le 19/12/2019

Absence de suivi régulier de la charge de travail ? Nullité du forfait-jours

Cass. Soc., 6 novembre 2019, n° 18-19.752

Une nouvelle fois, la Cour de cassation, saisie en l’espèce de la convention collective des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs, réaffirme et affine sa jurisprudence relative aux forfaits jours pour les forfaits conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 aout 2016 (. Se poursuit ainsi la vérification au cas par cas des accords collectifs encadrant le recours aux forfaits jours, qui doivent organiser un suivi régulier de la charge de travail afin de prévenir les risques liés à l’excès de travail pour les salariés non soumis à la durée légale du travail et aux durées maximales de travail.

En l’espèce, le directeur général d’une association soumis au forfait jour prévue par l’article 9 convention collective des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs et des articles 2 et 3 de l’avenant n° 2 du 21 octobre 2004 relatif à l’aménagement du temps de travail avait été licencié et avait saisi la juridiction aux fins de voir condamner son ancien employeur de diverses demandes, et notamment en paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaire, estimant que la convention de forfait en jours stipulée à son contrat était irrégulière pour les raisons suivantes :

  • elle fixait une durée de travail de 208 jours alors que la convention collective applicable prévoyait un maximum de 207 jours ;
  • les modalités de décompte des journées et demi-journées travaillées n’étaient pas prévues ;
  • aucun entretien individuel pour assurer le suivi de l’exécution de cette convention de forfait.

Débouté par la Cour d’appel de Reims le 10 mai 2017, les juges du fond retenant que le jour supplémentaire correspondait à la journée de solidarité ainsi et surtout la mauvaise foi du salarié qui avait selon eux, en sa qualité de directeur général, la charge de s’assurer du respect de la réglementation sociale par l’association et plus particulièrement celle relative à la durée du travail, le salarié se pourvoi en cassation.

Par arrêt du 6 novembre 2019, la Cour de cassation fait droit à la demande en paiement des heures supplémentaires du salarié et casse l’arrêt d’appel en relevant d’office que les dispositions de la convention collective ayant servi de base à la conclusion du forfait n’étant pas assez protectrice, la convention de forfait jour était nulle !

En l’espèce, les dispositions des articles 2 et 3 de l’avenant précité imposaient :

  • dans l’année de la conclusion de la convention, un examen conjoint, par la hiérarchie et le cadre concerné, de sa charge de travail et des éventuelles modifications à y apporter. Un compte rendu de cet entretien devait être établi et signé par le collaborateur et son manager ;
  • l’examen, lors chaque entretien professionnel annuel, de l’amplitude de la journée d’activité et de la charge de travail du salarié ;
  • un décompte mensuel des jours travaillés et des jours de repos établi par l’intéressé et visé par son supérieur hiérarchique.

Pour la Cour de cassation, ces garanties ne sont donc pas suffisantes dans la mesure où « elles ne prévoient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ». L’employeur ne pouvant anticiper et être réactif, ces dispositions n’étaient pas donc pas nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié concerné restent raisonnables et que sa durée du travail soit bien répartie dans le temps.

Ainsi, la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence relative aux conventions de forfait jours dégagée depuis 2011 (Cass. soc. 29 juin 2011 no 09-71.107 FS-PBRI ; Cass. soc. 17 janvier 2018 no 16-15.124 F-PB) et confirme sa jurisprudence selon laquelle toute convention de forfait-jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. A cette occasion, elle rappelle qu’est inopposable aux salariés l’accord collectif organisant le recours aux forfaits jours sans prévoir de suivi effectif et régulier du temps de travail du salarié par la hiérarchie, permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail (Cass. soc. 5 octobre 2017 no 16-23.106 FS-PB) et ce peu importe ses fonctions !

Si cette décision a été rendue relativement à une convention conclue avant l’entrée en vigueur de la loi Travail, l’exigence du suivi régulier de la charge travail des salariés s’appliquent aux conventions conclus postérieurement puisque ces mesures sont désormais prévues légalement et d’ordre public (C.trav., L. 3121-60).