le 15/03/2018

Avis du Conseil d’Etat sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et des règles relatives à l’exercice de ces compétences

CE, 7 décembre 2017, n° 393651

Le Conseil d’Etat a été saisi par le Premier ministre d’une demande d’avis portant, d’une part, sur la possibilité d’attribuer des compétences différentes à des collectivités relevant d’une même catégorie et, d’autre part, sur la possibilité de permettre aux collectivités territoriales de déroger à des dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

Plus précisément, s’agissant de la possibilité de différencier les compétences, le Conseil d’Etat était saisi des questions de savoir si le législateur peut autoriser les collectivités à transférer à une collectivité appartenant à une autre catégorie des compétences identifiées par la loi, et si le législateur peut désigner des collectivités qui exerceront des compétences différentes de celles dont disposent les collectivités de la même catégorie. Dans la négative, le Premier ministre souhaitait connaître l’étendue de la réforme constitutionnelle à opérer.

S’agissant de la possibilité de différencier les règles applicables à l’exercice des compétences, le Premier ministre interrogeait le Conseil d’Etat sur les conditions et limites dans lesquelles la loi ou le règlement peuvent prévoir l’application de règles différentes à l’exercice des compétences sur le territoire des différentes collectivités territoriales, ainsi que sur les termes de la modification constitutionnelle permettant de sécuriser juridiquement un dispositif qui permettrait aux collectivités territoriales et à leurs groupements de déroger au droit commun en la matière.

Le Conseil d’Etat a répondu à ces questions dans un avis détaillé du 7 décembre 2017.-

Sur la possibilité de moduler les compétences de collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et de transférer des compétences entre collectivités relevant de catégories différentes.

Le Conseil d’Etat a répondu par la négative à la question de savoir si la loi peut autoriser des transferts de compétences entre collectivités de catégories différentes.

Il a en effet considéré que le projet gouvernemental aurait une portée très large s’il était mis en place puisque les transferts de compétences ne seraient pas soumis à une condition tenant à l’existence d’une situation particulière, ou à des raisons d’intérêt général, comme l’exige le principe constitutionnel d’égalité, mais au seul accord des collectivités concernées.

Le Conseil d’Etat a ensuite estimé que, à cadre constitutionnel constant, il était possible d’opérer certaines différences d’ordre statutaire, y compris dans le domaine des compétences, entre collectivités de même catégorie, à condition que ces différences aient un caractère limité.

Il a précisé que, dans ce cadre, il conviendrait que le dispositif présente diverses garanties, qu’il a énumérées, afin de respecter les exigences constitutionnelles découlant notamment du principe d’égalité et de libre administration des collectivités territoriales (parmi lesquelles figurent l’identification de compétences précises et limitées qui, pour des raisons d’intérêt général ou de différence de situation, pourraient faire l’objet d’un transfert ou encore l’accord des collectivités et la compensation financière des transferts ayant pour objet d’accroître les charges du bénéficiaire).

Le Conseil d’Etat a rappelé que des outils de droit positif pourraient être davantage utilisés, tels que les délégations de compétences et les mises en commun de compétences dans le cadre d’établissements de coopération, en évoquant la possibilité d’améliorer les régimes de ces différents outils, afin de les rendre plus attractifs.

Il a ajouté que si la réforme était envisageable à droit constitutionnel constant, un « ancrage de la mesure dans le deuxième alinéa de l’article 72 de la Constitution pourrait […] être mieux assuré par une modification de la Constitution qui y ajouterait le principe de cette mesure ».

Il a néanmoins considéré qu’une modification constitutionnelle qui aurait pour objet d’introduire une disposition aux termes de laquelle « la loi peut attribuer des compétences différentes à des collectivités relevant d’une même catégorie », sans prévoir de condition ou de finalité, donnerait au législateur un pouvoir d’appréciation très étendu. Il a également considéré que cela introduirait une incohérence au sein du titre XII de la Constitution, puisque les règles différentes de compétences, pour les collectivités territoriales à statut particulier de l’article 72, et les départements et régions d’outre-mer de l’article 73, continueraient à devoir être justifiées, sur le fondement des mêmes dispositions (les premières doivent démontrer leurs « caractéristiques propres », les secondes, leurs « caractéristiques et contraintes particulières »), alors que tel ne serait pas le cas pour les collectivités de droit commun. Il a encore attiré l’attention du législateur sur « l’aggravation de la complexité des compétences des collectivités territoriales ».

Le Conseil d’Etat a toutefois, relevé, tout en admettant que tel n’était pas l’objectif du Gouvernement, que l’incohérence constitutionnelle et les inconvénients ainsi relevés seraient « supprimés » si la disposition envisagée avait un caractère transitoire et devait conduire, à terme, à la suppression d’un échelon de collectivités territoriales.

Sur la possibilité de différencier les règles applicables à l’exercice des compétences des collectivités territoriales

Le Conseil d’Etat a d’abord rappelé que des règles différentes à l’exercice de compétences des collectivités de droit commun de même catégorie peuvent être instituées, dès lors qu’il est possible de caractériser des différences de situation, conformément au principe constitutionnel d’égalité.

Il s’est en revanche positionné en défaveur d’une inscription, dans la Constitution, d’une disposition prévoyant que « la loi ou le règlement régissant l’exercice des compétences des collectivités peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières des collectivités d’une même catégorie ».

Il a en effet considéré que la rédaction étant inspirée de celle de l’article 73, portant sur les départements et régions d’outre-mer, pour lesquelles les « caractéristiques et contraintes particulières » résultent principalement de l’insularité et de l’éloignement géographique, à moins de lui donner ici un sens entièrement différent, une telle disposition serait dépourvue de portée utile.

Il a, en revanche, donné un avis favorable à une disposition constitutionnelle prévoyant que « Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou règlementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ».

Il a, sur ce point, estimé que cela donnerait à la fois davantage de liberté et de responsabilité aux collectivités territoriales, ainsi que la possibilité, au législateur, de tirer les enseignements de la mise en œuvre des adaptations et dérogations par les collectivités. Cette possibilité devrait néanmoins, comme cela est envisagé, être encadrée.

Le Conseil d’Etat a, en outre, suggéré que cette modification s’accompagne d’une réforme du régime des expérimentations, prévu par l’article 72 alinéa 4, afin d’articuler les deux dispositifs (une expérimentation pourrait ainsi donner lieu à une dérogation pérenne et non plus seulement à une généralisation ou à un abandon).