le 15/10/2020

Revalorisations du Revenu de Solidarité Active (RSA) : l’Etat enjoint de prendre un arrêté conjoint de compensation des hausses exceptionnelles du RSA, pour les départements, intervenues entre 2013 et 2017

TA Paris, 30 juin 2020, n° 18155442-1, 18155452-1 et 18167402-1

Par un jugement du 30 juin dernier, le Tribunal administratif de Paris s’est prononcé sur l’absence de compensation des revalorisations du Revenu de Solidarité Active (RSA) intervenues par voie gouvernementale, par cinq décrets de revalorisation[1]. Ces revalorisations successives ont donné lieu à une hausse de 10% du RSA intervenue entre 2013 et 2017, conformément au plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté décidé par le Gouvernement, mise à la charge des départements qui ont la compétence pour l’attribution du RSA.

En 2019, trois départements (le Calvados, la Manche et l’Orne) ont déposé un recours en annulation à l’encontre du refus des ministres compétents – à savoir le ministre de l’intérieur et le ministre de l’action et des comptes publics – d’édicter l’arrêté prévu par l’article L. 1614-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), pour chacun des décrets de revalorisation du RSA pris depuis le décret n° 2012-1488 du 28 décembre 2012, qui aurait dû constater les dépenses résultant d’un accroissement des charges pesant, du fait de ces revalorisations, sur les départements et octroyer à ces derniers une compensation de cet accroissement de charges.

Le CGCT dispose que le transfert d’une compétence à une collectivité territoriale, lorsqu’il induit un accroissement net de charges pour celle-ci, donne lieu au transfert concomitant des ressources nécessaires à l’exercice normal de cette compétence (article L. 1614-1 dudit Code). L’article L. 1614-2 du CGCT précise quant à lui qu’en cas de charge nouvelle pesant sur les collectivités du fait de la modification par l’Etat des règles relatives à l’exercice des compétences transférées, cela donne également lieu à compensation. Enfin, les articles L. 1614-3 et L. 1614-5-1 du CGCT disposent qu’en cas d’accroissement de charges, le montant des dépenses corrélatives pour chaque collectivité concernée est constaté par arrêté conjoint des ministres chargés de l’intérieur et du budget, après avis de la commission consultative sur l’évaluation des charges du Comité des finances locales. Il est en outre prévu que cet arrêté conjoint intervient dans les six mois suivant la publication des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles il se rapporte.

En l’occurrence, le recours des trois départements normands fait suite à la procédure engagée devant le Conseil d’Etat en vue de l’annulation de l’un des décrets ayant procédé à cette revalorisation (Décret n° 2016-1276 du 29 septembre 2016). La Haute Juridiction a rejeté cette requête en indiquant qu’il appartenait aux départements qui estimaient que le décret en cause leur imposait des charges nouvelles de « contester l’absence de compensation, notamment en demandant, le cas échéant, l’annulation du refus des ministres compétents de prendre l’arrêté constatant les dépenses résultant d’un accroissement des charges prévu par l’article L. 1614-3 du CGCT » (Conseil d’Etat, 21 février 2018, n°409286, Département du Calvados et autres).

A la suite de cette décision et après avoir demandé aux ministres compétents d’édicter pour chacun des décrets de revalorisation du RSA l’arrêté en question – demande qui a fait l’objet d’un refus implicite, les trois départements ont déféré ce refus au Tribunal administratif de Paris.

Le 30 juin dernier, ce dernier a considéré que ces revalorisations successives ont effectivement entraîné une modification « des règles relatives à l’exercice des compétences transférées » au sens des dispositions de l’article L. 1614-2 du CGCT, à l’origine de dépenses nouvelles pour les départements. Il en a déduit qu’en conséquence il incombait aux ministres chargés de l’intérieur et du budget d’édicter un arrêté conjoint, après avis de la commission consultative d’évaluation des charges du Comité des finances locales, constatant le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges induits par ces décrets, conformément aux dispositions de l’article L. 1614-3 du CGCT.

C’est ainsi que le juge administratif a annulé les décisions des ministres ayant rejeté les demandes des trois départements requérants tendant à ce que soient édictés les arrêtés de compensation.

Il est enfin à noter que ces revalorisations exceptionnelles décidées par le Gouvernement sont à différencier des revalorisations annuelles du montant forfaitaire du RSA (prises en application de l’article L. 262-3 du Code de l’action sociale et des familles) qui correspondent à l’inflation prévisionnelle et ne représentent pas une modification des règles transférées à une collectivité territoriale. Ainsi, la juridiction a considéré que l’annulation des décisions contestées en tant qu’elles refusent d’édicter les arrêtés prévus par l’article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales ne devrait pas s’étendre aux deux décrets ayant prévu cette revalorisation annuelle (Décrets n° 2012-1488 du 28 décembre 2012 et n° 2013-1263 du 27 décembre 2013).

Les conséquences de ce jugement sont loin d’être négligeables puisque l’estimation faite par la Caisse nationale d’allocations familiales du montant total pour l’ensemble des départements des revalorisations du RSA s’élève à plus de 4 milliards d’euros. Ainsi, ce serait une facture de ce montant que l’Etat devrait payer à l’ensemble des départements afin de compenser les hausses successives qu’il a décidées.

Les ministères compétents ont ainsi six mois à compter de la date à laquelle le jugement leur a été notifié pour publier les arrêtés correspondant aux cinq décrets de revalorisation. Cependant, au vu de l’importance de ce montant, il est plus que probable que l’Etat ait décidé de faire appel de cette décision.

Cette décision doit être mise en parallèle avec le projet de loi « 3D » (déconcentration, différenciation et décentralisation) aussi appelé « nouvel acte de la décentralisation », qui doit être présenté à l’automne, dans lequel il est notamment question de tester, dans certains départements volontaires, une recentralisation du RSA. L’on peut penser que ce jugement servira d’argument aux partisans de la recentralisation de cette aide sociale.

[1] Décret n°2013-793 du 30 août 2013, décret n°2014-1127 du 3 octobre 2014, décret n°2015-1231 du 6 octobre 2015, décret n°2016-1276 du 29 septembre 2016 et décret n°2017-739 du 4 mai 2017