le 06/12/2018

Les données, levier de la transition énergétique : bilan de la CRE sur l’avancement des travaux menés avec les gestionnaires des réseaux de distribution d’énergie

Délibération de la CRE du 11 octobre 2018 portant communication sur l’état d’avancement des travaux relatifs aux données dont disposent les gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie

Par une délibération du 11 octobre 2018, publiée le 8 novembre suivant, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) fait son premier bilan des avancées intervenues sur les données mises à disposition par les gestionnaires des réseaux de distribution (GRD) d’énergie, à destination des AODE, et des autres acteurs qui souhaitent développer de nouveaux usages.

Cette délibération fait suite à la publication, en juin 2017, du rapport du comité d’études de la CRE consacré aux données de l’énergie, à la suite duquel les opérateurs régulés d’électricité et de gaz naturel ont engagé ou poursuivi de nombreux chantiers de traitement et de mise à disposition de leurs données.

Dans cette délibération, la CRE salut des avancées notables sur le sujet, mais malgré tout inégales, en relevant que de nombreux acteurs souhaitent toujours une plus large mise à disposition des données afin d’accélérer la transition énergétique. Ces données concernent non seulement les données de consommation (recueillies par exemple par le biais des nouveaux compteurs communicants) mais également des données d’infrastructures et d’exploitation dont les GRD disposent.

La CRE dresse ainsi un premier bilan des initiatives lancées par les opérateurs régulés de l’énergie sur le sujet des données (partie 2), fait le point sur les offres et services proposés par les acteurs des marché et les freins identifiés à leur développement (partie 3) et enfin la CRE énoncent les orientations qui mériteraient d’être prises afin de faire des données un levier d’efficacité du système énergétique et de réussite de la transition énergétique (partie 4).

Plus largement, la CRE indique qu’elle souhaite également profiter de ce premier bilan pour faire part à l’ensemble des acteurs d’orientations, qui s’articulent autour de deux champs de réflexions : d’une part, la gestion des données de l’énergie et leur régulation et, d’autre part, l’environnement propice au développement de services autour de la donnée énergétique.

Dans le cadre de la présente brève d’actualité, on présentera quelques points importants de cette délibération assortie dans ses conclusions de 8 recommandations à destination des opérateurs régulés de l’énergie.

1. En premier lieu, la CRE met en lumière dans sa délibération les attentes des parties prenantes dont les AODE en matière de données d’exploitation du réseau :

Elle relève ainsi qu’Enedis et RTE ont déjà publié sur leurs plates-formes open data respectives des données suivantes : tracé des lignes aériennes en HTB, HTA, BT et souterraines, le cas échéant ; pylônes sur le réseau public de transport ; données relatives aux divers postes de transformation ; fréquences et durées moyennes de coupure, indicateurs de qualité d’alimentation.

Pour autant, force est de constater que de nombreuses informations sont encore attendues par les AODE, qui souhaitent, pour plusieurs d’entre elles, profiter du renouvellement de leur concession pour discuter avec leur concessionnaire Enedis (avec EDF) de la remise de ces données. Mais le sujet demeure encore délicat et la CRE en a conscience.

Elle souligne ainsi, dans la délibération commentée, que les AODE souhaiteraient connaître la localisation des zones de contraintes sur le réseau, notamment pour expérimenter des services de flexibilité locaux en association avec des producteurs et des consommateurs dont aucun projet n’a pour l’heure été mis en œuvre.

Afin de favoriser l’émergence de projets de flexibilité, la CRE demande en conséquence aux gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité de publier une carte des contraintes dans la perspective de la mise en place, d’ici la fin 2019, d’une cartographie d’opportunité de flexibilité.

Il ressort de la délibération que la société Enedis se serait engagé à réaliser, à une maille subrégionale pilote, un prototype de carte présentant des zones du réseau donnant lieu à des investissements sur des postes sources et des postes HTA, disponible dans le courant du second semestre de 2018.

2. En deuxième lieu, la CRE rappelle que les GRD doivent mettre à disposition des données utiles à de nouveaux usages.

Sur ce point, la CRE fait état de ce que les acteurs auditionnés proposent que les gestionnaires de réseaux facilitent la mise en place des opérations d’autoconsommation collective en rendant accessibles des informations indispensables à la constitution des « personnes morales », groupement de consommateurs et de producteurs situés en aval d’un même poste de distribution publique (transformateur HTA/BT), entre lesquels cette opération est établie.

Ces acteurs souhaitent en effet disposer d’une cartographie des postes de distribution publique à laquelle est associée la liste des points de livraison afférents susceptibles de participer à une même opération d’autoconsommation collective (par catégorie d’utilisateur ou tranche de puissance), éventuellement assortis de leurs coordonnées postales ou de leur géolocalisation, dans le respect de la protection des données afférente (en particulier de certaines données à caractère personnel). Ils souhaiteraient également une simplification de la transmission des clés de répartition des volumes autoproduits entre les participants à l’opération d’autoconsommation collective.

Les acteurs de la mobilité électrique ont également fait part à la CRE de leur souhait d’obtenir une diffusion plus importante des données techniques de réseaux (capacités disponibles, etc.) par leurs gestionnaires.

