le 28/03/2019

Quels sont les apports de la Loi Elan en matière d’aménagement commercial ?

La loi n° 2018-1091 du 23 novembre 2018 dite « ELAN » modifie la législation sur l’urbanisme commercial par une diversité de mesures visant à redynamiser et préserver les centres-villes par l’instauration des Opérations de Revitalisations de Territoire (ORT)[1].

Elle vise également à réintroduire une approche économique de l’impact des projets tant notamment dans l’obligation de produire pour chaque demande d’autorisation d’exploitation commerciale une étude d’impact que dans la modification de la composition des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC).

Elle renforce enfin les outils de contrôle en matière d’aménagement commercial en instaurant, d’une part, un contrôle a posteriori du respect de l’autorisation délivrée et, d’autre part, en accroissant les prérogatives du préfet dans les obligations de démantèlement des exploitations désaffectées.

1-Les spécificités des Opérations de Revitalisation du Territoire (ORT) en matière d’aménagement commercial (article 157 de la loi)

Les Opérations de Revitalisation du Territoire (ORT) constituent un nouvel outil d’intervention en matière de politique urbaine, ayant pour objet, aux termes de l’article L. 303-2-I du Code de la construction et de l’habitation (ci-après CCH) :

« la mise en œuvre d’un projet global de territoire destiné à adapter et moderniser le parc de logements et de locaux commerciaux et artisanaux ainsi que le tissu urbain de ce territoire pour améliorer son attractivité, lutter contre la vacance des logements et des locaux commerciaux et artisanaux ainsi que contre l’habitat indigne, réhabiliter l’immobilier de loisir, valoriser le patrimoine bâti et réhabiliter les friches urbaines, dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable. » 

Elles donnent lieu à la conclusion d’une convention entre l’Etat, ses établissements publics intéressés, obligatoirement un EPCI à fiscalité propre et tout ou partie des communes membres ainsi que toute personne publique ou privée susceptible d’apporter son soutien ou de prendre part à la réalisation des opérations prévues par la convention, qui en délimite notamment les secteurs d’intervention.

Une seule restriction est posée à la faculté d’être signataire de la convention : « la condition que cette adhésion ne soit pas susceptible de la mettre ultérieurement en situation de conflit d’intérêts ». 

Aucun formalisme n’est imposé.

La convention comporte :

  • la définition du projet urbain, économique et social de revitalisation du territoire favorisant la mixité sociale, le développement durable, la valorisation du patrimoine et l’innovation,
  • la délimitation du périmètre des secteurs d’intervention (étant précisé que ces derniers, comprennent obligatoirement le centre-ville de la ville principale du territoire de l’EPCI signataire et éventuellement ceux d’autres communes membres de cet EPCI.),
  • la durée de la convention,
  • Ses modalités (le calendrier, le plan de financement, la répartition des actions prévues dans les secteurs d’intervention limités, les conditions dans lesquels ces actions peuvent être délégués à des opérateurs)

Elle comprend également une ou plusieurs actions d’amélioration de l’habitat prévues à l’article L. 303-1 du CCH et, à titre facultatif, tout ou partie des 10 actions énoncées à l’article L. 303-2 III du CCH.

Ce dispositif, ainsi que cela ressort de la circulaire du 21 décembre 2018 relative à la présentation des dispositions d’application immédiate de la loi ELAN, est entré en vigueur immédiatement.

Il emporte plusieurs conséquences en matière d’aménagement commercial.

– Une dispense d’autorisation d’exploitation commerciale dans les centres-villes identifiés par la convention « ORT » :

Les projets, situés dans un secteur d’intervention identifié par une convention ORT, seront dispensés de l’autorisation d’exploitation commerciale, prévue par les 1° à 6° de l’article L. 752-1 du Code de commerce, à l’exception :

  • des « drive »
  • et des projets que la convention aura elle-même décidé de soumettre à autorisation s’ils dépassent un certain seuil fixé par elle, mais qui ne saurait être inférieur à 2.500 m² pour les commerces à prédominance alimentaire, et 5.000 m² pour les autres (nouvel article L. 752-1-1 du Code de commerce).

La loi prévoit que les conditions de publicité des projets non soumis à autorisation d’exploitation commerciale seront fixées par décret en Conseil d’Etat.

– L’instauration d’un moratoire des demandes d’autorisation d’exploitation commerciale en périphérie des ORT : 

Le nouvel article L. 752-1-2 du Code de commerce instaure un moratoire : toute demande d’autorisation d’exploitation commerciale déposée devant une CDAC pourra être suspendue par arrêté préfectoral, pour une durée de trois ans, renouvelable un an, lorsque celle-ci porte sur un projet situé sur le territoire :

  • d’une ou plusieurs communes signataires d’une convention ORT, mais en dehors des périmètres d’intervention définis par la convention ;
  • Sur une commune non signataire d’une convention ORT mais membre d’un EPCI signataire d’une telle convention ou d’un EPCI limitrophe de celui-ci, lorsque ce projet est de nature à compromettre gravement les objectifs de l’opération (nouvel article L. 752-1-1 du code de commerce).

