Droit du travail et de la sécurité sociale
le 19/05/2022

Le barème Macron, sur le plafonnement des indemnités d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a été validé par la Chambre sociale de la Cour de cassation

Cass. Soc., 11 mai 2022, n°2114490

Par deux arrêts en date du 11 mai 2022[1], la chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, a :

  • Précisé la conformité, in abstracto, du barème Macron à l’article 10 de la convention n° 158 de l’ « Organisation internationale du Travail » (OIT) ;
  • Neutralisé la possibilité d’un contrôle de conventionnalité in concreto au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT ;
  • Précisé l’absence d’effet direct horizontal de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

Annonçant, ainsi, la fin d’un débat juridique qui aura duré plus de 4 ans, la Haute Cour a envoyé un signal fort aux justiciables et aux juges du fond sur le plan national, mais également international (le lecteur attentif remarquera, ainsi, la volonté de la Cour de cassation de donner le plus grand écho à ces arrêts, en les traduisant en anglais sur son site internet).

Contexte juridique de la décision

 

Ces décisions s’inscrivent dans un contexte particulièrement tumultueux.

Pour rappel, la loi n° 2015-990 en date du 6 août 2015 (dite loi Macron) annonçait la volonté d’encadrer les indemnités octroyées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, par l’établissement d’un barème impératif.

Censuré une première fois par le Conseil constitutionnel,[2] le format de barème prévu par la loi dite Macron de 2015 avait, finalement, été introduit dans le Code du travail par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (dite loi Travail ou loi El Khomri), sous la forme d’un référentiel indicatif que le juge était libre de ne pas appliquer.  

Par la suite, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (une des ordonnances Macron) a repris cette idée de barème impératif.

Ce fut l’acte de naissance du « barème Macron », tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Le barème Macron a, alors, subi un véritable baptême du feu, devant diverses juridictions. Il survivait, ainsi, aux fourches caudines du Conseil constitutionnel, qui déclarait, une première fois en 2017 et une seconde fois en 2018, le principe de la barémisation conforme à notre bloc de constitutionnalité.[3] Outre ces décisions, le Conseil d’Etat jugeait en référé que le principe de la barémisation n’était pas en contradiction avec le droit européen et international.[4]

Des contestations ont suivi, aux fins de confronter, devant les juges du fond, la validité du barème au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne et de l’article 10 de la convention n° 158 de l’ OIT.

Pour cause, l’article 55 de notre constitution du 4 octobre 1958 et notre jurisprudence interne prévoient que les conventions internationales ont, à certaines conditions, une autorité supérieure aux lois.[5]

Or, l’article 24 de la charte sociale européenne et l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT prévoient que le travailleur licencié sans motif valable a droit à une indemnité « adéquate » ou à une réparation « appropriée ».

Au visa de ces textes, la question principale des requérants était alors, en substance, la suivante :

L’encadrement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse par le barème Macron permet-il une indemnisation adéquate ou une réparation appropriée du préjudice du travailleur injustement évincé de l’entreprise au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et/ou de l’article 24 de la charte sociale européenne ?

A cette question, la formation plénière de la Cour de cassation, saisie pour avis en 2019, énonçait, alors, que le barème Macron était conforme à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.[6]

Elle énonçait, par ailleurs, que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’avait pas d’effet direct dans un litige entre particuliers.[7]

A la lecture de cet avis, certains ont pu penser que la Cour de cassation soulignait, seulement, que le principe de la barémisation des indemnités de licenciement était objectivement conforme à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT (et donc conforme in abstracto).

Aussi, il a été soutenu que, dans certaines situations, les juges du fond pouvaient se fonder sur les articles des conventions internationales précitées pour écarter, in concreto, le barème, lorsque son application ne permettait pas de réparer intégralement le préjudice du salarié lésé.

