le 20/04/2020

Autorisations d’urbanisme : une contestation sur l’autorisation de la copropriété ne saurait constituer une fraude du pétitionnaire sur sa qualité

CE, 3 avril 2020, Syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier « Univers 21 », n° 422802

La crise sanitaire actuelle, avec les conséquences juridiques dérogatoires qui en découlent, n’a pas totalement mis de côté les problématiques juridiques relatives au droit commun, en l’occurrence celles du droit de l’urbanisme. 

Parmi celles-ci, la jurisprudence toujours mouvante des juridictions administratives sur le contrôle de la qualité du demandeur d’une autorisation d’urbanisme, vient de recevoir une nouvelle pierre à son édifice. 

Rappelons que depuis un arrêt du Conseil d’Etat de début 2012 (CE, 15 février 2012, n° 333631, publié au recueil Lebon, dit « arrêt Quennesson »), l’autorité en charge de la délivrance d’une autorisation d’urbanisme n’a plus à vérifier, au-delà de l’existence de l’attestation comprise dans le formulaire Cerfa, la qualité du demandeur de l’autorisation.  

Ce dernier doit être, ainsi que le prévoit l’article R. 423-1 du Code de l’urbanisme : soit le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; soit, en cas d’indivision, un ou plusieurs coïndivisaires ou leur mandataire ; soit une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation du terrain. 

L’exception majeure à ce principe d’absence de contrôle par le service en charge de l’instruction des autorisations d’urbanisme de la qualité des demandeurs est celle de la commission de manœuvres frauduleuses commises par ces derniers. 

Dans une nouvelle affaire, deux syndicats de copropriété ont entendu contester deux arrêtés de permis de construire (un permis initial puis un permis modificatif) portant sur la réalisation d’une maison individuelle, en se prévalant notamment de la commission par le pétitionnaire d’une fraude sur sa qualité, au motif que celui-ci, alerté par l’envoi d’un recours gracieux et d’une requête par les copropriétaires, savait qu’il était nécessaire d’obtenir au préalable l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires. 

Le Tribunal administratif de Montreuil avait ainsi annulé les arrêtés de permis de construire, notamment en retenant la caractérisation d’une fraude du pétitionnaire, par un jugement du 1er juin 2018. 

La Ville de Paris a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, qui a revu la copie des juges du fond, par un arrêt en date du 3 avril 2020. 

Les juges du Palais Royal ont ainsi estimé que : 

« 12. Il résulte de ces dispositions que, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article R. 431-5 du code de l’urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées par l’article R. 423-1 du même code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Il résulte également de ces dispositions qu’une demande d’autorisation d’urbanisme concernant un terrain soumis au régime juridique de la copropriété peut être régulièrement présentée par son propriétaire, son mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par lui à exécuter les travaux, alors même que la réalisation de ces travaux serait subordonnée à l’autorisation de l’assemblée générale de la copropriété, une contestation sur ce point ne pouvant être portée, le cas échéant, que devant le juge judiciaire. Une telle contestation ne saurait, par elle-même, caractériser une fraude du pétitionnaire entachant d’irrégularité la demande d’autorisation d’urbanisme.

13. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a jugé qu’en attestant de sa qualité pour déposer sa demande de permis de construire modificatif, alors même que l’introduction d’un recours gracieux et d’une requête par le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier  » Univers 21  » et par Mme D… l’avait alerté sur la nécessité d’obtenir au préalable l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires, M. A… s’était livré à une manœuvre frauduleuse entachant d’irrégularité le permis de construire modificatif qui lui a été délivré. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 ci-dessus qu’en statuant ainsi, le tribunal administratif a entaché son jugement d’une erreur de droit ».

 

De manière assez logique, le Conseil d’Etat indique bien que la seule existence d’une contestation des copropriétaires sur un projet de construction ne suffit pas à caractériser une fraude, étant précisé que celle-ci doit être prouvée sur la base de manœuvres commises par le pétitionnaire démontrant que celui-ci savait ne pas avoir la qualité pour présenter sa demande. 

Ce qui paraît plus surprenant, c’est que la Haute juridiction administrative semble retenir une acception stricte de la fraude au cas particulier, alors qu’il semble être prouvé que, par l’exercice de recours des copropriétaires, le pétitionnaire savait qu’il ne disposait pas de l’autorisation de l’assemblée générale (ce qui, dans une acception plus souple de la fraude, pourrait conduire à retenir l’existence de celle-ci).