Contrats publics
le 23/05/2024
Damien SIMON
Alix LEVRERO

L’absence d’une clause de révision de prix n’empêche pas l’application du contrat

CAA de Paris, 5 mars 2024, n° 21PA06640

L’absence d’une clause de révision de prix obligatoire ne rend pas illicite le contenu même du contrat et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité de nature à justifier que le contrat soit écarté et à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel.

En l’espèce, la société Nouvelle Laiterie de la Montagne (SNLM) s’était vu attribuer deux lots portant sur la fourniture de thon entier naturel dans le cadre d’un marché public de fourniture et de livraison de produits alimentaires lancé par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

Durant l’exécution du contrat, la SNLM a fait part à FranceAgriMer des difficultés d’exécution du marché qu’elle rencontrait et a sollicité, soit une hausse de prix de 18 %, soit un report de la date de livraison « en raison de la situation sur le marché mondial du thon ».

FranceAgriMer a refusé et a appliqué les pénalités prévues dans le cahier des charges pour non-respect de l’obligation de livraison. Ce dont la SNLM a tenté de s’exonérer en demandant au juge d’écarter l’application du contrat qui aurait été, selon elle, entaché d’un vice d’une particulière gravité en l’absence de clause de révision des prix.

On sait qu’aux termes des dispositions de l’article R. 2112-14 du Code de la commande publique, la clause de révision de prix est obligatoire pour les marchés d’une durée supérieure à 3 mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures (notamment de matières premières) dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux.

On sait aussi que depuis la jurisprudence « Béziers I », une irrégularité n’est de nature à écarter l’application d’un contrat que si elle rend illicite le contenu même du contrat ou constitue un vice d’une particulière gravité.

En l’espèce, bien que la Cour administrative d’appel de Paris ait constaté qu’« en l’absence de clause de révision de prix, ces marchés étaient donc entachés d’illégalité », elle a jugé que « l’absence d’une clause de révision de prix ne rend pas illicite le contenu même du contrat, et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité, de nature à justifier que le contrat soit écarté et à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel. La société SNLM n’est donc pas fondée à se prévaloir de l’illégalité entachant, en l’absence d’une telle clause, les marchés qu’elle a conclus avec FranceAgriMer, pour solliciter la décharge des pénalités d’inexécution qui lui ont été infligées sur le fondement de ces contrats ».

Cette décision s’inscrit ainsi dans la continuité de la jurisprudence administrative qui a déjà pu considérer que l’absence d’une clause obligatoire d’un contrat administratif ne rend pas illicite le contenu même de ce dernier.

Ainsi, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de considérer que l’omission de faire figurer dans une convention de délégation de service public, comme le prévoit l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la justification des montants et modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante ne donne pas un caractère illicite au contrat ni n’affecte les conditions dans lesquelles les deux parties ont donné leur consentement et peut, au demeurant, être régularisée. Dès lors, pour le Conseil d’Etat, une telle omission n’est pas de nature à justifier, en l’absence de toute autre circonstance particulière, que dans le cadre d’un litige entre les parties, l’application de ce contrat soit écartée (CE, 10 juillet 2020, n°434353).

L’on notera que la position de la jurisprudence administrative diffère en présence d’une clause illicite indivisible du reste du contrat. Comme l’a très récemment jugé le Conseil d’Etat au sujet d’une clause de paiement différé dans un marché public, puisqu’ « il serait impossible d’annuler cette seule clause sans modifier substantiellement le contrat, soit en supprimant le prix soit en imposant son versement en une seule fois » pour reprendre les termes du Rapporteur Public Nicolas LABRUNE. Ainsi, une clause indivisible du reste du marché public est de nature à entacher d’illicéité le contenu même du contrat (CE, 3 avril 2024, n°472476).