le 09/09/2021

Pouvoirs d’enquête de l’administration : constat et préconisations du Conseil d’Etat

CE, 15 avril 2021, n° 450228

En juillet 2021, le Conseil d’Etat a publié une étude en date du 15 avril 2021, réalisée à la demande du premier ministre, sur les pouvoirs d’enquête et de contrôle de l’administration. Cette étude ne porte pas spécifiquement sur les seuls pouvoirs d’enquête et de contrôles en matière environnementale et s’étend bien au-delà, mais les constats et préconisations formulés incluent notamment la protection de l’environnement.

S’agissant donc plus précisément des enquêtes et contrôles en matière de protection de l’environnement, le Conseil d’Etat fait le constat que, malgré un premier travail de réforme qui a défini un socle commun applicable aux 25 polices de l’environnement (réforme portée par l’ordonnance n° 2012‐34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du Code de l’environnement), « les polices de l’environnement constituent un ensemble disparate, mis en œuvre par des organisations administratives morcelées, avec des différences culturelles et procédurales mais aussi d’approches sectorielles qui ne facilitent pas la cohérence d’ensemble » (p. 245). A titre d’exemple s’agissant des pouvoirs de police judiciaire définis au sein du Code de l’environnement, les plus intrusifs, tels que les relevés d’identité au titre de l’article L. 172-7 du Code de l’environnement et les perquisitions au titre de l’article L. 172-5 du même Code, relèvent de « 70 catégories d’agents dans 25 polices différentes » (p. 272). Notamment, le recensement précis des autorités de contrôle s’avère parfois impossible, particulièrement s’agissant des polices de l’eau, de la nature et des sites relevant du Préfet de département. En effet, il revient au Préfet d’organiser, au sein de ses services et au titre de son pouvoir d’organisation (CE, 1936, Jamart), la compétence de contrôle et de l’attribuer à ses agents, rendant impossible le recensement précis de l’ensemble des autorités de contrôle sur le territoire national.

Face aux constats de ce rapport, le Conseil d’Etat dresse trois séries de recommandations, trouvant à s’appliquer de manière générale et au-delà de la protection de l’environnement aux activités de contrôle et d’enquête de l’administration :

  1. Harmoniser les pouvoirs d’enquête et de contrôle des administrations. Il s’agirait, face à la disparité des procédures et à l’unicité de chacune d’entre elles, de définir un socle commun qui serait codifié dans le Code des relations entre le public et l’administration et qui fixerait un cadre commun des garanties s’appliquant lors d’un contrôle administratif aux personnes qui en font l’objet (notamment en matière d’information sur les modalités du contrôle, de protection du domicile et d’origine des informations sur laquelle se fonde la décision issue du contrôle). Outre ce cadre commun, il s’agirait également d’harmoniser les pouvoirs les plus coercitifs détenus par l’administration, et qui trouvent notamment à s’appliquer en matière environnementale (perquisitions et relevés d’identité).
  1. Simplifier et rationnaliser les attributions et la répartition des compétences. De manière générale, le Conseil d’Etat préconise de simplifier la rédaction des textes, mais vise en particulier le Code de l’environnement, qui désignent les agents compétents pour rechercher et constater les infractions, en évitant les multiples renvois qui rendent ces textes peu compréhensibles. Le Conseil d’Etat suggère également que, lors de l’attribution d’un pouvoir d’enquête à une catégorie d’agents, une grille d’analyse soit mise en œuvre « prenant en compte l’adéquation de ces pouvoirs à la finalité d’intérêt général qu’ils poursuivent, leur nécessité et leur proportionnalité » (p. 272). Une évaluation de la mise en œuvre de ces pouvoirs et de leur utilité est également recommandée, ce qui permettra d’instaurer « une règle de caducité des pouvoirs inutilisés et des pouvoirs dont l’utilisation n’est pas mesurée lorsque leur pertinence, leur nécessité et leur proportionnalité ne sont pas démontrées » (p. 272).

    S’agissant

    plus spécifiquement de la protection de l’environnement, le Conseil d’Etat préconise une « simplification radicale de la matrice des compétences exercées par 70 catégories d’agents [qui] passe par la réduction du nombre des polices spéciales, de 25 à moins d’une dizaine » (p. 246) et propose un regroupement selon les rubriques suivantes, avec des logiques d’interventions communes :

« 1° (Livre II) Police de l’eau et des milieux aquatiques, relevant des inspecteurs de l’environnement des DDTM et de l’Office français de la biodiversité,

2° (Livre II) Polices des pollutions en mer, relevant du contrôle des affaires maritimes, et de façon incidente des autres capacités maritimes de l’Etat (marine nationale, douanes, Ifremer) et des officiers des ports,

3° (Livre III) Polices des espaces naturels (littoral, parcs nationaux, réserves naturelles, sites, circulation motorisée dans les espaces naturels), exercées par les agents des établissements chargés de leur conservation, par les agents des DREAL et par les agents chargés de la police du domaine public (DDTM),

4° (Livre IV) Protection de la faune et de la flore (accès aux ressources génétiques, espèces protégées, chasse, pêche), exercée par l’Office français de la biodiversité, par les agents des établissements chargés des espaces naturels et de l’ONF, et sur certains enjeux par les agents des douanes, avec les gardes champêtres, les gardes particuliers et les agents de développement des fédérations de chasse et de pêche,

5° (Livre IV, se substituant au Code forestier) Police de la forêt, relevant de l’Office national des forêts, des DDTM et des directions régionales de l’agriculture et de la forêt (DRAAF), les gardes particuliers contribuant à la constatation des infractions,

6° (Livre V) Inspection des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), police des produits chimiques et biocides (compétence partagée avec la DGCCRF), contrôle des utilisations confinées d’OGM à des fins de production industrielle, relevant des DREAL et des DDPP,

7° (Livre V) Inspection des installations nucléaires (INB), exercée par l’Autorité de sûreté nucléaire,

8° (Livre V) Polices de proximité, relevant principalement des municipalités : déchets, lutte contre le bruit (avec les ARS), publicité et enseignes (avec les DREAL) ».

Et, tant que la liste des agents compétents pour les contrôles en matière d’environnement n’aura pas été réduite et clarifiée, ni des données récoltées sur l’utilisation des pouvoirs existants, le Conseil d’Etat s’oppose à l’extension de leurs pouvoirs d’enquête.

Mais un élargissement du périmètre des compétences des agents municipaux est également souhaité par le Conseil d’Etat, au regard des faibles effectifs des gardes-champêtres, des inspecteurs de l’OFB et de l’ONF. Le Conseil d’Etat recommande particulièrement en matière environnementale de veiller « à assurer une couverture territoriale de proximité grâce aux agents municipaux » (p. 272).

En outre, afin de clarifier la répartition des compétences de contrôle administratif liées aux polices de l’environnement entre les services déconcentrés de l’Etat et les établissements publics, il est recommandé de présenter cette répartition dans un document public tel qu’une circulaire ou un plan précisant les catégories d’agents compétents pour les diverses interventions et d’adopter un décret en Conseil d’Etat définissant les catégories d’agents compétents pour les contrôles administratifs.

  1. Enfin, il s’agirait de mieux connaître et faire connaître les activités d’enquête et de contrôle. Cette préconisation se traduirait par la définition d’indicateurs de suivi et par la réalisation d’un rapport annuel d’activité au sein duquel les administrations devront rendre compte de l’utilisation de leurs pouvoirs d’enquête et de contrôle.