reflète une volonté de préserver la vie privée, la dignité humaine et les libertés fondamentales face à des systèmes d’IA potentiellement intrusifs.

En définitive, l’IA Act marque une volonté claire de l’Union européenne de protéger les droits fondamentaux et de limiter les usages abusifs de l’IA.

Cependant, cette régulation soulève des défis majeurs : définir précisément les frontières d’un “risque inacceptable” risque de s’avérer complexe et pourrait créer une insécurité juridique pour les entreprises. De plus, le caractère potentiellement lourd des obligations imposées (en matière de conformité et de preuves de non-nocivité) pourrait freiner l’innovation et décourager les jeunes pousses technologiques. À l’inverse, on peut espérer qu’en instaurant un cadre clair, l’UE encourage un environnement compétitif où les acteurs les plus responsables s’épanouissent, tout en protégeant les citoyens.

La réussite de cette réglementation dépendra toutefois de sa mise en application concrète, notamment de la coordination entre autorités nationales et instances européennes.

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[1]Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle et modifiant les règlements (CE) n° 300/2008, (UE) n° 167/2013, (UE) n° 168/2013, (UE) 2018/858, (UE) 2018/1139 et (UE) 2019/2144 et les directives 2014/90/UE, (UE) 2016/797 et (UE) 2020/1828 (règlement sur l’intelligence artificielle) (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

[2] Article 5 IA Act

[3] Article 6 et suivants IA Act

[4] Articles 50 et suivants IA Act

[5] Renvoie aux systèmes d’IA visant à prédire le risque qu’une personne physique commette une infraction pénale, uniquement sur la base du profilage de la personne ou de l’évaluation de ses traits et/ou de ses caractéristiques.

[6] Article 99.3) IA Act

La Cour de cassation confirme la possibilité pour le candidat évincé de passer du référé précontractuel au référé contractuel devant le juge judiciaire

Par un arrêt publié au Bulletin en date du 14 novembre 2024, la Cour de cassation a consacré la possibilité de passer du référé précontractuel au référé contractuel devant le juge judiciaire en cas de conclusion du contrat pendant la période de suspension liée à l’introduction d’un recours précontractuel.

Dans cette affaire, la Société Communale de Saint-Martin (SEMSAMAR) a lancé un avis public à concurrence le 26 novembre 2021 pour la désignation d’un second commissaire aux comptes. Une société de commissariat aux comptes a vu son offre rejetée par une délibération du 15 septembre 2022.

La société évincée a alors assigné la SEMSAMAR selon la procédure accélérée au fond devant le Tribunal judiciaire de Fort-de-France le 23 septembre 2022, dénonçant des irrégularités dans la passation du marché et demandant l’annulation de la délibération du 15 septembre 2022.

L’accord-cadre ayant été signé le 27 septembre 2022 par la SEMSAMAR avec l’attributaire pressenti, la société requérante a demandé, dans ses dernières conclusions, l’annulation de cet accord en application des articles 16 et 18 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique et au motif que la signature était intervenue en violation de la suspension obligatoire prévue par l’article 4 de l’ordonnance.

Le Tribunal judiciaire de Fort-de-France a joint les deux instances mais, par jugement du 28 avril 2023, a rejeté les demandes de la société évincée, estimant notamment que le recours en référé précontractuel était devenu sans objet et qu’elle n’était pas recevable à modifier ses demandes afin de transformer son recours précontractuel en recours contractuel.

Devant la Cour de cassation, la société évincée a soulevé le moyen selon lequel la signature du contrat pendant la période de suspension lui ouvrait la possibilité de transformer son recours précontractuel en un recours contractuel sur les fondements des articles 16 et 18 de ladite ordonnance.

