le 18/01/2016

Action en résiliation du bail pour trouble de jouissance lié a un acte d’incivilité – pas d’obligation de mise en demeure préalable au locataire

De nombreux bailleurs sociaux sont régulièrement confrontés à des troubles de jouissance ressortant d’actes d’« incivilités » pénalement répréhensibles commis par des locataires (ou les personnes dont ils doivent répondre) dans les logements loués ou dans les parties communes de l’immeuble qui affectent non seulement les autres occupants, mais aussi ses agents.

Pour y remédier de façon efficace et pérenne, il était impératif de s’écarter du régime classique des troubles de voisinage où la jurisprudence permet très difficilement d’obtenir une résiliation de bail dans la mesure où le bailleur doit démontrer que le trouble « existe et est caractérisé au jour où le Juge statue ».

A cet effet, nous avons développé dans des assignations aux fins de résiliation de bail des locataires (du fait de leurs agissements ou de ceux des personnes dont ils doivent répondre comme leurs enfants ou des tiers qu’ils hébergent) un argumentaire juridique fondé sur la combinaison des articles 1728-1° du Code civil (imposant au preneur d’user de la chose louée « en bon père de famille » ), 7 b) de la loi du 6 juillet 1989 (obligeant le locataire à « user paisiblement des locaux loués ») et 1729 du Code civil permettant au bailleur de solliciter la résiliation du bail si le locataire « n’use pas de la chose louée en bon père de famille (1) ou l’emploie à un autre usage que celui auquel elle a été destinée ».

L’objectif était de permettre la résiliation du bail sur le fondement de l’article 1741 du Code civil selon lequel « le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements ».

Dans leur très grande majorité, les Tribunaux d’instance saisis ont favorablement accueilli cet argumentaire juridique, en déboutant les locataires qui tentaient de s’opposer à la résiliation de leur bail en excipant que l’acte fautif leur étant reproché était isolé ou n’avait pas perduré.

Une difficulté supplémentaire s’est toutefois posée lors d’une procédure devant un Tribunal d’instance parisien où les locataires (assignés en résiliation de bail du fait d’actes de violences sur le gardien de l’immeuble et de nuisances causées à leurs voisins) se sont opposés à la demande du bailleur en, notamment, lui reprochant de ne pas avoir respecté les dispositions prévues à l’article 6-1 de la loi du 6 juillet 1989, selon lequel « après mise en demeure dûment motivée, les propriétaires des locaux à usage d’habitation doivent, sauf motif légitime, utiliser les droits dont ils disposent en propre afin de faire cesser les troubles de voisinage causés à des tiers par les personnes qui occupent ces locaux ».

En réponse, le bailleur faisait valoir qu’il n’avait pas sollicité la résiliation du contrat de location des locataires en raison de « troubles de voisinage » mais pour manquement à leur obligation de jouissance paisible prévue par les articles 1728 et 1729 du Code civil et que, de ce fait, les dispositions susvisées de l’article 6-1 de la loi du 6 juillet 1989 n’était pas applicables en l’espèce.

Contre toute attente, le Tribunal a fait droit au moyen soulevé par les locataires en jugeant irrecevable le bailleur de sa demande en résiliation de bail au motif qu’il ne rapportait pas « la preuve de l’envoi de la mise en demeure prévu par le texte » et que les locataires n’avaient pas fait l’objet de sanctions pénales.

Le bailleur a relevé appel du jugement en faisant valoir que :

–    la mise en demeure prévue par l’article 6-1 de la loi du 6 juillet 1989 n’est pas une condition de recevabilité de l’action en résiliation de bail justifiée par le défaut de jouissance paisible des lieux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location ;

–    cette disposition invite « le propriétaire » à « utiliser les droits dont il dispose en propre », afin de faire cesser des troubles de jouissance, c’est-à-dire outre une mise en demeure, l’introduction d’une action en résiliation du bail et en expulsion ;

–    l’interprétation de cet article tend à considérer que ce sont les tiers victimes de troubles de voisinage qui doivent mettre en demeure le bailleur à prier les locataires ou autres occupants de cesser leur comportement critiquable.

Suivant arrêt du 5 janvier 2016 5 (RG n° 14/08260), la 4ème Chambre du Pôle 4 de la Cour d’appel de Paris a fait droit à l’argumentaire du bailleur et, de ce fait, a infirmé le jugement rendu et prononcé la résiliation du bail des locataires.

A cet effet, la Cour a retenu la motivation suivante :

Considérant que XXX fait justement valoir qu’il n’existe aucune condition de mise en demeure préalable pour agir en résiliation de bail pour défaut de jouissance des locataires en bon père de famille, comme en l’espèce;

Considérant que XXX invoque la gravité du manquement des locataires à leurs obligations et la persistance  de ces manquements ; qu’il rappelle que le locataire a l’obligation d’user paisiblement des lieux suivant leur destination qui leur a été donnée par le bail en respectant la tranquillité du voisinage selon l’article 7b de la loi du 6 juillet 1989 ; qu’il demande dès lors l’application de la sanction prévue à l’article 1729 du Code civil c’est-à-dire la résiliation du bail ;

« Considérant qu’en effet il ressort du procès-verbal de plainte du 4 mars 2013 que Monsieur XXX, gardien de l’immeuble a fait l’objet de violences physiques de la part de Monsieur XXX qui lui a porté un coup de poing à l’œil gauche et un coup de pied dans le tibia et d’insultes proférées par XXX; qu’il importe peu que les locataires n’aient pas fait l’objet de sanctions pénales, contrairement à ce que le jugement a retenu, puisque la preuve de ces violences et de ces insultes ne sont pas valablement contestées ;
[…]
Considérant  qu’enfin ces violences à l’égard du gardien ont eu lieu à l’entrée de la loge du gardien et dans le local poubelles c’est-à-dire dans les parties communes de l’immeuble; que les locataires jouissent non seulement des parties privatives  mais aussi des parties communes de l’ensemble immobilier qu’ils doivent respecter conformément au règlement  de copropriété ; que dès lors Monsieur et Madame XXX sont mal fondés à prétendre que les violences et les injures qui leur sont imputées n’ont pas de conséquence sur leur bonne exécution du bail et de l’usage paisible de la chose louée ; qu’il existe un lien manifeste entre les faits reprochés et la jouissance paisible exigée des locataires ».

(1)    Le terme actuel est « raisonnablement » depuis la loi du n° 2014-873 du 4 août 2014