Aide aux victimes
le 10/07/2025

La réparation du préjudice de la victime après la prescription de l’infraction

Le 7 mars 2024, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a publié les chiffres des signalements de violences sexuelles commises hors du cadre familial en 2024 et a mis en évidence une hausse de 6 % de ce nombre par rapport à 2023.

La particularité de ces violences réside dans les séquelles physiques et psychologiques qu’elles laissent aux victimes. A cet égard, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que le dommage psychologique, même sans atteinte physique et même s’il n’est pas consécutif à des blessures physiques, peut être un dommage corporel (Crim. 21 octobre 2014, n° 13-87.669).

A cet égard, dans un arrêt remarqué du 7 juillet 2022[1] la Cour de cassation a rappelé un principe fort : la prescription de l’action publique n’entraîne pas nécessairement celle de l’action civile en réparation du préjudice corporel subi par la victime, compte tenu du temps de consolidation des préjudices de cette dernière (Civ. 2ème, 7 juillet 2020, n° 20-19.147).

En l’espèce, un homme a été victime de viols et agressions sexuelles lorsqu’il était mineur entre 1972 et 1975, de la part d’un membre de la direction de l’établissement d’enseignement scolaire dans lequel il était inscrit. En octobre 1989, il a entrepris une psychothérapie prenant conscience de l’aggravation de son dommage et de la nécessité d’y remédier. En 2001, il a dénoncé les faits par une plainte adressée au procureur de la République. En 2016, il a assigné l’auteur des faits et l’association diocésaine auquel l’établissement était rattaché en réparation de ses préjudices.

Son action a été déclarée prescrite par les juges du fond. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 décembre 2019, a fixé le point de départ de l’action au jour où la victime avait débuté sa psychothérapie et en a déduit que l’action en responsabilité extracontractuelle introduite par le demandeur était prescrite depuis le mois d’octobre 1999.

Déboutée de ses demandes en première instance et en appel, la victime s’est pourvue en cassation et la deuxième chambre civile a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au motif que les juges auraient dû rechercher si le préjudice corporel du plaignant avait fait l’objet d’une consolidation, qui constitue le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation.

En effet, de la différence entre l’action publique et l’action civile (), découle un point de départ spécifique du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice corporel (II°).

 

1. Différencier l’action publique et l’action civile

Le droit pénal poursuit deux finalités cardinales : il sanctionne et il répare.

Ainsi, René GARRAUD, avocat et professeur de droit pénal, écrivait dans son Traité d’instruction criminelle et de procédure pénale que :

« L’infraction donne naissance, et au droit de la société de punir le délinquant, et au droit de la personne lésée d’obtenir réparation du dommage que lui a causé le fait illicite. On appelle action pénale ou publique, le recours à l’autorité judiciaire exercé, au nom et dans l’intérêt de la société, pour arriver à la constatation du fait punissable, à la démonstration de la culpabilité de l’auteur et à l’application des peines établies par la loi. […] Mais lorsque, indépendamment du mal social qui en résulte, le fait délictueux a causé un dommage à une personne physique ou morale, celle-ci a le droit de poursuivre en justice la réparation de ce dommage : on appelle action privée ou civile, ce recours à l’autorité judiciaire, qui est exercé par la partie lésée et qui a pour objet de procurer la réparation du préjudice éprouvé. ».

Pour faire simple, « ces deux actions n’ont pas le même objet. L’une tend à l’application d’une peine ; l’autre, à la réparation du préjudice causé ».

Dans son arrêt du 7 juillet 2022, la Cour de cassation a ainsi admis qu’une action civile indemnitaire peut être recevable pour de faits anciens dont l’action publique est prescrite.

 

2. Le point de départ du délai de prescription en matière de préjudice corporel

Concernant le point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice corporel, la Cour de cassation s’était déjà prononcée à plusieurs reprises.

Pour des faits antérieurs à la loi du 17 juin 2008, qui étaient alors régis par l’article 2270-1, alinéa 1, du Code civil, la Cour avait déjà décidé que le point de départ de la prescription décennale en matière de réparation du préjudice corporel ne pouvait démarrer qu’à la date de consolidation du dommage (Civ. 2ème, 4 mai 2000, n° 01-02.182).

Cette solution a ensuite été consacrée en 2008 à l’article 2226 du Code civil qui dispose que « l’action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ».

En l’espèce, en application de ces règles, la Cour de cassation expose que pour savoir si l’action permettant d’en obtenir la réparation était prescrite ou non, les juges du fond auraient dû rechercher si le dommage avait fait l’objet d’une consolidation et, le cas échéant, quelle était la date de cette consolidation.

Plus précisément, la Cour définit la consolidation du dommage comme « la date à partir de laquelle l’état de la victime n’est plus susceptible d’être amélioré de façon appréciable et rapide » (Crim. 21 mars 19991, n° 90-81.380 P[2]).

Notion médico-légale, la consolidation dépend de l’appréciation de constatations factuelles et médicales faites par des experts médicaux et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

En conclusion, un hiatus peut donc apparaître entre la prescription de l’action publique et la non-prescription de l’action civile en réparation du préjudice corporel.

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[1] https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2022/09/20-19.147.pdf

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007067491