Par cette décision, la Cour de cassation a jugé, outre que le défaut d’exposé des moyens des parties constituait une violation substantielle de l’article 455 du Code de procédure civile, qu’il résulte de la combinaison articles 4, 12, 16, 17 et 18 de l’ordonnance « qu’en cas de conclusion du contrat pendant la période de suspension, le candidat évincé qui a introduit un recours précontractuel peut modifier ses demandes devant le juge et conclure à l’annulation de ce contrat, sur le fondement des textes applicables au recours contractuel. » (Point 17 de l’arrêt)

En d’autres termes, la Cour a considéré de manière très nette que la signature d’un contrat pendant la période de suspension liée à l’introduction d’un recours précontractuel prévue par l’article 4 de l’ordonnance n° 2009-515 permet au candidat évincé de modifier ses demandes et transformer son recours précontractuel en recours contractuel.

Par conséquent, la Cour a cassé le jugement attaqué, renvoyé l’affaire devant une autre composition du Tribunal judiciaire de Fort-de-France.

Ainsi, l’arrêt apporte une précision essentielle sur l’articulation entre recours précontractuel et contractuel. Et permet de clarifier les droits des candidats évincés. Pour rappel, il ressort de l’article 18 de l’ordonnance susvisée qu’en cas de violation de l’obligation de suspension, le juge peut annuler le contrat, pouvant également envisager d’autres sanctions (résiliation, réduction de durée, pénalités financières).

Notons que cette décision rendue par le juge judiciaire s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence administrative sur ce point[1] mais s’avère également plus souple pour le requérant évincé puisque la Cour de cassation ne retient pas ici le critère de l’ignorance par le candidat évincé de la signature du marché attaqué.

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[1] CE, 10 novembre 2010, France Agrimer, n° 340944 ; CE 24 juin 2011, Office public de l’habitat interdépartemental de l’Essonne, n° 346665 ; CE 5 mars 2014, Sté Eiffage TP, n° 374048. ; CE 17 juin 2015, Société Proxiserve, n° 388457

Le titulaire d’un marché public doit notifier toute contestation relative aux prescriptions des bons de commande dans un délai de quinze jours, à peine de forclusion

Dans cette affaire, la communauté d’agglomération Sophia Antipolis avait conclu le 11 mai 2015, un marché à prix unitaires à bons de commande relatif à l’exploitation du réseau « Envibus » avec la société Corporation française de transports de Perpignan Méditerranée (transféré à la société Vectalia Sophia Antipolis en 2016).

La société Vectalia contestait les quantités commandées en considérant que « les quantités mentionnées dans les bons de commande et auxquelles sont appliquées les prix unitaires étaient sous-évaluées, dès lors qu’elles ne tenaient pas compte des temps de prise en charge commerciale et de relève, et dès lors qu’elles ne [tenaient] pas compte des écarts de circuit ». Elle prétendait également qu’elle avait subi des surcoûts engendrés par le non-renouvellement des véhicules au-delà de leur durée de vie contractuelle et qu’ils devaient faire l’objet d’un remboursement.

C’est dans ce cadre que la société avait d’abord demandé à la communauté d’agglomération le paiement d’une somme de 3.220.000 d’euros puis avait saisi le Tribunal administratif de Nice d’une demande tendant à la condamnation de la communauté d’agglomération à lui verser la somme de 3.266.895,34 d’euros hors taxes.

Or, la communauté d’agglomération opposait à la société le fait qu’elle était forclose dès lors qu’au titre de l’article 3.7 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) fournitures courantes et de services de 2009 applicable au présent litige, elle aurait dû notifier dans les délais prescrits, c’est-à-dire 15 jours à partir de la notification du bon de commande, ses observations.

Ce qui n’a pas été fait en l’espèce. La société requérante n’avait émis aucune observation concernant les distances ou durées mentionnées dans les bons, ni les coûts de maintenance. Et c’est ce que relève la Cour administrative d’appel en jugeant que les réclamations étaient irrecevables en raison de l’absence de notifications d’observations par la requérante dans les délais impartis.

En conséquence, la Cour administrative d’appel de Marseille confirme le jugement du tribunal administratif, et rejette les prétentions de la société Vectalia.

