Comme chaque année depuis 2013, le référentiel Mornet a été mis à jour en septembre 2025 afin d’intégrer les dernières jurisprudences, pratiques judiciaires et évolutions sociétales.
Sans revenir sur sa fonction et sa structure, déjà explicitées lors d’un précédent article (article du 14 novembre 2024), voici les principaux ajouts de l’édition 2025, concernant à la fois les victimes directes (I) et indirectes (II). Malheureusement, des limites demeurent toujours (III).
1. Apport concernant les préjudices subis par les victimes directes
Contrairement à la version 2024, le nouveau référentiel 2025 a cette fois-ci intégré le dernier arrêt majeur de la Cour de cassation concernant le préjudice d’angoisse de mort imminente (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068).
Cet arrêt avait en effet tranché de manière définitive les divergences concernant la prise en compte ou non d’un préjudice d’angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime, en retenant l’existence d’un tel préjudice dès lors que la victime, consciente de son état, subit une situation qui la place dans l’angoisse de la survenue de sa mort prochaine, peu importe que celle-ci se soit ou non réalisée.
Cet arrêt est d’autant plus important que le Fonds de Garantie des victimes d’infraction continue d’opposer l’argument de la survie de la victime pour refuser d’indemniser le préjudice d’angoisse de mort imminente.
La Cour de cassation avait dans le même temps affirmé que ce poste de préjudice se rattachait par principe à celui des souffrances endurées, mais en rappelant toutefois son caractère spécifique, et en soulignant que son indemnisation dans un poste autonome était possible tant que cela n’entraînait pas de double indemnisation du même préjudice.
Ensuite, le référentiel insiste une nouvelle fois sur l’indemnisation de l’incidence du dommage sur la retraite, en citant deux arrêts récents de la Cour de cassation.
Ainsi, il est rappelé que le principe de réparation intégrale impose de faire la distinction entre la perte de gains et l’incidence sur la retraite lorsque la victime a acquis l’essentiel de ses droits à la retraite (Civ. 1e, 19 mars 2025, n° 23-18.080) et qu’une victime ayant subi une perte de gains professionnels après consolidation implique, sauf éléments contraires, qu’elle a nécessairement subi une perte de droits à la retraite (Civ. 2e, 28 nov. 2024, n° 23-13.735).
On notera également que le barème de capitalisation de la Gazette du Palais a été mis à jour en janvier 2025 et qu’il faut donc désormais se fonder sur cette nouvelle version pour le calcul des pertes de gains professionnels futurs.
Trois autres arrêts favorables aux victimes sont également inclus dans le référentiel 2025.
À propos de l’assistance temporaire par tierce personne, la Cour de cassation énonce que les périodes d’hospitalisation ou d’admission en milieu médical d’une victime ne font pas obstacle par principe à l’indemnisation de ce poste de préjudice, et qu’il est nécessaire de prendre en compte les besoins éventuels d’assistance qu’elle pourrait avoir durant ces périodes (Civ. 1e, 4 sept. 2024, n° 23-14.232).
À propos du préjudice esthétique temporaire, la première chambre civile de la Cour de cassation a retenu que « le préjudice esthétique temporaire peut inclure des troubles de l’élocution contraignant la victime à se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, même si ces troubles caractérisent aussi une gêne fonctionnelle » (Civ. 1e, 24 sept. 2025, n° 24-11.414, P).
À propos du préjudice d’établissement, l’arrêt du 9 mars 2023 intégré dans le référentiel 2025 tient compte des difficultés quasi-systématiquement rencontrées par les victimes d’accidents ou d’infractions graves quant à leur vie intime, approuvant une Cour d’appel qui avait constaté que le syndrome anxio-dépressif développé par une victime de viols ainsi que sa grande difficulté à renouer une relation avec un homme en raison des réminiscences des faits subis et de sa contamination par le VIH lui causaient un préjudice d’établissement résultant de l’impossibilité de fonder une nouvelle vie de couple (Civ. 2e, 9 mars 2023, n° 21-20.785).
2. Apport concernant les préjudices subis par les victimes indirectes
Enfin, la version 2025 cite deux arrêts de la Cour de cassation concernant les victimes indirectes.
Le premier concerne les préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels subis, la Cour jugeant que les proches d’une victime directe handicapée, partageant habituellement avec elle une communauté de vie affective et effective, pouvaient être indemnisés d’un préjudice résultant des changements dans leurs conditions d’existence et réparant tous les bouleversements induits par l’état séquellaire de la victime (Civ., 2e, 10 oct. 2024, n° 23-11.736). La Cour rappelle dans le même temps qu’un tel préjudice est distinct de l’indemnisation de la victime directe au titre de l’assistance par tierce personne.
Le second précise les modalités de calcul de la perte de revenus des proches en cas de décès de la victime directe : ainsi, lorsque la victime avait un conjoint et/ou des enfants à charge, le revenu annuel du foyer après décès, pris pour référence dans le calcul du préjudice économique du conjoint et des enfants, n’intègre pas les prestations ouvrant droit à un recours subrogatoire. Ces dernières doivent être imputées sur le poste de préjudice économique de chacun des bénéficiaires de prestations (Civ. 1e, 14 mai 2025, n° 23-23.499).
3. Limites de la version 2025 du référentiel Mornet
Tout comme la version précédente, force est de constater que les propositions d’indemnisation du préjudice d’affection restent bien en-deçà d’une réparation intégrale (article du 14 novembre 2024).
En outre, on peut déplorer que le référentiel Mornet n’ait à ce jour encore jamais inclus dans son détail des préjudices l’incidence professionnelle temporaire.
Pourtant, certaines victimes subissent une réelle incidence dans leur vie professionnelle lors de la période avant consolidation, et la jurisprudence affirme justement qu’il est alors nécessaire de ne pas se limiter, pour les préjudices professionnels avant consolidation, à la seule perte de gains elle-même, mais de prendre en compte également une incidence professionnelle temporaire, caractérisée notamment par une inaptitude ou une pénibilité accrue lors de la reprise du travail avant consolidation[1].
Pour finir, on rappellera une nouvelle fois la nécessité de garder toujours à l’esprit qu’il ne s’agit que d’un document indicatif, ayant vocation à aider les acteurs de l’indemnisation dans leur évaluation des préjudices, mais nullement à se substituer à une telle évaluation.
Le risque est en effet que les assureurs et magistrats suivent les barèmes et propositions données dans le référentiel, sans prendre en compte les particularités de chaque situation.
Or, il est important de rappeler que le principe de réparation intégrale du préjudice s’oppose à l’évaluation d’un préjudice sur la base d’un barème rigide et qu’il faut impérativement tenir compte des spécificités de chaque victime et de chaque accident.
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[1] TGI Paris, 19e ch. civ., 25 sept. 2015, n° 14/08867 ; TGI Paris, 19e ch. civ., 17 nov. 2015, n° 14-18365 ; TGI Le Mans, 1e ch., 1er déc. 2015, n° 14-02933