Procédant, ainsi, à un contrôle in concreto, plusieurs juridictions de fond écartaient alors le barème, souvent dans des litiges concernant des salariés éloignés de la situation de l’emploi en raison de leur âge et, notamment, les Cours d’appel suivantes :

  • CA Paris, 18 septembre 2019 n° 17/00676 ;
  • CA Reims, 25 septembre 2019 n° 19/00003 ;
  • CA Paris, 30 octobre 2019 n° 16/05602 ;
  • CA Bourges, 6 novembre 2020, n° 19/00585 ;
  • CA Chambéry, 14 novembre 2019, n° 18/02184 ;
  • CA Colmar, 28 janvier 2020, n° 19/02184 ;
  • CA Grenoble, 30 septembre 2021, RG n° 20/02512…

Parallèlement à cette « résistance » des juges du fond, des décisions du « Comité Européen des Droit Sociaux » (CEDS), l’autorité interprétative et de contrôle de la Charte sociale européenne, laissaient penser que le barème Macron pourrait ne pas être conforme à l’article 24 de la charte sociale européenne.[8]

Des requérants français se saisissaient alors de cette occasion pour introduire un recours contre le barème Macron devant le CEDS, dont l’instance est encore pendante au jour de la publication de cet article.

En outre, des réclamations étaient également formées devant l’OIT, dont le Conseil d’administration a rendu un rapport sur les questions litigieuses concernant la convention n° 158 durant l’audience ayant donné lieu aux arrêts ci-commentés.[9]

C’est dans ce contexte juridique que la Cour de cassation s’est prononcée sur la validité du barème Macron.

Analyse de la décision

Le raisonnement global de la formation plénière de la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est décomposé en plusieurs temps.

 

1. Un brevet de conventionnalité in abstracto, au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT

Sans surprise, la Cour de cassation a, tout d’abord, énoncé que le principe de la barémisation est, in abstracto, conforme à l’article 10 de la convention n° 1 58 de l’OIT.

Ce faisant, la Cour de cassation a confirmé l’avis qu’elle avait rendu en 2019 et a repris certains arguments précisés au point 26 d’une décision rendue en 1997, par le Conseil d’administration de l’OIT qui énonçait, alors, les critères que devait revêtir l’indemnisation « adéquate ».[10]

L’OIT soulignait, en effet, que l’un des critères de l’indemnisation adéquate résidait dans son caractère suffisamment dissuasif pour éviter le licenciement injustifié et qu’elle devait « raisonnablement permettre d’atteindre le but visé, à savoir l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ».

La Cour de cassation a repris mot pour mot ce raisonnement dans son arrêt du 11 mai 2022.

Afin de justifier que les critères de l’indemnité adéquate étaient satisfaits, elle a souligné, en substance, que notre droit interne était suffisamment dissuasif en ce qu’il imposait au juge, en cas de licenciement injustifié, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser jusqu’à 6 mois d’allocation chômage au Pôle Emploi.

Elle a, par ailleurs, souligné que le droit français permettait une indemnisation raisonnable en permettant au juge d’écarter le barème en cas de licenciement nul.

Dès lors, elle a retenu que le barème Macron prévoyait une indemnisation raisonnable de la perte injustifiée de l’emploi et que notre système d’indemnisation interne était suffisamment dissuasif.

Elle a, ainsi, considéré que le principe du barème était conforme, in abstracto, à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.

2. L’impossibilité d’opérer un contrôle de conventionnalité in concreto pour les juges du fond au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT

 

Le point qui a pu, cependant, surprendre certains défenseurs de salariés, opposés au barème, porte sur la position de la Cour de cassation concernant le contrôle in concreto.

En effet, il est traditionnellement admis que le rôle de la Cour de cassation est purement normatif et ne peut ou ne devrait pas concerner l’appréciation des faits (sauf exception, tel que le contrôle lourd ou léger ou encore la possibilité qu’elle a de statuer directement au fond dans certains cas).

La Cour de cassation reconnaît, d’ailleurs, dans un rapport de 2020, la délicatesse de la mise en œuvre d’un contrôle de conventionnalité in concreto ou du contrôle de la mise en œuvre de ce dernier au regard de son office.[11]

C’est peut-être là l’une des particularités techniques des arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

En effet, la Cour de cassation s’est dispensée d’avoir à contrôler les conditions de mise en œuvre du contrôle in concreto du barème Macron.

Il est, ainsi, intéressant de relever que l’employeur contestant le contrôle de conventionnalité in concreto du barème Macron a soulevé des arguments similaires aux inquiétudes que formulait déjà la Cour de cassation dans son rapport de 2020 sur le contrôle de conventionnalité.