Par cet arrêt, la Cour administrative d’appel rappelle que, dans les marchés à bons de commande, le titulaire du contrat doit notifier toute contestation relative aux prescriptions des bons de commande dans un délai de quinze jours, à peine de forclusion.

Plus généralement, cet arrêt réaffirme l’importance pour les titulaires de marchés publics de respecter scrupuleusement les procédures issues du CCAG applicable, notamment les délais de contestation. Faute de quoi, ils s’exposent à l’irrecevabilité de leurs prétentions financières.

Mise à disposition à titre gratuit d’un local affecté à un service public communal pour l’exercice d’un culte : suite de la décision Commune de Nice en date du 18 mars 2024

Dans une décision commentée dans une précédente LAJ [avril 2024], le Conseil d’Etat a précisé que la mise à disposition à titre gratuit d’un local affecté à un service public communal pour l’exercice d’un culte ne constitue pas nécessairement une libéralité consentie par la commune à l’association bénéficiaire.

Il a ainsi jugé que l’existence d’une libéralité doit être appréciée « compte tenu de la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune ».

Il avait ainsi annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui avait jugé l’inverse et renvoyé l’affaire devant la même cour.

Cette dernière s’est de nouveau prononcée par un arrêt du 15 octobre 2024 (n° 24MA00665).

A cette occasion, la Cour a estimé que, dans l’affaire en cause, la gratuité de la mise à disposition d’une salle communale pour l’exercice d’un culte n’était pas constitutive d’une libéralité.

Pour ce faire, elle a constaté que :

  • La mise à disposition du local, de quatre heures au total, était de « très faible durée»,
  • L’association bénéficiaire ne pouvait y assurer des prestations et tirer des recettes de cette mise à disposition ;
  • L’avantage consenti, de l’ordre de 1.020 euros TTC, était « modeste», alors que, au vu du jour et de l’heure concernés par la mise à disposition, à savoir un vendredi de 7 à 11 heures du matin, la commune n’avait été privée d’aucune recette prévisible en cas de location payante pour un autre usage,
  • La mise à disposition répondait à un motif d’intérêt général dès lors qu’aucun des lieux de culte existant sur la commune ne permettait d’accueillir le nombre prévisible de personnes susceptibles de participer à cette fête religieuse à l’appel de cette association, dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public.

Il s’agit ainsi d’une première application intéressante des critères fixés par le Conseil d’Etat en mars 2024 qui pourra servir de base à une appréciation, in concreto, par les communes sollicitées pour une mise à disposition gratuite de locaux communaux à des fins cultuelles.

Les conclusions du rapporteur public sur cette affaire sont également éclairantes (A. Gautron, Gratuité ne vaut pas nécessairement libéralité, AJDA 2024.2282).

Il y est en effet rappelé certaines modalités d’identification d’une libéralité.

Ainsi, d’une part, il est précisé que la question de l’existence d’une libéralité ne se confond pas avec celle de l’économie éventuellement réalisée par la bénéficiaire de l’autorisation querellée. En effet, la libéralité, au-delà de constituer un avantage pour son bénéficiaire, doit révéler l’intention de l’administration d’avantager ce dernier.

D’autre part, il est indiqué que l’utilité publique qui s’attache à l’organisation d’une prière collective dans un espace clos, plutôt que sur la voie publique ou dans d’autres lieux inadaptés est certaine alors que, plus généralement, la jurisprudence exclut de longue date la qualification de libéralité lorsqu’un avantage financier est accordé pour un motif d’intérêt général (par exemple : CE, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n° 169473).

Guide du Conseil d’Etat relatif à l’application du principe de laïcité par le juge administratif

A l’occasion de la journée de la laïcité, le 9 décembre dernier, le Conseil d’Etat a publié un dossier thématique intitulé « Le juge administratif et l’application du principe de laïcité ».

Il y procède à des rappels généraux relatifs aux deux volets du principe de laïcité, à savoir le principe de neutralité religieuse de l’Etat et celui de la liberté religieuse des individus.

