Dans un contexte où la lutte contre la désinformation est au cœur des enjeux numériques, Meta a annoncé une transformation majeure de sa politique de vérification des informations au motif d’une lutte contre la censure due aux prétendus biais politiques des fact-checkers qui auraient ainsi « contribué à réduire la confiance » des utilisateurs[1].
Le fact-checking (i.e. système de modération des contenus illicites a posteriori de leur publication via un signalement suivi d’une vérification par des personnes physiques indépendantes, les « fact-checkers ») va être remplacé, au sein des réseaux sociaux gérés par Meta, par un système de « notes communautaires ». Similaire à celui utilisé par X, le principe de ces notes charge les utilisateurs d’évaluer collectivement la véracité des contenus par la rédaction de notes sous les publications potentiellement problématiques, qui ne peuvent être modifiées ou supprimées.
Sur la question de l’indépendance des fact-checkers, l’International Fact-Checking Network (IFCN)[2] a répondu à cette annonce en assurant que ces derniers devaient répondre à des normes strictes d’impartialité qui sont vérifiées. De plus, d’un point de vue opérationnel, aucune « censure » n’est possible car ils n’ont pas la capacité de supprimer des contenus ou des comptes.
La décision de Meta a aussi suscité de vives réactions en Europe. La Fédération européenne des journalistes et Reporters sans frontières ont saisi la Commission européenne, réclamant une enquête approfondie sur les conséquences de cette décision. En effet, la question de la conformité avec le droit communautaire se pose. A ce titre, la ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, Clara Chappaz, a annoncé avoir échangé avec la direction de Meta France qui lui a assuré que cette nouvelle fonctionnalité ne serait pour l’instant déployée qu’aux États-Unis et que le Digital Service Act (ou « DSA », règlement européen visant à réguler les services numériques pour protéger les utilisateurs et garantir un environnement numérique sûr) serait donc toujours respecté.
En effet, le DSA impose une série de normes visant à lutter contre la désinformation. Les fournisseurs de services numériques ont ainsi l’obligation de mettre en place des mécanismes de signalement des contenus illicites (article 16 du DSA), pouvant conduire à une suppression du contenu visé ou du compte qui le publie, mais également à de simples restrictions ou déclassement de contenus (décisions toujours justifiées par une transmission des motifs au destinataire de la restriction, article 17 DSA).
Cependant, la mise en œuvre d’un programme de fact-checking plus précisément n’est pas une obligation qui ressort directement du DSA mais un simple engagement issu du Code de bonnes pratiques contre la désinformation qui n’a aucune valeur contraignante[3]. Lancé en 2018 et renforcé en 2022, ce texte a été adopté par plus de 30 acteurs du numérique, dont Meta[4] et regroupe différents engagements d’autorégulation afin de lutter contre la propagation de la désinformation en ligne. Les signataires s’engagent ainsi à utiliser le travail des fact-checkers au sein de leur plateforme et à le rendre effectif[5]. En conséquence, tout comme l’a fait Elon Musk pour X en mai 2023, il est probable que Mark Zuckerberg rompe ses engagements en se retirant dudit Code.
Les prises de position de ces géants des réseaux sociaux relancent également la question de la mise en place d’une approche préventive et non plus curative de la désinformation en ligne, tel que prôné par le Comité Economique et Social Européen (CESE) qui encourage notamment un plan d’éducation aux médias pour sensibiliser la société[6].
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[1] Annonce du Mark Zuckerberg dans une vidéo publiée sur Meta le 7 janvier 2025
[2] Réseau instauré par l’Institut Poynter (Poynter Institute for Media Studies) depuis 2015
[3] Code de bonnes pratiques contre la désinformation 2022, accessible via l’adresse suivante : 2022 Strengthened Code of Practice on Disinformation | Shaping Europe’s digital future
[4] Voir la liste des signataires du Code de bonnes pratiques contre la désinformation accessible via l’adresse suivante : https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/signatories-2022-strengthened-code-practice-disinformation
[5] Titre 7 du Code de bonnes pratiques contre la désinformation 2022, engagements 30 à 33
[6] Voir en ce sens l’Avis du CESE — « Orientations de la Commission européenne visant à renforcer le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation »