le 20/04/2017

Les nouvelles règles de la prescription en matière pénale

Par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, le législateur a entendu réformer profondément les régimes de prescription en matière pénale en s’assignant pour objectif « d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique et de conservation des preuves, principalement en allongeant les délais de prescription de l’action publique en matière criminelle et correctionnelle, tout en unifiant ces délais avec ceux de la prescription de la peine, et en consacrant, précisant et encadrant les règles jurisprudentielles relatives aux causes d’interruption et de suspension de la prescription » (Circulaire du 28 février 2017 présentant les dispositions de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale).

Ce texte, adopté de façon consensuelle par l’Assemblée nationale et le Sénat a été publié au Journal Officiel du 28 février 2017, et est entré en vigueur depuis le 1er mars 2017.

Pour bien comprendre ces nouvelles règles, il convient tout d’abord d’examiner les modifications apportées au régime de droit commun de la prescription (1.), avant de préciser les modalités d’application dans le temps de la réforme (2.).

  1. Les modifications apportées au régime de droit commun de la prescription

La Loi modifie les délais de prescription de droit commun de l’action publique (1.1.) et de la peine (1.2.).

  • La prescription de l’action publique

Un allongement des délais de prescription. La Loi a doublé les délais de prescription de droit commun en matière criminelle et délictuelle, tout en maintenant leur point de départ au jour de la commission de l’infraction.

Ainsi, le délai est désormais fixé à vingt ans au lieu de dix ans, s’agissant de la matière criminelle (CPP, art. 7 al. 1er; celui en matière délictuelle passe de trois à six ans (CPP, art. 8 al. 1er).

En revanche, le délai de prescription d’un an en matière contraventionnelle est maintenu (CPP, art. 9).

Ces modifications ont pour objectif de mieux protéger l’intérêt des victimes et de tenir compte des nouvelles méthodes et techniques d’investigation, de recueil et de conservation des preuves.

Un report du point de départ de la prescription pour toute infraction occulte ou dissimulée. Le législateur consacre la jurisprudence prévoyant, pour certains délits occultes (par nature) et dissimulés (par la volonté de leur auteur), le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour de leur découverte, et l’a rend applicable à l’ensemble des infractions.

Ainsi, le Code de procédure pénale prévoit désormais que le délai de prescription de toute infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où ces infractions sont apparues et ont pu être constatées « dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique » (CPP, art. 9-1 al. 3).

 Par ailleurs, les notions d’infraction occulte ou dissimulée sont définies par le législateur : « est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire » (CPP, art. 9-1 al. 4) ; « est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte » (CPP, art. 9-1 al. 5).

La Jurisprudence ancienne semble donc avoir conservé sa pertinence sur ce point : à titre d’exemple sont des infractions occultes par nature, les délits d’abus de confiance, de tromperie, de publicité trompeuse, etc.

Ces nouvelles dispositions sont applicables à l’ensemble des infractions – contravention, délit ou crime – et en toutes hypothèses, y compris celles dans lesquelles, par le passé, la Cour de cassation avait refusé de différer le point de départ de la prescription.

L’instauration d’un délai butoir. Afin d’éviter l’imprescriptibilité de ces infractions dissimulées ou occultes, le législateur a encadré le report du point de départ de la prescription par des délais butoirs, qui courent cette fois à compter de la date de la commission de l’infraction.

Ainsi, le délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées ne pourra pas dépasser trente ans en matière criminelle et douze ans en matière délictuelle.

Il résulte de ces dispositions que si, avant l’expiration de ces délais de douze et trente ans à compter de leur commission, un délit ou un crime occulte ou dissimulé n’a pas été découvert et n’a pas fait l’objet d’un acte interruptif de prescription, ces faits seront définitivement prescrits et ne pourront plus donner lieu à poursuite. Au contraire, si un acte interruptif est intervenu avant l’expiration de ces délais butoirs, les nouveaux délais de prescription de droit commun de 6 ans et de 20 ans s’appliqueront alors.

  • La prescription de la peine

Le délai de prescription de droit commun de la peine en matière délictuelle est porté de cinq à six ans (CP, 133-3), ceux applicables en matière criminelle (20 ans) et contraventionnelle (2 ans) restant inchangés (CP, art. 133-2 et 133-4).

  1. Les modalités d’application dans le temps de la nouvelle Loi et leurs conséquences

La loi du 27 février 2017 est d’application immédiate (2.1.) à toutes les infractions non prescrites à la date de son entrée en vigueur ; cela signifie que les infractions ayant donné lieu à une mise en mouvement de l’action publique avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, se prescriront conformément aux règles antérieures (2.2.).

Ces dispositions emportent par ailleurs diverses conséquences quant à la procédure de réhabilitation (2.3.).

  • Une loi d’application immédiate

Par principe, les lois de prescription de l’action publique et des peines, sans distinguer selon qu’elles sont plus ou moins sévères, pourvu qu’elles ne soient pas déjà prescrites, sont immédiatement applicables aux infractions commises avant leurs entrées en vigueur (CP, art. 112-2 4°).

Les prescriptions nouvelles n’ont donc aucun effet sur les prescriptions déjà acquises lors de l’entrée en vigueur de la réforme ; en d’autres termes, les délits ou les crimes prescrits au moment de l’entrée en vigueur de la Loi – par application des anciens délais de prescription de l’action publique de trois ans ou de dix ans – ne peuvent plus être poursuivis.

Il en est de même pour les peines correctionnelles déjà prescrites à l’issue de l’ancien délai de cinq ans.

A contrario, s’agissant des prescriptions en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, les nouveaux délais de prescription se substituent aux anciens.

  •  Une absence de prescription des infractions ayant donné lieu à une mise en mouvement de l’action publique avant l’entrée en vigueur de la Loi

 Le Législateur a pris soin de préciser que cette Loi « ne peut pas avoir pour effet de prescrire les infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n’était pas acquise » (Loi n° 2017-242 du 27 février 2017, art. 4).

Par mise en mouvement ou exercice de l’action publique, il faut ici entendre le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, le réquisitoire introductif du Parquet saisissant un Juge d’instruction ou la citation saisissant le Tribunal correctionnel.

Dès lors qu’un tel acte est intervenu avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, ce sont les anciennes règles de prescription qui doivent trouver application ; en particulier, le « bornage » de la prescription des infractions occultes et dissimulées sera exclu.

Précisons que la Loi ne fait pas obstacle à ce que l’interruption de la prescription par des actes d’enquête émanant du ministère public ou des procès-verbaux de police tendant à la recherche et à la poursuite d’auteurs présumés soit effective, même en l’absence de mise en mouvement de l’action publique intervenue avant son entrée en vigueur.

  • Des conséquences en matière de réhabilitation

L’allongement du délai de prescription des peines délictuelles – de cinq à six ans – a dès lors pour conséquence de prolonger d’un an le délai de réhabilitation légale prévu pour des condamnations délictuelles non exécutées (CP, art. 133-13 et 133-14).

Enfin, ajoutons que le nouveau délai de prescription de la peine de six ans n’aura d’effet que sur la réhabilitation légale des condamnations prononcées pour les délits commis à compter du 1er mars 2017.

Sonia KANOUN

Avocat à la Cour