La décision du Préfet est prise à la demande, ou après avis, de l’EPCI ou des communes concernées, et compte tenu des caractéristiques des projets et de l’analyse des données de la zone de chalandise concernée, au regard, notamment, des taux de logements vacants, de chômage et de vacance commerciale.

Le mécanisme de suspension s’appliquera, au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres de chaque projet.

Les conditions de ce dispositif de suspension doivent être précisées par un décret en Conseil d’Etat devant intervenir au cours du deuxième trimestre 2019.

– Les autres dérogations pour les projets mixtes en centre-ville et concernant la faculté d’auto-saisine :

L’article L. 752-2 du code de commerce, modifié par l’article 165 de la loi ELAN, prévoit une exonération d’autorisation d’exploitation commerciale, pour les projets mixtes, réunissant à la fois des commerces et des logements, situés dans un secteur d’intervention identifié par une convention ORT, « dès lors que la surface de vente du commerce est inférieure au quart de la surface de plancher à destination d’habitation. »

Cette disposition est d’ores et déjà applicable.

L’article 173 de la loi précise encore que la possibilité pour les communes et EPCI compétents, de soumettre volontairement à autorisation d’exploitation commerciale les projets d’une surface de vente comprise entre 300 et 1.000 m² dans les communes de moins de 20.000 habitants, ne sera plus possible dans les secteurs d’intervention identifiés par les conventions ORT (article L. 752-4 modifié).

Cette mesure, aussi, est d’application immédiate

2.Les mesures visant à renforcer la prise en compte de l’impact des projets

– L’instauration de trois nouveaux critères d’examen des projets :

Trois nouveaux critères sont ajoutés, sous l’article L752-6 du Code de commerce, pour les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2019 :

  • En matière d’aménagement du territoire :

– La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes, et de l’EPCI dont la commune est membre,

– les coûts indirects supportés par la collectivité en matière d’infrastructures et de transports,

  • En matière de développement durable : le bilan des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu au 1° et 2° du I de l’article L229-25 du Code de l’environnement (lequel concerne les entreprises de plus de 500 salariés)

– La complétude du dossier de la demande par la production d’une étude d’impact :

La loi impose la production par le demandeur d’une analyse d’impact du projet :

  • réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l’Etat dans le département.
  • devant évaluer « les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’EPCI dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. »
  • et démontrant que le projet ne peut s’implanter sur une friche existante en centre-ville ou en périphérie .

La circulaire du 21 décembre 2018 indique que le décret permettant l’application de ces dispositions doit intervenir « au cours du 2ème trimestre 2019 ».

– L’instauration d’un nouveau seuil pour la réouverture des surfaces de vente :

Dans un souci de faciliter la résorption des friches commerciales, la loi relève le seuil prévu à l’article L. 752-1 du Code de commerce, de 1000 m² à 2500 m², pour les projets portants sur la réouverture au public, sur le même emplacement, des magasins qui ont cessé d’être exploités depuis plus de trois années.

Cette disposition est d’application immédiate.

– La modification de la composition de la CDAC :

Les CDAC seront désormais composées, outre des 7 élus et 4 personnalités qualifiées en aménagement du territoire et développement durable, de trois nouvelles personnalités qualifiées représentant le tissu économique, à savoir : une désignée par la chambre de commerce et d’industrie, une désignée par la chambre de métiers et de l’artisanat et une désignée par la chambre d’agriculture. (la CDAC de Paris n’accueillera que les deux membres représentant les chambres consulaires).

Ces trois personnalités ne prennent toutefois pas part au vote et présentent la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique. La personnalité désignée par la chambre d’agriculture présentera l’avis de la chambre lorsque le projet d’implantation commerciale consomme des terres agricoles.

Un décret permettant l’application de ces dispositions doit intervenir « au cours du 2ème trimestre 2019 ».

– La modification de la procédure devant la CDAC :

Le nouvel article L. 751-2 du Code de commerce prévoit l’élargissement des personnes susceptibles d’être auditionnées, à savoir :

  • la personne chargée d’animer le commerce de centre-ville au nom de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre
  • l’agence du commerce et les associations de commerçants de la commune d’implantation et des communes limitrophes lorsqu’elles existent.

Dans une volonté de transparence, la CDAC devra également informer les maires des communes limitrophes de la commune d’implantation, dès l’enregistrement des demandes d’autorisation d’exploitation commerciale dont elle est saisie. Ils pourront ainsi demander à être auditionnés.

Est également prévue la possibilité pour le préfet de solliciter, des chambres consulaires et de la chambre d’agriculture, des études spécifiques « d’organisation du tissu économique, commercial et artisanal ou de consommation des terres agricoles préalablement à l’analyse du dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale ».

Cette demande doit être formulée au plus tard dans le délai d’un mois avant l’examen du dossier par la CDAC.

Ces dispositions sont d’application immédiate.

– La modification de la procédure devant la CNAC :

Un nouvel alinéa est ajouté à l’article L. 752-19 du Code de commerce permettant à l’un des membres de la CDAC d’être auditionné en CNAC, sur demande de la CDAC et dans le cas d’un projet faisant l’objet d’un recours.

