le 17/06/2020

Le candidat dont l’offre était irrégulière peut se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire en référé précontractuel et contractuel

CE, 27 mai 2020, Sté Clean Building, n° 435982

Un acheteur public avait engagé une procédure de passation d’un accord-cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites, qui était divisé en neuf lots. La société Clean Building, retenue pour un seul lot, a introduit une requête en référé contractuel contre la procédure de passation de plusieurs lots, requête rejetée au motif que son offre était irrégulière si bien que l’ensemble des moyens sur lesquels reposait sa requête devaient être analysés comme inopérants.

Dans cette décision, le Conseil d’État a sanctionné cette analyse : il énonce, pour la première fois, la possibilité, pour un candidat évincé, de soulever un moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire, et ce alors même que son offre est elle-même irrégulière.

Depuis la décision SMIRGEOMES (CE, 3 octobre 2008, req. n° 305420), il est constant qu’en référé précontractuel, le candidat dont l’offre était irrégulière ne peut jamais être considéré comme lésé par le choix d’un candidat irrégulièrement retenu, sauf dans le cas où le manquement dont il se prévaut est justement à l’origine de l’irrégularité de son offre (CE, 12 mars 2012, Sté Clear Channel France, req. n° 353826). Un tel moyen est donc inopérant.

En première instance, le Tribunal administratif avait ainsi (logiquement) rejeté les conclusions de la société Clean Building : la requérante se prévalait du caractère anormalement bas de l’offre de l’attributaire, alors que l’offre qu’elle avait présentée était elle-même irrégulière ; cette irrégularité découlait de la circonstance qu’elle n’avait pas répondu à la demande de justifications que lui avait adressée le pouvoir adjudicateur, qui suspectait son offre d’être anormalement basse.

En cassation, le Conseil d’État juge toutefois que « la circonstance que l’offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du contrat en litige », notamment « lorsqu’une offre peut être assimilée, par le juge des référés dans le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas ».

Les magistrats du Palais Royal s’alignent ainsi sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 4 juillet 2013, Fastweb, C-100/12 ; CJUE, 5 avril 2016, PFE, C-689/13 ; CJUE, 5 septembre 2019, Lombardi, C-333/18) au terme de laquelle, pour reprendre les mots du rapporteur public, « l’irrégularité de l’offre ou de la candidature du requérant ne peut faire obstacle à ce qu’il invoque l’irrégularité de la candidature ou de l’offre retenue, à l’appui d’un référé précontractuel ou contractuel » (conclusions Gilles Pellissier sur CE, 27 mai 2020, Sté Clean Building, req. n° 435982).

Cette évolution est toutefois apparemment circonscrite aux référés précontractuel et contractuel, et ne s’étend donc pas aux procédures contentieuses au fond, aux recours en contestation de la validité du contrat. C’est à tout le moins le sens des conclusions du rapporteur public, sans que l’on mesure toutefois très bien les raisons qui justifient ce sort différent. Il faut donc comprendre que demeure pleinement applicable la décision du Conseil d’État du 9 novembre 2018, à l’occasion de laquelle, dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne, il avait refusé de faire application de la jurisprudence européenne au contentieux de la validité du contrat, « où seuls demeurent opérants les manquements en rapport direct avec les motifs d’éviction » des candidats (CE, 9 novembre 2018, Société CERBA, req. n° 420654 ; conclusions Gilles Pellissier).