le 14/03/2019

Exemple d’un contrôle poussé de la légalité d’une dérogation préfectorale à la législation sur les espèces protégées

CE, 25 mai 2018, SAS PCE et la SNC Foncière Toulouse Ouest,  n° 413267

CAA Nantes, 5 mars 2019, SAS les Moulins du Lohan, n° 17NT02791.

Le juge administratif continue de préciser les conditions dans lesquelles une dérogation à la législation sur les espèces protégées peut intervenir pour permettre la réalisation d’un projet de construction ou d’aménagement dans les conditions prévues aux articles L. 411-1 et suivants du Code de l’environnement.

Dans un arrêt rendu le 25 mai 2018, le Conseil d’Etat avait posé le principe, tiré de l’interprétation des articles L. 411-1 et L. 411-2 du Code de l’environnement, selon lequel :

« […] un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » (CE, 25 mai 2018, SAS PCE et la SNC Foncière Toulouse Ouest,  n° 413267).

Par un arrêt en date du 5 mars 2019, la Cour administrative d’appel de Nantes a fait une application très détaillée de ce principe dégagé par le Conseil d’Etat (CAA Nantes, 5 mars 2019, SAS les Moulins du Lohan, n° 17NT02791).

Etait en cause un projet de parc éolien, composée d’une quinzaine d’éoliennes, pour lequel une dérogation à la législation sur les espèces protégées avait été accordée par le Préfet du Morbihan. Or, le Tribunal administratif de Rennes avait annulé l’arrêté préfectoral.

Saisi à nouveau au fond du dossier, la Cour administrative d’appel de Nantes considère dans un premier temps que le projet de parc éolien répond à une « raison impérative d’intérêt public majeur » :

« D’une part, le projet litigieux (…) permet (…) d’accroître la production d’une énergie renouvelable, conformément aux objectifs affichés, notamment, par l’article 19 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 qui a prévu que,  » Afin de diversifier les sources d’énergie, de réduire le recours aux énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre et de porter à au moins 23 % en 2020 la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale, soit un doublement par rapport à 2005, l’Etat favorisera le développement de l’ensemble des filières d’énergies renouvelables dans des conditions économiquement et écologiquement soutenables « . (…) Le projet contribue également à la réduction de l’émission des gaz à effet de serre et à la lutte contre le réchauffement climatique. Par ailleurs, il n’est pas sérieusement contesté que la Bretagne connaît une situation fragile en matière d’approvisionnement électrique, sa faible production en électricité locale ne couvrant que 8 % de ses besoins alors que ceux-ci connaissent une nette augmentation en raison d’une forte croissance démographique. Le pacte électrique signé le 14 décembre 2010 entre l’Etat, le conseil régional de Bretagne, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le réseau de transport de l’électricité (RTE) et l’agence nationale de l’habitat (ANAH) fixe ainsi comme objectifs de développer les énergies renouvelables et de sécuriser l’approvisionnement électrique de la Bretagne, par un engagement de porter à 3 600 MW la puissance de la production d’électricité renouvelable d’ici 2020, dont 1 400 MW en 2015. Le parc éolien litigieux, d’une puissance de plus de 51 MW, contribue à la réalisation de cet objectif, en permettant l’approvisionnement en électricité de quelques 50 000 personnes, alors même qu’il émane d’une entreprise privée. Compte tenu de ces éléments, les dérogations litigieuses doivent être regardées comme répondant à des motifs impératifs d’intérêt public majeur ».

Poursuivant son raisonnement, la Cour administrative d’appel expose de manière très détaillée que le porteur du projet a bien cherché des solutions alternatives au projet retenu, en vain :

« D’autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment du dossier de demande de dérogation, qui renvoie également à la réponse faite à l’autorité environnementale et des précisions fournies par la société en appel, que la société les moulins du Lohan a envisagé d’abord plusieurs types d’énergies renouvelables. La société Ressources Forestières a ensuite étudié plusieurs massifs forestiers en France durant la période 2006-2010, tous d’une surface supérieure à 1 000 ha. La forêt de Lanouée présente comme avantages d’être de taille importante et d’un seul bloc, de ne comporter aucune zone Natura 2000, ni espace boisé classé, ni zones humides à l’endroit du site retenu, de présenter un réseau important de voies forestières (130 km au total), de permettre l’implantation d’un parc éolien à plus d’1 km des habitations et d’avoir des capacités de raccordement. (…) De même, aucune des pièces du dossier de demande ne met en évidence l’existence d’une solution alternative satisfaisante qui aurait été ignorée. Le préfet du Morbihan n’a dès lors pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’il n’existait pas de solution satisfaisante autre que l’implantation du projet en cause dans la zone sud-est du massif de Lanouée ».

Enfin, la Cour administrative d’appel de Nantes expose son raisonnement la conduisant à considérer que la dérogation ne peut être regardée comme nuisant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :

«  10. Afin de compenser les impacts résiduels défavorables pour les espèces protégées, la SAS les Moulins du Lohan a prévu dans son dossier une série de mesures compensatoires (…). Le coût total des mesures de réduction, de compensation et d’accompagnement, a été évalué à 948 500 euros. Il est vrai que le conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Bretagne a donné un avis défavorable à l’implantation de parcs éoliens  » dans les secteurs qui jouent un rôle important pour la biodiversité et, à ce titre, dans les landes et les espaces boisés à forte naturalité « , mais il ne s’est pas prononcé sur la demande de dérogation en cause. Le conseil national de la protection de la nature a rendu un avis défavorable à la demande. Toutefois, (…) la DREAL, qui a donné un avis favorable, a examiné les mesures compensatoires prévues, et proposé que celles-ci soient mises en œuvre à l’échelle de la forêt de Lanouée et qu’elles complètent le plan simple de gestion, préconisations reprises par l’arrêté préfectoral. Le commissaire enquêteur a estimé pour sa part, dans ses conclusions sur l’enquête publique relative à l’autorisation d’exploiter, que les mesures d’évitement, de réduction et de compensation ont été particulièrement bien étudiées ».

On remarquera l’effort de motivation fourni par la Cour administrative d’appel de Nantes, et l’on peut s’apercevoir que le contrôle par le juge administratif de la présence d’une raison impérative d’intérêt public majeur ainsi que celui de la recherche d’une solution alternative satisfaisante tend à se rapprocher du contrôle étendu (bilan coût-avantage) qu’il exerce en matière de déclaration d’utilité publique ou de projet d’intérêt général (PIG).