Droit pénal et de la presse
le 19/04/2022
Lilia BEN MUSTAPHALilia BEN MUSTAPHA

Une nouvelle occasion pour la Cour de cassation de préciser la qualité requise de l’auteur du délit de détournement de fonds publics et de rappeler les contours du principe Non Bis in idem

Cass. Crim., 16 mars 2022, n° 21-82.254

Par un arrêt en date 16 mars 2022, la Cour de cassation est venue préciser, d’une part, la qualité et les prérogatives qui doivent incomber à la personne poursuivie du chef de détournement de fonds publics, tel qu’entendu par l’article 432-15 du Code pénal, et rappelle, d’autre part, les contours du principe non bis in idem.

En l’espèce, la directrice de cabinet du maire d’une commune était poursuivie devant le Tribunal correctionnel pour avoir, en qualité de personne chargée d’une mission de service public, mis en paiement, accepté et transmis aux services payeurs de la collectivité, dans le cadre de ses fonctions, six factures d’une société pour des prestations non réalisées ou non prévues au contrat liant cette dernière à la ville.

Le maire de la commune était, quant à lui, renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour complicité de détournement de fonds publics pour avoir organisé des rendez-vous ou des réunions et avoir donné des instructions à ce sujet.  

Par jugement du 20 novembre 2017, le Tribunal correctionnel déclarait coupable la directrice de cabinet du maire des faits de détournement de fonds publics et d’usage de faux et le maire de complicité de détournement de fonds publics.

La juridiction d’appel confirmait le jugement en déclarant notamment que, si la signature des factures litigieuses était le fait de plusieurs signataires, le rôle de la directrice de cabinet du Maire a été déterminant via les instructions et les informations communiquées aux différents intervenants.

Saisie du litige, la Cour de cassation se prononce, à l’occasion de cet arrêt, sur deux sujets distincts :

  • Sur le principe non bis in idem, il était reproché à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la prévenue à la fois coupable d’usage de faux et de détournement de fonds publics à raison du même fait, à savoir son implication dans la signature et la transmission au service comptable pour mise en paiement des six factures litigieuses.

Dans son arrêt, la Cour de cassation écarte la violation du principe non bis in idem au motif qu’aucune de ces infractions n’est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, suivant les dispositions qui les prévoient.

A ce titre, la Cour de cassation considère ainsi que le principe selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ne trouve pas à s’appliquer, en l’espèce, puisque les deux délits ne procèdent pas d’une même action.

  • Sur la qualité et les prérogatives de l’auteur du délit de détournement de fonds publics, l’arrêt de la Cour d’appel était attaqué en ce qu’il s’était contenté de relever le rôle déterminant de la directrice de cabinet du maire dans la validation des factures, sans constater l’existence d’une délégation de signature du maire au profit de l’intéressée.

La Cour de cassation casse la décision d’appel en rappelant qu’en effet, les fonctions de directrice de cabinet du maire ne supposent pas, par elles-mêmes, que les fonds de la commune soient remis à l’intéressée au sens de l’article 432-15 du Code pénal.

La juridiction d’appel aurait donc dû rechercher si, au moment de la commission des faits de détournements de fonds publics, la directrice de cabinet disposait d’une délégation du maire, ordonnateur de la commune, lui permettant de mettre les factures en paiement, sauf à requalifier les faits – notamment en trafic d’influence ou corruption.

Cet arrêt rappelle ainsi, d’une part, que le principe non bis in idem ne trouve pas à s’appliquer lorsque deux qualifications pénales se fondent sur des éléments constitutifs différents ; dans un tel cas, il est de fait question d’actions distinctes, pouvant donner lieu à deux déclarations de culpabilité.

D’autre part, s’agissant de l’imputation du délit de détournement de fonds publics, le fait que la remise des fonds ait été induite par « les fonctions ou la mission » de la personne chargée d’une mission de service public ne peut être appréciée qu’au regard d’une circonstance de droit, à l’instar d’une délégation de signature.