En conséquence, la CRE demande aux gestionnaires de réseaux de lui transmettre sous six mois une étude de faisabilité technique et juridique d’une mise à disposition des informations utiles au développement des nouveaux usages tels que l’autoconsommation, le stockage d’électricité par batteries, le développement des infrastructures de recharge de véhicules électriques, le raccordement d’installations d’injection de biométhane ou celui des stations GNV (publication de cartographies, de données techniques du réseau), ainsi que celles nécessaires à la conduite des projets afférents (simplification de la transmission des clés de répartition pour l’autoconsommation collective, émission de signaux-prix, etc.).

3. En troisième lieu, la CRE évoque à nouveau les préoccupations des AODE en matière de remise des données, afin de disposer des capacités d’intégration des installations de production d’électricité renouvelable sur les réseaux (congestions, besoins de renforcement, etc.).

La CRE relève que les outils comme Caparéseau ne sont pas toujours connus, et il est aujourd’hui plus simple de contacter son interlocuteur chez le gestionnaire de réseaux que d’utiliser certaines plates-formes. En gaz naturel, selon plusieurs syndicats, les données des quantités de gaz livrées aux PITD11 et à différents points de mesure du réseau ne sont souvent pas communiquées, alors qu’elles pourraient contribuer à mieux cibler et définir les projets de méthanisation, et à mieux analyser les complémentarités entre réseaux d’énergie.

De plus, la CRE relève que les AODE souhaitent disposer des données leur permettant d’établir des plans pluriannuels d’investissements avec les gestionnaires de réseaux de distribution, en plus des bilans effectués tous les ans : éléments physiques portant sur les ouvrages en concession (puissances injectées et soutirées aux différents nœuds des réseaux électriques, mise en évidence des nœuds de réseau sous contrainte en injection et en soutirage), indicateurs techniques de qualité sur le réseau. En outre, elles voudraient bénéficier, comme leurs concessionnaires, des avancées techniques que le déploiement des systèmes de comptage évolué pourra offrir : fiabilisation des bases de données et gains en précision sur certains indicateurs aujourd’hui fondés sur des modélisations. 

La CRE fait également état d’une préoccupation ancienne des collectivités territoriales, qui en tant que maîtres d’ouvrages de certains travaux, considèrent que les devis présentant les coûts de raccordement des installations devraient faire l’objet de davantage de transparence, en particulier concernant l’opération de raccordement de référence (ORR) en électricité, qui conditionne les coûts et les délais.

Enfin, elle relève également que certaines demandes de communication de données (patrimoniales, comptables) se heurtent à un refus systématique des gestionnaires de réseaux publics de distribution. Par exemple, afin d’avoir une valorisation plus précise de leur patrimoine, les collectivités territoriales souhaitent disposer d’un bilan annuel de l’origine du financement (entre gestionnaires de réseaux et collectivités) de chaque catégorie d’ouvrage électrique, ce qui leur est souvent refusé par le gestionnaire de réseaux. D’autres aspects de valorisation, notamment concernant le patrimoine immatériel (systèmes d’information, etc.), sont également considérés comme devant faire l’objet de davantage de transparence de la part des gestionnaires.

Les réponses apportées par la CRE sont toutefois décevantes puisqu’elles n’indiquent pas les actions qui pourraient/devraient être mises en œuvre pour favoriser cette transmission aux AODE des données en pratique et lever les obstacles opposés par les GRD :

« Si la CRE considère légitimes les demandes des représentants des AODE auditionnées visant la meilleure transparence des gestionnaires de réseaux afin qu’elles remplissent correctement leurs missions, la CRE sera néanmoins attentive à ce que cette transparence des informations données ne conduise pas à une confusion des missions et que les AODE n’empiètent pas sur le rôle des gestionnaires de réseaux dans l’exploitation des réseaux. En tout état de cause, des arrêtés sont prévus en application des dispositions des articles D. 2224-45 et D. 2224-51 du code général des collectivités territoriales, afin de détailler les informations devant être communiquées aux autorités concédantes concernant l’inventaire détaillé et localisé des ouvrages, d’une part, et le compte rendu annuel de concession, d’autre part ».

4. Enfin, on évoquera le bilan de la mise en œuvre du dispositif de l’article 179 de la Loi de transition écologique pour la croissance verte.

La CRE relève notamment que plusieurs collectivités territoriales (pas seulement les AODE) voudraient bénéficier de données à des mailles géographiques et des pas de temps plus fins que ce qui est prévu par le cadre réglementaire (par exemple : puissances souscrites individuelles sur une rue), et ce, sans obtenir le consentement de chaque consommateur concerné. Elles estiment que, pour celles qui sont AODE, les agents assermentés dont elles disposent devraient pouvoir accéder à ces informations commercialement sensibles ou à caractère personnel.

Mais la CRE considère que le recueil par une collectivité territoriale du consentement de l’utilisateur à l’accès à ses données individuelles est un prérequis systématique, comme c’est le cas pour les fournisseurs d’énergie ou de services, conformément aux dispositions de l’article R. 111-27 du code de l’énergie.

La CRE fait cependant état dans sa délibération des évolutions techniques proposées par les gestionnaires de réseaux de distribution relatives à la définition des catégories et des regroupements de données, et ce afin que les collectivités territoriales disposent de données plus fines et plus exploitables que celles actuellement transmises dans le cadre de l’OpenData.

En définitive, on recommandera aux collectivités de consulter cette délibération riche d’enseignements sur les évolutions qui pourraient intervenir dans les mois ou années à venir sur la question essentielle de la transparence des données.