le 11/07/2019

Est-il encore possible d’accorder de gré à gré des titres d’occupation du domaine privé pour l’exercice d’une activité économique ?

Par une réponse ministérielle en date du 29 janvier dernier, le Ministre de l’action et des comptes publics[1] a indiqué que « les autorités gestionnaires du domaine privé doivent […] mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques », c’est-à-dire, pour le présenter plus clairement, qu’elles doivent par principe mettre en œuvre une procédure de sélection préalable. Cette obligation, dont on sait qu’elle ne figure pas dans des textes nationaux, résulterait du droit européen, tel qu’interprété par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans sa décision Promoimpresa du 14 juillet 2016 (affaires n° C-458/14 et C-67/15).

Cette position catégorique suscite la réflexion : faut-il effectivement considérer que le principe est désormais celui de la mise en concurrence systématique des autorisations d’occupation du domaine privé lorsqu’elles sont conclues en vue de l’exercice par le preneur d’une activité économique ?

La question appelle selon nous une réponse négative. En effet, s’il semble clair que la jurisprudence Promoimpresa s’applique pleinement à la délivrance de titres sur le domaine privé (I.), elle est sans doute loin d’impliquer la mise en place systématique de procédures de sélection (II.), et n’implique en aucun cas de suivre à la lettre les procédures décrites par le Code général de la propriété des personnes publiques (III.). La réponse ministérielle du 29 janvier dernier aurait donc gagné à être plus précise et plus nuancée.

 

I- La jurisprudence Promoimpresa s’applique pleinement à la délivrance de titres d’occupation du domaine privé

Il faut rappeler que la Cour de justice de l’Union européenne a récemment jugé que lorsqu’une autorisation d’occupation d’une dépendance domaniale ne constitue pas un contrat de concession de service, elle doit malgré tout, dans certains cas, être précédée de la mise en œuvre d’une procédure de publicité et de mise en concurrence sur le fondement de la directive services (2006/123/CE), dès lors que l’autorisation est nécessaire à l’exercice d’une activité économique.

L’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative  à la propriété des personnes publiques est venue tirer les conséquences de cette décision pour ce qui concerne le domaine public, en posant le principe de l’organisation d’une procédure de sélection préalable à l’octroi d’autorisations d’occupation du domaine public, lorsqu’elles ont pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine. Mais il est clair que cette obligation de publicité et de mise en concurrence introduite dans le droit positif par l’ordonnance du 19 avril 2017 ne concerne que les autorisations d’occupation du domaine public, et il n’aurait d’ailleurs pas pu en aller autrement dans la mesure où la loi Sapin n’habilitait le gouvernement à définir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable que pour l’occupation du domaine public.

Pour autant, dans la mesure où le droit européen ne fait pas la distinction entre domaine public et domaine privé, la solution consacrée par l’arrêt Promoimpresa s’applique également pleinement aux biens relevant du domaine privé.

 

II- La jurisprudence Promoimpresa est sans doute loin d’impliquer la mise en place systématique de procédures de sélection

La décision Promoimpresa n’indique toutefois pas que toutes les conventions d’occupation du domaine doivent donner lieu à une procédure de sélection, loin de là.

Déjà, il faut souligner que seules sont concernés les titres d’occupation qui peuvent être qualifiés d’ « autorisation » au sens de la directive services, c’est-à-dire qui constituent des actes formels « devant être obtenus par les prestataires, auprès des autorités nationales, afin de pouvoir exercer leur activité économique ». Or, il n’est sans doute pas acquis qu’un titre d’occupation réponde à cette définition lorsque l’activité en cause n’est pas immédiatement liée à la dépendance en question et pourrait être exercée dans des conditions similaires ailleurs. Un auteur émet ainsi l’hypothèse suivant laquelle la reconnaissance de l’existence d’un régime d’autorisation découlerait de ce que l’opérateur ne peut exercer son activité qu’au moyen de la dépendance en cause car elle présente certaines particularités : il faudrait que le bien du domaine privé conditionne l’exploitation de l’activité projetée (Sudres N., « Occupation du domaine privé, ordonnance du 19 avril 2017 et mise en concurrence », AJDA 2017, p. 2110). Si cette interprétation était confirmée, bon nombre de dépendances « classiques », qui certes appartiennent à des personnes publiques, mais qui présentent des caractéristiques similaires à d’autres biens présents sur le marché (des locaux commerciaux par exemple), échapperaient à l’obligation de mise en concurrence, à raison de ce qu’ils ne sont pas nécessaires à l’exercice de l’activité projetée, car aisément substituables.

