le 25/03/2020

Police administrative – Un nouveau régime d’exception en période de crise : l’état d’urgence sanitaire

Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-10 contient en son titre premier, un nouveau dispositif d’état d’urgence sanitaire, qui est codifié aux articles L. 3131-12 et suivants du Code de la santé publique (CSP). Cet état d’urgence sanitaire, dont les contours sont présentés ci-après, est un nouveau régime d’exception en période de crise, qu’il convient de distinguer notamment de l’état d’urgence de droit commun prévu par la loi du 3 avril 1955 et appliqué dernièrement à la suite des attentats de 2015. 

 

1 – La déclaration, le champ d’application et la durée de l’état d’urgence sanitaire 

L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres, « pris sur le rapport du ministre chargé de la santé » (article L. 3131-13 CSP). Il peut être appliqué sur tout ou partie du territoire national. 

Par principe, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi (article L. 3131-13 et -14 CSP), après avis du comité de scientifiques. De façon dérogatoire et exceptionnelle, la présente loi a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois (article 4 de la loi – non codifié).  

Enfin, il peut être mis fin de façon anticipée à l’état d’urgence sanitaire de façon anticipée par décret. En tout état de cause, toutes les mesures prises en application de l’état d’urgence sanitaire prennent fin à son terme.  

 

2 – Des pouvoirs de police étendus conférés au Premier ministre  

On sait que le maire est habituellement l’autorité détentrice des pouvoirs de police générale, aux côtés du représentant de l’Etat dans le département (en règle générale le préfet donc). Cette police générale est complétée d’une myriade de polices spéciales, dans des domaines précis, prévus par la loi.  

Cet ordonnancement est bousculé par l’instauration du présent état d’urgence sanitaire, qui élargit considérablement les pouvoirs de police du Premier ministre. Il est à préciser que ces mesures peuvent être prises par le préfet dès lors que l’état d’urgence sanitaire n’est déclaré que sur le territoire d’un seul département.  

Le Premier ministre est donc autorisé à prendre, « par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique» des mesures de police administrative exceptionnelles, énumérées à l’article L. 3131-15 du CSP. 

On peut les classer en trois catégories :  

  • les premières permettent de porter atteinte à la liberté de circulation des personnes ;  
  • les deuxièmes visent à limiter les regroupements de personnes ;  
  • les dernières sont de nature économique et encadrent la liberté d’entreprendre. 

Il peut ainsi prendre des mesures portant atteinte à la libre circulation des personnes, et, notamment, « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret », « interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé », ou encore ordonner le maintien en isolement ou la mise en quarantaine de personnes susceptibles d’être affectées. Il est aussi autorisé à prendre des mesures de réquisition pour lutter contre la catastrophe sanitaire.  

 

Au surplus, il peut prendre un ensemble de mesures visant notamment à éviter les regroupements de personnes. Il est à noter que cette série de mesures se rapproche de celles rendues possibles dans le cadre de l’état d’urgence de droit commun. Le Premier ministre peut ainsi ordonner la fermeture provisoire de certaines catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunions, limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique et les réunions de toute nature.  

Enfin, la loi prévoit, au même article, un ensemble de mesures dérogeant à la liberté d’entreprendre. Il peut ainsi « prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits » (article L. 3131-15, 8° du CSP). 

Le ministre chargé de la santé peut, quant à lui, prescrire par arrêté motivé des mesures permettant d’ajuster l’organisation et le fonctionnement des dispositifs de santé pour mettre fin à la catastrophe (article L. 3131-16 du CSP). 

 

3 – Des sanctions renforcées 

Le manquement aux obligations précitées est puni de l’amende prévue pour les infractions de quatrième classe puis, en cas de récidive, pour les infractions de cinquième classe. S’il est avéré qu’une personne a violé lesdites obligations « à plus de trois reprises dans un délai de 30 jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende » (L. 3136-1 du CSP). 

La violation des obligations de confinement est, elle punie de 6 mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.  

 

4 – Les limites et le contrôle des mesures ordonnées 

Les publicistes gardent leurs repères, puisqu’il est explicitement précisé que toutes ces mesures « sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires » (article L. 3131-16). On retrouve donc là les bornes habituellement posées aux autorités dans l’exercice de leurs pouvoirs de police administrative.  

Par ailleurs, les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif « instruit et jugé selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative », c’est à dire selon les procédures du référé liberté et référé suspension (article L. 3131-18). 

Reste à savoir si le « comité de scientifiques » s’apparentera à une instance de contrôle de la mise en œuvre des différentes mesures, notamment du fait de sa composition. Le président sera nommé par le président de la République et deux personnalités qualifiées seront nommées par les présidents des deux assemblées, ce qui, d’un point de vue purement organique et nonobstant les qualités des personnes nommées, n’est pas de nature à garantir une autonomie totale de l’instance.  

 

5 – Ne pas confondre ! 

  • Etat d’urgence de droit commun / état d’urgence sanitaire. Au préalable, il convient de distinguer l’état d’urgence sanitaire, qui vient d’être créé et appliqué, de l’état d’urgence de droit commun, créé par la loi 55-385 du 3 avril 1955 et récemment modifié et appliqué à la suite des attentats de novembre 2015. 

 L’état d’urgence ordinaire est décidé par décret en conseil des ministres « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » (loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, article 1er).  

Il permet de renforcer les pouvoirs de police des autorités civiles et notamment du ministre de l’intérieur et des préfets qui peuvent limiter ou interdire la circulation dans certains lieux ou pour certaines personnes (article 5), interdire des réunions publiques ou fermer provisoirement certains lieux publics (article 8), dissoudre certains groupements ou associations (article 6-1), prononcer des assignations à résidence (article 6), etc. 

  • Etat d’urgence sanitaire / autres régimes d’exception. Outre l’état d’urgence, le droit positif français contient deux régimes d’exception en période de crise, tous deux prévus par la Constitution. Il s’agit : 
    • De l’état de siège, régi par l’article 36 de la Constitution, qui est décrété en conseil des ministres en cas de péril national, pour une durée de douze jours, prolongeable par la loi. Il permet de restreindre les libertés publiques et prévoit que l’exercice des pouvoirs de police s’effectue par les autorités militaires. 
    • Du régime de l’article 16 de la Constitution, qui prévoit des pouvoirs exceptionnels pour le président en cas de menace grave et immédiate pesant sur les institutions de la République et d’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.