Le dossier présente également les différents aménagements dont peuvent souffrir ces principes, afin de tenir compte d’autres impératifs d’intérêt général comme la garantie de l’effectivité de la liberté religieuse des individus ou la protection de l’ordre public.

Il est ainsi rappelé que le principe de neutralité ne s’oppose pas à un financement public dérogatoire des cultes dans des circonstances précises comme lorsque les usagers du service public ne peuvent exercer librement leur culte par eux-mêmes (hôpitaux, prisons par exemple), ou au travers de l’entretien de certains lieux de culte par exemple.

Le cas spécifique des agents publics, tenus à une obligation de neutralité en tant que représentants incarnés de l’administration (article L. 121-2 du Code général de la fonction publique – CGFP), mais bénéficiant du droit au respect de leurs convictions religieuses en tant qu’individus, est également abordé.

Enfin, les aménagements de l’expression des convictions religieuses des individus, fondés sur des motifs d’intérêt général et de protection de l’ordre public sont évoqués.

Le guide comporte une annexe proposant une sélection de jurisprudence en matière de laïcité pour la période 2014-2024.

S’il s’agit principalement de décisions du Conseil d’Etat connues, figurent quelques jugements de tribunaux administratifs intéressants, ainsi que de récents arrêts de cours administratives d’appel.

Ainsi, par exemple, est cité un jugement du Tribunal administratif de Toulouse en date du 30 mars 2023 (n° 2105014) dont il résulte que la projection de caricatures parues dans Charlie Hebdo sur des bâtiments publics en hommage à Samuel Paty ne porte pas atteinte au principe de neutralité ou de laïcité :

« en se bornant à exposer six dessins à caractère satirique parus dans un organe de presse dont la diffusion est dûment autorisée, la présidente de la région Occitanie n’a pas davantage porté atteinte aux principes de neutralité ou de laïcité des services publics dès lors que cette diffusion et les dessins en cause ne comportaient aucune stigmatisation d’une conviction idéologique ou religieuse en particulier, ni une prise de position à leur égard de la part de l’autorité publique mais visaient simplement à relayer le message tenant aux principes à valeur constitutionnelle de laïcité, de liberté d’expression et de liberté de conscience, ainsi que l’expose le communiqué de presse précité ».

Parmi les arrêts récents de cours administratives d’appel, l’un d’entre eux est particulièrement intéressant. Il s’agit d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 18 octobre 2024 (n° 23PA02755) dont il résulte, d’une part, que la « tabâa » ne constitue pas un signe dont le port manifeste l’intention d’un agent public de manifester sa religion et, d’autre part, qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier le respect de l’interdiction faite aux agents publics de manifester, dans l’exercice de leurs fonctions, leurs croyances religieuses, au cours de la phase de recrutement d’un candidat.

Plus précisément, la tabâa est une marque sur le front constituant une dermatose pigmentée, due à une pratique assidue de la religion musulmane car résultant de la friction générée par le contact régulier du front d’un individu avec le tapis de prière.

Il a été jugé que, s’il est constant que la marque constitue un signe de l’appartenance religieuse de l’agent, elle n’est que la conséquence physique d’une pratique religieuse exercée dans un cadre privé. En outre, en l’espèce, il ne ressortait d’aucune pièce du dossier qu’elle aurait été recherchée à titre de signe distinctif. Dès lors, elle ne pouvait être regardée, en tant que telle, comme traduisant la volonté de l’intéressé de manifester ses croyances religieuses dans le cadre du service public.

En revanche, a été validée par la juridiction la circonstance que l’autorité administrative s’assure, lors de l’entretien, des garanties présentées par le candidat en vue de l’exercice de ses futures fonctions, notamment au regard du principe de laïcité. La Cour a ainsi estimé que cela ne constituait pas une discrimination du candidat à raison de ses convictions religieuses.

