Santé, action sanitaire et sociale
le 24/01/2023

Droits des patients et déontologie – Les refus de soin

La Convention citoyenne sur la fin de vie, annoncée par le président Macron en septembre 2022, et pilotée par le Conseil économique social et environnemental, a commencé ses travaux le 9 décembre 2022. Elle doit donner des éléments de réponse à une question difficile : « le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations individuelles rencontrées, ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Ce cadre, posé par la loi de 1999 relative aux soins palliatifs et les lois Leonetti du 22 avril 2005, et Claeys-Leonetti du 2 février 2016, semble devoir être bousculé par des attentes plus grandes, des difficultés d’application, et par un déplacement du problème systémique d’accès aux soins palliatifs, vers le droit de la fin de vie. En septembre 2022, le comité consultatif national d’éthique, qui s’était toujours farouchement opposé à l’euthanasie, infléchit sa position (CCNE, avis n°139 du 13 septembre 2022). Le 4 octobre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme se prononce sur la législation belge (qui a légalisé l’euthanasie il y a vingt ans) et, tout en confirmant qu’il ne saurait exister de droit de mourir, estime que rien dans la convention européenne n’interdit l’euthanasie si elle est encadrée par des garanties légales (CEDH, 4 octobre 2022, Mortier c. Belgique, n° 78017/17). Le 10 octobre 2022, le Conseil d’Etat refuse de transmettre une QPC sur la carence des dispositions du code de la santé publique à prévoir la possibilité de « mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité », limitant ainsi l’autodétermination au droit de refuser un traitement et de l’arrêter, mais pas d’un droit à mourir (CE, 10 octobre 2022, Dignitas, n° 465977).

Cette actualité nourrie ne doit pas conduire à des amalgames avec les questions plus quotidiennes relatives aux refus de soin. Celles-ci viennent également d’être réactivées par une récente décision du 10 novembre 2022 du Conseil constitutionnel (QPC n° 2022-1022 du 10 novembre 2022) relative à la valeur des directives anticipées dans une situation de refus de soin en cas de risque vital. Le « risque vital » doit être compris comme une menace imminente de mort, et non comme celui qui est consubstantiel à la vie, à plus ou moins brève échéance. Ces questions relatives aux refus de soin peuvent aussi surgir en dehors de tout risque vital, et peuvent même émaner des praticiens.

 

1. Que faire face à un refus de soin hors risque vital ?

La réponse est énoncée de manière particulièrement limpide à l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. […] Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité ». La décision du patient est donc respectée. Toutefois, à l’instar du consentement au soin, qui doit être « libre et éclairé », le refus de soin doit être libre et éclairé. Éclairé notamment par l’information due au patient quant aux bénéfices attendus de la thérapeutique envisagée, les risques, les alternatives, et les risques auxquels il s’expose en cas de refus. Si de trop nombreux contentieux ont donné des illustrations de prises en charge réalisées sans le consentement des patients (par ex. CE, 24 septembre 2012, n° 336223), aucun cas n’émerge concernant la méconnaissance frontale d’un refus de soin valablement exprimé. C’est qu’il reste loisible au patient de ne plus se rendre en consultation, ne pas prendre le traitement, ne pas se faire hospitaliser. En revanche, le refus et le consentement s’inscrivent dans une logique binaire. Il n’y a pas d’éventail des possibles. Le patient n’a pas le droit de choisir ou d’exiger un traitement (CE, ord., 26 juillet 2017, n° 412618), ni de fixer le calendrier de la prise en charge (CE, ord., 27 juillet 2018, n° 422241).

2. Que faire face à un refus de soin en cas de risque vital ?

  • Le respecter s’il est formulé et réitéré

La loi du 4 mars 2002 avait prévu la situation du refus de soin lorsque le patient est en état d’exprimer sa volonté : « si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables ». Réécrit par la loi Leonetti de 2005, et surtout la loi Claeys-Leonetti de 2016, l’article L. 1111-4 précise désormais que si le refus de soin met la vie du patient en danger, celui-ci « doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable », et que le médecin a alors l’obligation de respecter sa volonté. Il n’est plus question de convaincre le patient d’accepter les soins, et sa volonté ainsi clairement exprimée doit être respectée. Toutefois, l’exigence d’une réitération du refus de soin dans un « délai raisonnable » pose un problème de temporalité. Les travaux parlementaires n’éclairent pas du tout la question de la durée d’un délai raisonnable en cas de risque vital, même si plusieurs amendements ont été tentés pour le fixer à un mois. Il a finalement été retenu de ne pas préciser la durée du délai de réflexion « afin de couvrir la diversité des situations et de permettre une appréciation au cas par cas » (examen de l’article L. 1111-4). En outre, en cas de risque vital à très court terme, il n’est pas rare que la situation bascule dans celle où le patient n’est plus en état d’exprimer sa volonté.

