Droit pénal et de la presse
le 11/07/2024
Marine ALLALI
Eugénie LIOT

La notion d’inceste en droit pénal : évolutions législatives et recommandations

Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.

S’il a longtemps été un sujet tabou, l’inceste est désormais au cœur des préoccupations sociétales et a un réel écho dans le débat public. Divers supports tels que des livres, des rapports, des sondages ont permis de faire la lumière sur la gravité et l’ampleur du phénomène. En effet, en 2020, 10 % des Français soit 6,7 millions de personnes se déclaraient victimes d’inceste en France[1].

Dans ce domaine, le législateur est intervenu pour introduire la notion d’inceste dans le Code pénal en 2010[2]. Cette prise en compte récente de l’inceste dans le Code pénal fut par la suite étendue jusqu’à la loi du 21 avril 2021[3]. Aujourd’hui, à la suite des évolutions législatives successives, la question se pose de leur cohérence et leur efficacité dans la répression de l’inceste. En effet, si l’inceste a fait l’objet de plusieurs évolutions législatives depuis une dizaine d’années (I), la loi du 21 avril 2021 a renforcé la prise en compte de la singularité de l’inceste en droit pénal (II), renforcement susceptible d’être encore aujourd’hui prolongé à la suite du rapport de la CIIVISE (III).

I. Sur les évolutions législatives relatives à la notion d’inceste en droit pénal depuis une dizaine d’années

Jusqu’en 2010, l’inceste était appréhendé en droit pénal par une circonstance aggravante liée au lien d’ascendance ou à l’autorité de l’auteur sur la victime[4]. L’entrée de la notion d’inceste dans le Code pénal s’est faite à partir de la loi du 8 février 2010, par les articles 222-31-1 et 227-27-2. Ces derniers prévoyaient que les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles étaient qualifiés d’incestueux lorsqu’ils étaient commis « au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait »[5]. Ils créaient en conséquence une forme de « surqualification » d’inceste, se superposant aux qualifications et circonstances aggravantes existantes en matière de viols, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles, sans créer de nouvelles infractions[6]. L’imprécision de ces textes, résultant de l’absence de désignation des personnes pouvant être regardées comme membres de la famille, a été censurée par le Conseil constitutionnel[7].

La loi du 14 mars 2016[8] a alors précisé la définition de l’inceste à travers de nouveaux articles du Code pénal[9]. Dès lors, les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par « 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».

Cette « surqualification » d’inceste s’agissant des viols et des agressions sexuelles sera par la suite étendue aux victimes majeures par la loi du 3 août 2018[10].

II. La prise en compte renforcée de la singularité de l’inceste en droit pénal par la loi du 21 avril 2021

La loi du 21 avril 2021 a modifié le Code pénal sur le fond et la forme en matière d’inceste. Désormais, la section 3 du chapitre II du Titre II du Livre II du Code pénal est intitulée « Du viol, de l’inceste et des autres agressions sexuelles », accordant une place symbolique à l’inceste et marquant sa singularité. La définition de l’inceste y est étendue en intégrant les grands-oncles et les grands-tantes[11], et par ricochet les conjoints, concubins ou partenaires de ces derniers[12]. Cette nouvelle extension manifeste une volonté de renforcer l’autonomie du concept pénal en s’affranchissant de la conception civiliste[13].

De plus, le viol et les agressions sexuelles incestueux sur mineurs sont désormais incriminés spécifiquement aux articles 222-23-2, 222-23-3 et 222-29-3 du Code pénal. Ainsi, un viol ou une agression sexuelle commis par un majeur sur un mineur, même âgé de plus de quinze ans, unis par un lien familial, et sans considération de la différence d’âge entre eux, constitue une infraction incestueuse[14]. Dès lors, ont été écartées les conditions relatives à l’absence de consentement ou au seuil d’âge de quinze ans de la victime. Cependant, la loi a étendu la condition tenant à l’autorité de droit ou de fait à l’ensemble des auteurs listés à l’article 222-22-3 du Code pénal hormis l’ascendant. Cette exigence d’autorité de droit ou de fait est apparue nécessaire pour éviter une automaticité de l’incrimination, susceptible de faire passer la victime d’un acte incestueux pour l’auteur et inversement, en particulier en cas d’incestes collatéraux entre personnes d’âges proches[15].

