le 04/09/2014

Atteinte à l’honneur et à la considération des élus : vigilance sur la qualification diffamatoire et/ou injurieuse à retenir dans l’acte de poursuite pénale

Cass., Crim., 3 juin 2014, n° 13-80486

Dans le cadre d’un différend politique opposant un Maire au Préfet du Département, au titre de la gestion et de la santé financière des Communes de cette circonscription, le représentant de l’Etat avait organisé une conférence de presse dans les locaux de la Préfecture au cours de laquelle il tenait les propos outrageants (au sens non juridique de ce terme) suivants : « Monsieur le maire qui se dit un bon gestionnaire a l’air de trouver très satisfaisant que chaque habitant de sa commune soit endetté à hauteur de 52.000 euros alors que la strate permet simplement 1.500 euros d’endettement par habitant » et « il a une attitude irresponsable, suicidaire, il skie hors piste et risque de provoquer une avalanche ».

 

Le Maire poursuivait le Préfet devant le Tribunal Correctionnel des chefs de diffamation publique envers une personne chargée d’une mission de service public (article 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881) au titre des premiers propos, et d’injure publique envers une personne de cette même qualité (article 33 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881) au titre des seconds. Le Tribunal relaxait le Préfet des liens de la prévention, et le Maire interjetait appel en limitant celui-ci aux seuls seconds propos.

 

La Cour d’appel infirmait le jugement de relaxe, en retenant qu’ils caractérisaient l’injure publique, tout en précisant également que le Préfet « investi de l’autorité de puissance publique, [était] tenu à prudence et à un devoir de réserve ».

 

La Cour de cassation, saisie du pourvoi du Préfet, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel suivant cette motivation : « Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, par les motifs repris aux moyens, alors que l’expression injurieuse reprochée était, en l’espèce, indivisible de l’imputation diffamatoire ayant fait l’objet d’une décision définitive de relaxe, et que, se confondant avec elle, elle se trouvait ainsi absorbée par la diffamation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

 

La Cour de cassation fait ici application d’un des principes fondamentaux en la matière, savoir qu’un texte outrageant contenant à la fois des termes diffamatoires et des termes injurieux ne peut faire l’objet d’une double poursuite du chef de diffamation et du chef d’injure, qu’à la seule condition que les termes injurieux ne se réfèrent nullement aux faits visés par les attaques diffamatoires (Crim., 22 février 1966, Bull., crim., n° 62) ; en cas d’indivisibilité entre l’injure et la diffamation, seule cette seconde qualification doit être retenue par la partie poursuivante (Crim., 23 juin 2009, Bull., crim., n° 133) à peine de relaxe (erreur de qualification pénale dans l’acte de poursuite). Cette règle de forme est depuis longtemps considérée comme l’une des garanties du principe de la liberté d’expression.

 

La Chambre criminelle s’est ainsi vue contrainte, sur ce seul motif procédural, de mettre un terme à des poursuites pénales engagées au titre de propos qu’elle considérait néanmoins comme contraires à l’honneur et à la considération de la partie poursuivante ; cet arrêt souligne une fois de plus l’aléa procédural et les difficultés pratiques auxquels les personnes chargées d’une mission de service public, dont les élus locaux, sont confrontées en cas d’atteinte à leur honneur et leur considération.