  • Le respecter… sauf s’il ne faut pas le respecter

Dans ce cas, la décision n’appartient plus au patient (c’est encore moins celle des proches) et redevient celle du médecin, mais il lui faut rechercher la volonté du patient. Il paraît évident que si le patient vient d’exprimer un refus de soin alors qu’il était conscient, il s’agit là d’un bon indice de sa volonté. Toutefois, et en l’absence d’illustration contentieuse, il faudrait entrer dans le secret des dossiers médicaux pour vérifier l’existence d’une telle situation.

Pour les autres cas, la loi Leonetti de 2005 a créé les directives anticipées, et la loi Claeys-Leonetti de 2016 les a renforcées. Ces directives, que l’on peut remplir librement ou sur le modèle proposé par arrêté ministériel, visent à faire part de sa volonté en situation de « fin de vie ». Aux termes de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique, elles s’imposent au médecin. Mais il y a un « sauf ». La loi poursuit : « sauf […] lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». C’est sur le fondement de cette exception formulée de manière ambiguë que le Conseil Constitutionnel a été saisi d’une QPC et jugé que les dispositions, qui « ne sont ni imprécises, ni ambiguës », étaient conformes à la constitution (QPC n° 2022-1022 du 10 novembre 2022). Ainsi, à l’issue d’une procédure collégiale, le médecin peut passer outre les directives anticipées. En l’espèce, le recours devant le juge administratif concernait un patient qui souhaitait être maintenu en vie, fût-ce artificiellement (CE, ord., 29 novembre 2022, n° 466082). Cette solution est bien évidemment transposable, et même encore plus facilement, dans un cas d’un refus de soin « manifestement inapproprié ou non conforme à la situation médicale ». Il semble ainsi qu’il sera passé outre les refus de transfusion opposés par des témoins de Jéhovah, qui portent pourtant systématiquement avec eux des directives anticipées (CE, Ord., 20 mai 2022, n° 463713). Quant à une volonté exprimée oralement et en conscience, et elle pourrait se heurter à un défaut de réitération dans un « délai raisonnable » si la situation devient critique.

  • Quelles responsabilités sont encourues ?

Laisser mourir et risque pénal

En vertu de l’article 122-4 du Code pénal, le fait de laisser mourir un patient en limitant ou en arrêtant les traitements en raison de ce que leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable est dépénalisé (Cass. Crim., 5 mars 2019, n° 18-80.712). Il en va normalement de même pour le médecin qui respecte la volonté d’un patient même s’il n’est pas en fin de vie (en ce sens, une circulaire de 2011 non réactualisée après la loi Claeys-Leonetti). Cela ne fait pas de doute dans le cas d’une volonté exprimée par le patient en état de le faire, et lorsqu’il a réitéré cette volonté après un « délai raisonnable ». C’est beaucoup moins clair en revanche, à la lumière des dernières évolutions, lorsque le patient a exprimé sa volonté dans des directives anticipées, et que celles-ci auraient dû être écartées pour leur caractère « manifestement inapproprié ». Si l’application de la loi sur la fin de vie a été mal appliquée en raison d’une situation médicale mal appréciée, l’irresponsabilité pénale pourrait cesser. Il y a fort à parier que face à un patient en relative bonne santé, voire un patient non malade (le cas des parturientes) refusant la transfusion pour des raisons confessionnelles, un médecin écartera désormais les directives anticipées…ou refusera de prendre le patient en charge.

