le 10/03/2015

Le contrôle de la modification d’une installation nucléaire de base

L’arrêt Fédération réseau sortir du nucléaire et autres (CE, 28 novembre 2014, Fédération réseau sortir du nucléaire et autres, n° 367013) illustre la prégnance des procédures dans le droit des installations nucléaires de base.

Les installations nucléaires de bases sont soumises par l’article L. 593-1 du Code de l’environnement à un régime spécifique, indépendant du régime des installations classées pour la protection de l’environnement. En vertu de l’article L. 593-7 du Code de l’environnement, la création des installations nucléaires de base est soumise à une autorisation, délivrée après avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et enquête publique. Néanmoins, l’article L. 593-14 du Code de l’environnement prévoit que, pour une même installation, une nouvelle autorisation est nécessaire en cas de changement d’exploitant, de modification du périmètre ou de modification notable de l’installation. C’est cette dernière notion qui était en cause dans la décision commentée.

A la suite de l’accident survenu à la centrale nucléaire de KukushimaDaiichi, consécutif à un séisme et à un tsunami, l’Autorité de sûreté nucléaire a, par une décision du 5 mai 2011, prescrit à la société EDF de procéder à une évaluation complémentaire de la sûreté de certaines de ses installations nucléaires de base. Les associations requérantes contestaient deux décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire prescrivant, suite à la suite de cette évaluation, à la société EDF certaines mesures afin d’améliorer la sûreté de l’installation nucléaire de base de Fessenheim. Il s’agissait, d’une part de la décision n° 2011-DC-0231 fixant à la société EDF des prescriptions complémentaires applicables au radier du réacteur n° 1 du site électronucléaire de Fessenheim, d’autre part de la décision du 18 septembre 2012 donnant son accord pour la mise en œuvre des travaux de renforcement du radier du réacteur n°1 de cette centrale impliqués par ces prescriptions complémentaires. Les requérantes soutenaient que les travaux en cause auraient dû être précédés d’une nouvelle autorisation dès lors qu’ils impliquaient une modification notable de l’installation nucléaire de base de Fessenheim.

Dans la décision commentée, faisant pour la première fois application de la notion de modification notable d’une installation nucléaire de base (I), le Conseil d’Etat refuse de qualifier ainsi les travaux autorisés sur le radier du réacteur de la centrale de Fessenheim (II).

I. La notion de modification notable d’une installation nucléaire de base

Introduite par l’article 29 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, la notion de « modification notable » d’une l’installation nucléaire de base n’a pas fait l’objet d’une définition par le législateur. C’est l’article 31 du décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle, en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives qui fournit les éléments de définition de cette notion. Il précise que constitue une modification notable d’une installation nucléaire de base : « 1° Un changement de sa nature ou un accroissement de sa capacité maximale ; 2° Une modification des éléments essentiels pour la protection des intérêts mentionnés au I de l’article 28 de la loi du 13 juin 2006, qui figurent dans le décret d’autorisation en application de l’article 16 ; 3° Un ajout, dans le périmètre de l’installation, d’une nouvelle installation nucléaire de base […] ».

Le Conseil d’Etat n’avait pas encore statué au fond sur ce que recouvrait cette notion. Sous l’empire du décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires, il avait néanmoins déjà eu à se prononcer sur la possibilité, prévue à l’article 3-II de ce décret, de ne pas faire précéder les modifications des installations nucléaires de base d’une enquête publique si ces modifications « n’affect(aient) pas de façon substantielle l’importance ou la destination et n’augment(aient) pas les risques de l’installation ». Une telle formulation nécessitait déjà de la part du juge une appréciation technique sur l’importance d’une modification. Ainsi, dans un arrêt Ville de Genève (CE, 27 mai 1991, Ville de Genève, n° 104723), il devait apprécier si la modification du fonctionnement du circuit de refroidissement de la centrale de Creys-Malville avait eu pour effet d’augmenter la dangerosité de la centrale. Il avait estimé que « si des changements ont été apportés à la conception initiale, ils n’ont affecté ni la puissance électrique qui demeure de 1 200 M E…, ni les dimensions ou le volume des installations qui demeurent affectées à la production d’énergie électrique » et que les requérants ne démontraient pas « que les modifications apportées aux conditions de chargement, de déchargement et de stockage du combustible nucléaire aient eu pour effet d’augmenter les risques de l’installation ». Dans ses conclusions sur cet arrêt, H. Légal avait tout particulièrement insisté sur la nécessaire vigilance du juge administratif face à une modification du schéma initial de fonctionnement d’une installation nucléaire. Il relevait en effet que celle-ci « conduite hâtivement et accompagnée d’une évaluation incomplète de ses implications, pourrait […] donner lieu à de plus grands périls que la mise en œuvre elle-même puisqu’elle peut impliquer l’utilisation d’équipements prévus initialement pour un usage différent de celui qu’elle en fait et donc éventuellement moins bien adaptée à leur fonction nouvelle ». Ce faisant, il soulignait l’enjeu propre au contrôle des décisions relatives aux modifications des installations nucléaires de base.

