Notion récente quoiqu’étayée, la victimisation secondaire désigne, selon le sens commun, la situation dans laquelle les victimes d’infractions pénales subissent une première blessure par le crime et une seconde par les acteurs du système de justice pénale[1]. En d’autres termes, la procédure judiciaire elle-même pourrait constituer une nouvelle forme de victimisation pour la victime d’infraction.
Cette notion est aujourd’hui consacrée tant par les textes que par la jurisprudence.
1. La victimisation secondaire dans les textes
À ce jour, la loi française n’en fait pas mention bien qu’elle protège généralement les droits et la personne des victimes.
Elle est néanmoins mentionnée dans plusieurs textes internationaux signés et ratifiés par la France. Ainsi de l’article 15 de la Convention d’Istanbul ratifiée le 4 juillet 2014 qui contraint les États parties à dispenser ou renforcer « la formation adéquate des professionnels pertinents ayant affaire aux victimes ou aux auteurs de tous les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention, sur la prévention et la détection de cette violence, l’égalité entre les femmes et les hommes, les besoins et les droits des victimes, ainsi que sur la manière de prévenir la victimisation secondaire »[2].
Ainsi encore de la directive européenne de lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée le 14 mai 2024 selon laquelle « la présentation d’éléments de preuve concernant le comportement sexuel passé, les préférences sexuelles et la tenue vestimentaire de la victime pour mettre en cause la crédibilité et l’absence de consentement des victimes dans les cas de violences sexuelles, en particulier les cas de viol, peut renforcer la perpétuation de stéréotypes préjudiciables quant aux victimes et entraîner une victimisation répétée ou secondaire [3]».
Néanmoins, plusieurs députés français ont déposé, le 19 novembre 2024, une proposition de loi visant à « mettre fin à la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires pour violences sexuelles », signe que le législateur pourrait bientôt se saisir de la notion.
2. La victimisation secondaire dans la jurisprudence
Ce fut ensuite le tour de la Cour Européenne des Droits de l’Homme d’adopter le concept et de condamner la France dans un arrêt L. et autres c. France du 24 avril 2025. En l’espèce, une des requérantes estimait que les lacunes de l’enquête et de l’instruction l’avaient soumise à une victimisation secondaire, certaines des questions posées par les policiers et l’expert psychiatre étant indignes, humiliantes, dégradantes, voire misogynes.
Ainsi, la Cour a considéré qu’il incombait à l’État, au titre de ses obligations positives, d’éviter « de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes à une victimisation secondaire en utilisant des propos culpabilisants et moralisants propres à décourager la confiance des victimes dans la justice »[4]. Elle reprend ici un énoncé de principe qu’elle avait adopté le 27 mai 2021 dans la décision J.L. c. Italie.
La justice française a récemment emprunté le pas. À l’occasion de la condamnation de Gérard Depardieu reconnu coupable d’agressions sexuelles, ils ont considéré que « les propos (…) de la défense par leur nature et leur répétition ont généré chez les parties civiles un préjudice distinct de celui né de la commission de l’infraction. Ce dénigrement objectivable, constitutif d’une victimisation secondaire ouvrant droit à réparation, renforce leur préjudice initial et doit en conséquence faire l’objet d’une indemnisation spécifique »[5].
Selon Audrey Darsonville, Professeure de droit pénal à l’Université Paris Nanterre, une telle position est inédite et osée puisque la victimisation secondaire a été retenue en raison du comportement de l’avocat de la défense et du type de stratégie qu’il a adopté.
En outre, les nombreuses et vives critiques de ce jugement soutiennent que la défense est libre et que les atteintes à la déontologie relèvent du pouvoir disciplinaire de l’ordre de avocats ou de la police de l’audience. Autrement dit, un justiciable ne pouvant pas être tenu responsable pour les fautes commises par son conseil.
Les applications jurisprudentielles de la notion de victimisation secondaire sont à suivre de près.
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[1] https://umontreal.scholaris.ca/items/35f7e274-57de-4ae7-ae87-90e02762edfd
[2] https://rm.coe.int/1680462533
[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32024L1385
[4] https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-242789%22]}
[5] https://www.leclubdesjuristes.com/societe/proces-de-gerard-depardieu-la-victimisation-secondaire-retenue-a-lencontre-de-lacteur-10635/