Au-delà, la jurisprudence Promoimpresa n’impose de mettre en œuvre une procédure de mise en concurrence que lorsque « le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables ».

A cet égard, s’il est vrai que, comme toute ressource matérielle, les parcelles et locaux disponibles ne sont jamais illimitées, cette circonstance n’implique évidemment pas qu’elles soient regardées comme rares. Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques est éclairant sur ce point, puisque là où l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques vise, au titre des exceptions à une mise en concurrence « classique », le cas dans lequel « le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité », il précise que sont concernés les cas dans lesquels « il existe une offre foncière disponible suffisante pour l’exercice de l’activité projetée, c’est-à-dire lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice d’une activité donnée est suffisant par rapport à la demande. Autrement dit, sont visées par là des situations n’ayant pas pour effet de restreindre ou de limiter la libre concurrence ». La doctrine en conclut qu’une « offre foncière « non limitée » est en réalité une offre « suffisante » » (Lenoir N., « La domanialité publique à l’épreuve du droit de l’Union. A propos de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 », JCP G, n° 39, 25 septembre 2017) ; une offre « permettant objectivement » « d’accueillir l’ensemble des personnes intéressées par un titre d’occupation » (Didriche O., « Le droit de l’Union impose une procédure préalable à la délivrance des titres d’occupation du domaine public », AJCT 2017, p. 109).

La « rareté » doit donc s’apprécier au regard de l’existence ou non d’un risque que certains opérateurs intéressés par une autorisation d’occupation de nature à permettre l’exercice de leur activité ne puissent être servis, et ne puissent en conséquence pas exercer leur activité. L’avis du Conseil d’Etat n° 393422 du 17 octobre 2017 (rapport public 2018 du Conseil d’Etat, p. 358) conforte cette analyse.

Or, il nous semble que dans bien des cas les biens immobiliers relevant du domaine privé des personnes publiques ne présentent pas cette caractéristique.

En définitive, le critère de la rareté rejoint sans doute celui de la nécessité de la dépendance évoqué plus haut, au point que certains auteurs fusionnent les deux conditions (Sudres N., « Occupation du domaine privé, ordonnance du 19 avril 2017 et mise en concurrence », AJDA 2017, p. 2110).

Et, au global, le sujet sera de notre point de vue toujours affaire d’espèce, et notamment fonction des caractéristiques de la zone concernée. On peut toutefois sans doute s’accorder sans peine sur la nécessité d’organiser une sélection avant d’autoriser un opérateur à installer un hôtel de luxe dans une dépendance atypique ou exceptionnelle (un hôtel particulier, une ancienne prison,…) ou avant d’autoriser un commerçant à s’installer dans un local d’une surface hors du commun situé dans une zone très tendue. En revanche, il devrait toujours être possible de signer de gré à gré des baux portant sur des dépendances plus classiques (locaux commerciaux ou bureaux sans spécificité particulière,…), sans même avoir à organiser une publicité. De ce point de vue, il n’y aurait en effet selon nous pas matière à appliquer l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques qui prévoit une obligation de publicité pour l’octroi d’autorisations portant sur le domaine public même lorsque « le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité ».

 

III- La jurisprudence Promoimpresa n’implique assurément pas d’appliquer les procédures précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du ode général de la propriété des personnes publiques

Il faut souligner qu’il n’y a à notre sens aucune obligation de se conformer aux procédures fixées par le code général de la propriété des personnes publiques pour l’attribution d’autorisations d’occuper des « ressources rares » relevant du domaine privé. Il sera naturellement possible de s’en inspirer, dans la mesure où elles sont censées être en conformité avec la jurisprudence Promoimpresa, mais il sera également possible de s’en écarter sans heurter pour autant le droit européen, seul applicable ici, on le disait.

Le code va, en effet, au-delà de ce qu’impose la directive Services sur certains points. On le disait, le code pose par exemple une obligation de publicité préalable à la délivrance du titre lorsque le nombre d’autorisations disponibles n’est pas limité ; et il fixe, pour le reste, des règles qui auraient pu être différentes, l’article 12 de la directive laissant le soin aux Etats membres de mettre en place d’une « procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ».

Il aurait donc été préférable que la réponse ministérielle du 29 janvier 2019 invite à suivre des procédures conformes aux principes posés par la directive Services, plutôt que des procédures similaires à celles fixées par le Code général de la propriété des personnes publiques.

 

[1] Réponse ministérielle n° 12868, JOAN 29 janvier 2019, p. 861 (http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-12868QE.htm)

 Par Maëva Guillerm, Avocate Directrice