Dans la décision commentée, l’enjeu procédural ne se limitait pas à la nécessité d’une enquête publique préalable mais bien à l’octroi d’une nouvelle autorisation.

II. Le refus de retenir une modification notable de l’installation nucléaire de base

Les travaux autorisés par l’Autorité de sûreté nucléaire sur le site de Fessenheim consistaient à « épaissir le radier du puits de cuve et à permettre, en cas d’accident grave avec percement de la cuve, un étalement du corium sur le radier du réacteur dans une zone de collecte, également épaissie ». Il appartenait au Conseil d’Etat de décider si ces travaux devaient être qualifiés de « modification notable d’une installation nucléaire de base », nécessitant ainsi l’octroi d’une nouvelle autorisation.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a confirmé cette première décision. Il a relevé que les travaux en cause « doivent permettre de multiplier par plus de trois la durée minimale de percement du radier en cas d’accident grave avec percement de la cuve, sans porter atteinte, contrairement à ce qui est soutenu, à l’intégrité de l’enceinte de confinement, laquelle est au nombre des éléments essentiels de l’installation mentionnés par le décret du 3 février 1972 ». Il en a conclu que « par suite, eu égard à leur nature et à leur ampleur, les travaux visant à renforcer la résistance du radier de la centrale ne sauraient être regardés comme une modification notable d’une installation nucléaire de base au sens des dispositions du 3° du I de l’article L. 593-1 du Code de l’environnement et du 2° de l’article 31 du décret du 2 novembre 2007 ».

On comprend que le point clé du raisonnement tient au fait que les travaux envisagés ne porteraient pas atteinte à l’intégrité de l’enceinte de confinement. Néanmoins, la motivation de l’arrêt demeure relativement pauvre et ne place pas le lecteur en situation de retranscrire le raisonnement juridique du juge, en particulier la façon dont il entend délimiter ce qui constitue réellement une modification notable. Comme avaient pu le relever C. Maugüé et R. Schwartz, à propos de l’article 3-II du décret du 11 décembre 1963, « le contrôle de la plus ou moins grande dangerosité d’une installation est un contrôle malaisé à exercer pour le juge administratif. Dépourvu de toute compétence technique, il ne peut que s’appuyer sur les rapports scientifiques d’experts, souvent contradictoires » (C. Maugüé et R. Schwartz, « Régime juridique des centrales nucléaires », AJDA, 1991, p. 690). De la même façon, l’appréciation du caractère notable d’une modification est essentiellement technique. Il appartient alors au juge administratif d’être davantage pédagogique dans la formulation de sa décision afin d’en assurer la lisibilité. A défaut, il paraît bien délicat de saisir la réalité comme le degré du contrôle effectué dans de tels domaines et face à des notions aussi vagues que celle de « modification notable ».

On relèvera, pour conclure, que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, tel que voté en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, prévoit une nouvelle rédaction de l’article L. 593-14 du Code de l’environnement. L’article 31 bis, issu d’un amendement  parlementaire, substitue en effet la notion de « modification substantielle » à celle de « modification notable » d’une installation nucléaire de base, tout en précisant que « le caractère substantiel de la modification est apprécié suivant des critères fixés par décret en Conseil d’État au regard de son impact sur la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 591-1 ».