La plateforme de la Mède exploitée par Total, dans les Bouches-du-Rhône abritait de longue date des activités de raffinage traditionnel. Depuis 2015 et la fin de ces activités, un processus de transition vers le « bioraffinage » – processus de transformation de la biomasse ou des productions végétales en carburant – a été engagé. Cette nouvelle raffinerie doit notamment permettre de transformer de l’huile de palme provenant d’Asie du Sud-Est.
En l’espèce, l’arrêté préfectoral du 16 mai 2018, autorisait Total à produire sur ce site du « biodiesel « HVO » à partir d’huiles végétales » – dont de l’huile de palme importée.
Un jugement avant-dire droit, rendu par le Tribunal administratif de Marseille le 1er avril 2021 à la suite d’une requête introduite par différentes associations de protection de l’environnement, a partiellement annulé l’arrêté du 16 mai 2018 « en tant seulement qu’il ne fixe pas de limitation quantitative annuelle plus stricte […] à l’utilisation d’huile de palme et de ses dérivés dans le fonctionnement de la bioraffinerie de La Mède » (cons. 1). Le jugement enjoint par ailleurs le préfet de prendre un arrêté modificatif pour mieux encadrer l’utilisation d’huile de palme. Cet arrêté, pris le 2 mai 2022, portant autorisation modificative et régularisant l’arrêté du 16 mai 2018, a été adopté à la suite d’une nouvelle enquête publique menée sur la base une étude d’impact complémentaire actualisée sur le volet climatique du projet.
Par un jugement du 13 juillet 2022, le tribunal administratif a ensuite rejeté le surplus des conclusions de la requête des associations.
Les associations ont alors interjeté appel de cette décision et d’une partie du jugement avant-dire droit, demandant ainsi l’annulation des arrêtés du 16 mai 2018 et du 2 mai 2022.
Le 7 octobre 2024, la CAA de Marseille s’est prononcée sur ces demandes ; c’est l’objet de l’arrêt ici commenté.
L’analyse de la décision fait apparaître que les associations reprochent essentiellement à l’étude d’impact initiale (celle réalisée en vue de l’adoption de l’arrêté du 16 mai 2018) son insuffisance dans la prise en compte des effets indirects sur l’environnement et le climat du plan d’approvisionnement d’huile de palme dans les pays exportateurs. À ce titre, elles mobilisent notamment le manque de traçabilité des huiles utilisées et l’impact sur le changement climatique. Ce moyen focalisera notre attention.
Par l’arrêt commenté, la cour administrative de Marseille rejette à nouveau le recours des associations. Elle estime en effet que ni la Charte de l’environnement, ni le Code de l’environnement, « n’imposent […] d’analyser dans l’étude d’impact l’ensemble des effets indirects de l’approvisionnement en huiles végétales dans les pays de provenance situés, en l’espèce, principalement en Indonésie et en Malaisie où est produite l’huile de palme entrant majoritairement dans l’approvisionnement de l’installation » (cons. 18). L’étude d’impact doit seulement, pour les matières premières importées, préciser « leur nature, leur pays de provenance, leur localisation dans ce pays, les quantités utilisées ainsi que les modalités de production locale » (cons. 18).
Sur ce dernier point, le juge admet, d’abord, que Total n’avait initialement pas fourni ces différentes informations. La multinationale a toutefois apporté des précisions quant à la provenance des huiles, « dans le cadre de la régularisation résultant de l’exécution » du jugement avant-dire droit (cons. 21), en s’appuyant sur un schéma de certification volontaire reconnu par l’Union européenne et la Commission européenne, l’International Sustainability and Carbon Certification (ISCC).
Puis, si le juge reconnaît que les informations transmises par Total ne permettaient pas de connaître la localisation précise dans le pays de production de l’huile de palme, il considère cependant que « cette circonstance n’a pas nui à l’information complète de la population ni n’a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » compte-tenu des informations transmises au sein de l’étude d’impact actualisée et de la certification volontaire à laquelle Total a décidé de se conformer (cons. 22), ainsi que des informations relatives au fournisseur sélectionné, Asian Agri.
Au regard de ces éléments, le juge écarte donc le moyen relatif à l’insuffisance de l’étude d’impact initiale.
Pour le reste, et sans revenir ici de manière détaillée sur le raisonnement retenu, le juge écarte de manière plus directe les différents moyens soulevés par les associations relatifs :
- à l’annulation d’une partie du jugement avant-dire droit au regard de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement,
- à l’insuffisance alléguée de l’étude d’impact complémentaire réalisée en vue de l’adoption de l’arrêté du 2 mai 2022,
- à l’absence de prise en compte, par l’étude d’impact complémentaire du « changement d’affectation des sols générés par l’utilisation de l’huile de palme dans l’étude d’impact modifiée et le caractère erroné des paramètres pris en compte dans le calcul des émissions des gaz», Total s’étant fondé sur un protocole reconnu par le droit de l’Union s’assurant ainsi du respect des critères de durabilité de la directive dite RED II tout au long de la chaîne de contrôle (cons. 31)
- à l’atteinte aux intérêts visés à l’article L. 511-1 du Code de l’environnement portée par « l’absence d’analyse des conséquences environnementales du plan d’approvisionnement en huiles végétales»
L’ensemble des moyens étant écartés, la requête a été rejetée.
Il est à noter que les associations soulevaient par ailleurs, une question préjudicielle destinée à la CJUE concernant la prise en compte des effets indirects sur l’environnement dans l’évaluation environnementale de l’approvisionnement d’une installation de production de bio-carburants, y compris lorsque les impacts environnementaux surviennent à l’étranger. Cette question, s’appuie sur le refus, par le juge interne, de prendre en compte dans l’évaluation environnementale ces effets indirects liés à l’importation de matière première survenus à l’étranger, le régime de l’évaluation environnementale étant largement déterminé par le droit de l’Union européenne. Cette demande a toutefois également été rejetée par le Cour administrative d’appel.