En septembre 2024, comme chaque année depuis 2013, le référentiel Mornet a été mis à jour afin d’intégrer les dernières jurisprudences, pratiques judiciaires et évolutions sociétales. Si elle garde la même fonction et la même structure (I), la version 2024 du référentiel apporte néanmoins quelques ajouts et précisions (II), tout en conservant certaines limites (III).
1. Rappel sur le référentiel Mornet
Conçu en 2013 à l’initiative de la Conférence des premiers présidents de cours d’appels, mis à jour depuis par divers magistrats sous la présidence de Monsieur Benoît MORNET, conseiller à la Cour de cassation, le référentiel Mornet est un document traitant des problématiques liées à la réparation du dommage corporel, à destination des magistrats, avocats et assureurs.
Ainsi, il présente les acteurs de l’indemnisation – victimes, auteurs, employeurs, assureurs, fonds d’indemnisation –, détaille les éléments concernant l’expertise – décision ordonnant l’expertise, contenu des missions d’expertise, composantes à prendre en compte tel que l’état antérieur de la victime, sa consolidation, son aggravation –, décrit les postes de préjudices pour les victimes directes et indirectes tels qu’issus de la nomenclature Dintilhac, propose des références d’indemnisation et des outils de calcul de ces préjudices, présente les recours ouverts aux tiers payeurs et enfin expose les spécificités en matière d’accidents du travail.
S’il s’agit d’un document indicatif sans reconnaissance législative, il est néanmoins considéré comme un véritable document de référence par les différents acteurs de l’indemnisation.
2. Sur les apports de la version 2024 du référentiel Mornet
La version 2024 intègre tout d’abord un arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 2024 qui consacre deux avancées au bénéfice des victimes, à propos du déficit fonctionnel temporaire (DFT) et des pertes de gains professionnels actuels (PGPA) (Civ. 2, 25 avr. 2024, n° 22-17.229).
Ainsi la Cour a retenu pour une victime ayant subi un DFT de 9 ans que « la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale » pendant la période temporaire particulièrement longue pouvaient être indemnisées au titre du DFT. Ce poste de préjudice inclut donc, outre un préjudice sexuel et d’agrément temporaires déjà admis, un préjudice d’établissement temporaire. Dans le même ordre idée, elle consacre l’indemnisation au titre des PGPA de la «limitation [des] possibilités professionnelles et la perte d’une chance de bénéficier de promotions professionnelles» subies par la victime avant consolidation.
Quant au déficit fonctionnel permanent, le référentiel 2024 a le mérite d’insister encore davantage sur la nécessité de majorer l’indemnité pour tenir compte de la situation particulière de la victime et notamment ses douleurs permanentes et troubles dans ses conditions d’existence, précisant que ces éléments « ne relèvent pas nécessairement de l’avis du médecin-expert ni d’un pourcentage, mais plus des éléments apportés par la victime pour les caractériser », incitant ainsi à prendre en considération prioritairement les doléances de la victime.
De même, le référentiel appuie encore un peu plus sur le fait que les barèmes de capitalisation proposés par la Gazette du Palais pour le calcul des préjudices futurs à compter de la liquidation, « tiennent compte des effets de l’inflation, ce qui permet de protéger la victime contre les effets de l’érosion monétaire et répond en conséquence à l’exigence de réparation intégrale ». Il faut espérer que cela incitera les fonds de garantie à abandonner définitivement les barèmes obsolètes, tels que le barème de capitalisation de référence pour l’indemnisation des victimes proposé par la Fédération française de l’assurance, non approprié au regard des données démographiques, économiques et monétaires sur lesquelles il s’appuie, et à suivre les barèmes publiés à la Gazette du Palais, comme le font déjà la grande majorité des juges du fond.
Des précisions sont ensuite apportées sur les pertes de droits à la retraite, qui doivent être indemnisées intégralement, que ce soit au sein des pertes de gains professionnels futurs (PGPF) ou d’un autre poste, lorsque la victime subit une incapacité, et ce même en cas de périodes de chômage validant des trimestres de retraite, conformément à un arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2023 (Civ. 2, 6 juil. 2023, n° 21-25.667).
Malheureusement, le référentiel souligne dans le même temps l’exigence accrue attendue quant à la preuve de l’impossibilité pour la victime d’exercer une activité professionnelle pour que ce préjudice soit indemnisé au titre des préjudices professionnels permanents (Civ. 1, 8 févr. 2023, n° 21-21.283).
Le référentiel 2024 introduit enfin un nouveau poste de préjudice intitulé « préjudice d’angoisse d’attente » qui indemnise l’inquiétude éprouvée lorsque les proches d’une victime apprennent que celle-ci est exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, avec une incertitude pesant sur son sort. Il s’agit du préjudice communément appelé « préjudice d’attente et d’inquiétude », admis expressément depuis l’arrêt du 25 mars 2022 de la Cour de cassation et devant faire l’objet d’un poste autonome (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072).
3. Sur les limites de la version 2024 du référentiel Mornet
Il faut souligner l’augmentation des propositions d’indemnisation relevées dans la version 2024 à propos du préjudice d’affection des frères et sœurs d’une victime décédée, passant de 9.000-14.000 € à 15.000-25.000 € pour les frères et sœurs vivant au sein du même foyer, et de 6.000-9.000 € à 11.000-15.000 € pour les autres.
Malheureusement, force est de constater que ces propositions, tout comme celles des autres proches n’ayant pas vu d’augmentation dans cette mise à jour annuelle, restent bien en-deçà d’une réparation intégrale. Il est en effet possible d’obtenir, bien heureusement, des indemnisations à hauteur de 50.000 € pour des frères et sœurs vivant au sein du même foyer, et de 80.000 € pour des parents, loin des 20 à 30.000 € proposés par le référentiel, et ce en phase de négociation avec les fonds, où les sommes sont quasi-systématiquement inférieures à celles obtenues devant les juridictions.
En outre, il est fortement regrettable que le référentiel ne prend pas encore en compte le dernier arrêt majeur de la Cour de cassation concernant le préjudice d’angoisse de mort imminente (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068 ; article du 17-10-2024), qui sera très certainement inclus dans la prochaine édition.
Si ce nouveau référentiel présente des avancées pour le droit des victimes, il est nécessaire de garder toujours à l’esprit qu’il ne s’agit que d’un document indicatif, ayant vocation à aider les acteurs de l’indemnisation dans leur évaluation des préjudices, mais nullement à se substituer à une telle évaluation.
Le risque est en effet que les assureurs et magistrats suivent les barèmes et propositions données dans le référentiel, sans prendre en compte les particularités de chaque situation.
Or il est important de rappeler que le principe de réparation intégrale du préjudice s’oppose à l’évaluation d’un préjudice sur la base d’un barème rigide et qu’il faut impérativement tenir compte des spécificités de chaque victime et de chaque accident.