le 07/06/2018

Tarifs réglementés de vente électricité : la décision du Conseil d’État du 18 mai 2018, et apres ?

CE, 18 mai 2018, n° 413688 et n° 414656

Le 18 mai 2018, le Conseil d’État a rendu une décision très attendue en admettant la légalité des tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité tout en annulant les tarifs adoptés en 2017 selon. Un communiqué du Conseil d’Etat est venu expliciter cette décision.

Les TRV d’électricité aujourd’hui

Les TRV d’électricité ont été supprimés le 1er janvier 2016, en électricité, pour les sites disposant d’une puissance souscrite supérieure à 36 kVA (tarifs dits « jaune » et « vert » qui concernaient les consommateurs finals domestiques et non domestiques).

Il existe donc depuis cette date une seule catégorie de TRV, les tarifs dits « bleu » qui concernent les sites de puissance inférieure ou égale à 36 kVA. Sont concernés environ 26,5 millions de ménages français (consommateurs domestiques) ainsi que 3,3 millions de professionnels (consommateurs non domestiques parmi lesquels des acheteurs publics).

Ces TRV sont uniquement proposés par les fournisseurs historiques, c’est-à-dire la société EDF dans sa zone de desserte et les entreprises locales de distribution (ELD) chargées de la fourniture, à la différence des tarifs non réglementés (offres de marché), qui sont proposés par les fournisseurs historiques et les fournisseurs alternatifs. A cet égard, depuis le 1er juillet 2007, tous les consommateurs – quels que soient leur statut et leur puissance souscrite – sont éligibles aux offres de marché en vertu de l’article L. 331-1 du Code de l’énergie.

Ces TRV de l’électricité sont élaborés par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) et approuvés par décision ministérielle, au moins une fois par an.

Les mêmes tarifs réglementés existent dans le secteur de la fourniture de gaz pour l’ensemble des sites non résidentiels ayant une consommation supérieure à 30 MWh par an. Ces tarifs sont quant eux fixés par un arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie pris après avis de la CRE approuve, au moins une fois par an pour chaque fournisseur.

Le recours formé par Engie et l’ANODE devant le Conseil d’Etat et la décision du 18 mai 2018

 

La société ENGIE et l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), qui regroupe plusieurs fournisseurs d’électricité alternatifs, avaient demandé au Conseil d’État d’annuler la décision du 27 juillet 2017 par laquelle l’État avait fixé les TRV de l’électricité à compter du 1er août 2017.

Les requérants faisaient valoir que l’existence même de TRV d’électricité constituait une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel contraire aux principes du droit européen.

Pour cela, les requérants s’appuyaient sur l’arrêt du 19 juillet 2017 par lequel le Conseil d’Etat avait – après décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)[1] –  annulé le décret n° 2013-400 du 16 mai 2013 modifiant le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel au motif que la réglementation du prix de la fourniture du gaz naturel constituait une entrave à la réalisation du marché du gaz concurrentiel, qui n’était pas justifiée par un motif d’intérêt économique général[2].

Lors de l’audience, la rapporteur public, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, avait conclu que le dispositif général et national des TRV d’électricité constituait effectivement une entrave à la réalisation du marché concurrentiel de l’électricité quand bien même les TRV contribuaient, selon elle, à la stabilité du prix de vente de l’électricité pour le consommateur. Elle avait cependant conclu que le dispositif n’était pas proportionné aux objectifs d’intérêt économique général poursuivi et avait ainsi proposé l’annulation de la décision du 27 juillet 2017.

Fait assez rare, le Conseil d’État n’a pas intégralement suivi les conclusions de sa rapporteur public puisqu’il a jugé que l’objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix pouvait justifier l’instauration de TRV d’électricité et qu’il n’existait pas de mesure étatique moins contraignante pour satisfaire cet objectif afin de permettre l’accès de tous à ce produit de première nécessité non substituable. En ce sens, le Conseil d’Etat a validé le principe même de l’existence de tarifs réglementés de vente en matière d’électricité.

