le 24/05/2018

Un lien d’amitié peut constituer « l’intérêt quelconque » nécessaire a la caractérisation du délit de prise illégale d’intérêts

Cass., Crim., 5 avril 2018, n° 17-81.912

Par arrêt rendu le 5 avril 2018, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’un maire du chef du délit de prise illégale d’intérêts en jugeant que le lien d’amitié l’unissant à un dirigeant de société pouvait être constitutif de l’« intérêt quelconque », nécessaire à la caractérisation de ce délit.

Pour mémoire, le délit de prise illégale d’intérêts est défini aux termes du premier alinéa de l’article 432-12 du Code pénal comme « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

Au cas d’espèce, le maire d’une commune avait participé à toutes les étapes du processus de décision ayant abouti à retenir la société dirigée par l’un de ses amis de longue date, comme cessionnaire d’un terrain communal : présidence du jury formé pour désigner le candidat cessionnaire du terrain, participation à la délibération du conseil municipal désignant ladite société comme bénéficiaire du contrat de cession, signé personnellement l’acte de vente du terrain, participation à la délibération du conseil municipal engageant la commune à garantir financièrement ladite société dans le cadre d’un emprunt contracté auprès du Crédit Foncier et participation à la délibération du conseil municipal autorisant la signature d’un avenant à l’acte de vente du terrain, supprimant la condition résolutoire obligeant ladite société à verser une caution d’un montant de 500 000 euros visant à garantir l’achèvement des travaux.

A l’issue d’une enquête préliminaire, le maire et le dirigeant de la société étaient poursuivis devant le Tribunal correctionnel, le premier du chef du délit de prise illégale d’intérêts et le second du chef de recel de ce délit.

Après une décision de relaxe en première instance, les seconds juges infirmaient ce jugement et condamnaient les deux prévenus en soutenant que la notion d’« intérêt quelconque », pouvait être largement entendue – c’est-à-dire qu’il pouvait être de nature matérielle ou morale, direct ou indirect – et n’impliquait aucune condition relative au degré d’importance de l’intérêt en présence.

Fidèle à la jurisprudence de la chambre criminelle en la matière, les mêmes juges soulignaient aussi que, dans le silence du texte, la caractérisation de cet « intérêt quelconque » ne nécessitait pas de prouver que la personne publique en ait tiré profit ni que celui-ci soit en contradiction avec l’intérêt du service public dont la personne est en charge ( Cass., Crim., 19 mars 2008, n° 07-84.288, Bull. crim. n° 69).

Dès lors, les deux prévenus formaient un pourvoi en cassation en maintenant qu’une simple amitié, dépourvue de toute relation d’affaires, ne saurait suffire à caractériser un intérêt au sens de l’article L. 432-12 Code pénal.

Ainsi saisie, la Cour de cassation relevait un faisceau d’indices permettant de constater que le maire « avait pris un intérêt en cédant le terrain communal, conscient de sa relation avec le gérant de la société concessionnaire, un ami de longue date qui avait été, pendant plusieurs années, un partenaire de golf ».

Cette décision, aussi stricte qu’elle puisse paraître, s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (voir notamment : Cass., Crim., 13 janvier 2016, n° 14-88.382) et doit donc inciter les personnes publiques à redoubler de vigilance lorsqu’elles participent à des opérations pouvant mêler leurs fonctions et leurs relations personnelles.