La transaction signée entre la victime d’un accident et la collectivité responsable n’est pas de nature à ouvrir un droit à indemnisation à un tiers, même si ce dernier est une caisse de sécurité sociale subrogée dans les droits de la victime. Le remboursement des débours exposés par la caisse ne pourra se faire que par la démonstration d’une faute de la personne publique.
A la suite d’une blessure à la jambe subie lors d’un jeu de ballon organisé par le centre de loisirs de la commune de Clermont-Ferrand, les parents de la victime ont reproché aux responsables de cette structure de ne pas avoir tenu compte de la contre-indication à cette activité de leur enfant à raison de la maladie génétique dont il est affecté (Charcot-Marie-Tooth). Ils ont saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire et la CPAM du Puy-de-Dôme est intervenue durant l’instance pour obtenir le remboursement de ses débours.
Mais après avoir conclu un protocole transactionnel avec la commune, les parents se sont désistés de leur action et le Tribunal administratif a reconnu une faute imputable à la collectivité et a enjoint à cette dernière le versement d’une somme de l’ordre de 50 000 euros à la CPAM. La Cour a annulé le jugement et a rejeté les conclusions de la CPAM qui s’est alors pourvue en cassation en soutenant que la transaction conclue entre la collectivité et la victime permettait, par elle-même, de reconnaître son droit à indemnisation.
La question posée au Conseil d’Etat consistait donc à savoir si la signature d’une transaction vaut droit à indemnisation au profit des tiers que sont les organismes de sécurité sociale.
Le Conseil d’Etat aurait pu faire sienne la jurisprudence définie par ses homologues judiciaires dans l’affaire dite du « Médiator ». En effet, par la décision du 21 avril 2022 la Cour de Cassation a retenu que la personne qui transige avec la victime d’un dommage corporel « admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime dont la caisse, subrogée dans ses droits, peut se prévaloir ». En conséquence de quoi il « incombe alors aux juges du fond, saisis du recours subrogatoire de la caisse qui n’a pas été invitée à participer à la transaction, d’enjoindre aux parties de la produire pour s’assurer de son contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse […] » (Cass. Civ., 21 avril 2022, n° 20-17.185). Ainsi, pour la Cour de Cassation, la signature d’une transaction entre la victime et l’auteur du dommage ouvre un droit à indemnisation à l’organisme subrogé dans les droits de la victime.
Mais le Conseil d’Etat a fait le choix d’adopter la position opposée à celle retenue par la Cour de Cassation, suivant en cela les conclusions de son Rapporteur Public Florian ROUSSEL. Ce dernier nous rappelle tout d’abord qu’aucune disposition législative, expresse ou implicite, ne reconnait aux tiers payeurs un tel droit à indemnisation, qui ne peut pas non plus se déduire du caractère subrogatoire du recours des tiers payeurs. Il précise également que la jurisprudence administrative est en décalage avec celle du juge judiciaire qui privilégie « une conception plus objective du contrat, traité comme un fait juridique invocable par les tiers ». Le Conseil d’Etat a par exemple déjà jugé qu’un tiers à une transaction ne peut invoquer à son profit une clause par laquelle l’administration renonce à toute réclamation (CE, 21 octobre 2019, n° 4200868). Ainsi, devant le juge administratif les tiers ne peuvent se prévaloir des stipulations d’une convention à l’exception de ses clauses réglementaires.
Florian ROUSSEL ajoute que la consécration d’une telle solution porterait atteinte à un principe cardinal du droit administratif, la prohibition des libéralités, en vertu duquel l’Administration ne peut être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas. Avant de faire état, enfin, de plusieurs arguments « d’opportunité », comme la possibilité effective pour l’organisme d’engager la responsabilité de la collectivité en exerçant un recours autonome ou encore le caractère dissuasif de la transaction si un tel droit à indemnisation était consacré.
Dès lors, c’est en reprenant presque totalement les motifs exposés par Florian ROUSSEL que le Conseil d’Etat a jugé que « s’il est loisible aux personnes publiques de conclure une transaction pour mettre un terme à une procédure mettant en cause leur responsabilité, les tiers à ce contrat ne peuvent se prévaloir d’un droit à indemnisation résultant de sa signature […] ».
Pour être indemnisé, le tiers payeur devra donc apporter la preuve du triptyque classique en matière de responsabilité : un préjudice, que l’on peut imaginer être les débours, une faute et un lien de causalité direct et certain. Précisons qu’en l’espèce Florian ROUSSEL avait proposé d’écarter le principe d’une faute car il est « délicat de déduire de la fiche de liaison que l’enfant ne pouvait participer à un jeu de ballon » et « sévère » de reprocher aux employés du centre de loisirs, qui ne sont pas des professionnels de santé, de ne pas avoir recherché si la maladie dont souffrait la victime était incompatible avec ce jeu.