Concessions : précisions sur les conditions de régularisation des offres en phase de négociation

L’une des principales caractéristiques des contrats de concession est que leur procédure de passation peut toujours prévoir une phase de négociation librement organisée par l’acheteur, quelle que soit leur valeur estimée.

En cela, les concessions se distinguent des marchés publics, dont la passation ne peut inclure une phase de négociation que dans certaines procédures (procédure adaptée, dialogue compétitif, procédure avec négociation).

Pourtant, de manière paradoxale, la régularisation des offres irrégulières[1] ou inacceptables[2] en cours de négociation n’est expressément autorisée par le Code de la commande publique (CCP) que par l’article R. 2125-1 applicable aux marchés publics et rédigé en ces termes :

« Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d’appel d’offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées.

Dans les autres procédures, les offres inappropriées[3] sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées ».

A l’inverse, pour ce qui concerne les concessions, le Code se borne à disposer, en son article L. 3134-2, que l’autorité concédante doit écarter les offres irrégulières (qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation[4]) et les offres inappropriées (manifestement pas en mesure, sans modifications substantielles, de répondre aux besoins et aux exigences de l’autorité concédante spécifiés dans les documents de la consultation[5]), sans prévoir expressément une possibilité de régularisation en phase de négociation.

Dès lors, il y a lieu de se demander si, dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession, un acheteur est juridiquement autorisé à admettre à la négociation un candidat dont l’offre initiale est irrégulière et lui permettre de régulariser celle-ci au cours de cette phase et, le cas échéant, dans quelles conditions.

C’est à ces interrogations que vient répondre le Conseil d’Etat par la décision commentée, dont la mention aux Tables du recueil Lebon se justifie aisément par son importance pour les acheteurs.

Cette décision intervient dans le cadre d’un contentieux relatif à la passation par la communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération d’un contrat de concession portant sur la gestion d’un complexe cinématographique. La société Ciné Espace Evasion, candidate évincée, avait obtenu du Tribunal administratif de Marseille la résiliation de ce contrat avec effet différé et le versement d’une indemnité au titre du préjudice subi. Le tribunal administratif avait fondé sa décision sur le fait que l’attributaire avait remis une offre initiale irrégulière, dans la mesure où elle n’intégrait pas le paiement du droit d’entrée prévu par le contrat et qu’elle n’aurait donc pas dû être admise à la négociation et, moins encore, remporter le contrat.

Cependant, par un arrêt n° 22MA02071 du 27 novembre 2023, la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par la communauté d’agglomération, a annulé ce jugement et rejeté les demandes de la société Ciné Espace Evasion. Par cet arrêt, elle a non seulement considéré que les dispositions du Code de la commande publique ne font pas obstacle à ce que l’autorité concédante invite le candidat concerné à régulariser son offre au cours de la procédure de négociation, mais elle a également précisé que « dès lors que la régularisation de l’offre n’avait pour objet ni de modifier l’objet de la concession, ni les critères d’attribution, ni les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation, la circonstance, à la supposer établie, qu’elle soit « substantielle » et ne vise pas seulement à corriger une erreur matérielle est sans incidence sur la régularité de la procédure ».

Saisi d’un pourvoi par la société Ciné Espace Evasion, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt ainsi rendu par la Cour administrative d’appel et pose, à cette occasion, un considérant de principe clarifiant l’interprétation qui doit être faite des dispositions du Code de la commande publique relatives à la régularisation des offres dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession :

« Il résulte de ces dispositions que l’autorité concédante peut librement négocier avec les candidats à l’attribution d’une concession l’ensemble des éléments composant leur offre, dès lors que cette négociation ne conduit pas cette autorité à remettre en cause l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. Ces dispositions ne s’opposent pas à ce que, lorsqu’elle recourt à la négociation, l’autorité concédante y admette un soumissionnaire ayant remis une offre initiale irrégulière. Le respect du principe d’égalité de traitement des candidats implique toutefois qu’elle ne puisse retenir un candidat dont la régularisation de l’offre se traduirait par la présentation de ce qui constituerait une offre entièrement nouvelle. En tout état de cause, l’autorité concédante est tenue de rejeter les offres qui sont demeurées irrégulières à l’issue de la négociation ».

