le 04/02/2021

Affaire du siècle : condamnation de l’Etat pour inaction face aux changements climatiques

TA Paris, 3 février 2021, Association Oxfam France et autres, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976

Par une décision aussi attendue que médiatisée, le Tribunal administratif de Paris s’est prononcé le 3 février 2021 sur les requêtes introduites par quatre associations – OXFAM France, Notre affaire à tous, la Fondation pour la nature et l’homme et Greenpeace France – visant à engager la responsabilité de l’Etat pour inaction face au changement climatique.

Les associations requérantes demandaient à la juridiction de condamner l’Etat à leur verser un euro symbolique en réparation du préjudice écologique causé par son inaction (1°) et de leur préjudice moral (2°), ainsi que d’enjoindre à l’Etat de mettre un terme ou de pallier les effets de ses manquements à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique et de prendre les mesures nécessaires à cet égard (3°).

Le juge administratif a partiellement fait droit aux demandes des requérantes en reconnaissant que la carence fautive de l’Etat dans la mise en œuvre de sa politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre a aggravé le préjudice écologique engendré par le changement climatique, sans toutefois reconnaître l’ensemble des manquements invoqués par les requérantes.

 

1°) Afin de reconnaître l’existence d’un préjudice écologique, le juge se fonde notamment sur les derniers rapports spéciaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et recense les effets connus du changement climatique en France et dans le monde (augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, acidification des océans, expansion des insectes vecteurs d’agents infectieux, …).

Le Tribunal administratif reconnaît alors la carence fautive de l’Etat français en matière de lutte contre le changement climatique, celui-ci n’ayant pas respecté les objectifs qu’il s’était lui-même fixé dans le cadre du premier budget carbone en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, lesquelles ont directement aggravées le préjudice écologique constaté.

Les requérantes invoquaient également des manquements de l’Etat en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique et d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie. Après avoir relevé que l’action de l’Etat a été insuffisante dans ses matières, dès lors qu’il n’a pas atteint les objectifs qu’il s’était fixé, le juge considère néanmoins « que la politique en ce domaine n’est elle-même qu’une des politiques sectorielles mobilisables, ne peut être regardé comme ayant contribué directement à l’aggravation du préjudice écologique dont les associations requérantes demandent réparation ».

Le juge considère également que les requérantes n’établissent pas que les objectifs adoptés par l’Etat français, ni par les autres Etats de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, pour limiter le réchauffement à 1,5° C seraient, « par leur insuffisance, directement à l’origine du préjudice écologique invoqué ». Le Tribunal adopte le même raisonnement pour les mesures d’évaluation, de suivi et d’adaptation au changement climatique, en énonçant que leur prétendue insuffisance n’est pas la source directe du préjudice invoqué.

 

2°) En outre, au regard de leur objet statutaire, le préjudice moral des quatre associations est également reconnu par le juge, qui condamne l’Etat à leur verser à chacune un euro symbolique à cet égard.

 

3°) Concernant toutefois les demandes d’injonction des requérantes, le Tribunal considère qu’il ne peut, à ce stade, « déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État » et ordonne à cet égard un supplément d’instruction d’une durée de deux mois. Les injonctions ne pourront néanmoins tendre qu’à la réparation, ou à la non-aggravation, du préjudice écologique causé par l’État « qu’autant que le non-respect du premier budget carbone a contribué à l’aggravation des émissions de gaz à effet de serre ».