- Fonction publique
le 23/05/2024
Claire JACQUIER
Marie LAFOND

Du « botox » dans les effectifs : la volonté de rajeunir les effectifs peut justifier le refus de maintenir en activité un fonctionnaire au-delà de la limite d’âge

CE, 11 avril 2024, n° 489202

Dans une décision rendue le 11 avril 2024, le Conseil d’Etat a considéré que l’employeur public, dans le cadre de l’intérêt du service, peut refuser de faire droit à la demande d’un fonctionnaire tendant à être maintenu en activité au-delà de la limite d’âge, au motif qu’il préfère privilégier le recrutement de jeunes agents. Et la Haute Juridiction de ne pas y voir un motif discriminatoire.

Dans cette affaire, un inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, ayant atteint la limite d’âge de 67 ans, avait sollicité auprès du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse son maintien en activité jusqu’à l’âge de 70 ans. Son employeur avait refusé de faire droit à cette demande, se fondant sur la nécessité de renouveler, dans l’intérêt du service, la composition du service par le recrutement d’inspecteurs plus jeunes. Si le Tribunal administratif de Paris, statuant en référé, a pu voir dans cette prise en compte de l’âge de l’intéressé un motif discriminatoire susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le Conseil d’Etat n’a pas partagé cette analyse.

En effet, ce dernier a estimé, pour sa part, que les dispositions permettant à un agent de demander à prolonger son activité jusqu’à l’âge de 70 ans (en l’espèce celles de l’article L. 556-1 du Code général de la fonction publique), « confèrent à l’autorité compétente un large pouvoir d’appréciation de l’intérêt, pour le service, d’autoriser un fonctionnaire atteignant la limite d’âge à être maintenu en activité ». Et le Conseil d’Etat d’en déduire que l’autorité administrative « peut ainsi, notamment, se fonder sur l’objectif tendant à privilégier le recrutement de jeunes agents par rapport au maintien en activité des agents ayant atteint la limite d’âge ».

Rappelons à cet égard que les dispositions spécifiques relatives à la limite d’âge des fonctionnaires ne prévoient pas de droit au maintien en activité au-delà de cette limite, mais au contraire l’obligation pour l’agent qui souhaite travailler au-delà de 67 ans de demander l’accord de son employeur, qui doit alors prendre en considération l’intérêt du service et l’aptitude de l’agent pour accorder, ou non, un maintien en fonctions.

De ces dispositions, et ainsi qu’il l’avait déjà admis sous l’empire des textes précédant l’adoption du Code général de la fonction publique (CE, 21 septembre 2020, n° 425960, le Conseil d’Etat en a logiquement déduit l’existence d’un « large pouvoir d’appréciation » au bénéfice de l’administration, s’agissant d’autoriser ou non un agent à se maintenir en activité au-delà de la limite d’âge.

Jusqu’alors, les Juridictions du fond avaient pu admettre, en la matière, le bien fondé de décisions de refus de prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge, voyant de « l’intérêt du service » dans l’existence de « mesures d’économies budgétaires au nombre desquelles figure le départ à la retraite d’un enseignant » (CAA de Versailles, 1er décembre 2016, n° 15VE01255), une politique en cours de restructuration du service (CAA de Paris, 20 octobre 2015, n° 14PA00781), la prise en compte du comportement de l’agent inadapté au fonctionnement d’un service (CAA de Marseille, 10 janvier 2023, n° 21MA00595), ou encore une fin de carrière « marquée par une relation conflictuelle avec sa hiérarchie » susceptible d’affecter le bon fonctionnement du service (CAA de Marseille, 26 janvier 2021, n° 19MA01368).

A ce catalogue, le Conseil d’Etat vient aujourd’hui ajouter, par sa décision en date du 11 avril 2024, le motif tiré du rajeunissement des effectifs. Considérant que le motif tenant à la volonté de rajeunir les effectifs (et donc tenant, indirectement, à une prise en compte de l’âge de l’agent) pouvait caractériser un intérêt du service sur lequel pouvait légalement se fonder l’administration pour refuser le maintien en activité.

L’appréciation ainsi portée sur l’âge du fonctionnaire ne traduisant pas l’existence d’une discrimination. Pour reprendre les mots de Monsieur Marc PICHON de VENDEUIL, Rapporteur public sur cette affaire, « l’article L. 556-1 du CGFP n’interdit nullement – au contraire – à l’administration de mettre en œuvre une politique de recrutement répondant le cas échéant à des impératifs démographiques, qui sont eux-mêmes de nature à caractériser l’intérêt du service et donc à justifier un éventuel refus ».  Une position au demeurant conforme à la jurisprudence européenne (CJUE, 21 juillet 2011, n°C-159/10 et n°C-160/10), derrière laquelle s’était déjà retranché le Conseil d’Etat concernant le principe de fixation d’une limite d’âge pour une mise à la retraite pour ancienneté, en jugeant que l’objectif visant à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l’âge (CE, 22 mai 2013, n°351183).

Indiquons enfin que dans une décision du même jour, rendue sous le n° 490652, le Conseil d’Etat a adopté la même solution s’agissant du refus opposé à une demande de maintien en activité au-delà de la limite d’âge sollicitée par une inspectrice générale des finances sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986 (CE, 11 avril 2024, n° 490652).

Pour résumer, refuser le maintien en activité d’un fonctionnaire ayant atteint la limite d’âge c’est possible, au nom de l’intérêt du service, dans le but de rajeunir les effectifs. Mais attention à ne pas céder au réflexe que pourrait inspirer cette décision et à faire de l’impératif démographique un motif stéréotypé, en se dispensant de motiver et de justifier, à partir d’éléments tangibles, la décision de refus de maintien en activité au-delà de 67 ans.