Puis, appliquant ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat conclut que la Cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la circonstance que la régularisation d’une offre ne vise pas simplement à corriger une erreur matérielle ne faisait pas obstacle à ce qu’elle ait lieu au cours de la négociation.

Cette décision vient ainsi confirmer la validité juridique d’une pratique d’ores et déjà largement répandue consistant, pour les autorités concédantes, à laisser aux candidats l’opportunité de mettre leur offre en conformité au cours des négociations et jusqu’à la remise de leur offre finale.

Au demeurant, l’inverse eut été très surprenant, ainsi que le souligne le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sous cette décision (Ariane Web) :

« Il n’y aurait donc aucune raison que vous jugiez qu’aucune régularisation n’est possible en matière de concession faute de fondement textuel exprès, et ce d’autant que vous avec décliné aux délégations de service public votre jurisprudence sur la méconnaissance des exigences du règlement de consultation (CE, 20 juillet 2022, Commune du Lavandou, n° 458427, aux Tables) et que, d’une façon générale, les exigences procédurales qui s’imposent aux autorités concédantes sont globalement plus souples que celles applicables aux pouvoirs adjudicateurs ».

En outre, cette affaire permet de préciser qu’un candidat peut, à l’occasion d’une mise en conformité de son offre, intégrer le versement d’un droit d’entrée exigé par le contrat.

Néanmoins, la limite posée par le Conseil d’Etat à cette faculté de régularisation – ne pas aller jusqu’à « une offre entièrement nouvelle » – demeure relativement abstraite et devra donc être précisée par des illustrations concrètes, à l’occasion de jurisprudences ultérieures.

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[1] Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale (CCP, art. L. 2152-2).

[2] Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure (CCP, art. L. 2152-3).

[3] Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l’acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation (CCP, art. L. 2152-4).

[4] CCP, art. L. 3124-3.

[5] CCP, art. L. 3124-4.

Élections municipales 2026 : maîtriser sa communication institutionnelle

Le 28 novembre 2024, le ministre de l’Intérieur a mis fin aux incertitudes grandissantes relatives à la durée du mandat des conseillers municipaux, dont la plupart a été installée en juillet 2020, en raison de la période de confinement et du report du 2nd tour des élections municipales[1]. En effet, en se fondant sur l’article L. 227 du Code électoral combiné au 2° du II de l’article 17 de la loi du 22 juin 2020[2] qui prévoyait déjà que les mandats des conseillers municipaux et communautaires[3] seraient renouvelés en mars 2026, le Ministre a indiqué que le renouvellement des mandats des conseillers municipaux interviendra en mars 2026[4]. Un décret en Conseil des ministres qui devrait intervenir au dernier semestre 2025 précisera la date exacte des deux tours.

Dans cette attente, à compter du 1er septembre 2025 s’ouvrira une période de réserve durant laquelle deux limites contraindront la communication institutionnelle des communes et intercommunalités mais aussi de leurs satellites locaux.

 

1. Les limites légales à la communication institutionnelle

Le Code électoral a institué deux limites à la communication en période préélectorale qui entrent en vigueur six mois avant les élections.

L’alinéa 2 de l’article L. 52-8 du Code électoral interdit aux personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, de financer la campagne électorale d’un candidat, en lui consentant des dons ou en lui fournissant des biens, services ou avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux habituellement pratiqués.

Cette interdiction, qui doit être mise en relation avec l’article L. 52-4 du Code électoral relatif à la mission du mandataire financier de recueillir les fonds destinés au financement de la campagne, s’applique désormais six mois avant les élections et non plus dans le délai d’un an précédant le scrutin[5].

