Par une décision en date du 17 mars 2025, le Conseil d’Etat a apporté des précisions, d’une part, sur la durée des délégations de service public ayant pour objet l’exploitation de plusieurs services (dites « DSP multiservices ») et, d’autre part, sur les pouvoirs du juge administratif saisi d’une demande de médiation.
Dans cette instance, la commune de Béthune a conclu, pour une durée unique de 30 ans avec la société Q-Park France, quatre contrats distincts portant sur la construction, la rénovation et l’exploitation d’un parc de stationnement : un contrat de délégation du service public du stationnement sur voirie, un contrat de concession pour la construction et l’exploitation d’un parc public de stationnement souterrain de la ville, un contrat d’affermage pour la rénovation et l’exploitation d’un autre parc souterrain et un quatrième contrat dit commun, comportant des stipulations applicables à l’ensemble de ces contrats.
Estimant que son consentement avait été vicié lors de la conclusion de ces contrats en raison d’irrégularités et d’imprécisions relevées par la chambre régionale des comptes et par le cabinet d’audit qu’elle avait mandaté, la commune a formé un recours de type « Béziers I » tendant à l’annulation de l’ensemble de ces contrats.
Le Tribunal administratif de Lille, puis la Cour administrative d’appel de Douai ayant successivement rejeté ses conclusions, la commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation de l’ensemble contractuel.
En premier lieu, le Conseil d’Etat précise les pouvoirs du juge administratif, saisi d’une demande de médiation, en application des dispositions de l’article L. 213-7 du Code de justice administrative.
Le Conseil d’Etat affirme que, si en vertu de ces dispositions, le juge administratif dispose de la faculté d’ordonner, avec l’accord des parties, une médiation, afin de parvenir à un accord sur le règlement du litige, elles ne l’obligent nullement à engager une telle procédure même si les parties le lui demandent.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat indique que le juge administratif n’est pas tenu de répondre explicitement à une demande en ce sens, de sorte qu’en ne donnant pas suite à une telle demande, il la rejette nécessairement de manière implicite.
En second lieu, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur le contenu et la durée des délégations de service public dites multiservices.
D’abord, en faisant application d’une jurisprudence établie (CE, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon, n° 399656), le Conseil d’Etat rappelle que l’autorité délégante peut regrouper au sein d’un unique ensemble contractuel des services différents et de les confier à un seul opérateur économique ; sous réserve, d’une part, que le périmètre de la délégation ne soit pas manifestement excessif et, d’autre part, qu’elle ne réunisse pas des services qui n’ont manifestement aucun lien entre eux.
Toutefois, le Conseil d’Etat précise qu’une telle faculté ne saurait permettre à l’autorité concédante de déroger aux règles qui s’imposent à elle pour la dévolution et l’exploitation de ces services (CE, 8 février 2010, Commune de Chartres, n° 323158). En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales applicables au litige et figurant désormais aux articles R. 3114-1 et suivants du Code de la commande publique et aux règles dégagées par la jurisprudence, la durée de ce contrat ou de cet ensemble contractuel ne peut excéder la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature des services, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers.
Ainsi, le Conseil d’Etat en déduit que dans l’hypothèse où une délégation de service public portant sur différents services est prévue pour une durée unique qui n’apparaît pas justifiée pour chacun d’entre eux, une telle durée unique ne peut être valablement prévue, sous réserve de la réunion de deux conditions cumulatives :
- L’exploitation conjointe des services considérés doit être de nature à assurer une meilleure gestion de ceux-ci ;
- La durée unique doit correspondre à la durée normalement attendue pour que le concessionnaire puisse couvrir les charges d’exploitation et d’investissement de l’ensemble des services ainsi délégués, compte tenu des contraintes d’exploitation, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers.
En appliquant ces principes aux faits de l’espèce, le Conseil d’Etat relève tout d’abord que les quatre contrats conçus formaient un « ensemble contractuel indissociable » dès lors qu’ils « ont fait l’objet d’une même procédure de passation, ont été conclus à la même date pour une même durée et poursuivent le même objectif de répondre à un besoin de la commune en matière de stationnement, visant à atteindre un équilibre économique tenant compte de façon globale des investissements, des recettes et des charges prévisionnelles de toutes les activités liées au stationnement, sur la voirie et dans les parcs souterrains ».
S’agissant ensuite de l’appréciation du caractère excessif ou non de leur durée unique de 30 ans, le Conseil d’Etat relève « que l’exploitation conjointe des trois services répondait à des objectifs de bonne gestion » et juge que la Cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur en estimant « que cette durée unique pouvait être regardée comme n’excédant pas la durée normale d’amortissement de l’ensemble des investissements mis à la charge du délégataire dans le cadre de l’ensemble contractuel portant sur le stationnement sur la voirie et dans les parcs ».
Par conséquent, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi de la commune de Béthune.