– La clause dite « de revoyure » :

L’article 171 de la loi instaure une clause dite de « revoyure » permettant aux demandeurs ayant vu leur projet refusé en CNAC de la ressaisir directement dès lors que la demande a pour objet de tenir compte des motifs de refus de la CNAC et que les modifications apportées au projet ne présentent pas un caractère substantiel.

Un décret est nécessaire pour la mise en œuvre de cette disposition.

– La validité de la modification substantielle :

L’article 170 de la loi modifie le troisième alinéa de l’article L. 752-15 du Code de commerce en précisant qu ‘ « une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l’article L. 752-6. Lorsqu’elle devient définitive, l’autorisation de modifier substantiellement le projet se substitue à la précédente autorisation d’exploitation commerciale accordée pour le projet. »

– Le renforcement de la place du commerce dans le SCOT :

L’article L141-17 du code de l’urbanisme, modifié par l’article 169 de la loi, rend le Document d’Aménagement artisanal et commercial (DAAC) obligatoire dans les SCOT.

Le DAAC « localise les secteurs d’implantations périphériques ainsi que les centralités urbaines » et précise les conditions d’implantation (type d’activité, surface de vente maximale…). Il peut également définir les conditions d’implantation (maintien du commerce de proximité, développement et maintien de la logistique commerciale dans les centralités en fonction de leur surface, des flux générés…)

En l’absence de SCOT, les orientations relatives à l’aménagement commercial contenant des conditions d’implantation, seront dans le PLUi.

La loi s’applique aux prochaines élaborations ou révisions de SCOT et PLUi à l’exclusion des procédures en cours au moment de sa publication.

3- Le renforcement des outils de contrôle

– Un contrôle a posteriori du respect de l’autorisation d’exploitation commerciale :

L’article L. 753-23 du Code de commerce instaure désormais un contrôle a posteriori :

  • Les bénéficiaires ont l’obligation de communiquer au préfet, un mois avant l’ouverture au public, un certificat attestant du respect des conditions de l’autorisation d’exploitation commerciale, établi à leurs frais, par un organisme indépendant habilité par le préfet.
  • En l’absence de ce certificat, l’exploitation est réputée illicite.

– Les sanctions en cas de non-conformité :

L’article L. 752-23 du Code de commerce prévoit désormais l’obligation pour le préfet de mettre en demeure l’exploitant concerné de fermer les surfaces illicites ou de ramener la surface de vente conformément à l’autorisation d’exploitation commercial obtenue, dans un délai de 3 mois à compter de la transmission au pétitionnaire du constat d’infraction.

Sans respect de la mise en demeure, le préfet prend un arrêté ordonnant, dans un délai de quinze jours, la fermeture au public des surfaces de vente exploitées illicitement, jusqu’à régularisation effective, ce sous astreinte maximale de 150€ par m² par jour de retard.

Est puni d’une amende de 15 000 € le fait de ne pas exécuter les mesures prises par le préfet.

Les modalités d’application du présent article seront déterminées par décret en Conseil d’Etat.

– Le renforcement de l’obligation de démantèlement :

La loi dite « ALUR » du 24 mars 2014 a introduit une obligation de démantèlement et de remise en état des terrains d’assiette sur lesquels toute exploitation commerciale a cessé depuis au moins trois ans (L.752-1).

La loi ELAN renforce les prérogatives du préfet.

A l’expiration du délai de trois ans, le préfet s’assure des dispositions prévues par le propriétaire du site pour mettre en œuvre, dans les délais prescrits, les opérations de démantèlement et de remise en état des terrains ou de transformation en vue d’une autre activité.

Il doit mettre en demeure le ou les propriétaires de les lui présenter. A défaut, il peut obliger à consigner entre les mains d’un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle est restituée au propriétaire au fur et à mesure de l’exécution des mesures prescrites.

Il peut également « faire procéder d’office, aux frais du ou des propriétaires, au démantèlement et à la remise en état du site. »

Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’application du présent article.

 

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Ces nouvelles dispositions, lesquelles s’inscrivent dans une succession de réformes intervenues depuis 2008 (loi LME[2], loi ALUR[3], loi PINEL[4]), produiront-elles les effets escomptés ?

Surtout, la publication des décrets d’application est attendue….

[1] ceci dans le prolongement notamment du rapport conjoint du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) et de l’Inspection Générale des Finances (IGF) sur la « revitalisation commerciale des centres-villes », publié en juillet 2016, du Plan Action Cœur de ville annoncé le 15 décembre 2017 par le Ministre de la Cohésion sociale et la publication le 26 mars 2018 des 222 villes sélectionnées en vue de la conclusion des conventions dites « Actions Cœur de Ville ».

[2] Loi n° 2008-776 du 4 aout 2008 de Modernisation de l’Economie dite « LME »

[3] Loi n° 2014-336 du 24 mars 2014 pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové dite « ALUR »

[4] Loi n° 201-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises

 

 

Par Céline Camus
Avocate, Seban Atlantique