Le 2ème alinéa de l’article L. 52-1 du Code électoral interdit lui aux collectivités de réaliser des campagnes de promotion publicitaire de leur gestion et de leurs réalisations. Partant, ces deux interdictions s’appliqueront à compter du 1er septembre 2025, néanmoins la prudence doit rester de mise avant cette date.

S’agissant tout d’abord des dons, notons que le législateur n’a pas entendu définir ce qu’il faut entendre par dons. Toutefois, il ressort de la jurisprudence et du guide du candidat et du mandataire financier[6], régulièrement produit par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et de Financements politiques (CNCCFP), que cette interdiction s’applique donc aussi bien aux dons provenant de personnes morales privées ou publiques tierces, qu’à ceux provenant d’une collectivité publique au sein de laquelle le candidat exercerait des fonctions électives. Partant, des actions de communication institutionnelle en faveur d’un candidat, élu-sortant, peuvent constituer des dons.

S’agissant des campagnes de promotion publicitaire, on considère traditionnellement qu’il y a campagne de promotion dès lors que l’initiative de communication dépasse l’information classique pour devenir un instrument de promotion des réalisations d’une municipalité et de ses élus. Toutefois, notons que la campagne de promotion publicitaire n’a jamais, à proprement parler, été définie par le législateur ou par la jurisprudence.

Ainsi, l’interdiction s’étend à tous les supports de communication qu’il soit interne ou externe. Le Conseil d’Etat a ainsi estimé que constitue une campagne de promotion publicitaire au sens de l’article L. 52-1 du Code électoral la distribution massive dans les boîtes aux lettres du magazine d’information générale de la ville à des jours de diffusion inhabituels correspondant à la veille et à l’avant-veille du second tour des élections départementales[7].

 

2. Le faisceau d’indices jurisprudentiels

Les notions de campagne de promotion et de don prohibé sont appréciées au cas par cas par le juge de l’élection au regard d’un faisceau d’indices, qui se compose de trois critères principaux :

  • L’antériorité : L’action de communication qui a un caractère habituel et traditionnel, telle que l’envoi d’une lettre d’information périodique ou l’organisation d’une commémoration annuelle, présentera de fait moins de risque qu’un évènement ou un support de communication inédit.

Ce critère permet de s’assurer que l’action de communication litigieuse ou l’évènement n’a pas été créé spécifiquement en vue des élections. Il exclut, a priori, la création de tout nouveau support pendant la période légale de restriction même si la jurisprudence a pu considérer que la création d’un site internet comportant une présentation générale de la Commune ne peut être regardée comme une campagne de promotion publicitaire quelques mois avant le scrutin[8].

  • La continuité et l’identité du support : La collectivité peut continuer les actions de communication régulièrement organisées mais elle ne peut en modifier la forme et la fréquence (même régularité pour les publications, même tirage, pas de modification de la pagination en augmentant notamment le nombre de pages, pas de modification de la charte graphique). Notons qu’il convient également d’être vigilant à la mobilisation de nombreux supports de communication pour l’organisation d’un évènement.
  • La neutralité du contenu : Enfin, l’information délivrée dans les campagnes de communication ne doit comporter que des messages politiquement neutres, à caractère purement informatif.

Il faut souligner qu’il s’agit d’indices et non de critères cumulatifs, ce qui veut dire que le fait qu’ils ne soient pas réunis simultanément n’empêche pas le juge de considérer qu’il se trouve en présence d’une campagne prohibée.

Il est primordial de relever que le contenu du message et donc l’indice de neutralité prévaudra dans l’appréciation faite par le juge de l’élection. Par ailleurs, il existe un risque important, sans qu’il soit automatique, pour que l’opération qualifiée de promotion de la collectivité soit considérée comme ayant bénéficié directement ou indirectement à l’élu candidat.

 

3. Les sanctions applicables

Certaines sanctions sont strictement attachées à la méconnaissance de l’article L. 52-1 du Code électoral ou de l’article L. 52-8 du Code électoral, tandis que d’autres peuvent être prononcées indifféremment en cas de méconnaissance de l’une ou l’autre de ces dispositions.

