Contrats publics
le 28/08/2025

Absence de clause de révision des prix dans un marché et modulation juridictionnelle des pénalités contractuelles : Précisions du Conseil d’État

CE, 15 juillet 2025, n° 494073

Conclusions du rapporteur public, M. Nicolas LABRUNE, 15 juillet 2025, n° 494073

 

L’absence de clause de révision des prix dans un marché de fourniture en matière première n’entache pas d’illicéité le contenu du contrat et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité justifiant que le contrat soit écarté, mais, dans ce cas, le refus de l’acheteur public de procéder à la révision du prix peut entraîner une réduction juridictionnelle du montant des pénalités appliquées par l’acheteur public envers son cocontractant pour défaut d’exécution de ses obligations contractuelles.

Ces précisions sont apportées par le Conseil d’État à l’occasion d’un recours au fond formé par la société Nouvelle Laiterie de la Montagne contre les quatre titres exécutoires émis à son encontre par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer au titre de pénalités pour la non-exécution de ses obligations contractuelles de livraison de denrées alimentaires.

En effet, le pouvoir adjudicateur avait conclu avec la société deux marchés publics de fourniture de thon, destinés à des associations caritatives ne prévoyant aucune clause de révision des prix.

Or, l’augmentation exceptionnelle du cours mondial du thon a rendu l’exécution particulièrement difficile, conduisant la société à solliciter soit une hausse de prix, soit un report de livraison, demandes refusées par le pouvoir adjudicateur.

Constatant l’absence de livraison du thon dans le délai prévu, la société s’est vu appliquer par le pouvoir adjudicateur des pénalités pour inexécution contractuelle d’un montant total de 200.120,93 euros, matérialisées par des titres exécutoires émis en novembre 2018.

Après le rejet de son recours par le Tribunal administratif de Montreuil par un jugement du 28 octobre 2021, puis par la Cour administrative d’appel de Paris par une décision en date du 5 mars 2024, la société a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Deux problématiques juridiques principales, soulevées par la requérante, devaient être résolues par le Conseil d’État dans ce litige :

  1. L’absence de clause de révision du prix constitue-t-elle un vice d’une particulière gravité ou démontre-t-elle le caractère illicite du contenu du contrat, ce qui contraindrait le juge à écarter le contrat et à régler le litige en dehors du terrain contractuel ?
  2. Cette absence de clause de révision du prix ainsi que le refus, par l’acheteur public, de réviser le prix à la suite d’une fluctuation importante du cours du marché est-il de nature à atténuer la gravité de l’inexécution du cocontractant et donc réduire le montant des pénalités pouvant lui être imposées ?

Concernant la première problématique, le Conseil d’État rappelle que l’article R. 2112-14 du Code de la commande publique prévoit qu’une clause de révision du prix est obligatoire dans les marchés « d’une durée d’exécution supérieure à trois mois qui nécessitent, pour leur réalisation, le recours à une part importante de fournitures notamment de matières premières dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux ».

Toutefois, si le juge administratif constate que le marché conclu aurait dû contenir une clause de révision du prix, il estime que « cette illégalité ne constitue pas un vice d’une particulière gravité ni n’entache d’illicéité le contenu de ces contrats ».

Le rapporteur public, M. Nicolas Labrune, dans ses conclusions sous cet arrêt expose qu’ « Avec le contrat en litige, la loi n’est pas violée du simple fait de l’exécution du contrat : certes la révision du prix n’est pas prévue, mais le titulaire du contrat peut bel et bien être rémunéré du prix stipulé dans les délais qui s’imposent à l’acheteur public et le paiement n’est pas, par lui-même, contraire à une norme supérieure. D’ailleurs, en réalité, les effets du vice tenant à l’absence de clause de révision du prix ne sont qu’éventuels ».

L’absence de clause de révision du prix, quand bien même cette dernière était obligatoire, ne constitue donc ni un vice d’une particulière gravité, ni une illicéité du contenu du contrat et ne suffit donc pas pour que les dispositions du contrat soient écartées lors du règlement des litiges nés de son exécution.

Concernant la seconde problématique, le Conseil d’État commence par rejeter l’application de la force majeure puisqu’il considère que, si l’augmentation de 1.000 à 1.800 euros du prix de la tonne de thon entre la date de dépôt de l’offre et celle de livraison a bien eu pour effet de bouleverser l’économie du marché, cette situation n’était pas irrésistible pour la société.

Ensuite, le Conseil d’État constate que la Cour administrative d’appel de Paris n’a pas répondu au moyen soulevé par la société à l’appui de ses conclusions tendant à la modération des pénalités mises à sa charge, et tenant à ce que l’inexécution de ses obligations contractuelles qui lui était reprochée résultait des fautes commises par le pouvoir adjudicateur qui, en s’abstenant d’insérer une clause de révision du prix dans les marchés en litige et en refusant les solutions qu’elle avait proposées pour résoudre la difficulté résultant de l’augmentation des cours mondiaux du thon, avait contribué à la placer en situation de ne pas pouvoir respecter ses obligations de livraison.

Le Conseil d’État annule l’arrêt en estimant qu’en « s’abstenant de répondre à ce moyen et ainsi de rechercher, en vue d’apprécier s’il y avait lieu de faire droit aux conclusions de cette société tendant à la modération des pénalités mises à sa charge, si ces circonstances étaient de nature à atténuer la gravité de l’inexécution de ses obligations contractuelles, la Cour administrative d’appel de Paris a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit ».

Puis, le Conseil d’État estime que, dès lors que cette hausse du cours du thon avait bouleversé l’économie du marché, l’absence de clause de révision du prix et le refus du pouvoir adjudicateur d’envisager quelque modification du marché que ce soit ont contribué à placer la société en situation de ne pas pouvoir respecter ses obligations de livraison.

Le Conseil d’État considère donc que cette situation justifie une réduction de moitié du montant des pénalités mis à la charge de la société.

Au total, l’absence de clause de révision du prix et le refus d’adapter le marché, dans l’hypothèse d’un marché de fourniture de matières premières impacté par une hausse des cours mondiaux de nature à bouleverser l’économie du marché, peut justifier une réduction des pénalités pour inexécution pouvant être appliquées au fournisseur.