Toutefois, ces nouveaux articles introduits par la loi du 21 avril 2021 ne s’appliquent pas aux victimes majeures, pour lesquelles la « surqualification » d’inceste s’agissant des viols et des agressions sexuelles continue de s’appliquer.

III. Les préconisations de la CIIVISE pour une législation plus impérative en matière d’inceste

La CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) a rendu son rapport en novembre 2023, dans lequel elle fait plusieurs préconisations relatives à l’inceste, visant à étayer la loi du 21 avril 2021 pour une législation plus impérative[16]Les préconisations 20 et 21 proposent à la fois de reconnaître une infraction spécifique d’inceste permettant de définir clairement cette notion, mais aussi de créer une infraction spécifique réprimant l’« incestualité », définie comme un inceste psychologique, une violence sans coups, une violence sexuelle sans agression ou pénétration. De plus, les préconisations 22 et 23 portent sur la définition de l’inceste, la première proposant d’ajouter les cousins dans la liste de l’article 222-22-3 du Code pénal et, la seconde, d’élargir la définition du viol et des agressions sexuelles incestueux aux victimes devenues majeures lorsque des faits similaires ont été commis pendant leur minorité par le même agresseur[17].

La CIIVISE appelle alors à davantage de précision par ces préconisations, lesquelles ouvrent un débat intéressant autour de la notion d’inceste et sa prise en compte en droit pénal interne.

 

[1] Sondage IPSOS « Les Français face à l’inceste », novembre 2020.

[2] Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

[3] Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

[4] DALLOZ, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Viol, Audrey DARSONVILLE, février 2020.

[5] Article 222-31-1 du Code pénal en vigueur du 10 février 2010 au 17 septembre 2011 ; Article 227-27-2 du Code pénal en vigueur du 10 février 2010 au 18 février 2012.

[6] Circulaire de la DACG n° CRIM-10-3/E8 du 9 février 2010 relative à la présentation des dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi du n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, NOR : JUSD1003942C.

[7] Cons. Const., 16 septembre 2011, n° 2011-163 QPC ; Cons. Const., 17 février 2012, n° 2012-222 QPC ; Lexis Nexis, La Semaine Juridique, Edition générale, n° 41 du 8 octobre 2012, Chronique par Albert MARON, Jacques-Henri ROBERT et Michel VERON.

[8] Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

[9] Article 227-27-2-1 du Code pénal dans sa version en vigueur du 16 mars 2016 au 23 avril 2021 ; Article 222-31-1 du Code pénal dans sa version en vigueur du 16 mars 2016 au 6 août 2018.

[10] Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

[11] Articles 222-22-3 et 227-27-2-1 du Code pénal dans leur version en vigueur depuis le 23 avril 2021.

[12] DALLOZ, RSC, « Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs », Jean-Baptiste PERRIER et François ROUSSEAU, 2021, p. 454.

[13] Recueil DALLOZ, « Infractions sexuelles contre les mineurs : une sortie du droit commun, pour quelle efficacité ? », Sébastien PELLÉ, D. 2021, p. 1391.

[14] DALLOZ, AJ Pénal, « La répression des violences sexuelles en 2022 », Cécile MANAOUIL et Vivien LUCAS, 2022, p. 405.

[15] Lexis Nexis, La Semaine Juridique, Edition Générale, n° 19-20 du 10 mai 2021, « Violences sexuelles contre les mineurs – La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé » – Aperçu rapide par Carole HARDOUIN-LE GOFF.

[16] Rapport de la CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants : ‘‘ on vous croit ’’ », 11/2023, pp. 633-634.

[17] Ibidem.