En effet, les sanctions peuvent être prononcées soit à l’occasion d’un recours devant le tribunal administratif dirigé contre les élections, soit à l’occasion du rejet du compte de campagne par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP), qui dans ce cas est amenée à saisir le tribunal administratif.

Dans le premier cas, le tribunal administratif, juge des élections municipales, peut être saisi dans un délai de cinq jours à compter de la proclamation des résultats par tout électeur de la circonscription, les candidats et le préfet. Dans ce cadre, la sanction n’est pas automatique et dépend notamment de l’influence de l’action de communication organisée sur les résultats du scrutin, notamment si l’écart de voix est faible[9].

A cet égard, le juge électoral peut éventuellement prononcer l’annulation des élections si l’irrégularité a été de nature à en altérer la sincérité ou en cas de réintroduction de dépenses ou de recettes dans le compte de campagne du candidat, et si, et seulement si, il y a un écart faible entre les voix obtenues par les candidats[10]. Le critère de l’« écart de voix » est un élément décisif du raisonnement du juge électoral lorsque celui-ci apprécie si la sincérité d’un scrutin a été altérée ou non. Les protestataires et les juges doivent donc déterminer si, au cas d’espèce, l’écart de voix est suffisamment faible, ou au contraire trop élevé, pour entraîner l’annulation de l’élection[11].

On peut aussi avoir une rectification des élections, s’il s’agit de retrancher des voix.

Dans le second cas, si la réintégration du montant des dons prohibés dans le compte de campagne a pour effet d’entraîner un dépassement du plafond des dépenses électorales, la CNCCFP pourra décider de rejeter le compte de campagne et de saisir le juge de l’élection, qui pourra déclarer le candidat inéligible[12].

Le candidat pourra également se voir refuser le remboursement de ses dépenses de campagne par l’Etat ou être condamné à une peine d’amende.

 

***

La vigilance devra donc être de mise à compter du 1er septembre 2025 et les plans de communication annuels devront donc être travaillés au regard de cette échéance. En réalité, le 1er septembre 2025 ne doit pas être conçu comme une date butoir au-delà de laquelle la communication devra être stoppée mais elle doit conduire les élus à s’interroger sur l’objectif poursuivi par chaque publication, qu’elle soit papier ou numérique. Les supports qui auront été publiés avant le 1er septembre 2025 devront aussi être contrôlés, le juge se plaçant à la date à laquelle il peut visualiser le support et non à la date à laquelle il a été publié.

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[1] Décret n° 2020-642 du 27 mai 2020 fixant la date du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, et portant convocation des électeurs

[2] Loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires

[3] Ainsi que les conseillers d’arrondissement et, à Paris, les conseillers de Paris

[4] Questions écrites n° 02021 d’Isabelle Florennesn° 01868 de Louis Vogeln° 01758 de Pierre-Jean Verzelen et n° 02282 de Corinne Féret, réponses au Journal officiel du Sénat du 28 novembre 2024.

[5] Loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections

[6] https://www.cnccfp.fr/wp-content/uploads/2022/04/cnccfp_2022_guide_candidat_et_mandataire_2_compressed.pdf

[7] CE, 16 mars 2016, Elections cantonales de Niort 3, n° 394533

[8] CE, 2 juillet 1999, n° 201622

[9] v. notamment : CE, 28 juillet 1993, Elections cantonales de Bordères-sur-L’Echez, n° 142586 ; CE, 14 novembre 2008, Elections municipales de Vensac, n° 317316 ; CE, 16 mars 2016, n° 394533

[10] CE, 5 juin, 1996, Elections municipales de Morhange, n° 173642 ; CE, 16 mars 2016, Elections cantonales de Niort 3, n° 394533

[11] Romain Rambaud, contentieux des élections municipales : les « lois » de l’écart de voix, AJDA 2020

[12] Article L. 118-3 du Code électoral ; CE, 31 juillet 2009, Pons, n° 322310.