le 26/06/2019

Droit de préférence du preneur : les contours de l’ordre public dessiné par la Cour de cassation

Cass. Civ., 3ème, 28 juin 2018, FS-P+B+I, n° 17-14.605

 

 

Principe : Depuis la loi du 18 juin 2014 dite « Pinel », en application de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, le preneur à bail commercial bénéficie d’un droit de préemption lorsque son bailleur vend l’immeuble, sauf exceptions (cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, cession unique de locaux commerciaux distincts, cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial, cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint).

Ces dispositions s’appliquent à toute cession intervenant à compter du 18 décembre 2014.

Jusqu’à une récente décision de la Cour de cassation, ces dispositions n’étaient toutefois pas considérées comme d’ordre public car elles n’étaient pas expressément visées par l’article L. 145-15 du Code de commerce.

 

La nouveauté juridique : Dans une récente décision du 28 juin 2018, la Cour de cassation affirme que le droit de préférence du preneur codifié à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce est d’ordre public.

 

La portée : L’affirmation du caractère d’ordre public de ce droit rejoint ce qu’une partie de la doctrine avait pu soutenir, en dépit de la lettre du texte.

Ainsi, alors même que l’article L. 145-15 du Code de commerce ne range pas expressément l’article L. 145-46-1 parmi les dispositions impératives (celles à l’égard desquelles les stipulations contraires sont réputées non-écrites), il a pu être remarqué que ce droit de préemption constitue malgré tout une règle contraignante, comme l’atteste d’ailleurs la nullité sanctionnant la vente conclue au mépris de ce droit (Cass., ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664).

Et d’autres auteurs d’ajouter qu’il ne saurait en aller autrement car, sinon, pourquoi le législateur aurait-il souhaité substituer à la seule volonté des parties (le pacte de préférence), un « dispositif légal très précis » (F. Roussel, B. Saintourens et P. Viudès, Dr. et patr. janv. 2015. 28) ?

Une telle décision amène ainsi à considérer avec prudence les éventuelles dérogations contractuelles susceptibles d’intervenir entre les parties concernant d’autres dispositions statutaires, qui ne seraient pas visées par l’article L.145-15 du Code de commerce. On pense notamment à la question du lissage de la valeur locative en cas de déplafonnement posée par l’article L. 145-34 du Code de commerce et pour laquelle il arrive fréquemment que les parties prévoit une dérogation contractuelle, notamment dans les quartiers où les droits d’entrée se négocient à des prix très élevés. Avec cette récente décision, la Cour de cassation semble en effet vouloir dessiner les nouveaux contours d’un ordre de protection du preneur, pourtant d’ores et déjà établi et codifié.

 

Par Alexane Raynaldy, Avocate directrice