le 09/12/2014

Installation nucléaire de base – principe de précaution

CE, 17 octobre 2014, Comite de réflexion d'information et de lutte Anti-nucléaire, n° 361315

L’arrêt
Comite de réflexion d’information et de
lutte Anti-nucléaire
constitue un nouveau volet dans la saga contentieuse
relative à la centrale nucléaire de Flamanville. Prenant la suite des
dispositions de la loi n° 61-842 du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs,
la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative
à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire
est venu prévoir à
son article 29 que la création des installations nucléaires de base est soumise
à autorisation délivrée par décret pris après avis de l’Autorité de sûreté
nucléaire (Depuis l’ordonnance n° 2012-6 du 5 janvier 2012 modifiant les livres
Ier et V du Code de l’environnement, ces dispositions ont été codifiées dans le
Code de l’environnement).

Une
fois l’autorisation délivrée, la loi prévoit que l’Autorité de sûreté nucléaire
définit pour son application « notamment, en tant que de besoin, les
prescriptions relatives aux prélèvements d’eau de l’installation et aux
substances radioactives issues de l’installation », les prescriptions
fixant les limites de rejets de l’installation dans l’environnement étant
soumises à homologation ministérielle. En vertu de l’article 45 de la loi du 13
juin 2006, les litiges relatifs aux décisions administratives prises en
application de l’article 29 sont soumis à un contentieux de pleine juridiction.
En l’espèce, l’association requérante contestait l’arrêté du 15 septembre 2010
homologuant la décision n° 2010-DC-0188 de l’autorité de sûreté nucléaire du 7
juillet 2010 fixant les limites de rejets dans l’environnement des effluents
liquides et gazeux pour l’exploitation des différents réacteurs de
l’installation de Flamanville.

1)
Depuis sa réécriture par le
décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif
aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives
, l’article
R. 311-1 du Code de justice administrative prévoit que « le Conseil d’Etat
est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (…) 4° Des recours
dirigés contre les décisions prises par les organes des autorités suivantes, au
titre de leur mission de contrôle ou de régulation (…) l’Autorité de sûreté
nucléaire ». En l’espèce, un certain flou contentieux existait sur
l’interprétation qu’il convenait de donner de ces dispositions. Dans le silence
du texte, le doute portait sur la question de savoir si les arrêtés
ministériels homologuant les décisions prises par l’Autorité de sûreté
nucléaire devaient également être regardés comme relevant de la compétence du
Conseil d’Etat en premier ressort. La question n’était pas que théorique
puisque l’association requérante avait d’abord saisi le Tribunal administratif
de Caen qui avait ensuite transféré la requête au Conseil d’Etat par une
ordonnance en date du 12 juillet 2012.

Commentant
la nouvelle rédaction de l’article R. 311-1 4°, Jacques Arrighi de Casanova et
Jacques-Henri Stahl relevaient que cette rédaction « a pour vertu de
souligner que la compétence d’attribution de premier ressort du Conseil d’État
doit s’entendre de façon stricte » (Le décret n° 2010-164 du 22 février
2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions
administratives, RFDA, 2010, p. 387). En l’espèce, il ne faisait aucun doute
que l’Autorité de sûreté nucléaire, lorsqu’elle intervient pour fixer les
limites de rejets d’une installation nucléaire de base dans l’environnement, le
fait au titre de sa mission de contrôle et de régulation. Cependant, l’arrêté
ministériel d’homologation, qui n’entrait pas dans le champ du 2e de
cet article relatif aux actes réglementaires des ministres, n’était pas
davantage visé par le 4°. Le Conseil d’Etat a néanmoins décidé que les
dispositions du 4° de l’article R. 311-1 « doivent être regardées comme
donnant compétence au Conseil d’Etat pour connaître en premier et dernier
ressort des recours dirigés tant contre les décisions prises par l’Autorité de
sûreté nucléaire au titre de sa mission de contrôle et de régulation que contre
celles par lesquelles les ministres homologuent ces décisions ». Il a
ainsi choisi d’adopter une lecture opportune de la disposition en cause dans un
souci louable de bonne administration de la justice.

2)L’association
requérante soulevait plusieurs moyens relatifs à la procédure suivie, à
l’insuffisance du dossier de demande d’autorisation et à celle de l’étude
d’impact. Le moyen principal concernait néanmoins la méconnaissance du principe
de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement. Aux regards
de ses implications, ce moyen paraissait le plus ajusté à la stratégie
contentieuse de l’association requérante visant à faire censurer l’homologation
de décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire qu’elle estimait trop peu
protectrice au regard des dangers auxquels exposaient les rejets autorisés.
Plus précisément, elle estimait que l’arrêté contesté autorisait une
augmentation importante des limites des rejets de tritium sous forme gazeuse ou
liquide, en dépit des risques potentiels de cette substance radioactive,
notamment en cas de bio-accumulation dans l’organisme.

Le
Conseil d’Etat avait récemment précisé, dans un arrêt Association coordination interregionale stop tht et autres (CE,
12 avril 2013, Association coordination interrégionale stop tht et autres, n°
342409)
, les implications du principe de précaution, en faisant évoluer son
contrôle sur les déclarations d’utilité publique. Adaptant le considérant de
principe de cet arrêt aux mesures relatives aux installations nucléaires de
base, le Conseil d’Etat décide « qu’il incombe à l’autorité administrative
compétente en matière d’installations nucléaires de base de rechercher s’il
existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse de
risques de dommages graves et irréversibles pour l’environnement ou d’atteintes
à l’environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé, qui
justifieraient, en dépit des incertitudes subsistant quant à leur réalité et à
leur portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du
principe de précaution ».

En
l’espèce néanmoins, le Conseil d’Etat n’a pas fait droit à l’argumentation de
l’association requérante. Il a jugé d’une part que les limites maximales de
rejet de tritium autorisées demeurent très inférieures à celles qui sont
prévues par la réglementation sanitaire en vigueur et d’autre part que
l’augmentation des limites de rejet du tritium s’accompagnait d’une diminution
des rejets d’autres substances radioactives. Il a par ailleurs relevé que plusieurs
études ou documents confirmaient l’absence de risques graves pour
l’environnement ou la santé publique. Par conséquent, il refuse de censurer une
erreur d’appréciation de l’administration dans l’évaluation des risques de
l’installation. Autrement dit, pour le juge, les conditions d’application du
principe de précaution ne sont pas réunies en l’espèce faute pour l’association
requérante de démontrer l’existence d’un risque potentiel.