Celle-ci énonçait, en effet, à cet égard :

« si le juge refuse d’appliquer une norme interne parce que cette application porterait une atteinte excessive à des droits fondamentaux, il répond peut-être à l’impératif de protection de la partie qui en est titulaire, mais il risque de porter un coup sérieux à d’autres principes fondamentaux, ceux de la sécurité juridique et de la prévisibilité du droit ».

Or, dans ses arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation, après avoir reconnu l’effet direct de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT dans un litige entre particulier, retient, pour rejeter le contrôle de proportionnalité in concreto :

  • qu’un tel contrôle amenant, selon les cas, à écarter le barème Macon en fonction de la situation concrète du salarié serait au principe de sécurité juridique,
  • qu’un tel contrôle serait contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi.

Déniant, la possibilité pour le juge du fond d’opérer un contrôle au cas par cas de la conformité du barème Macron, la Cour de cassation a précisé la mission de ces derniers, en énonçant qu’il leur appartenait (et qu’il leur appartiendra, désormais) :

« seulement d’apprécier la situation concrète de la salariée [ou du salarié] pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail ».

Par ces termes, la Cour de cassation reprenait, par ailleurs, la position de Conseil constitutionnel dans sa décision de 2018 précitée.[12]

3. L’absence d’effet direct horizontal de l’article 24 de la Charte sociale européenne

Enfin, la Cour de cassation a confirmé son avis rendu en 2019, selon lequel l’article 24 de la Charte sociale européenne est dépourvu d’effet direct horizontal. Il en résulte qu’il ne peut être invoqué dans un litige entre particulier.

Cependant, la position de la Cour de cassation ne prive pas, pour autant, le justiciable d’invoquer l’article 24 de la Charte sociale européenne dans un litige dit vertical, c’est-à-dire avec l’Etat.

Certains requérant pourraient donc être tentés d’invoquer un tel argument si l’occasion s’en présentait.

Rappelons, d’ailleurs, que contrairement à la Cour de cassation, le Conseil d’Etat avait reconnu l’effet direct horizontal de l’article 24 de la charte sociale européenne.[13]

Les conséquences pratiques et les suites des arrêts de la Cour de cassation

Les deux arrêts en date du 11 mai 2022 s’inscrivent dans la volonté de permettre, aux employeurs, de prévoir les conséquences d’un licenciement qui pourrait s’avérer injustifié.

Certains requérants tenteront toujours de soulever l’inconventionnalité in concreto du barème Macron, la juges du fond devraient, cependant, globalement se conformer à la position de la Cour de cassation.

Les stratégies de contournement du barème Macron, consistant, notamment, à invoquer la nullité du licenciement, en faisant notamment état de discriminations, harcèlements, devraient, donc, perdurer.

Au reste, la Cour de cassation a totalement neutralisé l’invocabilité de l’article 24 de la Charte sociale de l’union européenne, de sorte que la décision à intervenir du CEDS, qui n’aurait de toute façon pas été contraignante, sera dépourvue de portée dans un contentieux entre particuliers.

Le débat sur la validité du barème macron semble donc clos, jusqu’à ce jour …

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[1] Décision – Pourvoi n°21-14.490 | Cour de cassation ; Décision – Pourvoi n°21-15.247 | Cour de cassation

[2] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2015/2015715DC.htm

[3] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018761DC.htm ; https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2017751DC.htm

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000036386806/

[5] Article 55, Constitution du 4 octobre 1958 ; Cass. Ch. Mixte, 24 mai 1975, Sté des cafés Jacques Vabre n° 73-13.556, Bull ; CE, 20 octobre 1989, Nicolo, n° 108243.

[6] Cass. Formation plénière, avis n° 15013 du 17 juillet 2019

[7] Cass. Formation plénière, avis n° 15013 du 17 juillet 2019

[8] CEDS, 8 septembre 2016, n°106/2014 Finish Society Rights C/Finlande () ;  CEDS, 11 février 2020, Réclamation n° 158/2017 Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie (Décision sur le bien-fondé: onfederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie (coe.int)).

[9] GB.344/INS/16/3: Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982 (ilo.org)

[10]https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:50012:0::NO::P50012_COMPLAINT_PROCEDURE_ID,P50012_LANG_CODE:2507030,fr

[11] Groupe de travail sur le contrôle de conventionnalité, rapport 2020, Cour de cassation, page 5.

[12] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018761DC.htm

[13] Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 10/02/2014, 358992