En revanche, le Conseil d’Etat a estimé que la réglementation française ne satisfaisait pas à l’exigence de proportionnalité telle que posée par la CJUE dans sa décision précitée dès lors, d’une part, qu’elle présentait un caractère permanent (alors que la CJUE impose, a minima, « un réexamen périodique de la nécessité de l’intervention étatique sur les prix de vente au détail ») et, d’autre part, qu’elle était applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

Sur ce dernier point, le Conseil d’État a ainsi jugé que l’absence de distinction entre les professionnels ayant une faible consommation d’électricité, tels que les artisans, commerçants et professions libérales, et les sites non résidentiels appartenant à des grandes entreprises, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt économique général poursuivi.

En conclusion, le Conseil d’État a admis dans son principe l’existence de tarifs réglementés de vente de l’électricité, mais a annulé la décision attaquée en tant qu’elle est applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, sans distinction et sans limitation de durée, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

Les suites aux niveaux français et européen 

En l’état, par sa décision le Conseil d’Etat n’a donc pas fait disparaître les TRV d’électricité tel qu’appliqués à ce jour aux consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.  On précisera en effet que les TRV d’électricité aujourd’hui en vigueur résultent de la décision du 31 janvier 2018 fixant les TRV à compter du 1er février 2018[3], qui n’a pas été attaquée mais qui porte en germe les mêmes griefs que la décision annulée.

Cette annulation de la seule décision du 27 juillet 2017 est ainsi « platonique » comme l’indiquait d’ailleurs la rapporteur public dans ses conclusions. Elle appelle néanmoins à une modification des textes législatifs et réglementaires relatifs aux TRV d’électricité afin que ces derniers distinguent parmi les consommateurs professionnels ceux qui relèvent ou non de grandes entreprises et qui pour lesquels les TRV devront faire l’objet d’un réexamen périodique.

Le Législateur devra donc se saisir de la question des conditions d’application des TRV d’électricité à l’avenir.

Par un communiqué de presse publié le 18 mai 2018, l’ANODE a pris acte de la décision du Conseil d’Etat tout en contestant formellement le fait que les TRV d’électricité permettraient une plus grande stabilité des prix. Elle a fait savoir qu’elle maintenait sa demande de suppression des TRV électricité et demandait au Gouvernement français de synchroniser cette suppression avec celle des TRV en gaz.

L’ANODE reste donc déterminée à voir supprimer les TRV d’électricité, d’autant que son recours fait suite à un livre blanc, rédigé par des experts indépendants, dont Philippe de Ladoucette, ancien président de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), qui démontrait  la nécessité de supprimer les TRV, au même titre que ceux du gaz, pour des raisons tant économiques (obstacles à la concurrence, plus grande compétitivité des prix) que juridiques (incompatibles avec le droit de l’union européenne), cette suppression n’empêchant pas le maintien de dispositifs de protection des consommateurs (péréquation, chèque énergie).

Enfin, l’ANODE en a appelé à la Commission européenne afin qu’elle protège les intérêts des consommateurs en mettant fin définitivement aux TRV d’électricité dans le Paquet Énergie Propre actuellement en discussion au niveau européen. Inscrite en filigrane dans les directives d’ouverture à la concurrence du secteur énergétique en Europe, la fin des TRV d’électricité comme pour le gaz est aujourd’hui une recommandation explicite de la Commission européenne. Des textes donc fortement attendus pour préfigurer les TRV d’électricité de demain.

En tout état de cause, il résultera de ces textes au futur proche des impacts forts pour les collectivités acheteurs (on peut penser qu’elles ne seront plus des catégories de consommateurs visées par les TRV d’électricité) ainsi que pour les collectivités qui sont autorités organisatrices de la distribution d’électricité (dont une part importante de leur mission de service public et de leur contrat de concession disparaîtra ou à tout le moins sera très fortement réduit). Une réforme des TRV d’électricité attendue donc, pour en anticiper les conséquences.

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE

Aurélie CROS

[1] Arrêt de la CJUE du 7 septembre 2016, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie c. Premier ministre e.a. (aff. C-121/15)

[2] CE, Ass., 19 juillet 2017, Association nationale des opérateurs détaillants d’énergie, n°370321 : Cf. LAJEE n°31 – septembre 2017

[3] Cf. LAJEE n°36 – février 2018