le 16/05/2016

Quelques précisions sur la réception tacite

Cass. Civ., 3ème, 24 mars 2016, n° 15-14830

Dans un arrêt récent en date du 24 mars 2016, la Cour de cassation est venue préciser les contours de la réception tacite.

La réception tacite n’est pas expressément prévue par la loi, l’article 1792-6 du Code civil n’y faisant pas référence. Elle a toutefois fait l’objet d’une reconnaissance jurisprudentielle dès les années 1980.

La Cour de cassation a ainsi validé, par une jurisprudence ancienne, la possibilité d’une réception tacite malgré le silence législatif (Civ., 3ème, 23 avr. 1986, Bull. civ. III, n° 46 et 47 ; RDI 1987. 59, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; JCP N 1987. II. 20812, note Tomasin ; RGAT 1986, p. 390, note Bigot ; Civ., 3ème, 16 juill. 1987, Bull. civ. III, n° 143 ; RDI 1987. 454, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; Civ., 3ème, 12 oct. 1988, Bull. civ. III, n° 137 – Civ., 3ème, 19 juin 1991, n° 89-19.671, NP ; RCA 1991, n° 383), tout en en définissant les limites (Civ., 3ème, 6 nov. 1996, n° 94-21.598, NP ; RDI 1997. 83 – Civ., 3ème, 4 déc. 1996, n° 93-12.592, NP ; RDI 1997. 83).

Le Juge judiciaire recherche, afin de définir s’il peut exister une réception tacite, une volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Cette condition est essentielle.

Pour ce faire, le paiement du prix par le maître d’ouvrage est considéré par la jurisprudence comme une présomption de volonté d’accepter l’ouvrage.

En effet, en acceptant de payer le prix de l’ouvrage, ce qui s’accompagne, généralement, d’une prise de possession des lieux, le maître d’ouvrage exprime une certaine volonté d’accepter cet ouvrage. Dans ce cas, les Juges acceptent donc de prononcer la réception tacite (Civ., 3ème, 16 mars 1994, no 92-10.957, Bull. civ. III, n° 50 – Civ., 1ère, 10 juill. 1995, n° 93-13.027, Bull. civ. I, n° 315 ; RDI 1995. 751, obs. P. Malinvaud et B. Boubli – Paris, 22 févr. 1995, RDI 1995. 353, obs. G. Leguay).

Toutefois, jusqu’à présent, cette présomption simple pouvait être renversée par d’autres éléments, comme l’existence de réserves importantes. L’existence de ces réserves était en effet considérée par les magistrats comme une preuve que le maître d’ouvrage ne souhaitait pas accepter l’ouvrage en l’état, et donc qu’il n’avait pas exprimé de volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage (Civ., 3ème, 10 juill. 1991, n° 89-20.327  , Bull. civ. III, n° 204 ; RDI 1992. 71, obs. P. Malinvaud et B. Boubli   – Civ., 3ème, 24 juin 1992, n° 90-17.490  , NP ; RGAT 1992, p. 569, obs. d’Hauteville – Civ., 3ème, 8 avr. 1992, n° 90-18.223  , Bull. civ. III, no 118 ; JCP N 1992. IV. 1723, p. 189 – Paris, 4 mars 1999, AJDI 1999. 639). En présence de nombreuses réserves, le Juge judiciaire refusait donc de prononcer la réception tacite.

La Cour de cassation vient donc ici infléchir sa jurisprudence en considérant, dans l’arrêt commenté, que les nombreuses contestations du maître d’ouvrage ne suffisaient pas à renverser la présomption de volonté d’accepter l’ouvrage.

En effet, contrairement à ce qu’avait jugé la Cour d’appel, la Haute Cour estime que malgré les nombreux courriers de contestation et de protestation du maître d’ouvrage, ce dernier avait payé le prix intégral des travaux et avait pris possession des lieux, ce qui démontrait une volonté d’accepter l’ouvrage.

Dès lors, à notre sens, le terme classique de volonté « non équivoque » est sérieusement remis en question par cette position de la Haute Cour.