le 04/10/2018

Retour sur les droits fondés en titre : précision sur leur existence et sa consistance légale

CAA Bordeaux, n° 25 septembre 2018, n° 15BX02580

Nous avions déjà appréhendé la question des droits fondés en titre dans le cadre de la Lettre d’Actualités Juridiques Energie & Environnement du 9 novembre 2017.

Deux arrêts rendus le 25 septembre 2018 par la Cour administrative d’appel de Bordeaux sont pour nous l’occasion de préciser les conditions tenant à l’existence de ces droits et aux prérogatives qui leur sont attachées.

Pour rappel, les droits fondés en titre portent sur les cours d’eaux non domaniaux. Il s’agit plus précisément des droits d’eau attachés à des moulins qui ont été délivrés sous le régime féodal par la Couronne, soit avant la Révolution française et que la nuit du 4 août 1789 n’a pas abolis. Ces droits d’usage de l’eau particuliers sont exonérés des procédures d’autorisation ou de renouvellement prévus par le Code de l’énergie.  

Dans le cadre de la première affaire, la société Centrale des Vignes et la société Hydro les Vignes, respectivement, propriétaire et exploitante d’une centrale hydro-électrique installée sur une dérivation en rive droite du Gave de Pau, ont demandé au préfet des Pyrénées-Atlantiques de reconnaître le droit fondé dans la limite d’une consistance légale de 5 552 kW. Par jugement du 12 mai 2015, le Tribunal administratif de Pau, estimant que l’administration ne pouvait dénier à ces installations l’existence d’un droit fondé en titre, a annulé l’arrêté préfectoral du 11 septembre 2013 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé de reconnaître l’existence d’un droit d’eau fondé en titre attaché à la centrale hydro-électrique. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

La cour administrative d’appel de Bordeaux, tenue de se prononcer sur l’existence d’un droit fondé en titre concernant la centrale hydro-électrique en cause, a rappelé le fondement de ce droit en jugeant que «  Sont notamment regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d’eau sur des cours d’eaux domaniaux qui proviennent d’une vente de biens nationaux ou qui sont établies en vertu de droits acquis avant l’Edit de Moulins de 1566 ou, s’agissant des cours d’eaux situés dans le Béarn, avant 1620, année de rattachement de cette province à la France. Une prise d’eau est présumée établie en vertu d’un acte antérieur à ce rattachement dès lors qu’est prouvée son existence matérielle avant cette date ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux relève que la centrale hydro-électrique avait été construite en 1974 après l’acquisition d’une usine et de ses droits, centrale qui avait elle-même était construite sur le fondement de l’acquisition du groupe d’installations de Mirepeix bénéficiant d’une prise d’eau sur la rive droite du Gave de Pau.

Or, la cour administrative d’appel de Bordeaux constate que « les droits d’eau du groupe d’installations de Mirepeix figurent, en tout état de cause, dans un acte de dénombrement enregistré au Château de Pau le 30 janvier 1538 avant le rattachement en 1620 de la province du Béarn à la France et que ceux du moulin de Nay, auquel se sont raccordées en 1828 les installations de Mirepeix ont fait l’objet d’une vente de biens nationaux le 22 messidor an IV ».

Elle juge donc que la centrale hydro-électrique avait bien hérité des droits fondés en titre attaché au groupe d’installations de Mirepeix et cela, nonobstant le fait que « la centrale hydro-électrique des Vignes soit installée sur un emplacement différent de celui des usines dont elle a hérité les droits » au motif que cette circonstance « est sans influence sur l’existence d’un droit fondé en titre dès lors que ce droit consiste en un droit d’usage de la force motrice de l’eau et qu’il est lié non aux ouvrages destinés à l’utilisation effective de la force motrice du cours d’eau mais à l’existence d’une prise d’eau et aux ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ».

Dans la seconde affaire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à trancher la question des prérogatives attachées aux droits fondés en titre.

Par un arrêté du 11 septembre 2013, le préfet des Pyrénées-Atlantiques avait reconnu le caractère fondé en titre du droit d’eau attaché à la centrale hydro-électrique exploitée par la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay. Toutefois, l’arrêté avait fixé à 5 m3 par seconde le débit à retenir pour fixer la consistance légale du droit fondé. L’arrêté imposait en conséquence à la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay de déposer, au titre du code de l’environnement, un dossier en vue de régulariser l’installation dans la mesure où sa consistance actuelle excédait sa consistance légale.

Par jugement du 12 mai 2015, le Tribunal administratif de Pau, estimant que la consistance légale de l’usine devait être fixée en considération d’un débit de 26,95 m3 par seconde, a annulé l’arrêté préfectoral du 11 septembre 2013. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a interjeté appel de ce jugement. La société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay demandait quant à elle, à l’occasion de cet appel, que la cour la déclare co-titulaire, avec les deux autres usines installées sur la même dérivation, d’un droit fondé en titre dans la limite d’une consistance légale de 5 552 kW correspondant à l’utilisation d’un débit maximal dérivé de 26,95 m3 par seconde sous une chute de 21 mètres.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux commence par rappeler la consistance d’un droit fondé en titre en jugeant qu’un « droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’origine. Dans le cas où des modifications de l’ouvrage auquel ce droit est attaché ont pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, appréciée au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée, ces transformations n’ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais de soumettre l’installation au droit commun de l’autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre ».

La Cour administrative d’appel de Bordeaux indique ensuite comment procéder au calcul de la consistance de ce droit en statuant qu’à « défaut de preuve contraire, la consistance légale d’origine d’un droit d’eau est présumée conforme à sa consistance actuelle qui correspond, non à la force motrice utile que l’exploitant retire de son installation, compte tenu de l’efficacité plus ou moins grande de l’usine hydro-électrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux constate, d’une part que « le rapport d’expertise de 1890 [invoqué par l’administration pour fixer la consistance du droit fondé], fait état d’un débit de 5 ou 7 m3 par seconde, [mais qu’] il s’agit non du débit maximum théorique de la dérivation à l’entrée du vannage, mais d’un débit usuel régulé » et, d’autre part, que le rapport dont se prévaut la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay fait état d’un débit de 26,95 m3 par seconde résulte d’un calcul hypothétique, au cas où les vannages et canaux seraient curés et où une usine installée en aval en 1843 serait détruite.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que ces rapports ne sauraient constituer des preuves suffisantes permettant d’établir la consistance légale d’origine de ce droit fondé. Et elle juge que la consistance du droit d’eau fondé en titre dont est titulaire la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay doit donc être présumée comme conforme à sa consistance actuelle, soit 2 884 kW compte tenu d’un débit maximum de la dérivation de 14 m3 par seconde et d’une hauteur de chute de 21 mètres

Le contentieux des droits fondés en titre étant un contentieux de pleine juridiction, la Cour administrative d’appel de Bordeaux annule le jugement attaqué, fixe la consistance du droit fondé en titre à 2 884 kW et rejette le surplus des conclusions de la société intimée tendant à ce que la consistance de ce droit soit fixé à 5 552 kW.