Violation du consentement et risque civil

Les illustrations contentieuses, qui ne sont au demeurant vraiment pas nombreuses s’agissant d’un refus de soin exprimé face à un risque vital, ont toutes trait à une transfusion réalisée en dépit de la volonté contraire du patient. Saisies de recours en responsabilité dirigés contre les centres hospitaliers où des actes de soins ont eu lieu en violation du consentement, les juridictions administratives n’ont longtemps pas voulu voir de faute, ni avant la loi de 2002 évidemment (CAA Nantes, 20 avr. 2006, n° 04NT00534), ni après. Dans un jugement du 15 juillet 2020, le Tribunal administratif de Bordeaux jugeait que le médecin, « quelle que soit son obligation de respecter la volonté de son patient fondée sur des convictions religieuses », qui choisit d’accomplir un acte indispensable à la survie ne commet pas de faute. Le jugement ajoutait que dans ces conditions, « et à supposer même que l’obligation de consentement aurait été renforcée par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, la méconnaissance par le centre hospitalier du refus de Mme X. de recevoir des produits sanguins ne peut être regardée comme fautive » (TA Bordeaux, 15 juillet 2020, n° 1902340). Il vient de faire l’objet d’une annulation tout à fait intéressante de la Cour administrative d’appel qui divise en deux le régime de responsabilité pour violation du consentement. Si la transfusion refusée est réalisée pour assurer la survie du patient, il n’y a pas de faute : « la situation d’urgence vitale, caractérisée par le dossier médical et non sérieusement contestée, ne permettait pas de s’assurer d’une réitération dans un délai raisonnable du refus du traitement et justifiait de s’écarter des directives anticipées ». Mais si la transfusion est réalisée en dépit d’un refus exprimé consciemment, et réitéré dans un délai raisonnable, elle devient fautive. Elle l’est d’autant plus évidemment, si les médecins organisent une altération de la conscience : « au regard de cette réitération telle que prévue par les dispositions précitées de l’article L. 1111-4 du Code de santé publique relatives au respect de la volonté du patient, le fait d’avoir réalisé une transfusion contre son gré, de surcroît en procédant préalablement à une sédation pour l’empêcher de s’y opposer, constitue un manquement à ces dispositions. » (CAA Bordeaux, 20 octobre 2022, n° 20BX0308). Concomitante à la décision du Conseil constitutionnel confirmant que le médecin peut passer outre les directives anticipées, cette décision contribue à minorer considérablement la valeur de celles-ci, de même que la valeur du consentement, qui est normalement un droit fondamental.

 

3. Un médecin peut-il refuser de soigner ?

Outre les refus de soins discriminatoires interdits, et dont une définition a été inscrite en 2020 à l’article R. 1110-8 du Code de la santé publique, et l’activation de la clause de conscience autorisée vis-à-vis des IVG (Article L. 2212-8), des stérilisations (Article L. 2123-1) et des recherches sur l’embryon (Article L. 2151-10), un médecin, et notamment un praticien hospitalier peut-il refuser de soigner un patient ? On sort ici du droit des patients pour entrer dans la déontologie des médecins, et le droit est d’une sobriété remarquable sur cette question. La formule est presque elliptique.

L’article 47 du Code de déontologie énonce : « hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. » (Article R. 4127-47). Un médecin peut donc refuser de soigner une personne donnée pour des raisons professionnelles ou personnelles qui n’ont au demeurant pas à être expliquées. La perte de confiance, parfois réciproque, est la raison la plus fréquente.

Le Conseil national de l’ordre des médecins associe cette faculté à la notion de contrat médical. Or, il n’y a pas de contrat médical au sein d’un hôpital. Ce qui fonde la faculté, pour un médecin et notamment un praticien hospitalier, de refuser une prise en charge n’est pas le « contrat » et l’accord de volontés qu’il représente, mais la relation médicale et la rencontre des confiances qu’elle exige. En dehors des cas d’urgence ou de péril dans la continuité des soins (CE, 29 juin 2020, n° 429766 ; CNOM, CDN, 22 nov. 2019, n° 13760), tout médecin peut donc, sans nécessairement s’en expliquer, refuser de soigner. Il doit en informer le patient, et l’assurer que toutes les dispositions sont prises pour garantir la continuité des soins, en orientant vers un autre confrère (le cas échéant vers un autre établissement) et en organisant la transmission d’informations.

« Il y a plusieurs raisons qui peuvent engager un médecin à abandonner un malade sans se rendre susceptible de faute ni de blâme », disait Zacchias au XVII siècle. Premièrement, « si le malade est indocile, pourvu toutefois que cette indocilité ait pour objet un refus opiniâtre sur des choses considérables », deuxièmement, si un lieu est infesté de maladies contagieuses. Les choses ont bien changé est le médecin qui fuirait une épidémie serait comptable d’un autre manquement. Mais les situations dans lesquelles le refus opiniâtre d’un patient conduirait son médecin à renoncer existent. C’est précisément le cas vis-à-vis des femmes enceintes qui font savoir à leur obstétricien qu’elles refusent toute transfusion en cas de problème. Il n’est pas rare que des praticiens leur conseillent d’être prises en charge par quelqu’un d’autre, estimant qu’on leur demande l’impossible, et que la relation de soin est déjà ternie. En l’espèce, le refus de soin est exprimé en dehors de tout risque vital, mais en prévision de celui-ci, et obère la confiance.

 

Caroline LANTERO , Avocate associée SEBAN AUVERGNE