Par un arrêt du 20 septembre dernier, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que la conclusion d’un bail commercial sur le domaine public est interdite et qu’elle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique : l’occasion pour la juridiction de revenir sur le régime indemnitaire applicable à la réparation du préjudice subi par le preneur à bail commercial illégalement conclu avant 2014 sur le domaine public.
En l’espèce, une commune propriétaire d’un ensemble immobilier sur un port de plaisance a conclu un bail commercial le 28 juillet 2009, pour une durée de neuf ans, avec une société exploitant un salon de coiffure ainsi qu’un magasin de vêtements et d’accessoires de mode.
En 2018, la commune a refusé de renouveler ce bail commercial, au motif que le local serait situé sur son domaine public. La société a alors formulé une demande préalable indemnitaire puis a saisi le Tribunal administratif de Nice d’une requête tendant à la réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis en conséquence de ce non-renouvellement, laquelle requête a été rejetée. La société a donc interjeté appel de cette décision.
Saisie de ce litige, la Cour administrative d’appel relève tout d’abord que la parcelle sur laquelle se situe l’ensemble immobilier appartient effectivement au domaine public de la commune, dès lors que les délibérations du conseil municipal ayant procédé à son déclassement ont été annulées par un jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 7 juillet 2009 (et notifié le 20 juillet suivant, soit antérieurement à la conclusion du bail), jugement confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 22 novembre 2011.
Elle rappelle ensuite que la conclusion d’un bail commercial est interdite sur le domaine public : cette solution ancienne est admise tant par les juridictions administratives[1] que judiciaires[2]. Il est vrai que la loi du 18 juin 2014 (dite Pinel) a introduit la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public dans le Code général de la propriété des personnes publiques[3]. Mais il convient toutefois de distinguer l’exploitation d’un fonds de commerce, d’un côté, et la conclusion d’un bail commercial, de l’autre : si le premier est désormais autorisé, le second est toujours prohibé, en raison de l’incompatibilité du régime des baux commerciaux avec le caractère précaire et révocable de l’autorisation d’occuper le domaine public.
Après avoir rappelé le principe d’interdiction de conclusion d’un bail commercial sur le domaine public, la Cour administrative d’appel fait application du régime attaché à l’indemnisation de l’exploitant d’un bail commercial irrégulièrement conclu sur le domaine public, régime énoncé par le Conseil d’Etat dans sa décision Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais de 2014 :
« En raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un « bail commercial » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l’ensemble des dépenses dont il justifie qu’elles n’ont été exposées que dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu’a commise l’autorité gestionnaire du domaine public en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits ».
L’exploitant peut donc prétendre à l’indemnisation (i) de l’ensemble des dépenses exposées pour l’exploitation du bail commercial (ii) ainsi que des préjudices commerciaux et financiers qui résultent directement de la faute commise par la personne publique en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits.
Et si la collectivité propriétaire met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu, l’exploitant doit fatalement être regardé, pour l’indemnisation des préjudices qu’il invoque, comme ayant été titulaire d’un contrat portant autorisation d’occupation du domaine public pour la durée du bail conclu[4]. Comme rappelé dans l’arrêt commenté, il peut ainsi obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d’une telle convention, et notamment de la perte des bénéfices découlant d’une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation, mais évidemment sous réserve qu’il n’en résulte aucune double indemnisation.
Enfin, la Cour précise qu’un exploitant occupant le domaine public en vertu d’un « bail commercial » délivré avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel ne peut pas prétendre à l’indemnisation de la perte d’un fonds de commerce, puisqu’un tel fonds ne peut avoir légalement été constitué avant cette date. Cette position s’inscrit dans la prolongation du principe dégagé par le Conseil d’Etat dans sa décision de 2014 précitée, selon lequel la loi Pinel n’a pas de portée rétroactive et ne tend donc pas à s’appliquer aux baux commerciaux conclus antérieurement à son entrée en vigueur[5].
________________________________________________
[1] CE, 23 janvier 1976, Kergo, req. n° 97342 ; CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais, req. n° 352402.
[2] Cass. 3e civ., 28 février 1984, n° 82-11.194.
[3] Article L. 2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
[4] CE, 21 décembre 2022, req. n°464505.
[5] CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais, req. n° 352402.